LA REPARATION INTEGRALE DU DOMMAGE CORPOREL ET L ACCIDENT DU TRAVAIL. I Le droit positif avant l arrêt du Conseil Constitutionnel du 18 juin 2010

Documents pareils
Service Risques et Assurances de La Poste

A - Nomenclature des préjudices de la victime directe

L ÉVOLUTION DE LA GARANTIE DE LA FAUTE INEXCUSABLE DE L EMPLOYEUR

Cabinet d avocat Leduc-Novi. Indemnisation du préjudice corporel des. personnes victimes d un accident de la route

> Un cadre législatif spécifique

REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

RÉFÉRENTIEL INDICATIF RÉGIONAL DE L INDEMNISATION DU PRÉJUDICE CORPOREL

INDEMNISATION DES SÉQUELLES EN DROIT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Rapport Terré sur la Responsabilité civile - Proposition de textes -

Proposition de textes

Les assurances directes- Rapport français

La protection sociale en France

LES ACCIDENTS DE TRAJET

NOTE JURIDIQUE - INDEMNISATION

ASSURANCE GROUPEMENTS SPORTIFS

Belgique : Gros plan sur les maladies professionnelles et les accidents du travail

Réparation du préjudice corporel en Algérie

Indemnisation des victimes des accidents de circulation au Maroc

Responsabilité professionnelle des Infirmiers

RÈGLEMENT MUTUALISTE GÉNÉRAL

LES ACCIDENTS DE TRAJET

L indemnisation du dommage corporel

NOTE JURIDIQUE - INDEMNISATION - Base juridique. Articles 1382 et suivants du code civil Loi du 5 juillet 1985

Vu la Constitution et notamment ses articles 148, 151 et 154;

Numéro du rôle : Arrêt n 108/2011 du 16 juin 2011 A R R E T

Circulaire du directeur des contributions L.I.R. n 104/1 1 du 18 février L.I.R. n 104/1

Obs. : Automaticité de la pénalité de l article L C. ass. : la victime n a aucune demande à formuler

Circulaire du directeur des contributions L.I.R. n 104/1 1 du 20 novembre L.I.R. n 104/1

REGLEMENT MUTUALISTE DU REGIME FRAIS MEDICAUX ET CHIRURGICAUX. (Complémentaire santé)

M. Mazars (conseiller doyen faisant fonction de président), président

PROTECTION «VIE ENTIÈRE» M.A.A.

Les Cahiers du Conseil constitutionnel Cahier n 24

Correction de la séance 2 : Que pensez vous de la suma divisio responsabilité contractuelle et responsabilité extracontractuelle

Les motifs de saisine de la commission de réforme

FINANCEMENT DES RISQUES PROFESSIONNELS. CHU de la TIMONE UE «ORGANISATION DE LA SECURITE SOCIALE»

Fiche n 7 : Que faire pour être indemnisé par les assureurs?

N contrat :

Proposition d assurance santé. Garantie des Accidents de la Vie

ASSOCIATION DES ACCIDENTÉS DE LA VIE. Quelles procédures après un accident de la route? Informations pour les victimes de dommages corporels

La prévention des risques hors du cadre professionnel habituel

JAPON. Nomenclature. nationale (prestations de maladie) Pension nationale Assurance pension des salariés. Assurance maladie gérée par des sociétés

NOTE JURIDIQUE - SECURITE SOCIALE -

Manuel des directives - Indemnisation des dommages corporels 1. CHAMP D'APPLICATION

Assurance des associations départementales OCCE, des coopératives et des foyers coopératifs affiliés

inaptitude quelles sont les obligations?

