COUR D APPEL SOUS LA PRÉSIDENCE DE L'HONORABLE PIERRE J. DALPHOND, J.C.A.



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Transcription:

Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec (SFPQ) c. Québec (Gouvernement du) COUR D APPEL 2013 QCCA 575 CANADA PROVINCE DE QUÉBEC GREFFE DE MONTRÉAL N : 500-09-023315-138 (500-17-070724-128) DATE : 3 AVRIL 2013 SOUS LA PRÉSIDENCE DE L'HONORABLE PIERRE J. DALPHOND, J.C.A. SYNDICAT DE LA FONCTION PUBLIQUE ET PARAPUBLIQUE DU QUÉBEC (SFPQ) CENTRALE DES SYNDICATS DU QUÉBEC (CSQ) APTS ALLIANCE DU PERSONNEL PROFESSIONNEL ET TECHNIQUE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX (CPS ET APTMQ) ASSOCIATION PROFESSIONNELLE DES INGÉNIEURS DU GOUVERNEMENT DU QUÉBEC (APIGQ) SYNDICAT DES AGENTS DE LA PAIX EN SERVICES CORRECTIONNELS DU QUÉBEC FRATERNITÉ DES CONSTABLES DU CONTRÔLE ROUTIER DU QUÉBEC REQUÉRANTES syndicats mis en cause c. GOUVERNEMENT DU QUÉBEC MADAME MONIQUE JÉRÔME-FORGET PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC COMITÉ PATRONAL DE NÉGOCIATION DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX COMITÉ PATRONAL DE NÉGOCIATION POUR LES COMMISSIONS SCOLAIRES FRANCOPHONES COMITÉ PATRONAL DE NÉGOCIATION POUR LES COMMISSIONS SCOLAIRES ANGLOPHONES COMITÉ PATRONAL DE NÉGOCIATION DES COLLÈGES INTIMÉS - demandeurs et

500-09-023315-138 PAGE : 2 COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL Me LOUIS GARANT, en sa qualité de juge administratif de la Commission des relations du travail MIS EN CAUSE défendeurs SYNDICAT DES PROFESSIONNELLES ET PROFESSIONNELS DU GOUVERNEMENT DU QUÉBEC (SPGQ) FÉDÉRATION DES PROFESSIONNELLES ET PROFESSIONNELS DE L ÉDUCATION (FPPE) SYNDICAT DES EMPLOYÉES ET EMPLOYÉS PROFESSIONNELS-LES ET DE BUREAU QUÉBEC (SEPB QUÉBEC) (Syndicat des employées et employés professionnels-les et de bureau, sections locales 571, 576, 577, 578 et 579, SIEPB- CTC-FTQ) SYNDICAT DES PROFESSIONNEL(LE)S DE LA RÉGIE RÉGIONALE DE MONTRÉAL-CENTRE CENTRALE DES SYNDICATS DÉMOCRATIQUES (Syndicat des salariés du Centre d accueil de Dixville (CSD) section infirmiers(es); (Syndicat des salariés du Centre d'accueil de Dixville Affilié à la CSD); (Syndicat des salarié-e-s du Centre de réadaptation Lisette Dupras (CSD)); (Syndicat des salarié-e-s du Centre de santé et de services sociaux du Haut-St-Laurent (CSD)); (Syndicat des employés de l'hôpital juif de réadaptation (CSD)); Syndicat démocratique des employés du Centre de santé et de services sociaux d'asbestos (CSD)); (Syndicat des travailleurs-euses du CSSS de la St-Maurice (CSD)) FEDÉRATION INDÉPENDANTE DES SYNDICATS AUTONOMES (FISA) SYNDICAT DES CONSTABLES SPÉCIAUX DU GOUVERNEMENT DU QUÉBEC ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC MIS EN CAUSE mis en cause JUGEMENT [1] Les parties requérantes, diverses associations de salariés regroupant des milliers de fonctionnaires québécois, sollicitent la permission d'appeler d'un jugement de la Cour supérieure, district de Montréal (l honorable Claudine Roy), rendu le 10 janvier 2013, qui accueille la demande en révision judiciaire d'une décision de la Commission des relations du travail (CRT) concluant à la mauvaise foi du gouvernement et autres groupes patronaux lors des négociations collectives de 2003-2005.

