Avant-propos L insuline et la sérotonine (5-HT) sont deux acteurs majeurs du maintien de l homéostasie énergétique, fonction placée sous le contrôle de l hypothalamus. En ciblant cette région, l insuline remplit de nombreuses fonctions métaboliques via l activation de la voie PI3K/Akt. La 5-HT exercent des effets biologiques similaires mais les voies de signalisation impliquées dans ces processus étaient jusqu alors mal connues. De plus, il avait été démontré que la 5-HT est capable d activer la voie PI3K/Akt/GSK3β dans l hippocampe, mécanisme sous-tendant potentiellement les effets antidépresseurs du neurotransmetteur. Les principaux objectifs de cette thèse étaient d étudier 1/ l activation de la voie PI3K/Akt par la 5-HT dans l hypothalamus de rats diabétiques (modèle Goto-Kakizaki) et chercher un potentiel dialogue avec l insuline and 2/ les mécanismes sous-tendant l induction de la dépression par une alimentation hyperlipidique, par l analyse de la phosphorylation d Akt et GSK3β sous l action de l insuline, de la leptine et de la 5-HT dans l hippocampe de rat. Introduction L insuline intervient dans la régulation centrale de multiples fonctions et comportements, telles que le comportement alimentaire, la balance énergétique, l homéostasie glucidique, ou encore la cognition. Les récepteurs de l insuline sont largement exprimés dans l encéphale, en particulier dans
l hypothalamus. Chez le sujet sain, l insuline, de pair avec la leptine et la sérotonine, deux facteurs anorexigènes principalement produits par le tissu adipeux et le tronc cérébral respectivement, contribue au maintien de l homéostasie énergétique notamment par une action puissante au niveau de l hypothalamus. La perte de sensibilité à l insuline au niveau central contribue au développement de désordres métaboliques et neurologiques. Ainsi, une perturbation de la balance énergétique, qu elle soit induite par des facteurs génétiques ou environnementaux, tels qu une alimentation inappropriée ou un stress, peut altérer les niveaux d insuline, de leptine et de sérotonine ainsi que leur signalisation au niveau central, ces altérations représentant une caractéristique commune de l obésité et du diabète. Des études menées au laboratoire ont démontré l existence d un dialogue entre les voies de signalisation de la leptine et de l insuline au niveau hypothalamique, dialogue qui pourrait contribuer à l augmentation du risque de développer un diabète de type 2 ou une obésité lorsque l une de ces pathologies est déjà présente (Benomar et al., 2005). Sur ce même principe et sachant que ces deux hormones partagent des cascades de signalisation communes avec la sérotonine, telles que la voie des MAPKinases ou PI3K/Akt, nous avons fait l hypothèse que la résistance à la leptine et à l insuline pouvait induire une désensibilisation à la sérotonine via une perte de capacité à activer ces voies au niveau neuronal. Pour tester cette hypothèse, nous avons souhaité évaluer la sensibilité des cellules de l hypothalamus à la sérotonine
dans des conditions de résistance à l insuline ou à la leptine. Dans ce but, nous nous sommes dans un premier temps intéressé à un modèle de diabète de type 2, le rat Goto Kakizaki. Nous avons ainsi montré 1/ que la résistance à l insuline pouvait induire une perte de sensibilité à la sérotonine dans l hypothalamus, et 2/ que cette désensibilisation concernait particulièrement la voie PI3K/Akt. Nous avons confirmé l existence de ce dialogue entre l insuline et la sérotonine au niveau neuronal sur une lignée cellulaire issue d un neuroblastome humain (SH-SY5Y) (Papazoglou et al., 2012). L ensemble de nos données indiquent donc que les désordres métaboliques consécutifs à une insulino-résistance hypothalamique, pourraient être exacerbés par une perte de sensibilité à la sérotonine, faisant du système sérotoninergique et de la voie PI3K/Akt des cibles thérapeutiques potentielles. Figure 1: Voies de signalization actives par l insuline.
Durant cette thèse, nous avons étudié l interaction des voies de signalisation entre leptine, insuline et sérotonine dans une structure cérébrale impliquée dans la dépression, l hippocampe. En effet, plusieurs études épidémiologiques ont révélé des associations bilatérales entre obésité (impliquant une résistance à la leptine), diabète de type 2 (caractérisé par une résistance à l insuline) et dépression (associée à une hypoactivité du système sérotoninergique) (revue par Faith et al., 2011) (Figure 1). Sachant qu il existe un dialogue entre les voies de signalisation de ces hormones et neurotransmetteur dans l hypothalamus, nous faisons maintenant l hypothèse que ce lien pourrait également exister dans l hippocampe, et contribuer à l association entre dépression et résistance à la leptine et à l insuline. Figure 2: Voies de signalization actives par la leptine.
