ARRÊT DE LA COUR 26 février 1991 *

Documents pareils
Affaire C-238/94. José García e.a. contre Mutuelle de prévoyance sociale d'aquitaine e.a.

AVIS RENDU EN VERTU DE L'ARTICLE 228 DU TRAITÉ CE. Prise de position de la Cour

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE LILLE N Mme Dejana R M. Dzibrail R RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS N , , , , M. Olivier Yeznikian Rapporteur

M. Lacabarats (président), président SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat(s)

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANçAIS

Concurrence - Règles communautaires - Entreprise - Notion - Organismes chargés de la gestion du service public de la sécurité sociale - Exclusion

TRAITÉ SUR L'UNION EUROPÉENNE (VERSION CONSOLIDÉE)

Cour de cassation Chambre commerciale Cassation partielle 30 mars 2010 N

Décrets, arrêtés, circulaires

INTERNATIONAL TRIBUNAL FOR THE LAW OF THE SEA TRIBUNAL INTERNATIONAL DU DROIT DE LA MER Communiqué de Presse (Publié par le Greffe)

I ) ENTRE : appelant aux termes d'un exploit de l'huissier de justice Georges NICKTS de Luxembourg en date du 30 octobre 2000,

STATUT DU TRIBUNAL INTERNATIONAL DU DROIT DE LA MER. Article premier Dispositions générales SECTION 1. ORGANISATION DU TRIBUNAL. Article 2 Composition

AUDIENCE PUBLI~UE ORDINAIRE DU 11 DECEMBRE Madame FlAN A. ROSINE MOTCHIAN Président; Messieurs BAGROU B. Isidore" Assesseurs,

DES GOUVERNEMENTS DES ETATS MEMBRES Secrétariat CONF 3980/96

GUIDE AUX CONSEILS. Guide destiné aux agents et avocats concernant la procédure écrite et orale devant la Cour de justice des Communautés européennes

COUR DE CASSATION R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

Cadre réservé à l administration : Demande reçue le. Collège communal du :

-d- DU T~~~Ut~Al Oil~~STA,~C! Di. RliiNES. D'p~mment rj~~ll! i.t WLA9Nf.

(L. JUGEMENT contradictoire et en premier ressort .,. COPIE EXECUTOIRE

DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE Division d appel Décision d appel

Numéro du rôle : Arrêt n 136/2008 du 21 octobre 2008 A R R E T

CONVENTION ENTRE LA REPUBLIQUE FRANCAISE ET LE ROYAUME DU MAROC RELATIVE AU STATUT DES PERSONNES ET DE LA FAMILLE ET A LA COOPERATION JUDICIAIRE

LOIS ET DECRETS PUBLIES DANS LA FEUILLE OFFICIELLE

' '(!)('( ' #$%&'# ! '! " #$%&

COMMISSION DES NORMES COMPTABLES

ARRET Cour Administrative d Appel de Paris 30 avril 2013 n 12PA02246 et 12PA02678

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE CAEN F D

L'AN DEUX MIL QUATRE et le 21 Avril. LE TRIBUNAL D'INSTANCE DE SENLIS Siègeant à Senlis, Cité Judiciaire. a, dans la cause entre: DEMANDEUR:

Loi du 20 décembre 2002 portant protection des conseillers en prévention (MB )

Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, premier décembre deux mille onze.

REPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS. LA COUR DES COMPTES a rendu l arrêt suivant :

Numéro du rôle : 4767 et Arrêt n 53/2010 du 6 mai 2010 A R R E T

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DENICE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

REPUBL QUE FRANCA SE

REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Composition Présidente: Anne-Sophie Peyraud Gabrielle Multone, Josef Hayoz Greffier-rapporteur: Alexandre Vial

N Section du Contentieux Publié au recueil Lebon M. Stirn, président M. Bernard Stirn, rapporteur SCP BOUZIDI ; BLONDEL, avocats

Sur le recours du MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS, DE LA FONCTION PUBLIQUE ET DE LA REFORME DE L'ETAT :


N Q.)~ ARRET COUJ~ D'APPEL D'AMIENS ARR~=T DU 06 AVRIL 2006 PARTIES EN CAUSE: : &L: INTIMEE DEBATS PPELANTE RG :,05/00092 SA A: PARIS.

