Université Lumière Lyon 2 Les effets directs et indirects des stéréotypes sociaux sur une décision d orientation scolaire. Psychologie Sociale Licence 2 ème année. Année 2008-2009 Chloé CHALAYE Romain TAIAR Nelly THOMAS 2084782
1.2 Définition de la problématique Nous nous sommes donc demandé si la décision d orientation scolaire est influencée de façon plus forte par des stéréotypes d appartenance sociale, induits indirectement que lorsqu ils sont directement explicités. En effet, comme l ont montré Bargh et Pietromonaco (1982), des informations implicites peuvent influer sur l idée qu une personne peut se faire d une autre. 1.2.1 Orientation scolaire Dans cette recherche, la décision d orientation scolaire est celle de fin de troisième, à savoir si l élève sera orienté en seconde générale ou en filière professionnelle (CAP, BEP). En effet, en troisième, l orientation commence au second trimestre, au-cours duquel l élève et ses parents formulent des vœux qui seront ensuite examinés par le conseil de classe. Lors du conseil de classe, les professeurs donnent leur avis favorable ou non à ces vœux, ils se basent alors sur les résultats scolaires de l élève. Conscients de cet avis, l élève et sa famille formulent alors des vœux définitifs pour le conseil de classe du troisième trimestre, au-cours duquel les professeurs donnent un avis définitif qui tient alors lieu de décision d orientation. A savoir qu en cas de désaccord, il est possible pour l élève et sa famille de faire appel de cette décision que se soit au second ou au troisième trimestre. En psychologie, l'influence est définie comme un processus par lequel une personne va changer de point de vue en réaction à un facteur précis. Statistiquement, nous avons effectué des comparaisons de moyennes et nous avons inféré nos résultats (échantillon) à une population. L influence est qualifiée de plus forte lorsqu il y a une différence de résultats significative entre un groupe dit «direct» et un groupe dit «indirect». Les différences sont dites significatives quand le seuil de confiance est au minimum de 95%. 1.2.2 Pré-tests et stéréotypes Les stéréotypes d appartenance sociale pour cette recherche, sont définis comme les impressions spontanées que l ont se fait d une autre personne ou d un groupe de personnes. Bargh et Pietromonaco (1982) ou encore Devine (1989) ont montré que les stéréotypes pouvaient être induits sans que le sujet en ait conscience, et ainsi moduler son jugement. Pour cette recherche, des pré-tests ont été effectués afin de déterminer quelles informations (variables indépendantes) donner aux professeurs pour induire des stéréotypes
d appartenance sociale qualifiés de défavorisés ou de favorisés. Ainsi, comme le décrit Ahmed Channouf dans sa recherche, le pré-test réalisé s adressait à trente-six enseignants auxquels étaient données des informations qu ils devaient classifier sur une échelle de 1 (très défavorisé) à 7 (très favorisé). Ce pré-test visait à déterminer quelles informations étaient associées aux classes sociales dites favorisées et défavorisées. Seules celles fréquemment situées autour de 5-6 pour le profil favorisé et autour de 2-3 pour le profil défavorisé ont été retenues. Ainsi, 75% des sujets ont situés «boursier» en 2-3 55% «non boursier» en 5-6 78% «aide aux devoirs» en 2-3 94% «cours particuliers» en 5-6 57% «football» en 2-3 60% «tennis» en 5-6 54% «temps libre avec les copains» en 2-3 79% «solfège-piano» en 5-6. D autre part, les auteurs de cette recherche ont effectué un autre pré-test visant à déterminer quel est l intervalle de notes où il est difficile pour un enseignant de décider de l orientation de l élève. Pour ce faire, ils ont interrogé 5 professeurs (autres que les 36 interrogés lors du premier pré-test) qui ont permis de montrer que cet intervalle pour des élèves de 3 ème se situait entre 9 et 9,7 pour les matières principales (français, mathématiques, histoire-géographie, sciences physiques) et d environ 12/20 pour les autres matières (technologie, arts plastiques, éducation musicale, sport). D autre part, nous définirons le stéréotype direct par le fait que les sujets soient conscients des biais que ceux-ci peuvent induire, ainsi, dans l expérience, les conditions dites «directes»se différencient des conditions «indirectes» par la présence dans le dossier donné aux professeurs d un tableau statistique indiquant la répartition des élèves dans les diverses filières de second cycle en fonction de la profession du chef de famille, ce qui attirait l intention des sujets sur l influence de cette variable sur la décision d orientation.