Il est largement admis que la dépression est très fréquemment associée à un hypofonctionnement monoaminergique central et que les antidépresseurs exercent leur effet thérapeutique en comblant ce déficit grâce à leurs actions sur la neurotransmission monoaminergique. Parmi les systèmes monoaminergiques impliqués dans les syndromes dépressifs, on trouve le système sérotoninergique. La sérotonine (5HT) est un neurotransmetteur de type monoaminergique dont la synthèse nerveuse intervient exclusivement au niveau du tronc cérébral, dans les noyaux du raphé. Les neurones sérotoninergiques sont des neurones très ramifiés à projection longue (système dit «diffus») qui atteignent l ensemble des régions cérébrales, dont l hippocampe. Ainsi, un hypofonctionnement sérotoninergique dans l hippocampe a pu être mis en cause dans la physiopathologie de la dépression (revue par Sheline et al., 2002). Un nombre croissant d études indiquent que les fonctions de la leptine et de l insuline ne se limitaient pas au contrôle hypothalamique de l homéostasie énergétique et que leurs récepteurs étaient largement exprimés dans l encéphale. La leptine et l insuline peuvent notamment améliorer certaines fonctions cognitives (apprentissage et mémoire) et des troubles de l humeur tels que la dépression, en particulier grâce à son action sur l activité des neurones de l hippocampe. En utilisant le test de la nage forcée ou de suspension par la queue, deux tests comportementaux visant à estimer l état
dépressif d un rongeur ou à prédire l activité antidépressive d une molécule, plusieurs équipes ont montré chez le rat ou la souris que l administration de leptine ou d insuline exerçait des effets antidépresseurs via une action au niveau de l hippocampe (revue par Harvey, 2007 ; Lu et al., 2007 ; Ho et al., 2012). Les récepteurs de la sérotonine sont classés en 7 groupes 5HT1, 5HT2, 5HT3, 5HT4, 5HT5, 5HT6 et 5HT7, chaque groupe pouvant avoir des sousclasses A, B,... La distribution de ces récepteurs au niveau cérébral n est pas homogène. Les récepteurs sérotoninergiques, qui possèdent sept domaines transmembranaires, sont couplés aux protéines G selon diverses modalités, à l exception du récepteur 5HT3 qui est un récepteur-canal perméable au sodium et au potassium. Du fait de ces différences structurales majeures, les voies de signalisation activées par la leptine, l insuline et la sérotonine sont bien distinctes. La forme longue du récepteur à la leptine et le récepteur à l insuline activent notamment les voies JAK-2/STAT-3, MAP Kinases et PI3 Kinase/Akt. Les récepteurs à la sérotonine quant à eux peuvent stimuler (5HT4-7) ou inhiber (5HT1A-F) l adénylate cyclase, ou bien encore activer la phospholipase C (5HT2A-C). Il a également été montré que la sérotonine était capable d activer la voie PI3 Kinase/Akt via ses récepteurs 5HT1, 2, 4 et 7 (revue par Cowen, 2007). L activation de cette voie par la sérotonine a été confirmée par notre
équipe dans l hypothalamus et le foie (Papazoglou et al., 2012). Ainsi, la leptine, l insuline et la sérotonine pourraient activer une voie de signalisation commune : la voie PI3 Kinase/Akt. Dans la majorité des cas, l obésité implique une résistance à la leptine et à l insuline, notamment dans le système nerveux central. Plusieurs études ont démontré l existence d un dialogue entre les voies de signalisation de chacune de ces hormones au niveau neuronal, dialogue qui pourrait contribuer à l augmentation du risque de développer un diabète de type 2 ou une obésité lorsque l une de ces pathologies est déjà présente (Benomar et al., 2005). Sur ce même principe et partant du constat que la leptine, l insuline et la sérotonine partagent un élément commun dans leurs cascades de signalisation, la protéine Akt, nous avons fait l hypothèse que la résistance à ces hormones induirait une désensibilisation à la sérotonine via une perte de capacité à phosphoryler Akt et GSK3β. Ce mécanisme pourrait sous-tendre le lien entre obésité (leptino-résistance), diabète de type 2 (insulino-résistance) et dépression (hypoactivité du système sérotoninergique). Nous avons étudié l influence d un régime hyperlipidique (High Fat ; HF), connu pour induire une résistance à la leptine et à l insuline, sur le développement du syndrome dépressif et sur la sensibilité des neurones de l hippocampe à la sérotonine. Enfin, nous avons testé la potentielle
réversibilité de la résistance hippocampique à la sérotonine et du syndrome dépressif par le rétablissement d une alimentation équilibrée. Principaux résultats Nous avons montré que 1/ la 5-HT stimule la voie PI3K/Akt dans l hypothalamus et que la phosphorylation d Akt induite par la 5-HT est atténuée dans des conditions d insulino-résistance, suggérant l existence d un dialogue entre les voies de signalisation de l insuline et de la 5-HT. Par ailleurs, nos résultats indiquent qu une alimentation hyperlipidique induit un comportement dépressif réversible chez le rat, qui pourrait impliquer la voie PI3K/Akt/GSK3β dans les neurones subgranulaires du gyrus denté.
Figure 3: L activation de PI3K/Akt/GSK3β par l insuline, la leptine et la serotonine aux conditions normales et pathologiques. Conclusion La mise en évidence d un dialogue entre les voies de signalisation de la 5-HT, de la leptine et de l insuline au niveau central enrichit nos connaissances sur le rôle de ces facteurs dans la régulation de l homéostasie énergétique et de l humeur, et propose un lien moléculaire entre diabète de type 2, obésité et dépression.
Figure 4: Dialogue entre l insuline, la leptine et la sérotonine dans le cerveau via la voie PI3K/Akt/GSK3β