Justice étatique et justice arbitrale dans l Acte uniforme relatif au Droit de l Arbitrage : vers une nécessaire complémentarité

Documents pareils
BELGIQUE. Mise à jour de la contribution de novembre 2005

LA DÉCISION D'URGENCE PROPOS INTRODUCTIFS

Décrets, arrêtés, circulaires

PROTECTION DES DROITS DU TRADUCTEUR ET DE L INTERPRETE

Le stationnement irrégulier de véhicules appartenant à la communauté des gens du voyage.

Quel cadre juridique pour les mesures d investigation informatique?

Principes directeurs régissant le règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine

PROTOCOLE. Entre le Barreau de Paris, le Tribunal de Commerce et le Greffe. Le Barreau de Paris, représenté par son Bâtonnier en exercice,

REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA RECONNAISSANCE DES PROCÉDURES COLLECTIVES OUVERTES DANS LES ÉTATS MEMBRES DANS LE RÈGLEMENT 1346/2000

NOTE DES AUTORITES FRANÇAISES

Règlement relatif aux sanctions et à la procédure de sanction

Loi type de la CNUDCI sur l arbitrage commercial international

DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE Division d appel Décision d appel

LEGAL FLASH I BUREAU DE PARIS

Organisme d arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment : Centre canadien d arbitrage commercial (CCAC)

CHAMBRE DE COMMERCE INTERNATIONALE MAROC REGLEMENT D ARBITRAGE DE LA COUR MAROCAINE D ARBITRAGE

FICHE N 8 - LES ACTIONS EN RECOUVREMENT DES CHARGES DE COPROPRIETE

Règlement des prêts (Adopté par le Conseil d administration par la Résolution 1562, le 14 novembre 2013)

ARBITRAGE DE GRIEF EN VERTU DU CODE DU TRAVAIL DU QUÉBEC (L.R.Q., c. C-27) CENTRE HOSPITALIER LE GARDEUR

Chapitre 1 Droit judiciaire

L an deux mil quatorze Et le dix-huit mars

REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Conférence des Cours constitutionnelles européennes XIIème Congrès

Une saisie européenne des avoirs bancaires Éléments de procédure

CONVENTION ENTRE LA REPUBLIQUE FRANCAISE ET LE ROYAUME DU MAROC RELATIVE AU STATUT DES PERSONNES ET DE LA FAMILLE ET A LA COOPERATION JUDICIAIRE

Conclusions de Madame l'avocat général Béatrice De Beaupuis

Textes abrogés : Notes de l administration pénitentiaire du 15 juillet 2002 et 29 mars 2004 Circulaire AP9206GA3 du 26 novembre 1992

L an deux mil quatorze ; Et le vingt-trois Juin ;

CHARTE BNP Paribas Personal Finance DU TRAITEMENT AMIABLE DES RECLAMATIONS

LE REGLEMENT D'ARBITRAGE DE LA COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D'ARBITRAGE OHADA (Organisation pour l'harmonisation en Afrique du Droit des Affaires)

CONSIDÉRATIONS SUR LA MISE EN ŒUVRE DES DÉCISIONS DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE

NOTICE D INFORMATION

LA REFORME DES PRESCRIPTIONS CIVILES

LOI N DU 7 MARS 1961 déterminant la nationalité sénégalaise, modifiée

Les dispositions à prendre lors de la prise de fonction du tuteur

AUDIENCE PUBLIQUE ORDINAIRE DU 27 MARS 2015

Gwendoline Aubourg Les droits du locataire

Siréas asbl Service International de Recherche, d Education et d Action Sociale

La rupture du contrat de distribution international

Loi du 26 juillet 2013 relative à l arrêté d admission en qualité de pupille de l Etat. Note d information

Le tribunal de la famille et de la jeunesse

LEGAL FLASH I BUREAU DE PARIS

Société PACIFICA / SociétéNationale des Chemins de fer Français. Conclusions du Commissaire du Gouvernement.

L an deux mil quatorze Et le quatorze août

VERONE. Cependant les sûretés sont régies par le Code Civil et le Code de Commerce.

Le rôle du syndic. Introduction

TRIBUNAL D INSTANCE D AMIENS. Les dispositions à prendre lors de la prise de fonction du tuteur

Règle 63 DIVORCE ET DROIT DE LA FAMILLE

Service pénal Fiche contrevenant

Comment s exerce l autorisation parentale de sortie de l enfant du territoire national ou l opposition à cette sortie?