A la différence des stéréotypes directs, dans cette condition dite «stéréotype indirect», les sujets ne sont pas rendus conscients de ces biais de jugement pouvant être induits par ces stéréotypes. Dans l expérience, les dossiers sont alors dépourvus du tableau statistique de répartition des élèves. 2 Expérience 2.1 Méthode 2.1.1 Sujets 2.2.2 Hypothèses 2.2.3 Procédure 2.2 Résultats Tableaux.1 : Moyennes des avis relatifs au passage en seconde générale selon le type d induction de l appartenance sociale (Direct VS Indirect) et l origine sociale de l élève induite (Favorisée VS Défavorisée). Type d induction de l appartenance sociale de l élève Appartenance Sociale Induite Directe Indirecte Favorisée 2,67 3,67 Défavorisée 4 4 Avis de passage en seconde générale Statistiques :
Comparaisons de moyennes : *Pour la condition «Stéréotype Indirect» : 1 2 3 Total Σxi² Favorisé 4 5 2 11 45 Défavorisé 4 3 5 12 50 Ecart-type = 1.17 Moyenne Elève favorisé = 3.67 Moyenne Elève défavorisé = 4 Calculé=0.115 < critique=2.57 Il n y a donc pas d écart significatif entre les moyennes pour le passage en seconde générale, entre les élèves issus de milieu favorisé et ceux de milieu défavorisé. *Pour la condition «Stéréotype Direct» : 1 2 3 Total Σxi² Favorisé 3 3 2 8 22 Défavorisé 4 3 5 12 50 Ecart-type = 1.03 Moyenne Elève favorisé = 2.67 Moyenne Elève défavorisé = 4 Calculé=0.53 < critique=2.57 Il n y a donc pas d écart significatif entre les moyennes pour le passage en seconde générale, entre les élèves issues de milieu favorisé et ceux de milieu défavorisé. Interprétation :
Les résultats concernant la variable dépendante relative au passage en seconde générale (cf. Tableau 1) révèlent que : Dans la condition «stéréotype indirect» dans laquelle l appartenance sociale de l élève est induite de manière non explicite, l élève de milieu social favorisé recueille en moyenne un avis moins favorable que l élève d origine sociale défavorisée (3.67 VS 4). Dans la condition «stéréotype direct» dans laquelle l influence de l appartenance sociale des élèves a été révélée de manière explicite, on observe que l élève issu de milieu social défavorisé obtient en moyenne un avis beaucoup plus favorable à un passage en seconde générale que l élève d origine sociale favorisée (2.67 VS 4). Conformément à nos attentes, on observe que dans la condition de «stéréotype direct», l élève d origine sociale défavorisée est plus favorablement orienté en seconde générale que l élève d origine sociale favorisée. Cependant nos résultats sont incohérents sur le premier point. Contrairement à nos attentes l élève d origine sociale défavorisée est orienté plus favorablement en seconde générale que l élève d origine sociale favorisée. De plus, dans les conditions «stéréotype direct» et «stéréotype indirect» pour l élève d origine sociale défavorisée on n observe aucune différence significative (4 VS 4). Ces résultats ne peuvent donc pas confirmer notre hypothèse selon laquelle les professeurs n ont pas conscience de l influence du stéréotype lié à la classe sociale (condition «stéréotype indirecte») leur décision est biaisée par ce stéréotype. Ainsi l effet du stéréotype de classe serait plus important lorsqu il est indirectement induit. Tableaux.2 : Moyennes des avis relatifs au passage en seconde professionnelle selon le type d induction de l appartenance sociale (Direct VS Indirect) et l origine sociale de l élève induite (Favorisée VS Défavorisée).