Les Cahiers du Conseil constitutionnel Cahier n 3

Service pénal Fiche contrevenant

La Cour se compose de quinze membres. Elle ne pourra comprendre plus d'un ressortissant du même État.

LES PENSIONS ALIMENTAIRES A L'ETRANGER

Conseil d'état - 5ème et 4ème sous-sections réunies. Lecture du mercredi 30 mars Société Betclic Enterprises Limited

2. Le contrat de location ne comporte aucune stipulation visant le cas de résiliation à l'initiative du locataire.

Suite à de nombreuses questions mettant en doute la déductibilité des cotisations sur des contrats d'assurance-vie luxembourgeois:

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DU JURA

Convention européenne sur l'arbitrage commercial international. Genève, 21 avril 1961

AVIS. COMMUNE DE SAUMUR (Maine-et-Loire) Article L du code général des collectivités territoriales. Détermination d une dépense obligatoire

Jurisprudence. République française. Au nom du peuple français LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

LE PROCUREUR CONTRE JEAN-PAUL AKAYESU. Affaire N ICTR-96-4-T

PROTOCOLE RELATIF A LA COUR DE JUSTICE DE LA CEDEAO

COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L HOMME EUROPEAN COURTOFHUMAN RIGHTS

Karine POTHIN-CORNU AVOCAT A LA COUR

Arrêt n CAISSE DE CREDIT MUNICIPAL DE LYON

LA COMPTABILITÉ DU COMITÉ D ENTREPRISE : DE NOUVELLES OBLIGATIONS DE TRANSPARENCE À PARTIR DU 1 er JANVIER 2015

COUR DU TRAVAIL DE BRUXELLES DU 28 MAI 2013

BENELUX ~ A 2004/4/11 COUR DE JUSTICE GERECHTSHOF. ARRET du 24 octobre En cause. Etat belge. contre. De La Fuente

COUR D'APPEL DE PARIS. Pôle 1 - Chambre 1 ARRET DU 26 AOUT (n, 5 pages)

La contrefaçon par équivalence en France

ARTICLE 90 DU DECRET DU 19 DECEMBRE 1991 MODIFIE

M. Gosselin (conseiller le plus ancien faisant fonction de président), président REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Obs. : Automaticité de la pénalité de l article L C. ass. : la victime n a aucune demande à formuler

Numéros du rôle : 4381, 4425 et Arrêt n 137/2008 du 21 octobre 2008 A R R E T

LES CONGÉS POUR VENTE ET REPRISE

ORDONNANCE D EXPERTISE DU TRIBUNAL CANTONAL DES ASSURANCES SOCIALES. Chambre 2

L'an deux mil quatorze Et le vingt un octobre

TITRE IER DISPOSITIONS GENERALES

Cour de cassation de Belgique

A. DISPOSITIONS DES TRAITÉS EN MATIÈRE D'AIDES D'ETAT

LOI N DU 7 MARS 1961 déterminant la nationalité sénégalaise, modifiée

CONTRAT OBSEQUES ET TUTELLE : UN ARRET* PRECISE LES MODALITES D APPLICATION

Procédure pénale. Thèmes abordés : Procédure par contumace/ Nouvelle procédure par défaut

REPUBLIQUE FRANCAISE. Contentieux n A et A

TIEN DES DROITS DES TRAVAILLEURS EN CAS DE CHANGEMENT D'EMPLOYEUR DU FAIT D'UN TRANSFERT CONVENTIONNEL D'ENTREPRISE ET REGLANT LES

Conclusions de M. l'avocat général Jean Spreutels :

