RISQUES JURIDIQUES DES MANAGERS, QUELLES RESPONSABILITES? ------------------------------



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Transcription:

RISQUES JURIDIQUES DES MANAGERS, QUELLES RESPONSABILITES? ------------------------------ Benoît GARRIGOS Enseignant en Droit Privé à l UNIVERSITE LUMIERE LYON II L activité économique n'a jamais été et ne sera jamais une activité sans risque, qu il soit financier ou juridique. Le risque juridique des «managers» 1 dans l'activité économique ne cesse de croître, et il peut apparaître parfois comme un frein dissuasif à toute initiative ou développement de l activité de l entreprise. En effet, les temps sont devenus difficiles pour les cadres dirigeants et les mandataires sociaux. Les attentes sans cesse croissantes en terme de performances internes ou externes et l évolution d un environnement juridique plus complexe et répressif compliquent et réduisent leurs libertés d action. Le risque juridique ou tout au moins sa manifestation parfois judiciaire, dans certains cas à grand renfort médiatique 2, invite le créateur d'entreprise et le manager à beaucoup de prudence. Celle-ci n'est malheureusement pas toujours récompensée, tant la diversité des risques encourus à l'occasion de l'activité économique sont importants et l on constate, chaque jour un peu plus, une systématisation de la mise en cause de la responsabilité personnelle des managers. Diriger, c est prendre des risques. Ceux-ci sont d abord économiques mais pas uniquement. En effet, le manager, au-delà d engager l entreprise qu il dirige, prend du fait de son activité quotidienne le risque d engager sa propre responsabilité civile et pénale. Il est impossible de faire une liste exhaustive, de tous les cas de responsabilité que le manager est susceptible de rencontrer à l'occasion de son activité mais, nous pouvons cependant tenter d'apporter un éclairage sur les grands cas de mise en oeuvre de sa responsabilité ou celle de 1 Nous définirons en page 4 la notion de manager. 2 La polémique autour de l insecticide REGENT et la mise en examen du fabricant sur le chef retenu de mise en vente de produit nuisible à la santé de l'homme et de l'animal. 1

l entreprise qu il dirige.(i) Diriger, c est aussi assumer les risques juridiques dont certains sont connus et identifiés et pour lesquels, il est possible de se prémunir. Il apparaît donc aujourd hui important pour les cadres dirigeants de trouver les moyens d assumer ces risques.(ii) En effet, de nouveaux instruments de direction et de contrôle tels que la Corporate Governance 3 et les programmes de Compliance Management 4, qui sont depuis longtemps utilisés dans les pays anglo-saxons, arrivent désormais dans les «boards» des entreprises européennes, ils font encore l objet de nombreuses discussions parmi les juristes et les économistes. La présente communication se propose de décrire les cas et les fondements juridiques de la responsabilité des managers ainsi que les possibilités de protection en ayant préalablement défini la notion de manager et d entreprise. -I- DIRIGER, C EST PRENDRE DES RISQUES. L'entreprise est enfermée dans un réseau de relations denses, coercitives et donc potentiellement dangereuses. Ainsi les actionnaires, les bailleurs de fonds, les créanciers, les clients, les collaborateurs, les médias, et enfin les consommateurs exigent du manager un travail de gestion réussie, c'est-à-dire sans faute, et une communication sincère, honnête et réaliste 5 dans toutes les situations 6. La direction de l'entreprise est responsable de la réussite de ces attentes. Si celles-ci ne sont pas remplies le manager s'expose au danger d'en être tenu personnellement responsable mais cette responsabilité vaut aussi pour le comportement des collaborateurs subordonnés et plus 3 Organisation du pouvoir au sein d'une société ou d'une entreprise visant à un meilleur équilibre entre les instances de direction, les instances de contrôle et les actionnaires ou sociétaires. Ce système de gestion des entreprises d origine américaine a pour objectif de redonner le pouvoir aux actionnaires, par rapport aux conseils d administration et aux dirigeants. 4 Voir infra n 48 5 Voir sur ce point le débat scientifique et médiatique autour de l application du principe de précaution relativement aux antennes relais de téléphonie mobile et aux O.G.M. 2

généralement pour les personnes dont l entreprise doit répondre et donc par voie de conséquence, dont le manager doit répondre en application de l article 1384 du Code civil. 7 Dans une gestion quotidienne complexe et fébrile, fautes et décisions inadéquates sont malheureusement déjà préprogrammées. Très rapidement se pose la question des conséquences : des dommages intérêts vont-ils être réclamés? quelle va être l attitude des autorités de surveillance 8? des autorités pénales? enfin, le cours des actions et la crédibilité de l entreprise vont-t-ils en souffrir? Chaque faute dans la «direction» ou dans la «gestion» 9 ne conduit pas automatiquement à la mise en œuvre d une responsabilité juridique. Pour qu il y ait réparation encore faut-il qu il existe un dommage qui soit provoqué par l action ou l abstention d une personne responsable 10. Enfin la responsabilité peut naître de l irrespect de prescriptions impératives 11 ou négociées 12. La mise en œuvre de la responsabilité peut naître de la loi, du contrat, ou du fait du manager ou des personnes dont il doit répondre mais, dans les hypothèses les plus courantes, la responsabilité sera celle de l entreprise ou de la personne morale qui sera engagée initialement par les victimes ou les co-contractants mécontents, viendra ensuite la mise en œuvre éventuelle de la responsabilité du manager. L exercice de la fonction de manager implique nécessairement une présomption de pouvoir (diriger, administrer, décider, agir) qui se traduit par l existence d une responsabilité vis-à-vis de l entreprise et des tiers. 6 Voir les «affaires» déjà anciennes concernant les eaux gazeuses PERRIER infectée de Benzène, et les Sodas Coca Cola et leurs cannettes «maculées» d engrais chimique. 7 Article 1384 du Code civil : «On est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde (alinéa 4) Les maîtres et les commettants, du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés» 8 L autorité des Marchés Financiers (AMF) par exemple depuis la loi du 1 Août 2003 relative à la sécurité financière. Loi n 2003-721 du 1er août 2003 pour l'initiative économique, J.O n 179 du 5 août 2003 page 13449 9 En l espèce, il ne s agit pas bien entendu du sens fiscal généralement entendu à l occasion de cette expression, bien que cette qualification puisse être source de mise en œuvre de la responsabilité du dirigeant voir infra. 10 Il s agit ici des cas de responsabilité délictuelle visé par l article 1382 du Code Civil. 11 La matière pénale dans toute son étendue. 12 Le contrat : «loi des parties» au sens de l article 1134 du Code Civil. 3