CONDITIONS GENERALES REGLEMENTANT LE PRET DE MAIN- D ŒUVRE ENTRE ENTREPRISES

Droits des patients et indemnisation des accidents médicaux

Droits des patients et indemnisation des accidents médicaux

Chapitre 4 : les accidents du travail et les maladies professionnelles. Objectif général: distinguer accident du travail et maladie professionnelle

Avis n du 15 septembre 2011

MINISTÈRE DES AFFAIRES SOCIALES ET DE LA SANTÉ. Assurance maladie, maternité, décès. Direction de la sécurité sociale

Notions de responsabilité. Stage initial initiateur CTD 74 - nov Jean-Pierre GUERRET

SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Delaporte, Briard et Trichet, avocat(s) REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Table des matières. Questions particulières en rapport avec l évaluation du préjudice matériel résultant d une blessure ou d un décès

Monsieur Jonathan LEROY 3 bis chemin du Paradis BORNEL. Mademoiselle Marine MAOLE. Madame Sylviane LEROY

ASSURANCE GROUPEMENTS SPORTIFS

REGLEMENT MUTUALISTE DE LA MUTUELLE D ARGENSON ET DES FONCTIONNAIRES DE L ENSEIGNEMENT PUBLIC (Article 4 des Statuts) TITRE I

Mémento. de l assurance-accidents selon la loi fédérale sur l assuranceaccidents. GENERALI Assurances Générales SA, 1260 Nyon. Table des matières

1. Présentation générale

LE DOCUMENT UNIQUE DE DELEGATION

Guide technique relatif aux contrats collectifs obligatoires complémentaires frais de santé bénéficiant d aides fiscales et sociales

B.O.I. N 71 DU 6 OCTOBRE 2011 [BOI 7I-1-11]

Garantie accidents de la vie ou individuelle accident - Laquelle choisir... Page 1 sur 11

Conclusions de Madame l'avocat général Béatrice De Beaupuis

TABLE DES MATIÈRES. Votre partenaire pour la gestion et règlement des sinistres

A LA UNE. L indemnisation due en cas de licenciement nul pour violation du statut protecteur est plafonnée à trente mois

Quelles sont les conditions de travail de l apprenti?

Assurances de personnes Accidents, obligatoire LAA, complémentaire LAA. Les risques du métier sont réels, vous pouvez anticiper

particuliers professionnels ENTREPRISES Face à face argumenté de vente

RC CORPORELS AUTOMOBILE L INDEMNISATION DES GRAVES EN FRANCE DOMMAGES CORPORELS DÉPARTEMENT ÉTUDES TECHNIQUES

La Responsabilité Médicale de l Hépatogastroentérologue

ASSURANCE : DÉFINITION***

La responsabilité des présidents d A.C.C.A.

Introduction au droit La responsabilité professionnelle

NOR: SPSS C. (BO Affaires sociales et Santé ) Le ministre de la santé publique et de l'assurance maladie

Conférence des Cours constitutionnelles européennes XIIème Congrès

THEME : L ACCIDENT DE TRAVAIL

LA FAUTE MEDICALE : L assurance de responsabilité civile UIA SOFIA 2014

CE : comment obtenir vos budgets

Régimes complémentaires de retraite et prévoyance

Les assurances sociales au quotidien I

Assurance-maternité et adoption dans le canton de Genève

Commentaire. Décision n /178 QPC du 29 septembre 2011 M. Michael C. et autre

Loi modifiant la Loi sur les régimes complémentaires de retraite, la Loi sur le régime de rentes du Québec et d autres dispositions législatives

Introduction. Une infraction est un comportement interdit par la loi pénale et sanctionné d une peine prévue par celle-ci. (1)

Mémento LAA Guide pratique de l assurance-accidents

Fiche pratique REGIMES COMPLEMENTAIRES DE RETRAITE ET PREVOYANCE : CONDITIONS D EXONERATION DE COTISATIONS

Numéro du rôle : Arrêt n 136/2008 du 21 octobre 2008 A R R E T

Extension de garantie Protection juridique

Le droit au salaire en cas d empêchement non fautif de travailler

Fiche 6 Le cas des accidents de service, des maladies professionnelles et des maladies contractées dans l exercice des fonctions.