Décrets, arrêtés, circulaires

SORTIE D INDIVISION ET ACCESSION A LA PROPRIETE FONCIERE

I. OUVERTURE D UNE PROCEDURE COLLECTIVE SUR ASSIGNATION DU CREANCIER

ECOLE NATIONALE DE LA MAGISTRATURE FICHES DE PROCEDURE

Extension de garantie Protection juridique

CONVENTION PORTANT CREATION D UNE COMMISSION BANCAIRE DE L AFRIQUE CENTRALE

LEGAL FLASH I BUREAU DE PARÍS

Titre I Des fautes de Gestion

1. La rupture unilatérale La rupture de commun accord 14

Cour de cassation de Belgique

REGLEMENT INTERIEUR TITRE I : DISPOSITIONS GENERALES

CONTRAT COLLECTIF D ASSURANCE DE PROTECTION JURIDIQUE

Responsabilité pénale de l association

L'an deux mil quatorze Et le vingt un octobre

Loi n du 7 juillet 1993 relative à la participation des organismes financiers à la lutte contre le blanchiment de capitaux

Divorce et Séparation!

Convention de cotraitance pour groupement solidaire

ORDINE DEGLI AVVOCATI D IVREA

Introduction au droit La responsabilité professionnelle

Convention. Assurance Protection Juridique de Generali Belgium SA

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE BOBIGNY -=-=-=-=-=-=-=-=-=-=- Chambre 1/Section 5 N/ du dossier : 13/ Le quatre février deux mil treize,

FOCUS: CONFLITS ENTRE MEDECINS : CONCILIATION OU ARBITRAGE?

Consultation publique PARL OMPI EXPERTS PRESENTATION ET ETAT D AVANCEMENT DU PROJET PARL OMPI EXPERTS

S T A T U T S. 2.2 L Association ne poursuit aucun but lucratif et n exerce aucune activité commerciale.

Décision du Défenseur des droits MDE-MSP

RAPPORT DE STAGE ET RÉSUMÉ

M. Mazars (conseiller doyen faisant fonction de président), président

Grands principes du droit du divorce

Docteur François KOMOIN, Président du Tribunal ;

Article 6. Absence de convention apparente de mini-trial

Nouvelle réforme du droit des entreprises en difficulté. 1 er juillet 2014

COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES LIVRE VERT

Charges de copropriété impayées

BULLETIN OFFICIEL DU MINISTÈRE DE LA JUSTICE

Conférence MENA OCDE Sur le financement des entreprises Sur le thème : A Casablanca le 22 février 2011

Les Règlements de la Cour Européenne d Arbitrage

Table des matières TABLE DES MATIÈRES. Introduction L historique Les lois fédérales... 9

TD 1 Marque vs Nom de Domaine

CONSEIL D'ETAT statuant au contentieux N RÉPUBLIQUE FRANÇAISE. UNION NATIONALE DES ASSOCIATIONS DE SANTÉ A DOMICILE et autre

LA COUR DE JUSTICE DE LA C.E.M.A.C.

Numéro du rôle : Arrêt n 121/2002 du 3 juillet 2002 A R R E T

LOI N du 14 janvier (JO n 2966 du , p.3450) CHAPITRE PREMIER DE LA PREVENTION DES INFRACTIONS

La situation du fonctionnaire ou agent en poste en Belgique au regard du droit belge

OHADA Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d exécution

AUTORISATION PARENTALE RAPPELS JURIDIQUES

Code civil local art. 21 à 79

CONVENTION ET REGLEMENTS DU CIRDI

Transcription:

Ohadata D-08-83 Justice étatique et justice arbitrale dans l Acte uniforme relatif au Droit de l Arbitrage : vers une nécessaire complémentarité Par Roger SOCKENG Magistrat, Enseignant associé Revue Camerounaise de l Arbitrage n 7 Octobre - Novembre - Décembre 1999, p. 10. Une opinion assez répandue, mal informée ou aprioriste, a tendance à faire croire au profane, que la justice étatique et la justice arbitrale sont antinomiques. En réalité, il est souvent rare de partir du compromis ou de la clause compromissoire à la sentence arbitrale, en passant par l instance arbitrale, sans solliciter l intervention du juge étatique. La justice relève dans chaque Etat, du domaine de la souveraineté ; même libre ou libéré, l arbitrage a besoin de l appui du juge étatique. Sans s immiscer dans la gestion de la justice arbitrale, le juge étatique contribue davantage à donner un sens à la mission juridictionnelle de l arbitre, ce dernier remplissant au plan matériel et formel 1, les mêmes missions que le juge. - Au plan matériel, la sentence rendue par l arbitre est un acte juridictionnel comme un jugement ; elle tranche une situation contentieuse et dit le droit. - Au plan formel, c est également un acte juridictionnel, puisque les arbitres se soumettent à certaines règles de procédure, tel le principe du contradictoire. - Toutefois, au plan organique, la sentence n est pas un acte juridictionnel au même titre qu une décision du juge étatique, car les arbitres ne sont pas des juges publics ; c est pourquoi, pour avoir la force exécutoire, la sentence arbitrale doit être exequaturée. Le législateur OHADA a sans doute perçu la nécessité de la complémentarité des deux formes de justice : c est la raison pour laquelle l Acte uniforme relatif au droit de l arbitrage dans le cadre du Traité OHADA, clarifie le rôle du juge étatique en la matière ; celui-ci peut intervenir au moment de la désignation des arbitres (I), au cours de l instance arbitrale (II) et au moment de l exécution de la sentence arbitrale (III). I.- LE ROLE DU JUGE ETATIQUE DANS LA DESIGNATION DES ARBITRES 2 D après l Art. 5 de l Acte uniforme relatif au droit de l arbitrage, les arbitres sont nommés, révoqués ou remplacés conformément à la convention des parties ; à défaut d une telle convention d arbitrage, ou si la convention est insuffisante, le juge étatique peut contribuer à 1 SOCKENG, R. : Les Institutions judiciaires au Cameroun, p. 74. 2 JARROSSON, C. : Arbitrage commercial, Jurisclasseur 1992 I n 507.

une saine composition du tribunal arbitral (A) ; tout comme il peut être amené à le faire parfois en cas de récusation du juge (B). A. L INTERVENTION DU JUGE ETATIQUE LORS DE LA DESIGNATION DES ARBITRES 3 En cas d arbitrage par trois arbitres, chaque partie nomme un arbitre, et les deux arbitres ainsi nommés choisissent le troisième arbitre ; si une des parties ne désigne pas un arbitre dans les 30 jours à compter de la réception d une demande à cette fin émanant de l autre partie, la nomination est effectuée sur la demande d une partie, par le juge compétent dans l Etat Partie ; ce juge compétent devrait être au Cameroun, le Président du Tribunal de Première Instance du lieu de l arbitrage. De même, si les deux arbitres régulièrement désignés ne s accordent pas sur la désignation du troisième, dans un délai de 30 jours à compter de leur désignation, le juge étatique est également obligé d intervenir, sur la demande d une partie. En revanche, en cas d arbitrage par un arbitre unique, si les parties à la convention d arbitrage ne peuvent pas s entendre, le moment venu, sur sa désignation, le juge étatique, à la demande d une partie, doit le nommer. Il apparaît que le juge étatique doit intervenir chaque fois qu un conflit naît dans la désignation d un ou des arbitres par les parties à la convention d arbitrage 4. Il peut arriver que des difficultés surviennent postérieurement à la constitution d un tribunal arbitral. Ici encore, l intervention du juge étatique peut se révéler utile. B. LES DIFFICULTES POSTERIEURES A LA CONSTITUTION DU TRIBUNAL ARBITRAL L arbitre est un juge choisi 5. Ce choix est une marque de confiance des parties, ou tout au moins de celle qui le désigne ; une fois l arbitre choisi, des circonstances faisant douter de son intégrité ou de son indépendance peuvent conduire une partie à décider que cet arbitre ne puisse pas juger l affaire ; tout comme l arbitre peut lui-même demander à se retirer du collège arbitral : on parle de récusation. Il peut arriver que l on désigne normalement un arbitre et réalise qu il ne dispose pas des capacités professionnelles suffisantes pour mener à bien sa mission ; ou encore, l arbitre peut, sans donner des justifications, présenter sa démission. Parfois encore, l arbitre est surpris par la mort dans l exercice de ses fonctions. Dans tous les cas sus évoqués, l article 8 de l Acte uniforme relatif au droit de l arbitrage donne compétence au juge étatique pour remplacer le ou les arbitres récusés, démissionnaires ou décédés. D après l article 12 de l Acte uniforme, si la convention d arbitrage ne fixe pas de délai, la mission des arbitres ne peut excéder 6 mois à compter du jour où le dernier d entre eux l a acceptée. Le délai légal ou conventionnel peut être prorogé, soit par accord des parties, soit à la demande de l une d elles ou du tribunal arbitral, par le juge compétent dans l Etat Partie. 3 SOCKENG, R. : Les effets de la convention d arbitrage en droit camerounais, R.C.A. n 4-p. 10. 4 SOCKENG, R. idem ; KENFACK DOUAJNI, G. et IMHOOS, C. : L Acte uniforme relatif au droit de l arbitrage dans le cadre du Traité OHADA, cette même revue, n 5 p. 3 et suivants. 5 JARROSSON, C. : Arbitrage commercial, Jurisclasseur, 1992 I n 507 ; KENFACK DOUAJNI, G. : L incidence du système OHADA sur le droit camerounais de l arbitrage, cette revue n 1 page 3 et suivants.