Pendant longtemps, les managers ont imaginé être à l abri derrière «l écran» de la personne morale, celle-ci imaginaient-ils, les protégeait de toute mise en cause personnelle pour leurs actes de gestion. Cette certitude n a jamais été fondée car les textes ont toujours fait peser une responsabilité personnelle sur les dirigeants mais elle a toujours semblé être de moindre importance au regard de celle de l exploitant individuel. Une question apparaît immédiatement : qui peut être tenu pour responsable? -A- Qui peut être tenu pour responsable? C est parce que l entreprise qui est souvent une personne morale (mais pas uniquement), ne peut manifester directement sa volonté, que seules les personnes physiques chargées de l administrer, de la gérer, ou de la diriger s exprimeront en son nom. Il s'agit du représentant légal de l'entreprise qui sera toujours une personne physique : à savoir le manager dans une définition économique ou le représentant légal dans une définition juridique. Pour le cas de l entrepreneur individuel, la confusion entre l activité économique et la personne du dirigeant ne posera pas de problème et «l indentification» s opérera sans peine. S agissant des structures sociétaires constituées, le représentant légal sera lui-même parfois le représentant d un organe de gestion qui pourra être, au gré des cas : le conseil d administration, le conseil de surveillance, le directoire, le directeur général, le directeur général délégué, les personnes participant à la création de la société (associés ou actionnaires) Le responsable est cependant le manager, celui qui dirige. Cette définition serait trop restrictive si elle n englobait pas la notion de dirigeant de fait 13 de l'entreprise que l'on définit généralement comme la personne physique ou morale qui, dépourvue de mandat social, s'est immiscée dans le fonctionnement d'une société pour exercer, en toute souveraineté et indépendance, une activité 13 En 1999, toutes les chambres civiles de la Cour de Cassation ont harmonisé leur position sur la qualification de dirigeant de fait. Le juge du fond doit rechercher l existence d actes positifs de gestion tels que : conclure des contrats, embaucher du personnel, avoir reçu délégation de signature sur les comptes ou de solliciter des crédits bancaires. 4

positive de gestion, d'administration et de direction. 14 Il s agit de personnes qui ont une influence informelle et répétée sur la direction de l entreprise «administrée» par des «hommes de paille» ou les personnes qui sans pouvoir légal prennent le contrôle de la société. 15 A cette dimension du manager susceptible d engager sa responsabilité, il faut ajouter celle des cadres fonctionnels de l entreprise qui, bien que n exerçant pas une activité de direction de l entreprise n ont pas le statut de représentant légal mais, engagent leur responsabilité pour tous leurs actes fautifs et les dommages qui en résultent. Sont particulièrement visés dans ce cas tous les délégataires de pouvoirs dans l entreprise comme par exemple les directeurs de production, commerciaux, financiers, des ressources humaines, juridiques Il apparaît donc que les cadres dirigeants et spécialisés se retrouvent dans toutes les entreprises et à tous niveaux hiérarchiques et demeurent responsables de leur comportement. Ils assument aussi la plupart du temps une responsabilité personnelle. La probabilité et l étendue des suites possibles de la mise en œuvre de leur responsabilité augmentent avec la marge de manoeuvre et l importance des tâches de direction qui leur sont confiées. Il convient de préciser que seul ont été envisagés les cas où la responsabilité du manager peut être engagée eu égard à son action en qualité de représentant légal de la personne morale et dans le cadre de son activité 16 et que sont laissés de côté les comportements «déviants» des dirigeants d entreprise dont l attitude cause un dommage à la personne morale elle-même 17 qui dans cette 14 Ouvrage Collectif, Lexique des termes juridiques, Dalloz, 8 édition. 15 Les grands actionnaires du fait du poids de leurs votes et par voie de conséquence de leur influence sur le comportement des organes de direction peuvent-ils être considérés dans certaines situations comme des dirigeants de fait de l entreprise? Une rapide analyse nous invite à penser que cela ne peut se concevoir dans la mesure où l actionnaire (ou l associé) même s il n exerce pas de pouvoir de direction dans l entreprise, opère un contrôle de l activité de son dirigeant et qu en aucune manière il ne participe directement aux prises de décisions. Cependant leurs attentes en terme de rentabilité vont peut être parfois amener le dirigeant à prendre des décisions hasardeuses dont il devra répondre vis-àvis des tiers quels qu ils soient et des actionnaires eux-mêmes. 16 Pour les entreprise en nom propre. 17 Il s agira principalement de délits commis par les dirigeants à l encontre de la personne morale, c'est-à-dire des infractions qui bien que comprises dans le cadre de l entreprise tendent à satisfaire l intérêt personnel d un individu. Les risques résultant des infractions de ce type relèvent de la criminologie individuelle et du droit commun de la 5