Type d induction de l appartenance sociale de l élève Appartenance Sociale Induite Directe Indirecte Favorisée 4,67 3,33 Défavorisée 3 5 Avis de passage en seconde professionnelle Statistiques : Comparaisons de moyennes : *Pour la condition «Stéréotype Indirect» : 1 2 3 Total Σxi² Favorisé 3 5 2 10 38 Défavorisé 5 5 5 12 75 Ecart-type = 2.54 Moyenne Elève favorisé = 3.33 Moyenne Elève défavorisé = 5 Calculé=0.27 < critique=2.57 Il n y a donc pas d écart significatif entre les moyennes pour le passage en seconde générale, entre les élèves issues de milieu favorisé et ceux de milieu défavorisé. *Pour la condition «Stéréotype Direct» : 1 2 3 Total Σxi² Favorisé 6 4 4 14 68 Défavorisé 2 3 4 9 29
Ecart-type = 1.32 Moyenne Elève favorisé = 4.67 Moyenne Elève défavorisé = 3 Calculé=0.52 < critique=2.57 Il n y a donc pas d écart significatif entre les moyennes pour le passage en seconde générale, entre les élèves issues de milieu favorisé et ceux de milieu défavorisé. Interprétation : Les résultats concernant la variable dépendante relative au passage en seconde professionnelle (cf. Tableau 2) révèlent que : Dans la condition «stéréotype indirect», l élève d origine sociale défavorisée recueille en moyenne un avis plus favorable qu un élève d origine sociale favorisée (5 VS 3.33).Ce résultat va dans le sens de notre hypothèse. En effet, à dossier égal et à notes égales, les élèves de milieu social défavorisé sont orientés, plus que les élèves de milieu social favorisé, vers une seconde professionnelle. Dans la condition «stéréotype direct», les élèves de milieu social défavorisé obtiennent un avis moins favorable à celui obtenu en condition «stéréotype indirect» (3 VS 5). Les résultats confirment qu en condition directe, les effets du stéréotype sont réduits. Dans la condition «stéréotype direct», les élèves de milieu social défavorisé obtiennent un avis moins favorable pour un passage en seconde professionnelle que les élèves de milieu social favorisé. (3 VS 4.67) Ce dernier résultat confirme l importance des statistiques sur l orientation des élèves en fonction de leur origine sociale mis à leur disposition en condition de «stéréotype direct».
Conformément à nos prévisions les professeurs estiment accorder plus d importances aux informations relatives aux résultats scolaires, aux appréciations du conseil de classe et au redoublement qu aux informations se rapportant aux activités extrascolaires et aux critères sociaux. Ainsi, quelle que soit la condition expérimentale, les enseignants sous estiment l importance des critères sociaux dans leur décision d orientation. 3 Discussion et critiques 3.1 Discussion D après ces résultats, nous pouvons souligner que pour la condition «passage en seconde générale», les élèves issus de milieux défavorisés obtiennent plus d avis favorables que les élèves issus de milieux favorisés et ce quelle que soit la façon dont le stéréotype est induit. Néanmoins, lorsque l on passe du stéréotype indirect au stéréotype direct, les différences se font plus nettes entre stéréotype «favorisé» et stéréotype «défavorisé». Ainsi, le fait de rendre les professeurs conscients des différences d orientation en fonction de l origine sociale, permettrait d augmenter la proportion d élèves issus de milieux défavorisés en classe de seconde générale. D autre part, concernant la condition «passage en seconde professionnelle», lorsque le stéréotype est induit indirectement, les élèves dits défavorisés sont plus orientés en seconde professionnelle que les élèves dits favorisés. Alors que lorsque le stéréotype est direct, la tendance s inverse et ce sont alors les élèves dits favorisés qui sont plus orientés en seconde professionnelle que ceux dits défavorisés. Ainsi, dans les deux cas, nous voyons bien que l induction d un stéréotype de façon directe a des conséquences sur les chiffres que nous obtenons et donc sur les jugements des bulletins scolaires par les professeurs. Néanmoins, nous remarquons que plus d élèves dits défavorisés sont orientés en seconde générale que d élèves dits favorisés, ce qui est contraire à nos attentes.