500-09-023315-138 PAGE : 3 LE CONTEXTE [2] En juin 2003, les conventions collectives applicables aux employés des secteurs public et parapublic ont pris fin. Des négociations provinciales et sectorielles s'ensuivent. Elles donneront lieu à la signature de conventions avec certains syndicats, mais non avec d'autres. [3] Le point d'achoppement est le volet salarial. En effet, le gouvernement refuse de déroger au cadre budgétaire annoncé en juin 2004, soit une augmentation globale de la masse salariale de 12,6% sur une période de six ans, incluant les majorations salariales découlant de la mise en œuvre de la Loi sur l'équité salariale. [4] Les négociations prendront fin en décembre 2005, lorsque le gouvernement fait adopter la Loi concernant les conditions de travail dans le secteur public, L.Q. 2005, c. 43. LES PROCÉDURES DE CONTESTATION [5] A la suite de l'adoption de la Loi 43, les parties requérantes et les associations mises en cause déposent des plaintes auprès de la CRT, alléguant que le gouvernement et l'ensemble des interlocuteurs patronaux ont manqué à l'obligation de négocier de bonne foi au sens de l'article 53 du Code du travail, L.R.Q., c. C-27. [6] De plus, en parallèle, ils s'en prennent à la constitutionnalité de la Loi 43 devant la Cour supérieure. Par un jugement rendu en même temps que le jugement attaqué ici, la même juge rejette la contestation constitutionnelle de la Loi 43. Ce jugement est maintenant final puisqu'il n'y a pas eu appel LA DÉCISION DE LA CRT [7] Devant le commissaire saisi de la plainte, les parties ont consacré pas moins de 72 jours d'audition. Les syndicats ont axé leur preuve sur la démonstration, par divers témoignages et documents, qu'en tout temps pertinent le gouvernement est demeuré ferme sur son offre salariale. Puis, ils ont plaidé que cela ne pouvait être conforme à l'obligation de négocier de bonne foi. [8] Quant au gouvernement, il a tenté de justifier sa position par une preuve complexe sur la situation des finances de la province. Il a plaidé ensuite le caractère raisonnable du cadre budgétaire duquel il n'a pas dévié. [9] Le 30 janvier 2012, le commissaire Garant conclut que le gouvernement a négocié de mauvaise fois pour deux motifs : son refus de déroger au cadre budgétaire annoncé et le fait d'avoir inclus dans la proposition globale tant les augmentations de salaire que les ajustements dus pour l'équité salariale. Pour le commissaire, puisque

500-09-023315-138 PAGE : 4 l'équité salariale est un droit non négociable, découlant de la loi, le gouvernement ne pouvait l'inclure dans sa proposition globale. [10] Conformément à l'entente entre les parties, le commissaire s'est réservé juridiction pour décider des réparations appropriées. [11] Insatisfait, le gouvernement a déposé une requête en révision judiciaire en Cour supérieure. LE JUGEMENT DE LA COUR SUPÉRIEURE [12] Dans son jugement rendu le 10 janvier 2013, la juge Claudine Roy souligne quant au premier reproche retenu par la CRT que la décision de cette dernière omet d'analyser le caractère raisonnable des offres faites par le gouvernement à la lumière de la preuve déposée sur l'état des finances publiques : 110 En somme, la CRT n'a pas complété l'exercice nécessaire avant de pouvoir conclure que le Gouvernement négociait de mauvaise foi. L'analyse tronquée de la CRT ne correspond pas à l'exercice auquel elle aurait dû se prêter. Elle a écarté de son raisonnement l'évaluation du caractère objectivement raisonnable et justifié ou non des positions des parties. [13] Quant au deuxième reproche, la juge souligne que la CRT ne pouvait pas s'en tenir seulement à l'affirmation que le fait d'inclure l'équité salariale, une matière non négociable, démontrait la mauvaise foi du gouvernement sans jamais examiner la preuve par laquelle le gouvernement tentait d'expliquer pourquoi il avait agi ainsi : 136 Il était déraisonnable pour la CRT de conclure que le simple fait d'inclure dans son cadre budgétaire une prévision pour régler l'équité salariale équivalait à négocier de mauvaise foi. Constater que l'équité salariale était un enjeu important des négociations 2003-2005 est une chose, en déduire que le Gouvernement négociait de mauvaise foi en est une autre. [14] Devant la gravité de ces deux omissions, elle conclut que la décision du commissaire de la CRT est déraisonnable et l'annule. Sa conclusion finale est le retour du dossier devant la CRT pour qu'un autre commissaire statue à nouveau, en tenant compte, cette fois-ci, de l'ensemble de la preuve. [15] En somme, le jugement ne met pas fin au différend entre les parties et ne statue pas sur le bien fondé de la plainte, laissant cela au décideur spécialisé.