hypothèse est une victime. -B- Dans quel cadre la responsabilité du dirigeant peut-elle être mise en œuvre? Comme nous venons de le voir être dirigeant, c est prendre des risques dans la direction et la gestion d une entreprise mais il convient de définir ce qu est une entreprise. Cette notion qui est comme celle du manager d'abord économique, se définit en droit comme l'ensemble des moyens humains et matériels ayant pour objet une activité économique de production, de commercialisation, de services. 18 L entreprise n'est pas d un point de vue juridique une entité autonome à laquelle se trouve attaché un régime unitaire et cohérent. On va trouver de multiples acceptions selon les branches du droit envisagées. Ainsi l entreprise aura un contenu différent en droit du travail, en droit commercial. Par simplification nous retiendrons dès lors la définition économique de l'entreprise ce qui nous permettra d'englober à la fois l'entreprise individuelle, libérale, artisanale ou sociétaire. Pour cette dernière l article 1832 et suivants du Code civil définissent la société comme : «La société est institué par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l économie qui pourra en résulter. Elle peut être instituée, dans les cas prévus par la loi, par l acte de volonté d une seule personne. Les associés s engagent à contribuer aux pertes.» Même, si nous savons qu'aujourd'hui la société peut donner naissance à autre chose qu'un contrat, elle repose dans la plupart des cas sur une convention, c'est-à-dire, un accord de volonté en vue de produire des effets de droit. C'est donc, dès la création d'entreprise que le manager, le responsabilité pénale, l entreprise occupant fréquemment à l égard de ces infractions le rôle de victime, dans la mesure où un grand nombre d infractions de cette catégorie sont commises à son préjudice. La protection de l entreprise peut, dans ce domaine faire l objet de mises en place de procédures de contrôle de ces comportements dont elle peut être parfois victime voir infra page 16 Compliance Management. 6

dirigeant, où le mandataire social, peut voir sa responsabilité engagée dès lors que cet accord de volonté est affecté d'un vice. Il s agira ici d une responsabilité personnelle des créateurs, extérieure à l activité de l entreprise. En fait cela est partiellement vrai car la responsabilité du dirigeant-créateur naît bien avant la création effective de l entreprise. Durant la phase précédant la naissance de l entreprise, durant l intervalle de formation, l entrepreneur, le dirigeant, le/les créateurs, vont inconsciemment parfois engager leur responsabilité au-delà du raisonnable. Ainsi au cours, de cette période, va s enchaîner un certain nombre d opérations qui peuvent avoir des conséquences lourdes sur la viabilité du projet et éventuellement sur le patrimoine des créateurs. C est à cette occasion que les fondateurs vont établir leur business plan, qu ils vont opérer le choix du type de structure sociétaire qu ils vont créer et enfin démarrer leur activité.autant de situation où la responsabilité des fondateurs sera potentiellement engagée. 19 Il convient de préciser que cette dernière ne sera pas limitée aux opérations de création de l entreprise, elle pourra parfois émerger dès la genèse du souhait de création par la mise en oeuvre de procédés techniques, intellectuels, déjà existants et faisant l'objet de protections. 20 Il sera fait observer que c est au cours de cette phase préparatoire à la constitution de la société que les démarches créatrices engagent la responsabilité de tous les fondateurs et non uniquement celle de l intervenant 21 à l acte. Il apparaît que la responsabilité du dirigeant de l'entreprise qui est étendue, va exister tout au long 18 CONSTANTIN Alexis, Mementos Droit des Sociétés,, Dalloz, édition 2004. 19 C est en effet durant cette période qui s étend jusqu'à l immatriculation de la société que les associés/actionnaires sont engagés dans une «société en formation» à laquelle sont attachés des règles juridiques relatives aux sociétés de participations avec l application du principe de solidarité indéfinie des associés au passif social et cela quelque soit le type de structure envisagée par les créateurs (SARL, SAS, SASU, SA) 20 En effet, la responsabilité du créateur peut exister dès avant la naissance de son entreprise dès lors que l idée, le nom, les procédés de fabrication font l objet d un protection particulière (brevets) 21 Article 1843 du Code civil : «les personnes qui ont agi au nom d'une société en formation avant l'immatriculation son tenues des obligations naît des actes ainsi accomplis, avec solidarité si la société et commerciale, sans solidarité dans les autres cas. La société régulièrement immatriculée reprendre les engagements souscrits, qui sont alors réputées avoir été dès l'origine contractée par celle-ci.» 7