DENIS THIBAULT Demandeur. Entreprise. réclamée. Elle lui confirme que La Capitale, Compagnie d assurance générale (ci-après

LES RECOURS EN CAS DE NON PAIEMENT DE LA PENSION ALIMENTAIRE

1. Visas, asile, immigration Politique d'immigration Droit au regroupement familial Directive 2003/86

Traité établissant une Constitution pour l'europe

de la commune organisatrice ou bénéficiaire, ci-après dénommée «société de transports en commun bénéficiaire». Par dérogation aux dispositions de

La mission de «tiers de confiance» a été instaurée par l article 68 de la loi du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010.

rendu le 26 Janvier ST DENIS LA PLAINE CEDEX S.A.R.L. DIAGNOSTIC IMMOBILIER DU NORD 475 rue Guynemer FERRIERE LA GRANDE défaillant

Publication au JORF du 5 mai Décret n du 3 mai Décret relatif au compte épargne-temps dans la fonction publique hospitalière

La rémunération des avocats allemands

DIRECTIVE PRATIQUE RELATIVE À LA MISE EN OEUVRE DE L ARTICLE

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 15 Janvier Tribunal d'instance de BOBIGNY - RG n

COUR DE CASSATION R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E. Audience publique du 16 janvier 2014 Cassation Mme FLISE, président. Arrêt n o 47 F-P+B

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS

Décision du 17 juillet 2013 Cour des plaintes

Assemblée des États Parties

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS LA CHAMBRE REGIONALE DES COMPTES D AUVERGNE, STATUANT EN SECTION

CONSEIL DE L'EUROPE COMITÉ DES MINISTRES RECOMMANDATION N R (87) 15 DU COMITÉ DES MINISTRES AUX ÉTATS MEMBRES

N 25/ 07. du Numéro 2394 du registre.

Transcription:

ANTONISSEN ARRÊT DE LA COUR 26 février 1991 * Dans l'affaire C-292/89, ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CEE, par la High Court of Justice, Queen's Bench Division, Londres, et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre The Queen et Immigration Appeal Tribunal, ex parte: Gustaff Desiderius Antonissen, une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation des dispositions de droit communautaire régissant la libre circulation des travailleurs et portant sur l'étendue du droit de séjour des ressortissants des États membres à la recherche d'un emploi dans un autre État membre, LA COUR, composée de MM. O. Due, président, G. F. Mancini, J. C. Moitinho de Almeida, G. C. Rodríguez Iglesias et M. Diez de Velasco, présidents de chambre, Sir Gordon Slynn, MM. C. N. Kakouris, R. Joliet, F. A. Schockweiler, F. Grévisse et M. Zuleeg, juges, avocat général: M. M. Darmon greffier: M. H. A. Rühl, administrateur principal considérant les observations écrites présentées: pour la partie demanderesse au principal, par M. Richard Plender, QC, et M me Geraldine Clark, barrister, mandatés par Winstanley-Burgess and Co., * Langue de procédure: l'anglais. I - 773

ARRÊT DU 26. 2. 1991 AFFAIRE C-292/89 pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. J. E. Collins, du Treasury Solicitor's Department, en qualité d'agent, assisté de M. David Pannick, barrister, pour le gouvernement de la République fédérale d'allemagne, par MM. Ernst Rôder et Joachim Karl, respectivement Regierungsdirektor et Oberregierungsrat au ministère fédéral de l'économie, en qualité d'agents, pour le Conseil des Communautés européennes, par M me Marta Arpio, membre du service juridique, en qualité d'agent, pour la Commission des Communautés européennes, par MM. Antonio Caeiro, conseiller juridique, et Nicholas Khan, membre du service juridique, en qualité d'agents, vu le rapport d'audience, ayant entendu les observations orales de la partie demanderesse au principal, du Royaume-Uni, du Conseil et de la Commission, à l'audience du 25 septembre 1990, ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 8 novembre 1990, rend le présent Arrêt 1 Par ordonnance du 14 juin 1989, parvenue à la Cour le 21 septembre suivant, la High Court of Justice, Queen's Bench Division, a posé, en application de l'article 177 du traité CEE, deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation des dispositions de droit communautaire régissant la libre circulation des travailleurs et portant sur l'étendue du droit de séjour des ressortissants des États membres à la recherche d'un emploi dans un autre État membre. I-774