LES GARANTIES DU REGIME CONVENTIONNEL DES CADRES DE LA PRODUCTION AGRICOLE

Les assurances optionnelles et autres produits spécifiques au barreau

Responsabilité Civile et Pénale du chef d entreprise. Association Sécurité Routière en Entreprises de Maine et Loire.

GERANCE MINORITAIRE OU MAJORITAIRE : QUEL EST LE MEILLEUR STATUT?

> Une garantie obligatoire

GMS-Santé 2008 La Responsabilité du médecin du travail

ECOLE DE DROIT DE LA SORBONNE UNIVERSITE PARIS I PANTHEON SORBONNE

A Nancy 14 novembre 2012 n 12/00388, Ch. soc., M. c/ Sté Lorraine Environnement

Transcription:

LA REPARATION INTEGRALE DU DOMMAGE CORPOREL ET L ACCIDENT DU TRAVAIL En 1896, un arrêt de la Chambre Civile de la Cour de Cassation, l arrêt TEFFAINE, a retenu le principe d une responsabilité directe de l employeur au sens du Code Civil (article 1384 alinéa 1 er, responsabilité du fait des choses), sans que le salarié ait à prouver la faute de l employeur. Deux années plus tard, la loi du 9 avril 1898 a instauré un mécanisme spécifique d indemnisation des accidents du travail en prévoyant une présomption de responsabilité de l employeur et en modulant les seuils de réparation par le biais d une indemnisation forfaitaire. Le caractère forfaitaire de cette indemnisation était en quelque sorte la contrepartie de la présomption de responsabilité de l employeur. En juin 2010, le Conseil Constitutionnel a été amené à se pencher sur la légitimité du caractère forfaitaire de l indemnisation du salarié en cas de faute inexcusable de l employeur. I Le droit positif avant l arrêt du Conseil Constitutionnel du 18 juin 2010 La loi du 9 avril 1898, puis celle du 30 octobre 1946 ont transféré aux caisses de sécurité sociale la charge de la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles. Depuis, toute victime d un accident survenu par le fait ou à l occasion du travail, a droit à une indemnisation automatique et forfaitaire par le biais des indemnités journalières pour l incapacité temporaire et par le biais d une rente ou d un capital pour l incapacité définitive. Cette indemnisation est calculée en fonction du salaire annuel perçu par la victime et de son taux d invalidité. Le montant de la rente d incapacité permanente est obtenu en multipliant le salaire de base annuel par le taux de la rente. L avantage de cette indemnisation est lié essentiellement au fait qu elle soit garantie et normalement rapide. Néanmoins, le caractère forfaitaire semble peu conforme aux principes de réparation intégrale du préjudice corporel qui nécessite une individualisation de la réparation. Le Code de la sécurité sociale qui régit cette matière prévoit une seule exception à ce caractère forfaitaire de l indemnisation en cas de faute inexcusable de l employeur. Dans ce cas, l article L.452-1 du Code de la sécurité sociale prévoit : «Lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire...» (annexe 1). Cette indemnisation complémentaire prend la forme d une majoration de la rente payée par la caisse de sécurité sociale qui en récupère le capital auprès de l employeur. Elle permet aussi à