des étapes de la vie de son entreprise, elle sera parfois confondue avec cette dernière, elle sera parfois unique, elle sera parfois limitée ou illimitée. -II- DIRIGER, C EST ASSUMER LES RISQUES. -A- Dans quels cas, la responsabilité des dirigeants est-elle engagée? (Les fondements juridiques de la responsabilité des dirigeants) La responsabilité de l activité économique est avant tout une responsabilité de l entreprise qui peut naître à des occasions diverses et variées et, dans toutes les branches du droit positif mais, elle apparaît toujours directement ou indirectement à l occasion de l exploitation. L entreprise peut donc être amenée à assumer la réparation d un dommage engageant sa responsabilité civile, délictuelle ou contractuelle, voire d assumer une responsabilité pénale 22. Dans tous ces cas, l entreprise ne peut agir d elle même et seule l action ou l inaction de ses représentants (légaux ou de fait 23 ) ou des personnes dont elle doit répondre 24 vont engager sa responsabilité. Il est dès lors facile de comprendre que la responsabilité de l entreprise peut naître à l occasion de toutes les situations comme par exemple (et cette liste et loin d être exhaustive) en droit du travail (contentieux individuels ou collectifs ), en droit de la sécurité sociale (accident du travail, faute inexcusable..), en droit de l environnement (pollution, installations classées..), en droit fiscal, en droit comptable, en droit des sociétés C est à l occasion de la mise en œuvre de la responsabilité de l entreprise que va émerger 22 Suite à la loi n 2004-204 du 9 Mars 2004, à compter du 1er janvier 2006, la personne morale pourra être condamnée pénalement, même en l absence de dispositions spécifiques. En effet dix après l introduction en droit français du principe novateur de la responsabilité pénale des personnes morales, la loi «Perben II» sur l adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, généralise cette responsabilité à l ensemble des infractions pénales. Le nouveau code pénal avait introduit le 1er mars 1994 le principe d une responsabilité pénale des personnes morales assortie du principe de spécialisation selon lequel la responsabilité pénale des personnes morales ne pouvait être engagée que dans les seuls cas où un texte le prévoyait expressément. Il ne pouvait donc y avoir de responsabilités pénales sans texte spécifique. Dès 2006, cette condition disparaît ce qui n est pas sans laissé subsister quelques problèmes et incertitudes notamment quant à l application de sanctions pénales aux personnes morales de droit public dont les amendes seront payées par les contribuables ou encore le problème de la représentation de la personne morale dans le cadre d une procédure judiciaire. 23 I. BON-GARCIN et Y. REINHARD : «Les dirigeants de fait doivent-ils être assimilés aux dirigeants de droit?» La semaine juridique édition entreprise et Affaires n 8, 22 Février 1996, II 788. 8

l éventuelle responsabilité de son dirigeant 25. Cette responsabilité des organes de direction de la société existera durant toutes les étapes de la vie de la société. Elle commencera avec la constitution de la société et s étendra sur l ensemble de son activité jusqu'à la liquidation et dans certains cas au-delà même de celle-ci. La responsabilité du dirigeant pourra être civile à l égard des associés et des tiers de la société, mais aussi pénale, fiscale et sociale. A la constitution de l entreprise, les créateurs sont responsables de toutes les erreurs, fautes ou omissions 26. A cet égard, les créateurs engagent leurs responsabilités dès la signature des statuts. Rappelons que le contrat de société matérialisant leur engagement doit être valable et non affecté d un vice 27, enfin l objet et la cause du contrat doivent exister, être possible et non contraire à l ordre public et aux bonnes moeurs 28. La «viabilité juridique» de la société repose avant tout sur le droit des contrats. En phase de croissance, après la constitution, c est la propre responsabilité de l organe qui intervient : les organes de la société sont alors responsables à l égard de cette dernière, à l égard des détenteurs de parts et des créanciers pour tous les dommages provenant des violations de leurs obligations. Ainsi, pour notre droit, l entreprise est engagée pour toutes les décisions prises par son dirigeant, ou son représentant légal. En principe le dirigeant a tous pouvoirs pour diriger la société. Ce «potentat» 29 est cependant limité par le respect de l'intérêt social et de l'objet social, du pouvoir 24 Article 1384 al 4 du Code Civil voir supra n 6. 25 Article L225-251 du Code de Commerce : «Les administrateurs et le directeur général sont responsables individuellement ou solidairement selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés anonymes, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion. Si plusieurs administrateurs ou plusieurs administrateurs et le directeur général ont coopéré aux mêmes faits, le tribunal détermine la part contributive de chacun dans la réparation du dommage» 26 Les fondateurs seront responsables des indications trompeuses sur les apports réalisés, sur les conditions d inscription au registre du commerce, sur les répartitions des parts dans les statuts : Article 1840 du Code Civil : «les fondateurs ainsi que les premiers membres des organes de gestion, de direction d'administration, sont solidairement responsables du préjudice causé soit par le défaut de mentions obligatoires dans les statuts, soit par l'omission ou l'accomplissement irrégulier d'une formalité prescrite pour la constitution de la société.» 27 On parle donc ici des traditionnels vices du consentement : erreur, dol, violence. 28 Pour reprendre l expression consacrée voir l article 1833 du Code civil : «Toute société doit avoir un objet licite et être constitué d'un intérêt commun des associés.». 29 Du latin «potens» : puissance. 9