3.2 Critiques Il est important de noter que nous n avons pu interroger que douze professeurs soit trois par modalité, alors que Channouf (2004) en avait interrogé quatre-vingts soit vingt par modalité. Ainsi, le fait que nous infirmions notre hypothèse selon laquelle les élèves issus de milieux défavorisés seraient moins souvent orientés en seconde générale que ceux issus de milieux favorisés pourrait être lié à ce petit nombre de sujets. De plus, le fait que nous ayons fait passer ces questionnaires en salle des profs permettait aux professeurs de communiquer entre eux et éventuellement de comparer leurs questionnaires qui n étaient pas les mêmes. Ainsi, de telles communications entre sujets peuvent avoir biaisé nos résultats. 4 Conclusion Nous avons donc montré, et ce même avec une population plus de six fois inférieure à celle de Channouf (2004) que les stéréotypes indirects influençaient de façon plus forte les décisions d orientation scolaire, confirmant notre hypothèse de départ. Néanmoins, cette recherche bien que très intéressante et concrète aurait pu être réalisée dans des conditions plus proches de la réalité. En effet, comme explicité plus haut, l orientation de fin de troisième commence dès le second trimestre, ainsi, il aurait été intéressant d effectuer une recherche longitudinale avec deux voire trois bulletins par élèves permettant de voir sa progression aucours de l année. De même, les élèves de troisième formulent des vœux d orientation et les professeurs se prononcent par rapport à ceux D autre part, les professeurs avaient un questionnaire chacun, or, lors des conseils de classe en collège, ce sont tous les professeurs qui décident de l orientation d un élève et non pas un seul. Ainsi, afin d obtenir des résultats plus proches de la réalité, il serait bon de soumettre les mêmes questionnaires mais à un conseil de classe au complet. En effet, comme l a montré Asch (1951) dans un groupe, un sujet seul à tendance à conformer son jugement à celui des autres, ainsi, les jugements des professeurs seuls ne seraient pas les mêmes que ceux formulés au sein d un conseil de classe. Enfin, au-lieu d étudier les effets des stéréotypes sociaux, nous avions également pensé à étudier les effets des stéréotypes de genre, en présentant le même bulletin mais l un appartenant à un élève et l autre appartenant à une élève. Ayant également la possibilité d accéder à des collèges privés et publics, noua avions aussi pensé à comparer les stéréotypes sociaux entre ces deux types d établissements mais la comparaison des stéréotypes directs et
indirects telle qu effectuée par Channouf (2004) nous paraissait plus intéressante dans le domaine de la psychologie sociale et aussi plus proche de nos expériences personnelles. Bibliographie Bargh, J.A., 1984. Automatic and conscious processing of social information. In: Wyer, R.S., Srull. T.K. (Eds.), Handbook of Social Cognition, Vol. 3. Erlbaum. Hillsdale. NJ, pp. 1-43. Bargh, J.A., Pietromonaco, P., 1982.Automatic information processing and social perception: The influence of trait information presented outside of conscious awareness on impression formation. Journal of Personnality Social Psychology 43, 437 449. Boudon, R., 1973. L inégalité des chances. Armand Colin, Paris Devine, P.G., 1989. Stereotypes and prejudice : Their automatic and controlled components. Journal of Personnality Social Psychology 56, 680 690.