Ainsi, même lorsque l instance arbitrale est ouverte, le juge étatique demeure l idoine recours, pour le déroulement normal de l arbitrage. Il en va de même lors de l instance arbitrale. II.- LE ROLE DU JUGE ETATIQUE DANS L INSTANCE ARBITRALE D après l article 13 al. 1 de l Acte uniforme, «lorsqu un litige dont un tribunal arbitral est saisi en vertu d une convention d arbitrage, est porté devant une juridiction étatique, celle-ci doit, si l une des parties en fait la demande, se déclarer incompétente 6». Toutefois, l exclusion du juge étatique en matière d arbitrage n est pas absolue ; il existe des hypothèses légales où son intervention est admise ; il en est ainsi en cas de mesures provisoires ou conservatoires (A), ou en cas de mesures d administration de preuves (B). A. L INTERVENTION DU JUGE ETATIQUE EN CAS DE MESURES PROVISOIRES OU CONSERVATOIRES L article 13 al. 3 de l Acte uniforme, dispose que «toutefois, l existence d une convention d arbitrage ne fait pas obstacle à ce qu à la demande d une partie, une juridiction, en cas d urgence reconnue ou motivée, ou lorsque la mesure devra s exécuter dans un Etat non partie à l OHADA, ordonne des mesures provisoires, dès lors que ces mesures n impliquent pas un examen du litige au fond, pour lequel seul le tribunal arbitral est compétent 7». La juridiction étatique intervient en dépit de la convention d arbitrage, pour ordonner les mesures provisoires ou conservatoires qui ne touchent pas au fond du litige et ne risquent donc pas de faire concurrence à l arbitrage. Le juge compétent en matière de référé au Cameroun est le Président du Tribunal de Première Instance ; l article 182 du Code de Procédure Civile et Commerciale applicable au Cameroun dispose que «dans tous les cas d urgence ou lorsqu il s agira de statuer provisoirement, le juge des référés pourra statuer provisoirement». Et l article 185 du même Code précise que dans une telle hypothèse, il ne doit pas être porté préjudice au principal. Dans une affaire restée célèbre (WANSON c/ SERIC) 8, la Cour d Appel d Abidjan a reconnu sans ambages cette compétence du juge étatique ; et pourtant, dans une cause similaire, le Président du Tribunal de Première Instance de Douala, appelé à ordonner des mesures provisoires, s était déclaré incompétent en s appuyant sur l existence d une convention d arbitrage dans le contrat liant les parties 9. C est désormais un principe indiscutable que l article 13 de l Acte uniforme a posé en son alinéa 3 : à savoir que le juge étatique qui statue en urgence dans l Etat Partie, est compétent pour octroyer des mesures provisoires ou conservatoires, dès lors que celles-ci ne portent pas préjudice au fond du litige, qui demeure de la compétence de l arbitre. Le juge étatique peut également prêter son concours en matière de production des preuves. B. L INTERVENTION DU JUGE ETATIQUE DANS L ADMINISTRATION DES PREUVES 6 Même si le tribunal arbitral n est pas saisi et sauf si la convention est manifestement nulle. Mais, il faut dire que le degré de la nullité manifeste sera difficile à fixer. 7 SOCKENG, R. : Les effets de la convention d arbitrage en droit camerounais, voir cette revue n 4 page 11 ; ANCEL, E. : Mesures conservatoires en matière d arbitrage international, publication CCI n 519 page 116. 8 Affaire WANSON c/ SERiC C.A. d Abidjan, Arrêt n 484 du 15 juillet 1987 ; C.S. Côte d Ivoire, Arrêt n 97-382 du 4 décembre 1997, Affaire TOYOTA Service Afrique c/ PREMOTO S.A. avec note de KENFACK DOUAJNI, G. 9 T.P.I. Douala, Société ALLATION Property Inc. c/ Société SIRPI ALUSTEEL Construction, Société ELF AQUITAINE Ordonnance de référé n 40-P, TPI/DLA du 14/10/1998, rapporté dans cette revue n 4.