expressément attribué par la loi aux autres organes, et des dispositions légales et statutaires restreignant les pouvoirs du dirigeant. Sur le plan interne, le dirigeant engage ainsi sa responsabilité à l égard des associés ou des actionnaires en cas de dépassement de ses pouvoirs. Sur le plan externe, la loi réalise un équilibre entre deux intérêts celui des associés et celui des tiers. 30 Les pouvoirs du dirigeant étant très étendus, certaines tâches pourront bien entendu être déléguées. Ceci vaut en particulier pour la direction opérationnelle qui dans les grandes structures est déléguée à des cadres techniques. Avec la délégation, l'organe de direction cède la responsabilité opérationnelle des fonctions confiées. En d'autres termes, l'organe de direction (conseil d'administration, président-directeur général, directeur général...) doit faire preuve de diligence dans le choix de ses délégataires, dans ses directives ainsi que dans sa surveillance, car le délégataire engage sa responsabilité. Il n'en demeure pas moins qu à l égard des tiers, seule l'entreprise est engagée sauf les cas de faute détachable des fonctions. La responsabilité des dirigeants peut être civile, pénale, fiscale. D un point de vue civil, elle peut être contractuelle ou délictuelle 31 mais, la responsabilité des dirigeants n appartient distinctement ni à l une ni à l autre des catégories dans la mesure où, l action en responsabilité sera contractuelle si elle vise à réparer un préjudice de la société à l inverse, elle sera délictuelle si elle vise à réparer un préjudice personnel d un associé. 30 Dans les sociétés où il faut davantage protéger les tiers (ex dans les sociétés de capitaux où le risque est limité aux apports -SARL, SA, -), la société est engagée même par les actes du dirigeant qui dépasse ses pouvoirs. En cas de dépassement de l'objet social pas ce dernier, et à condition que le cocontractant soit de mauvaise foi, parce qu'il connaissait, compte tenu des circonstances ce dépassement ; l'entreprise n'est pas engagée. Dans les sociétés où il faut davantage protéger des associés (dans les sociétés de personnes où le risque est illimité avec ou sans solidarité selon la nature de la société) la société est engagée même par les actes du dirigeant qui dépassent ses pouvoirs, sauf en cas de dépassement de l'objet social. Un acte dépassant l'objet social n est donc pas opposable à une société de personnes c est au cocontractant de se renseigner. 31 Dans le cadre du régime de la responsabilité civile, on distingue la responsabilité contractuelle qui est l obligation de réparer le préjudice causé à son cocontractant du fait de l inexécution d une convention, de la responsabilité délictuelle qui se traduit pas l obligation de réparer les conséquences dommageables d un comportement (acte ou abstention ayant causé un préjudice). 10

Les dirigeants sociaux doivent donc répondre des manquements aux dispositions légales et réglementaires applicables aux sociétés 32, aux dispositions des statuts 33, à l'obligation de loyauté qui pèse sur eux 34, et enfin des fautes qu'ils ont pu commettre dans la gestion 35. S agissant des préjudices, deux catégories peuvent apparaître : - un préjudice subi par entreprise elle-même (préjudice social) - un préjudice subi par un ou plusieurs associés à titre personnel (préjudice individuel) 36. Lorsque la société subit un préjudice, l'action en réparation est en principe intentée par son dirigeant au nom de la société et pour le compte de cette dernière. Cependant dans l'hypothèse où le fautif est le dirigeant lui-même il apparaît difficile d'envisager la mise en oeuvre d'une action de ce type. Ainsi la doctrine, la jurisprudence et enfin la loi ont admis la possibilité que les associés exercent eux-mêmes individuellement l'action sociale appelée action ut singuli 37, qui concerne toutes les sociétés (sauf G.I.E. et les associations), elle a pour but de reconstituer le patrimoine social, la réparation sera versée directement à la société. S agissant de la réparation du préjudice individuel de l associé, celui-ci doit être distinct de celui subi par la société, c'est par exemple le cas de détournement par le représentant légal des dividendes revenant à un associé qui agira directement en réparation du préjudice. Le dirigeant n'est personnellement responsable à l'égard des tiers qu en cas de faute personnelle détachable de ses fonctions. Dans les autres cas, les tiers n ont d action que contre la société. La notion de faute personnelle détachable des fonctions est délicate à cerner tant les applications jurisprudentielles sont diverses. 32 La responsabilité des dirigeants fait l objet des dispositions de articles 1843-5 du Code Civil, L223-22 et L223-24 du Code de commerce pour les S.A.R.L., L225-249 à L225-254 pour les sociétés par actions. 33 Par exemple une clause limitative des pouvoirs. 34 Obligation d'origine jurisprudentielle qui connaît actuellement un important développement, et que l'on retrouve dans d'autres branches de droit et notamment en droit du travail. 35 Actes contraires à l intérêt social et qu'un dirigeant normalement compétent n'aurait pas pu commettre. 36 Il doit bien entendu exister un lien direct entre la nature du préjudice et la nature de l'action en responsabilité : à un préjudice social correspond d'action sociale, à un préjudice individuel une action individuelle. 37 Article 1343-5 du Code civil : «Outre l'action en réparation du préjudice subi personnellement, un ou plusieurs associés peuvent intenter une action sociale en responsabilité contre les gérants. Les demandeurs sont habilités à poursuivre la réparation du préjudice subi par la société ; en cas de condamnation, les dommages intérêts sont alloués à la société...». 11

