Dossier thématique : Du castrum au fortalicium : évolution du paysage fortifié autour de Cordes en Albigeois (XI e XVI e siècle) Elodie Cassan-Pisani, 2011 BLEYS Labarthe-Bleys TARN VILLAGE ET CHÂTEAU ETUDE Illustrations Le château de Bleys s élève sur une terrasse en fond de vallée et en bordure du Cérou. L habitat groupé attesté à travers les sources a disparu : seuls quelques bâtiments en ruine largement remaniés sont encore visibles entre la maison noble et l église. 1. ENCADREMENT RELIGIEUX ET SEIGNEURIE EMINENTE : DES LIENS ETROITS AVEC LABARTHE Bleys apparaît comme un chef-lieu de paroisse dans les reconnaissances à Alphonse de Poitiers de 1261 1. Cette paroisse s étend sur l autre rive du Cérou et englobe la localité de Labarthe où plusieurs maisons forment un modeste habitat groupé le long d une voie de circulation. Le village est longtemps associé à celui de Labarthe mais il abrite une communauté distinguée de celle de Labarthe dans les sources du début du XIVe siècle 2. Au milieu du XIIIe siècle, Bernard de Penne, seigneur de Laguépie, déclare tenir du comte de Toulouse la seigneurie de Bleys avec celle de Labarthe 3. Le sieur de Lexos est mentionné comme seigneur de Bleys dans la deuxième moitié du XVIe siècle 4. La directe passe à la famille de Rabastens avant le début du XVIIe siècle 5 tandis que Labarthe fait partie des possessions du seigneur de la Prune à la même période. 1 E. CABIE, Droits et possessions du Comte de Toulouse dans l'albigeois au milieu du XIII e siècle, t. VI, Coll. Archives historiques de l'albigeois, Toulouse, Privat, 1900, p. 99. 2 «per la comuna de La Barte et per lo comunal de la vila de Blueys», 1314, AD 81, 69 EDT CC 28. 3 E. CABIE, op. cit., p. 96. 4 Délibérations des consuls de Cordes datée de 1574, AD 81, 69 EDT BB 5. 5 Compoix de Labarthe-Bleys de 1616, AD 81, 69 EDT CC 20. 1
2. LE CENTRE AGGLOMERE DE LA COMMUNAUTE Situé à l écart du château et de l église, l ancien village abrite une communauté constituée avant le début du XIVe siècle. En 1314, les jurats des communautés de Bleys et de Labarthe déclarent que ces deux localités comptent huit feux dont les revenus sont supérieurs à six livres et huit sous 6. Cette source traduit ainsi l existence d une modeste agglomération implantée près de l église dont l existence est avérée au milieu du XIIIe siècle. Le compoix de 1616 permet de restituer au moins douze maisons dont certaines jouxtent la place du village 7. Le château pourrait être postérieur à la genèse de cet habitat groupé mais cette hypothèse ne repose que sur l absence de mention avant le XVe siècle et sur la morphologie parcellaire du hameau du XIXe siècle qui n apparaît pas contrainte par la présence du pôle castral (fig. 3). 3. L IMPLANTATION SEIGNEURIALE : UNE MAISON FORTE A PROXIMITE DE L HABITAT GROUPE Le château est établi sur une plateforme de 70 m de large qui pourrait être en partie artificielle. Le noyau d habitat groupé, aujourd hui déserté, se développait vers le sud-est, près de l église et en bordure du chemin menant à Cordes. A l emplacement de ce modeste village, le propriétaire du château au milieu du XIXe siècle a fait raser les dernières habitations pour étendre son domaine et aménager un jardin en terrasse 8. La mention d'un «fort» au milieu du XVe siècle atteste l'existence du château à cette date 9. En effet, les sources postérieures montrent qu'un fort villageois a été aménagé autour ou dans la bassecour d'une demeure seigneuriale fortifiée. Cette maison forte est donc antérieure à la mise en place du réduit. Le compoix de 1616 mentionne de façon plus explicite la «maison sive chasteau» du seigneur, avec ses tours et son «patus» au coeur de l ensemble fortifié 10. L'édifice actuel est formé de quatre corps de bâtiments délimitant une cour centrale. Les façades actuelles témoignent d une importante campagne de reconstruction réalisée au cours du XIXe siècle. Cependant, le plan de l ensemble pourrait correspondre à l emprise de la maison forte transformée en fort telle qu elle semble apparaître encore sur le plan cadastral du début du XIXe siècle (fig. 3). 4. LA MISE EN DEFENSE DU VILLAGE A LA FIN DU MOYEN AGE : LE FORT DE BLEYS Les sources font état d une fortification collective à partir du milieu du XVe siècle. En 1445, un bail à cens localise une maison dans le «fort de Bleys» 11. Un autre acte daté de 1486 évoque le «fortalicium» du lieu 12. Le compoix de 1616 permet de localiser ce réduit fortifié près de la demeure seigneuriale, à l écart du noyau d habitat 13 : les différentes déclarations établissent en effet une distinction entre les bien situés «à Bleys» et ceux localisés «dans Bleys» ou «dans le château de Bleys», traduisant ainsi le lien étroit entre le pôle castral et la fortification collective. Ce cas de «fort castral» présente de fortes similitudes avec le fort de Labarthe, situé dans la même paroisse mais de l autre côté du Cérou, pour lequel les sources conservées permettent de comprendre les processus à 6 Ce recensement des feux s applique pour les deux villages ensemble (AD 81, 69 EDT CC 28 ; cf. C. PORTAL, Histoire de la ville de Cordes en Albigeois (1222-1799), Toulouse, Privat, 1984, p. 312). 