Les parties à l instance arbitrale ont en principe la charge d alléguer et de prouver les faits propres à les fonder. Les arbitres peuvent inviter les parties à leur fournir des explications de fait, et à leur présenter, par tout moyen légalement admissible, les preuves qu ils estiment nécessaires à la solution du litige ; les éléments de preuve soumis par les parties doivent être débattus contradictoirement et sont appréciés par le tribunal arbitral. L article 14 de l Acte uniforme prévoit en son article 7, que : «si l aide des autorités judiciaires est nécessaire à l administration de la preuve, le tribunal arbitral peut, d office ou sur requête, requérir le concours du juge compétent dans l Etat Partie». On peut penser ici que le terme «autorité judiciaire» englobe à la fois le Ministère Public et les juges, car nul ne peut contester le pouvoir d investigation du Parquet, lequel pouvoir justifie en droit interne, l existence des causes communicables 10. C est dire que le juge étatique ou le Procureur de la République peuvent apporter leur concours à l administration des preuves devant l instance arbitrale. Il en est de même, lorsqu arrive le moment de l exécution de la sentence arbitrale. III.- LE ROLE DU JUGE ETATIQUE DANS L EXECUTION DES SENTENCES ARBITRALES Au cas où elle n est pas spontanément exécutée, la sentence arbitrale a besoin d être exequaturée par le juge étatique (B), pour être exécutée de force. Par ailleurs, la sentence arbitrale peut être contestée par l exercice d un recours devant le juge étatique (A). A. LE RECOURS CONTRE LA SENTENCE ARBITRALE DEVANT LE JUGE ETATIQUE La sentence arbitrale n est pas susceptible d opposition, d appel, ni de pourvoi en cassation ; elle peut faire l objet d un recours en annulation devant le juge compétent dans l Etat Partie. Le juge étatique compétent ici devrait être la Cour d Appel, puisque la décision du juge compétent de l Etat Partie n est susceptible que de pourvoi en cassation devant la Cour Commune de Justice et d Arbitrage. Le recours en annulation 11 est recevable dès le prononcé de la sentence ; il cesse de l être s il n a été exercé dans le mois de la signification de la sentence munie de l exequatur. L exercice du recours en annulation suspend l exécution de la sentence, jusqu à ce que le juge étatique compétent ait statué 12 ; le juge étatique est également compétent pour statuer sur le contentieux de l exécution provisoire ; si le juge étatique vide sa saisine et déclare le recours en annulation non fondé, la sentence peut être exequaturée. B. L EXEQUATUR DES SENTENCES PAR LE JUGE ETATIQUE L' arbitre n est pas un juge public, mais privé ; les sentences qu il rend ont besoin d une fonction de la justice étatique pour avoir force exécutoire ; c est pourquoi, pour recevoir une exécution forcée, le juge étatique devra par voie d ordonnance, rendre exécutoire la sentence de l arbitre. 10 SOCKENG, R. : Le Ministère Public en matière civile au Cameroun. Thèse Doctorat 3 ème cycle, U. Y. 1992. 11 Le recours en annulation est la seule voie de recours contre la sentence avant exequatur. 12 Si la sentence est assortie de l exécution provisoire, le recours en annulation ne suspend pas son exécution.

Cependant, si la sentence est manifestement contraire à une règle d ordre public international des Etats Parties, le juge étatique peut refuser l exequatur; et d après l article 32 de l Acte uniforme, la décision qui refuse l exequatur n est susceptible que de pourvoi en cassation devant la Cour Commune de Justice et d Arbitrage. On le voit, le juge étatique peut constituer «l ultime recours de l arbitre» pour aider ce dernier à mener sa mission à bonne fin ; le législateur OHADA a consacré la cohabitation de la justice étatique et de la justice arbitrale. Ces deux coépouses qui s épient, pour reprendre une image allégorique, se rapprochent et se soutiennent parfois, sous le ciel d un époux commun : la justice.