Pour la Cour de Cassation le dépassement de pouvoir ne suffit pas à caractériser une telle faute. En revanche une infraction pénale commise par le dirigeant, mais dans l'exercice de ses fonctions, semble devoir être considéré comme une faute détachable. La cour de cassation a récemment donné une définition de la faute détachable : il s'agit d'une faute d'une particulière gravité incompatible avec l'exercice normal des fonctions sociales, que le dirigeant commet intentionnellement 38. Les dirigeants sociaux peuvent aussi engager leur responsabilité au plan pénal fiscal et social. Les organes de direction, les dirigeants, les représentants légaux peuvent engager leur responsabilité pénale sur deux fronts. - D'une part pour les infractions dont ils doivent répondre en qualité de chefs d'entreprises lorsqu ils sont déclarés responsables d infractions commises par des préposés et qui se rattachent au fonctionnement de l entreprise. Il s agit ici de la responsabilité pénale dite «chef d entreprise» qui est souvent mise en cause. Elle pourra être recherchée en cas de violation de la réglementation applicable à raison de l activité de l entreprise (industries alimentaires, chimiques, pétrolières, transport ) ou d infractions à la réglementation générale (droit du travail, environnement, propriété intellectuelle ). La responsabilité pénale du chef d entreprise peut aussi relever du délit d imprudence, de négligence ou de mise en danger délibérée de la vie d autrui 39. - D'autre part pour des infractions qu'il commettrait personnellement dans le cadre de l'activité sociétaire. Il peut s'agir selon le cas, la fraction de droit commun visant des atteintes aux biens (escroquerie, abus de confiance, faux et usage de faux...) ou 38 Cassation Com. 20 mai 2003, Seusse c/ Sati pourvoi n 99-17092 : «Mais attendu que la responsabilité personnelle d'un dirigeant à l'égard des tiers ne peut être retenue que s'il a commis une faute séparable de ses fonctions; qu'il en est ainsi lorsque le dirigeant commet intentionnellement une faute d'une particulière gravité incompatible avec l'exercice normal des fonctions sociales». 39 Il apparaît donc qu en matière pénale le risque de mise en œuvre de la responsabilité du dirigeant est étendue mais, ces derniers peuvent s'exonérer de leur éventuelle responsabilité pénale dès lors qu ils n ont pas pris part personnellement à la commission de l infraction et dès lors qu ils ont accordé une délégation de pouvoir à une 12

d'infractions spécifiques définit par le droit des sociétés et plus généralement par le droit pénal des affaires, économique ou financier. Il s agit par exemple de présentation de bilans inexacts 40, entrave à la mission des commissaires aux comptes 41... et bien entendus le délit d'abus de biens sociaux 42, délits boursiers, fraude fiscale, corruption, fausses factures, publicité fausse ou de nature à induire en erreur. Enfin responsabilité pénale des dirigeants personnes physiques n'exclut pas celle des personnes morales auteurs ou complices des mêmes faits 43. Tous les dirigeants de droit ou de fait, peuvent engager leur responsabilité fiscale lorsqu ils se sont rendus coupables de manœuvres frauduleuses, ou d inobservations graves et répétées des obligations fiscales 44. Cette responsabilité est subsidiaire et ne joue que si les fautes des dirigeants rendent le recouvrement des impôts impossible en cas d insolvabilité de la société. Il apparaît que les manquements (fautes) d une certaine gravité doivent être imputables au dirigeant et, avoir rendu impossible le recouvrement de l impôt (préjudice) et, il appartient au juge d établir le lien de causalité entre les manquements et le préjudice subi à savoir l impossibilité de recouvrement de l impôt. Ainsi, les dirigeants peuvent être condamnés sur leurs deniers propres aux dettes fiscales dont ils ont négligé le règlement et, peu importe qu ils soient personne «ayant les compétences, l'autorité et les moyens nécessaires» pour exercer effectivement les pouvoirs qui lui ont été délégués. 40 Articles L425-3 et L437-2 du Code de Commerce. 41 Article L820-4 du Code de Commerce. 42 En principe de ce délit ne concernent que les dirigeants de société a risques limités (Code de Commerce article L241-3 et L241-5) s'agissant des dirigeants de société a risques illimités, ils pourront être poursuivi d'une manière similaire sur le fondement du délit d'abus de confiance (Code Pénal article 314-1). Le délit consiste pour les dirigeants concernés à avoir fait de mauvaise foi, des biens ou du crédit de la société, un usage qu'ils savaient contraire à l'intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement. Ce délit se prescrit par trois ans à compter du jour où il est apparu et a pu être constaté. Depuis un revirement récent de la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation (13 décembre 2000) le droit de se constituer partie civile précédemment refusée aux salariés et aux créanciers est également désormais refusé aux associés, au motif que l'abus de biens sociaux ne qu un préjudice social, et que seule une action sociale ne pourrait être mise en oeuvre par les associés (action ut singuli). 43 Code pénal article L121-2 alinéa 3 modifiés par la loi nº 2004-204 du 9 mars 2004 article 54 : J.O. du 10 mars 2004. 44 Livre des Procédures Fiscale articles L266 et L267. 13

responsables de plein droit ou parce qu ils exercent des fonctions de direction, les dirigeants doivent veiller à la bonne exécution des obligations fiscales de la société 45. Enfin, à la liquidation de la société les dirigeants peuvent être amenés à contribuer au passif social. C est à la liquidation de la société, que le risque de mise en œuvre de la responsabilité du dirigeant doit normalement disparaître. Cela n est pas aussi simple car c est peut être à cette occasion que la rigueur du droit va s exprimer de manière implacable. C est à cette occasion que sera parfois mis en œuvre l action en comblement de passif visé aux articles L624-3 et suivants du Code de Commerce consistant à faire supporter le passif social aux dirigeants sociaux, dès lors que le redressement ou la liquidation de la société font apparaître une insuffisance d actifs qui ne pourra cependant être mise à la charge du dirigeant que s il est démontré au préalable l existence d une faute de gestion ayant contribué à sa création. En l absence de définition légale de la faute de gestion, c est au vu de la jurisprudence que toutes les fautes de gestion pourront être retenues même les plus minimes comme la négligence ou le défaut de surveillance. Les cas de mise en cause de la responsabilité personnelle des managers sont, comme nous venons de le voir multiples et variés et, si la plupart des dirigeants ont le sentiment légitime de gérer leur entreprise au mieux des intérêts de tous, ils savent aussi qu à tout instant ils devront prendre des décisions et opérer des arbitrages graves de conséquences tant pour l entreprise que pour euxmêmes. Sans vouloir donner ici de conseil sur la gestion des entreprises en général, il convient d attirer l attention des dirigeants sur la nécessité d être conscient de l étendue des devoirs qui leur échoient, d autant qu un certain nombre d outils sont à leur disposition afin de limiter les risques de mise en cause de leur responsabilité. -B- Comment le manager peut-il se prémunir contre les risques? une tentative de réponse. 45 Exemple : Cass. Com. 27 Février 1996 n 94-16.021 inédit «les manquements de la société à ses obligations fiscales étaient, pour partie, consécutifs au mauvais fonctionnement du service de la comptabilité, ce dont il résultait qu'ils étaient imputables à M. Cheron à qui il appartenait d'organiser et de surveiller ce service de l'entreprise qu'il dirigeait pour qu'il soit en mesure de remplir effectivement ses missions, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;» 14