ANTONISSEN 2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant M. Gustaff Desiderius Antonissen, de nationalité belge, au Secretary of State for Home Affairs, qui a décidé, le 27 novembre 1987, de l'expulser du territoire du Royaume-Uni. 3 M. Antonissen, arrivé au Royaume-Uni en octobre 1984, n'y avait pas encore trouvé d'emploi lorsque, le 30 mars 1987, il a été condamné par la Crown Court de Liverpool à deux peines d'emprisonnement pour détention illégale de cocaïne et détention de cette drogue dans l'intention de la revendre. Il a été libéré sur parole («on parole») le 21 décembre 1987. 4 L'expulsion a été ordonnée sur la base de l'article 3, paragraphe 5, sous b), de l'immigration Act 1971 (ci-après «loi de 1971»), qui autorise le Secretary of State à expulser des ressortissants étrangers lorsque leur expulsion «est dans l'intérêt public». s M. Antonissen a formé un recours contre la décision susmentionnée du Secretary of State devant l'immigration Appeal Tribunal. Devant cette juridiction, M. Antonissen a fait valoir qu'étant ressortissant communautaire il devait bénéficier de la protection qu'établit la directive 64/ 221/ CEE du Conseil, du 25 février 1964, pour la coordination des mesures spéciales aux étrangers en matière de déplacement et de séjour justifiées pour des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique (JO 56, p. 850). Le tribunal a estimé que, dès lors qu'il était à la recherche d'un emploi sur le territoire britannique depuis plus de six mois, il ne pouvait plus être assimilé à un travailleur communautaire et prétendre à l'application de cette directive. La juridiction nationale s'est fondée à cet égard sur l'article 143 du Statement of Changes in Immigration Rules, pris en exécution de l'immigration Act, qui permet d'expulser le ressortissant d'un État membre qui, six mois après son admission sur le territoire britannique, n'a pas encore trouvé d'emploi et n'exerce pas une autre activité professionnelle. 6 Son recours ayant été rejeté, M. Antonissen a alors saisi la High Court of Justice, Queen's Bench Division, qui a sursis à statuer pour poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes: I - 775

ARRÊT DU 26. 2. 1991 AFFAIRE C-292/89 «1) Aux fins de déterminer si un ressortissant d'un État membre doit être traité comme un 'travailleur' au sens de l'article 48 du traité CEE lorsqu'il cherche un emploi sur le territoire d'un autre État membre, de sorte qu'il ne peut faire l'objet d'une expulsion sauf dans les conditions prévues par la directive 64/221 du Conseil, du 25 février 1964, le législateur du second État membre peut-il prévoir qu'un tel ressortissant peut être contraint de quitter le territoire de cet Etat (sous réserve d'un recours) si, six mois après son admission sur ce territoire, il n'a pas trouvé d'emploi? 2) Dans le cadre de la réponse à la question qui précède, quelle est, le cas échéant, l'importance qu'une juridiction d'un Etat membre doit attacher à la déclaration figurant au procès-verbal de la réunion du Conseil au cours de laquelle le Conseil a adopté la directive 68/360?» 7 Pour un plus ample exposé des faits du litige au principal, de la réglementation applicable ainsi que des observations écrites présentées devant la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour. 8 Par les questions préjudicielles, la juridiction nationale vise en substance à savoir si les dispositions de droit communautaire régissant la libre circulation des travailleurs font obstacle à ce que la législation d'un État membre prévoie qu'un ressortissant d'un autre État membre, entré sur son territoire pour y chercher un emploi, puisse être contraint, sous réserve d'un recours, de quitter ce territoire s'il n'y a pas trouvé un emploi au bout de six mois. 9 A cet égard, il a été soutenu qu'à s'en tenir à la lettre de l'article 48 du traité le droit des ressortissants communautaires de se déplacer librement sur le territoire des États membres n'est accordé qu'en vue de répondre à des emplois effectivement offerts [paragraphe 3, sous a) et b)], alors que celui de séjourner sur le territoire de ces Etats est lié à l'exercice d'un emploi [paragraphe 3, sous c)]. 10 Une telle interprétation qui exclurait le droit pour un ressortissant d'un État membre de se déplacer librement et de séjourner sur le territoire dès autres États membres aux fins d'y rechercher un emploi ne saurait être retenue. I - 776