la victime d obtenir réparation d un certain nombre de poste de préjudices personnels visés par l article L.452-3 du Code de la sécurité sociale (annexe 1). Ces préjudices sont les suivants : - la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales endurées par la victime ; - son préjudice esthétique ; - son préjudice d agrément ; - le préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. Dans les cas particuliers où la victime est atteinte d un taux d incapacité permanente de 100 %, il lui est alloué, en outre, une indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation. Par ailleurs, en cas d accident suivi de mort, les ayants droit de la victime peuvent demander à l employeur réparation du préjudice moral devant le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale. La réparation de ces préjudices est versée directement aux bénéficiaires par la caisse qui en récupère le montant auprès de l employeur. Cette liste limitative ne permet donc pas l indemnisation intégrale de la victime puisqu elle ne permet pas d obtenir les autres postes de préjudices visés dans la nomenclature DINTILHAC. II L apport de la décision du Conseil Constitutionnel du 18 juin 2010 Cette décision a été rendue suite à une question prioritaire de constitutionnalité (annexe 2). Rappelons que chaque citoyen peut en effet, lorsqu il est partie à un procès ou une instance, soutenir qu une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la constitution garantie. Cette possibilité a été ouverte par une loi organique du 10 décembre 2009 qui, pour être recevable, pose trois conditions : - la disposition législative critiquée doit être applicable aux litiges ou à la procédure, ce qui constitue le fondement des poursuites ; - la disposition législative critiquée n a pas été déjà déclarée conforme à la constitution par le Conseil Constitutionnel ; - la question est nouvelle ou présente un caractère sérieux. En l espèce, les requérants prétendaient que les articles L.451-1 et suivants du Code de la sécurité sociale étaient contraires aux principes d égalité devant la loi et les charges publiques énoncées aux articles 1 er, 6 et 13 de la déclaration de 1789 et qu elles heurtaient le principe de responsabilité qui découle de l article 4 de la même déclaration. L objectif était pour la victime, dont l employeur avait commis une faute inexcusable, d obtenir les frais d aménagement du domicile et d adaptation du véhicule nécessités par son état, frais ne figurant pas dans l énumération limitative de l article L.452-3 du Code de la sécurité sociale.

Le Conseil Constitutionnel a considéré que le régime d exception d indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnelles était conforme à la constitution. Le Conseil Constitutionnel a notamment indiqué : «qu il était loisible au législateur d instaurer par les articles L.431-1 et suivants du Code de la sécurité sociale un régime spécifique de réparation se substituant partiellement à la responsabilité de l employeur...». «Et, qu en l absence de faute inexcusable de l employeur, la réparation forfaitaire de la perte de salaire ou de l incapacité, l exclusion de certains préjudices et l impossibilité, pour la victime ou ses ayants droit, d agir contre l employeur, n institue pas des restrictions disproportionnées par rapport aux objectifs d intérêt général poursuivis...». «Que le plafonnement de la majoration de la rente ou du capital dû en cas de faute inexcusable de l employeur destiné à compenser la perte de salaire résultant de l incapacité n institue pas une restriction disproportionnée aux droits des victimes». En revanche, le Conseil Constitutionnel a cependant émis une réserve relative à l article L.452-3 du Code de la sécurité sociale en indiquant : «en présence d une faute inexcusable de l employeur, les dispositions de ce texte ne sauraient toutefois, sans porter une atteinte disproportionnée aux droits des victimes d actes fautifs, faire obstacle à ce que ces mêmes personnes, devant les mêmes juridictions, puissent demander à l employeur réparation de l ensemble des dommages, non couverts par le livre IV du Code de la sécurité sociale». Le Conseil Constitutionnel n a donc pas invalidé les dispositions du Code de la sécurité sociale mais en a donné une interprétation nouvelle. Il a affirmé que dans l hypothèse d une faute inexcusable de l employeur ou de ses préposés, les chefs de préjudice énoncés à l article L.452-3 du Code de la sécurité sociale ne peuvent avoir un caractère limitatif. Toute la question est de savoir quelle interprétation les Juges du fond ont et vont donner à cet arrêt du Conseil Constitutionnel. III Les préjudices personnels indemnisables après la décision du Conseil Constitutionnel La décision du Conseil Constitutionnel du 18 juin 2010 condamnait explicitement le caractère limitatif des préjudices visés à l article L.452-3 du Code de la sécurité sociale. On pouvait donc s attendre à une ouverture des possibilités, pour les victimes et leurs ayants droit, d obtenir la réparation intégrale de leurs préjudices sur l ensemble des postes prévus par la nomenclature DINTILHAC. Dans la réalité, l interprétation de la Cour de Cassation dans les décisions intervenues suite à cet arrêt, ont été relativement décevantes pour les victimes. Tout d abord, la Cour de Cassation considère aujourd hui, dans une jurisprudence sans aucune ambigüité, que le déficit fonctionnel permanent est déjà couvert par la rente accident du travail.