7 AD 81, 69 EDT CC 20, fol. 179. 8 D après le témoignage de la propriétaire actuelle, descendante de la famille seigneuriale en place sous l Ancien Régime. 9 C. PORTAL, «Extraits de registres de notaires, documents des XIV e - XVI e siècles concernant principalement le pays albigeois», dans Revue du Tarn, 1897, t. XIV, 107. 10 AD 81, 69 EDT CC 20, fol. 163. 11 «de dins lo fort de Blueys» : C. PORTAL, art. cit., 1897, t. XIV, p. 107. 12 «Infra fortalicium loci de Blueyssio» : C. PORTAL, art. cit., 1897, t. XIV, p. 107. 13 Cf. ci-dessus. 2
l origine de la transformation du château en structure de refuge collective 14. Le seigneur a probablement accensé, avant le milieu du XVe siècle, une partie de son château aux habitants du lieu qui y ont aménagé des habitations temporaires pouvant servir de refuge. La plupart de ces constructions sont pérennisées et leur statut semble évoluer avant le début du XVIIe siècle. Néanmoins, le fort villageois continue de fonctionner à la période moderne et le compoix de 1616 en donne une image vraisemblablement assez proche de l état de la fin du Moyen Age. Le registre fiscal moderne décrit un espace alloti, divisé entre plusieurs habitants et structuré autour du logis seigneurial, peut-être à l intérieur de l ancienne basse-cour. L'emprise du fort pourrait globalement correspondre à l'emprise des bâtiments actuels que nous n'avons malheureusement pas pu observer en détail pour en repérer des traces des loges villageoises. Malgré la reconstruction de l édifice et la disparition du parcellaire du fort, l organisation des corps de bâtiment autour d une cour centrale est issue ou proche de l organisation du réduit tel qu il apparaît au XVIIe siècle. Le compoix recense plusieurs maisons situées dans le fort, de part et d'autre de la «maison sive château» du seigneur du lieu, jouxtant la muraille et les fossés «du lieu» ou «du château». La confusion entre les fortifications seigneuriales et les fortification collectives traduit bien l intégration des deux entités au sein d'un même ensemble fortifié. L enceinte semble en grande partie formée par les bâtiments euxmêmes, comme en témoignent les mentions de biens «faisant muraille». L'ensemble s'organise autour d'une cour centrale attestée à travers le terme de «patus du château». L espace du fort est partagé, au début du XVIIe siècle, entre six ou sept tenanciers et le seigneur du lieu, à la différence du fort de Labarthe où le seigneur ne réside plus depuis le milieu du XVe siècle. Deux maisons qui semblent servir d habitation principale témoignent du processus de pérennisation du fort entre le XVe et le XVIIe siècle. Les autres bâtiments sont divisés en chambres, petites unités d habitation issues du fonctionnement initial de la structure de refuge. Les chambres déclarées appartiennent à des habitants du noyau ouvert de Bleys et à un habitant de Labarthe, perpétuant ainsi le système de double propriété caractéristique des forts villageois qui apparaissent en lien direct avec une forme d habitat permanent. Enfin, l une des chambres jouxte un four aménagé au cœur de l ancien château. Ainsi, l aménagement du fort de Bleys près du logis seigneurial, à quelques centaines de mètres d un autre «réduit castral» situé dans la même paroisse à Labarthe, traduit le repli des communautés autour des pôles fortifiés qui dominent leur paysage à la fin du Moyen Age. Cette recherche de protection immédiate répond à un contexte local et régional très troublé mais également à une volonté de s affirmer face aux autres communautés du territoire cordais 15. 14 Voir la notice sur Labarthe, dans la paroisse de Bleys. 15 Voir les exemples de Mouzieys, Labarthe et Frausseilles qui démontrent l attachement des communautés à leur fortification collective matérialisant, dans le paysage, un processus d autonomisation face au bourg castral de Cordes. 3
Etude ILLUSTRATIONS Fig. 1 : Carte IGN ( GEOPORTAIL). Fig. 2 : Cadastre de Bleys actualisé en 1986 (Section C 01). Fig. 3 : Cadastre de Bleys, 1810 (A.D. 81, 3P 2437-7) 4
Fig. 4 Le château remanié voire reconstruit, vue d ensemble depuis l est.. Fig. 5 Bâtiments en ruine au sud-est du château : vestiges de l habitat groupé ou dépendances? 5