ANTONISSEN 11 En effet, selon la jurisprudence constante de la Cour, la libre circulation des travailleurs fait partie des fondements de la Communauté et, dès lors, les dispositions qui consacrent cette liberté doivent être interprétées largement (voir, entre autres, arrêt du 3 juillet 1986, Kempf, point 13, 139/85, Rec. p. 1741). 12 En outre, une interprétation stricte du paragraphe 3 de l'article 48 compromettrait les chances réelles d'un ressortissant d'un État membre qui est à la recherche d'un emploi d'en trouver un dans les autres États membres et priverait, dès lors, cette disposition de son effet utile. 13 Il s'ensuit que le paragraphe 3 de l'article 48 doit être interprété en ce sens qu'il énonce de façon non limitative certains droits dont bénéficient les ressortissants des États membres dans le cadre de la libre circulation des travailleurs et que cette liberté implique également le droit pour les ressortissants des États membres de circuler librement sur le territoire des autres États membres et d'y séjourner aux fins d'y rechercher un emploi. 1 4 Cette interprétation du traité correspond d'ailleurs à celle du législateur communautaire, comme l'indiquent les dispositions prises pour la mise en oeuvre du principe de libre circulation, notamment les articles 1 er et 5 du règlement (CEE) n 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté (JO L 257, p. 2), dispositions qui supposent le droit pour les ressortissants communautaires de se déplacer pour rechercher un emploi dans un autre État membre et, par conséquent, le droit d'y séjourner. 15 Il convient dès lors de vérifier si le droit de séjour exercé aux fins de rechercher un emploi, tel qu'il résulte de l'article 48 et des dispositions du règlement n 1612/68, précité, peut faire l'objet d'une limitation temporelle. 16 A cet égard, il y a lieu de relever, tout d'abord, que l'effet utile de l'article 48 est garanti dans la mesure où la législation communautaire, ou, à défaut de celle-ci, la législation d'un État membre, accorde aux intéressés un délai raisonnable qui leur permette de prendre connaissance, sur le territoire de l'état membre concerné, des I - 777