La 2 ème Chambre Civile de la Cour de Cassation a effectivement rendu les 11 juin 2009, 17 septembre 2009, 22 octobre 2009, une série d arrêts en ce sens. La 2 ème Chambre Civile indique en effet que la rente accident du travail versée aux victimes «répare à la fois la dimension physiologique de celles-ci (gène fonctionnelle) et son éventuelle dimension économique (perte de revenus)». Par ailleurs, le raisonnement suivi par le Conseil Constitutionnel conduit à penser qu il convient d écarter toute demande concernant les préjudices déjà pris en compte par le livre IV du Code de la sécurité sociale. La jurisprudence de la Cour de Cassation a donc dû déterminer les préjudices complémentaires dont la victime pouvait, au regard de la décision du Conseil Constitutionnel, demander réparation. Très rapidement, il est apparu que la Cour de Cassation a souhaité veiller à une interprétation rigoureuse de l article L.452-3 du Code Civil par quatre arrêts rendus le 4 avril 2012 (annexe 3). La Cour a jugé que : - d une part, la rente versée en cas d accident du travail indemnise la perte des gains professionnels, l incidence professionnelle et, d autre part, le déficit permanent (Cass. 2 ème Civ, 4 avril 2012 N 11-15.393) ; - les frais médicaux, chirurgicaux, pharmaceutiques et accessoires, les frais de transport et, d une façon générale, les frais nécessités par le traitement, la réadaptation fonctionnelle, la rééducation fonctionnelle et le reclassement de la victime sont pris en charge par la caisse d assurance maladie, de sorte qu ils figurent parmi les chefs de préjudices déjà expressément couverts par le livre IV du Code de la sécurité sociale dont la victime ne peut demander réparation à l employeur (Cass. 2 ème Civ. 4 avril 2012 N 11-18.014). En revanche, la Cour a jugé que : - le déficit fonctionnel temporaire n est pas indemnisé par le livre IV (Cass. Civ 2 ème 4 avril 2012 N 11-14.311 et N 11-14.594) ; - «Les indemnités journalières servies à la victime d un accident du travail ou d une maladie professionnelle n assurent pas la réparation du déficit fonctionnel temporaire qui inclus, pour la période antérieure à la date de consolidation, l incapacité fonctionnelle totale ou partielle ainsi que le temps d hospitalisation et les pertes de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique» ; - le préjudice sexuel «qui doit désormais être apprécié distinctement du préjudice d agrément mentionné à l article L.452-3 du Code de la sécurité sociale» (Cass. Civ. 2 ème 4 avril 2012 N 11-14.311 et N 11-14.594). Ensuite, le 28 février 2013 (Cass. 2 ème Civ. N 11-21.015), il a été donné une nouvelle définition du préjudice d agrément qui, jusqu à cette date, était beaucoup plus large en droit de la sécurité sociale qu en droit commun puisqu il suffisait de démontrer une privation des agréments de la vie normale et des troubles ressentis dans les conditions d existence. La Cour dans cet arrêt recadre la définition en indiquant que le préjudice d agrément est constitué par «l impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisir» (annexe 4).

