Une pétition du fils d'un ancien colon de Saint-Domingue par Laurent DELENNE Sources : Archives départementales des Deux-Sèvres, 1 M 610 et 2 Mi 327, vues 31 et 33. Pierre Louis Alexandre Laisné, instituteur communal à Chantecorps et officier de la garde nationale de sa commune, est fils de négociant, armateur et propriétaire à Saint-Domingue, et d'une créole native du Fort-Royal (aujourd'hui, Fort-Liberté). Son père est décédé dans les troubles de Saint-Domingue en 1793 ; sa mère, de chagrin, à Sainte-Marie, île de Ré, en 1796. Enfin, son frère, son aîné de deux ans, appelé au service de la Marine, est également mort, prisonnier de guerre à Plymouth (Angleterre). En 1837, demeuré le seul de sa famille, Laisné est sans fortune et dans une situation très précaire, à l'âge de cinquante quatre ans et demi. Il est marié depuis vingt-cinq ans et sa malheureuse épouse est atteinte depuis plus de dix-sept ans d'une " surdité entièrement absolue ". " Très affligé de la vue ", Laisné continue malgré tout à enseigner, mais avec une extrême difficulté. [ ] " Depuis plus de trente cinq ans, qu'il exerce ses fonctions d'instituteur primaire dans nos pays, il a rendu des services distingués à la jeunesse, ayant formé plus de vingt instituteurs tant communaux que privés, qui exercent maintenant, dans nos environs, les mêmes fonctions ", précisent les élus municipaux et les notables de Chantecorps. Laisné sollicite donc son admission aux secours alloués par le gouvernement aux colons réfugiés de Saint-Domingue. Le 1 er mai 1837, il adresse une pétition au ministre de la Marine et des Colonies, transmise au roi en juillet 1839, dans laquelle il décrit les " funestes accidents " dont sa famille a été la victime :
[ ] " L'affligeante révolution arrivée à Saint-Domingue, dans l'amérique septentrionale, dans l'année 1791, l'a dépouillé de deux habitations caféières, la première sise, au Quartier de la Grande Rivière, paroisse Sainte-Rose, de la dépendance du Cap (aujourd'hui, Cap-Haïtien) : évaluée par la commission de liquidation, la somme 73.333 f " [ ]. " La seconde appelée Gérémie [Jérémie], située au Quartier de Gérémie, dans le sud de la même île, évaluée aussi par la même commission, la somme de 29.250 f " [ ] " formant ensemble ces deux liquidations, la somme de cent deux mille, cinq cent quatre vingt trois francs " [ ]. Il poursuit : [ ] " la perte de ces deux habitations pour l'achat desquelles a été employé par feu mon père, tout ce que possédait feue ma mère, au Fort-Royal, a été suivie de celle de nos ateliers, qui en dépendaient, et qui consistaient en cinquante nègres. Tous les meubles, effets, ustensiles, papiers, linges, argent, voitures, chevaux, etc. y ont péri. Ils y sont tous devenus la proie des flammes, et du brigandage, et l'existence de mon malheureux père, a été aussi terminée d'une manière tragique, après avoir été forcé d'abandonner ses habitations, dans le cours des affreux désastres qui ont ensuite désolé le Cap, quelque temps après l'incendie de l'infortunée colonie. L'incendie arrivé au magasin du carénage du Cap, dans l'après-midi du 8 mai 1791, fut le commencement de tous nos malheurs. Les agrès, apparaux [sic] et ustensiles, du navire Les deux amis, y furent brûlés, et il ne lui en resta absolument que la coque, qui fut ensuite perdue. Ce bâtiment du port de 250 tonneaux appartenait à feu mon père, de la valeur de 40.000 francs. Il venait de la traite. Il avait débarqué au Cap 232 noirs, dont le prix de la vente fut perdu, par suite des troubles. Ces pertes non liquidées, furent suivies des désastres qui anéantirent ensuite ma famille, et qui après m'avoir ravi ce que j'avais de plus cher au monde, me mirent sur le carreau ". Malheureusement, la demande de secours de Laisné ne peut être accueillie, au motif qu'aucune nouvelle demande ne sera reçue à partir du 1 er juillet 1831... Quant au pétitionnaire, il meurt, indigent, le 18 septembre 1842, précédé dans la mort par son épouse, le 14 mai...