500-09-023315-138 PAGE : 5 L'ANALYSE [16] Comme la juge l'a décidé, la norme de contrôle applicable était celle de la décision raisonnable. En effet, la CRT était au cœur de sa compétence lorsqu'elle a statué sur la plainte déposée par les associations requérantes. Sa compétence, la nature de la question à trancher et la présence d'une clause privative me convainquent que la norme de contrôle est celle commandant de la déférence. [17] Quant aux lacunes dénoncées par la juge de la Cour supérieure, elles sont manifestes à la lecture de la décision de la CRT. [18] Tenir fermement à sa position lors de la négociation d'une convention n'équivaut pas automatiquement à faire preuve de mauvaise foi. Il en faut plus et il est nécessaire de démontrer qu'il n'y a eu qu'une négociation de façade visant à détruire les rapports de la négociation collective. En l'espèce, la preuve de cette mauvaise foi ne peut se faire qu'en tenant compte de l'ensemble des négociations et des objectifs véritables de la partie patronale. [19] La Cour suprême l'enseigne dans l'arrêt Health Services and Support c. C.-B., [2007] 2 R.C.S. 391 : 103 L obligation de négocier de bonne foi n impose pas la conclusion d une convention collective ni l acceptation de clauses contractuelles particulières (Gagnon, LeBel et Verge, p. 499-500). Elle n empêche pas non plus la négociation serrée. Les parties restent libres d adopter une «ligne dure dans l espoir de pouvoir forcer l autre partie à accepter les conditions qui lui sont offertes» (Syndicat canadien des la Fonction publique c. Conseil des relations du travail (Nouvelle-Écosse), [1983] 2 R.C.S. 311, p. 341). 104 En principe, la vérification de l exécution de l obligation de négocier de bonne foi ne s étend pas au contrôle du contenu des propositions présentées dans le cadre de la négociation collective; leur contenu demeure fonction du rapport de force entre les parties (Carter et autres, p. 300). Toutefois, lorsque l examen du contenu démontre qu une partie manifeste de l hostilité envers le processus de négociation collective, l existence de cette hostilité constitue un manquement à l obligation de négocier de bonne foi. Dans certaines circonstances, même si une partie participe à la négociation, les propositions et positions qu elle présente peuvent être «inflexible[s] et intransigeante[s] au point de mettre en péril l existence même de la négociation collective» (Royal Oak Mines Inc., par. 46). Cette attitude d inflexibilité est souvent décrite sous le vocable de «négociation de façade». La Cour a expliqué la distinction entre la négociation serrée, qui est légale, et la négociation de façade, qui contrevient à l obligation de négocier de bonne foi :

500-09-023315-138 PAGE : 6 Il est souvent difficile de déterminer s il y a eu violation de l obligation de négocier de bonne foi. Les parties à des négociations collectives reconnaissent rarement vouloir éviter de conclure une convention collective. La jurisprudence reconnaît une différence importante entre la «négociation serrée» et la «négociation de façade» [...]. La négociation serrée ne constitue pas une violation de l obligation de négocier de bonne foi. C est l adoption d une ligne dure dans l espoir de pouvoir forcer l autre partie à accepter les conditions qui lui sont offertes. La négociation serrée n est pas une violation de l obligation parce qu elle comporte une intention véritable de poursuivre les négociations collectives et de conclure une convention. Par contre, on dit qu une partie pratique la «négociation de façade» lorsqu elle feint de vouloir conclure une convention alors qu en réalité elle n a pas l intention de signer une convention collective et elle souhaite détruire les rapports de négociation collective. La négociation de façade est une infraction à la Loi à cause de ses objectifs irréguliers. La ligne de démarcation entre la négociation serrée et la négociation de façade peut être ténue. (Syndicat canadien des la Fonction publique, p. 341; voir également Royal Oak Mines Inc., par. 46.) 105 Même s il participe à toutes les étapes du processus de négociation, lorsque ses propositions et positions visent à éviter de conclure une convention collective ou à détruire les rapports de négociation collective, l employeur manque à son obligation de négocier de bonne foi : voir Royal Oak Mines Inc. Aux propos du sénateur Walsh, selon lesquels [TRADUCTION] «la loi ne fait que conduire les représentants syndicaux à la porte de l employeur», nous ajoutons que parfois les tribunaux peuvent néanmoins vérifier ce qui se passe derrière cette porte pour s assurer que les parties négocient de bonne foi. (je souligne) [20] La CRT devait donc prendre en considération l'ensemble des négociations, et non uniquement l'aspect salarial, et s'interroger sur la motivation derrière la position ferme quant à l'augmentation globale de la masse salariale. [21] À la fin, le litige se résume à la détermination des objectifs véritables du gouvernement lors de la négociation : s'agissait-il d'une ligne dure découlant d'un cadre budgétaire raisonnable eu égard à la situation financière de la province ou plutôt d'une stratégie visant à détruire les rapports de négociation collective? Au prochain commissaire de répondre à cette question. LA CONCLUSION [22] Pour ce motif, le soussigné :

500-09-023315-138 PAGE : 7 [23] REJETTE la requête pour permission d'appeler, avec dépens. Me Marc Hurtubise Me Geneviève Baillargeon-Bouchard POUDRIER BRADET Pour les requérantes Me Louis Bernier Me Benoît Turmel FASKEN MARTINEAU Pour les intimés Date d audience : 27 mars 2013 PIERRE J. DALPHOND, J.C.A.