Enfin, le 20 juin 2013, la Cour de Cassation (Cass. 2 ème Civ. N 12-21.548) a jugé que le besoin d assistance par une tierce personne après consolidation était déjà indemnisé par le livre IV du Code de la sécurité sociale alors qu en réalité, la majoration pour tierce personne est versée uniquement à condition qu une victime présente un taux d incapacité d au moins 80 % (annexe 5). La Cour a néanmoins admis l indemnisation de cette aide par tierce personne pendant la période traumatique. Ainsi, les missions d expertise ordonnées par les Tribunaux de sécurité sociale ou la Chambre Sociale de la Cour d Appel en cas de faute inexcusable de l employeur, ne peuvent porter que sur les seuls postes de préjudices suivants (annexe 6) : - les souffrances endurées avant consolidation ; - le préjudice esthétique ; - le préjudice d agrément ; - le préjudice sexuel ; - le déficit fonctionnel temporaire ; - les frais éventuels d aménagement d un véhicule ou d un logement ; - l assistance d une tierce personne avant la fixation de la date de consolidation ; - les préjudices exceptionnels correspondant à des préjudices atypiques directement liés au handicap ; - préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. IV Les mécanismes de réparation des préjudices personnels indemnisables Il convient de rappeler qu avant l arrêt du Conseil Constitutionnel du 18 juin 2010, lorsqu il existait une faute inexcusable, la caisse de sécurité sociale faisait l avance de l augmentation de la rente consécutive à cette reconnaissance de faute inexcusable et des préjudices visés à l article L.452-2 du Code de la sécurité sociale : «la majoration est payée par la caisse, qui en récupère le capital représentatif auprès de l employeur, dans des conditions déterminées par décret». Il en était de même pour les préjudices énumérés à l article L.452-3 du Code de la sécurité sociale. Cet article prévoyait d ailleurs : «la réparation de ces préjudices est versée directement au bénéficiaire par la caisse qui en récupère le montant auprès de l employeur». La question se posait alors de savoir si ce mécanisme continuait à s exercer dans le cadre des nouveaux préjudices personnels indemnisables après la décision du Conseil Constitutionnel. Dans deux espèces (Cass. 2 ème Civ. 4 avril 2012 N 11-12.299 et N 11-14.311 et N 11-14.594), la Cour de Cassation estime que le bénéfice du versement direct par la caisse s applique également aux indemnités réparant les préjudices non énumérés par l article L.452-3 du Code de la sécurité sociale (annexe 2). Dans l espèce citée, la caisse de sécurité sociale avait formé un pourvoi en indiquant que le fait que désormais d autres préjudices peuvent être réparés, ne remettait pas en cause le deuxième alinéa de ce même article qui ne prévoit l avance que pour les préjudices visés. La Cour de Cassation n a pas retenu cette argumentation et a considéré que la caisse devait faire l avance de tous les préjudices réparables.

Cette décision était logique à partir du moment où le Conseil Constitutionnel avait considéré que la liste de l article L.452-3 n était plus limitative. Cette décision avait pour objectif de protéger les victimes contre une éventuelle insolvabilité de leur employeur. On comprend dès lors l importance factuelle du débat sur la reconnaissance de la faute inexcusable devant les juridictions qui donne lieu à d âpres discussions (annexe 7). Bilan et perspectives : La décision du Conseil Constitutionnel permet d autoriser une réparation de certains préjudices dont l indemnisation était alors exclue de la liste limitative de l article L.452-3 du Code de la sécurité sociale. La jurisprudence de la Cour de Cassation interprète pour le moment strictement l arrêt du Conseil Constitutionnel. Néanmoins, il pourrait être imaginé une interprétation plus libre de la décision du Conseil Constitutionnel qui consisterait en une véritable reconnaissance d un droit à indemnisation intégrale de la faute inexcusable, l objectif étant de permettre une aussi bonne indemnisation pour une victime d accident du travail que pour une victime de droit commun par le biais de l application de la nomenclature DINTILHAC. En effet, le véritable débat consistait finalement, comme le défend Fabrice GROUT, directeur juridique de la FNATH Fédération nationale des accidentés du travail (gazette du Palais 7 juillet 2012, rubrique étude, page 19) à savoir ce que le Conseil Constitutionnel avait voulu exprimer en indiquant : «ensemble de dommages non couverts par le livre IV du Code de la sécurité sociale» Or, un certain nombre de postes couverts par le livre IV du Code de la sécurité sociale n offrent qu une indemnisation partielle et ne sont donc que partiellement couverts. Il en est ainsi : - S agissant des préjudices patrimoniaux : * préjudices patrimoniaux avant consolidation - les dépenses de santé actuelles non prises en charge par la sécurité sociale ou les organismes sociaux - une partie des frais divers et en particulier les frais de déplacement non pris en charge par la sécurité sociale, les dépenses d hygiène * préjudices patrimoniaux après consolidation - l assistance par tierce personne. Dans le cas d un accident du travail, elle n est octroyée qu à la condition qu une victime présente un taux d incapacité d au moins 80 %, ce qui n est évidemment pas satisfaisant. - pertes de gains professionnels futures. La rente accident du travail ne compense évidemment pas toutes les pertes de gains professionnels futures. Il convient de rappeler que la rente