La diversité et l étendue des risques de responsabilité possible, force les organes de direction et de surveillance à s organiser face à ces risques. Il est possible de dégager différents grands axes de recherches en garantie. - La garantie contre les risques du droit des sociétés : la Corporate Governance 46 Dans le cadre de l organisation de la direction, l organe exécutif garantit ses obligations de direction et de surveillance et, se protège ainsi contre les risques éventuels de responsabilisation. L organe exécutif doit donc créer dans l entreprise des structures d organisation claire avec des compétences définies avec précision. Un système de management, éventuellement selon les normes de certification ISO, est ici envisageable afin de réduire également le risque de responsabilités aux niveaux des directions inférieures. L organisation de la direction implique nécessairement une séparation de la direction opérationnelle et de la surveillance 47 avec un effort particulier concernant le suivi de la comptabilité. Il est aussi souhaitable d envisager des mesures individuelles pour se libérer de la responsabilité en externalisant les questions techniques nécessitant des compétences spécifiques, en faisant appel à des spécialistes des domaines concernés. - Protection contre la responsabilité pénale : Les Compliance Management 46 Corporate Governance voir supra n 3. Notion qui apparaît avec la publication en 1992 au Royaume-Uni du rapport Cadbury intitulé «Report of the committee on The Financial Aspects of Corporate Governance» 1 Décembre 1992, ayant inspiré de nombreux pays dont la France, avec notamment les rapports «Viénot I» (1995), «Viénot II» (1999) et «Bouton» (2002) qui ont à leur tour inspiré la Loi NRE du 15 Mai 2001, LOI no 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques, J.O n 113 du 16 mai 2001 page 7776 et la Loi du 1 Août 2003 relative à la sécurité financière voir n 47 47 Ce que le législateur français à tenter d opérer avec la loi NRE (Nouvelles Régulations Economiques) du 15 mai 2001 afin d assurer une plus grande transparence et une meilleure répartition au sein des sociétés anonymes par exemple et avec la loi dite «DUTREIL» du 1 Août 2003 relative à la sécurité financière. Loi n 2003-721 du 1er août 2003 pour l'initiative économique, J.O n 179 du 5 août 2003 page 13449. 15

Une mesure efficace pour assurer l observation des prescriptions de droit et pour empêcher ou rendre plus difficile la réalisation d infractions pénales de la part des collaborateurs, est apportée par les programmes de Compliance management 48 destinés à définir un code de conduite ou des règles déontologiques ou de comportement à adopter dans l entreprise afin de prévenir d une part les risques de responsabilisation et d autre part d en limiter l impact éventuel. Bien entendu, ces programmes doivent contenir à côté de la codification des normes de comportement 49, de l information et de la formation des collaborateurs. 50 Si la prévention est indispensable, le recours à l assurance reste recommandé. - L assurance responsabilité civile des dirigeants d entreprise 51. Est-il possible de s assurer contre le risque juridique des managers? Il existe dans notre droit différents types de contrat d assurance susceptibles de répondre aux attentes du dirigeant de l entreprise. Si en effet, différentes solutions peuvent être trouvées dans le droit des assurances, aucune ne répondra de manière globale à toutes les sources de responsabilisation dans l entreprise. Aujourd hui, l entrepreneur pourra assurer son entreprise pour divers types de risques comme par exemple : l assurance contre le risque de mise en oeuvre de la responsabilité pour faute inexcusable (accident du travail), contre le risque de mise en oeuvre de la responsabilité du fait des produits défectueux, assurance contre le risque de pollution liée à l exploitation. Si d une part les prétentions du droit civil contre l entreprise visant à l indemnisation de dommages matériels et dommages aux personnes sont assurables par les assurances de responsabilité civile professionnelle de l entreprise, et que d autre part le risque matériel peut 48 Littéralement : politique de gestion de conformité. 49 Les «codes of conduct» ou charte déontologiques. 50 On notera a cet égard le fort développement des formations externes destinées à prévenir le risque pénal dans l entreprise et, «l arrivée» croissante dans les directions juridiques des grandes entreprises Françaises d anciens magistrats du siège ou du parquet financier. 51 L assurance responsabilité civile des dirigeants mandataires sociaux est aussi parfois désignée sous l'appellation d'assurance D&O (Directors and Officers Liability). 16