ARRÊT DU 26. 2. 1991 AFFAIRE C-292/89 offres d'emplois correspondant à leurs qualifications professionnelles et de prendre, le cas échéant, les mesures nécessaires aux fins d'être engagés. 17 La juridiction nationale a fait état de la déclaration inscrite au procès-verbal du Conseil lors de l'adoption du règlement n 1612/68, précité, et de la directive 68/ 360/ CEE, du même jour, relative à la suppression des restrictions au déplacement et au séjour des travailleurs des États membres et de leur famille à l'intérieur de la Communauté (JO L 257, p. 13), et qui est rédigée comme suit: «Les ressortissants d'un État membre visés à l'article 1 er (de la directive) qui se rendent dans un autre État membre pour y rechercher un emploi disposent à cette fin d'un délai minimal de trois mois; au cas où ils n'auraient pas trouvé d'emploi à l'expiration de ce délai, il pourrait être mis fin à leur séjour sur le territoire de ce deuxième État. Toutefois, si les personnes susvisées devaient être prises en charge par l'assistance publique (aide sociale) du deuxième État au cours de la période précitée, elles pourraient être invitées à quitter le territoire de ce deuxième État.» 18 Toutefois, une telle déclaration ne saurait être retenue pour l'interprétation d'une disposition du droit dérivé lorsque, comme dans la présente affaire, le contenu de la déclaration ne trouve aucune expression dans le texte de la disposition en cause et n'a, dès lors, pas de portée juridique. i9 Pour leur part, le gouvernement britannique et la Commission observent qu'il résulte de l'article 69, paragraphe 1, du règlement (CEE) n 1408/71 du Conseil relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté [version codifiée de ce règlement par le règlement (CEE) n 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983 (JO L 230, p. 6)] que les États membres peuvent limiter à trois mois le séjour sur leur territoire des ressortissants d'un autre État membre à la recherche d'un emploi. Selon la disposition susmentionnée, un travailleur en chômage qui a acquis un droit aux prestations dans un État membre et qui se rend dans un autre État membre pour y chercher un emploi conserve le droit à ces prestations pendant une période maximale de trois mois. I-778

ANTONISSEN 20 Cet argument ne saurait être accueilli. Comme l'avocat général ľa observé à juste titre, il n'y a pas de lien nécessaire entre le droit aux prestations de chômage dans l'état membre d'origine et le droit de séjour dans l'état membre d'accueil. 21 En l'absence de disposition communautaire fixant un délai pour le séjour des ressortissants communautaires à la recherche d'un emploi dans un État membre, un délai de six mois, tel que celui établi par la législation nationale visée en l'espèce au principal, n'apparaît pas, en principe, comme insuffisant pour permettre aux intéressés de prendre connaissance, dans l'état membre d'accueil, des offres d'emplois correspondant à leurs qualifications professionnelles et de prendre, le cas échéant, les mesures nécessaires aux fins d'être engagés, et, dès lors, un tel délai ne met pas en cause l'effet utile du principe de libre circulation. Si, après l'écoulement du délai en question, l'intéressé apporte la preuve qu'il continue à chercher un emploi et qu'il a des chances véritables d'être engagé, il ne saurait toutefois être contraint de quitter le territoire de l'état membre d'accueil. 22 Il y a dès lors lieu de répondre aux questions posées par la juridiction nationale que les dispositions de droit communautaire régissant la libre circulation des travailleurs ne font pas obstacle à ce que la législation d'un État membre prévoie qu'un ressortissant d'un autre État membre entré sur son territoire pour y chercher un emploi puisse être contraint, sous réserve d'un recours, de quitter ce territoire s'il n'y a pas trouvé un emploi au bout de six mois, à moins que l'intéressé apporte la preuve qu'il continue à chercher un emploi et qu'il a des chances véritables d'être engagé. Sur les dépens 23 Les frais exposés par les gouvernements britannique et allemand ainsi que par le Conseil et la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. I-779

ARRÊT DU 26. 2. 1991 AFFAIRE C-292/89 Par ces motifs, LA COUR, statuant sur les questions à elle soumises par la High Court of Justice, Queen's Bench Division, par ordonnance du 14 juin 1989, dit pour droit: Les dispositions de droit communautaire régissant la libre circulation des travailleurs ne font pas obstacle à ce que la législation d'un État membre prévoie qu'un ressortissant d'un autre État membre, entré sur son territoire pour y chercher un emploi, puisse être contraint, sous réserve d'un recours, de quitter ce territoire s'il n'y a pas trouvé un emploi au bout de six mois, à moins que l'intéressé apporte la preuve qu'il continue à chercher un emploi et qu'il a des chances véritables d'être engagé. Due Mancini Moitinho de Almeida Rodríguez Iglesias Diez de Velasco Slynn Kakouris Joliét Schockweiler Grévisse Zuleeg Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 26 février 1991. Le greffier J.-G. Giraud Le président O. Due I-780