accident du travail est calculée en fonction du salaire annuel brut du salarié, diminué des frais professionnels et multiplié par le taux de rente qui est constituée de la moitié du taux d IPP retenu lorsque la victime a un taux d IPP inférieur à 50 %. Ainsi, une victime qui aurait un salaire annuel brut de 17 192 obtiendrait une rente accident du travail de 322,35 trimestriellement, soit 107,33, et cela alors même qu elle ne pourrait plus travailler après l accident dans le même domaine professionnel. - L incidence professionnelle qui constitue la perte de valeur de la victime sur le marché de l emploi ou d une diminution de ses capacités de travail, de sa fatigabilité. Cette définition est évidemment plus large que celle retenue par le Code de la sécurité sociale qui vise uniquement le préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. - S agissant des préjudices extrapatrimoniaux : * préjudices extrapatrimoniaux temporaires - le préjudice esthétique temporaire qui est retenu par la nomenclature DINTILHAC ne l est pas pour le moment par la Cour de Cassation dans le cadre d un accident du travail avec faute inexcusable. * préjudices extrapatrimoniaux permanents Ces préjudices sont pris en compte par le livre IV du Code de la sécurité sociale. Il est à noter enfin que le Code du travail n indemnise pas les victimes indirectes en cas de survie de la victime directe et qu ainsi, il n y a aucune indemnisation d un quelconque préjudice d accompagnement ou des pertes de revenus des proches du fait de l accident. En réalité, la Cour de Cassation a décidé qu il convenait de faire une interprétation littérale de l arrêt du Conseil Constitutionnel du 18 juin 2010. La conséquence de cette analyse minimaliste de la Cour de Cassation est, qu aujourd hui encore, les victimes d accident du travail sont moins bien indemnisées que les victimes de droit commun. Un mouvement profond en faveur d une amélioration de ces indemnisations est néanmoins en marche.

LISTE DES ANNEXES Annexe 1 : Article L.452-1 à L.452-5 du Code de la sécurité sociale Annexe 2 : Décision du Conseil Constitutionnel N 2010-8 du 18 juin 2010 Annexe 3 : 4 arrêts de la 2 ème Chambre Civile de la Cour de Cassation du 4 avril 2012 : arrêt N 11-14.311, arrêt N 11-15.393, arrêt N 11-18.014, arrêt N 11-12.299 Annexe 4 : Arrêt de la 2 ème Chambre Civile de la Cour de Cassation du 28 février 2013, arrêt N 11-21.015 Annexe 5 : Arrêt de la 2 ème Chambre Civile de la Cour de Cassation du 20 juin 2013, arrêt N 12-21.548 Annexe 6 : Exemple de mission ordonnée par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de NANTES dans le cadre d un dossier où la faute inexcusable a été reconnue Annexe 7 : Illustration de l importance factuelle du débat sur la reconnaissance de la faute inexcusable devant les juridictions, par le biais d une procédure relative à un accident du travail lié à l utilisation des pesticides agricoles