être couvert par une assurance de chose, il est aussi possible de souscrire 52 d assurance responsabilité civile spéciale pour les dirigeants. des polices Jusqu au début des années 70, puis sous l impulsion des assureurs anglo-saxons dans les années 80, les contrats d assurance de responsabilité civile des dirigeants se sont développés dans notre droit. Considérés comme illégaux par certains commentateurs de l époque parce que le législateur faisait peser sur les dirigeants une responsabilité d ordre public (ad nutum), «l assurabilité» du risque était impossible. Rapidement balayé, les réticences d antan ne sont plus d actualité et aujourd hui il existe différentes compagnies qui proposent ce type de garanties. Ce contrat va avoir pour objet de garantir les conséquences pécuniaires de tous les cas de mise en œuvre de la responsabilité civile que les personnes physiques assurées pourraient encourir (responsabilité découlant de toute erreur, omission, violation de la loi ou des statuts ou encore de la faute de gestion 53 commise dans l'exercice de leur fonction de dirigeant.) Bien entendu, ces contrats font l objet d un certain nombre d exclusions qui diffèrent selon les compagnies mais un certain nombre d entre-elles demeurent. Il s agit des exclusions pour faute intentionnelle 54, paiement des impôts, amendes et taxes, conflits entre assurés du même contrat, et exclusion de toutes les responsabilités qui peuvent être et sont garanties classiquement dans le cadre d'autres polices d'assurance souscrites par la personne morale (incendie, pertes d'exploitation, responsabilité civile d'entreprise, fraude, etc.). Enfin certaines compagnies excluent de leurs garanties, la réclamation de la société à l égard du dirigeant mais cela tend à disparaître dans la mesure où dans certaines législations c est le seul mode de réclamation et que seule l action sociale 55 est reconnue. 52 Chez certains assureurs seulement. 53 La faute de gestion n étant pas spécifiquement définie en droit français, l étendue de la garantie reste très large voir supra 54 Dans le sens du droit des assurances qui implique pratiquement la volonté consciente de causer un dommage à l'entreprise 55 Voir infra 17

Conclusion : Les cadres dirigeants et en particulier les organes de direction des sociétés sont exposés à de nombreux risques de mise en œuvre de leur responsabilité personnelle qui «se distille» principalement et avant toute chose par celle de la personne morale ou de l entreprise qu il administre. Le risque de voir sa responsabilité engagée dans l exercice de ses fonctions de direction est vaste et varié. Les dirigeants pourront être amenés à réparer un préjudice personnel des associés (préjudice individuel) ou un préjudice collectif (action sociale) ou enfin réparer le préjudice des tiers (faute détachable des fonctions) et imaginer que l on puisse échapper à tout, ou tout prévoir est totalement illusoire et dangereux. D un autre coté, il est impossible d envisager de restreindre son action pour limiter les risques. Le manager n a donc aucun intérêt à ignorer ces problèmes. Même si la plupart du temps, les dirigeants ont le sentiment d oeuvrer correctement dans l intérêt de l entreprise qu ils dirigent et de ses actionnaires, l évolution de la législation, l inflation textuelle et, la systématisation de la mise en cause de la responsabilité de l entreprise ou de son dirigeant sur le modèle anglo-saxon, rappellent parfois avec force et vigueur que nul n est cessé ignoré la loi. Une fois sensibilisé à l étendue et à la complexité du problème, le manager soucieux d une bonne protection contre les mises en cause de sa responsabilité personnelle considérera en d autres termes les mesures de prévention (Corporate governance /Compliance Management) à mettre en œuvre et, les mécanismes d assurance envisageables. Même si certaines de ces mesures restent coûteuses, elles permettent cependant aux dirigeants de se libérer d un poids et d exercer plus sereinement leurs fonctions de direction mais elles n empêcheront jamais pour ces derniers la prise en charge d éventuelles condamnations pénales. 18

Le Risque juridique des managers, quelles responsabilités? BIBLIOGRAPHIE Manuels: CONSTANTIN A., Mementos Droit des Sociétés, Dalloz, édition 2004. CONTE P., Le risque pénal dans l entreprise : question d actualité : actes de la journée d études des éditions du juris-classeur, Litec, 2003. PLANQUE J-Cl. La détermination de la personne morale pénalement responsable, L'Harmattan, Coll. Logiques Juridiques, 2003, n 484, p. 329 BERNARDINI R., Personnes Morales, Répertoire Pénal Dalloz, 2001. MARCHANDISE P., Le droit des affaires en évolutions 12 journée du juriste d entreprise 28/11/2001, Bruylant Antwerpen, Kluwer, 2001. ACQUAVIVA J., Le risque pénal dans l entreprise, Nouvelles éditions fiduciaires, 1996 GUYON Y. et DELMAS-MARTY M. La responsabilité pénale des personnes morales, éd. Dalloz 1993 OUVRAGE COLLECTIF, Lexique des termes juridiques, Dalloz, 8 édition. Articles : BON-GARCIN I. et REINHARD Y.: «Les dirigeants de fait doivent-ils être assimilés aux dirigeants de droit?» La semaine juridique édition entreprise et Affaires n 8, 22 Février 1996, II 788. MEJIAS DE HARO A., FERRE N.: «La responsabilité du chef d entreprise» Liaisons sociales ; hors série C. PLANQUE, Elargissement jurisprudentiel du domaine d'application de la responsabilité pénale des personnes morales notes sous Cass. crim. 5 février 2003, Dalloz 2003 J 2855 JORDA J., La responsabilité pénale des personnes morales de droit public à la lumière de la jurisprudence,,la Gazette du Palais, n 42, 11/02/2001, p.4-32 STOLOWY N., La protection des personnes morales contre le risque pénal, Dalloz Affaires 1998, n 99, p.9 MOULOUNGUI C., La nature de la responsabilité pénale des personnes morales en France, RD pén. crim. 1995 p. 143 BOULOC B. La responsabilité pénale des entreprises, Rev. int. dr. comp. 1995 p. 669. 19