Introduction Dans ce livre, je vais examiner l histoire et la méthode du taï-chi-chuan, discipline largement connue et pratiquée aujourd hui. La compréhension de la méthode du taï-chi me semble présenter un grand intérêt pour ceux qui cherchent une pratique martiale efficace durant toute la vie et, pour éviter toute forme de dérive mystique, telle qu elle tend parfois à l accompagner, je voudrais dès le début préciser le cadre sur lequel je reviendrai maintes fois, à savoir celui du taï-chi-chuan vu ou perçu comme une activité aux gestes lents et souples évoquant la sérénité. Le terme taï-chi-chuan peut être traduit par «art de combat de percussion (chuan) basé sur l intégration dynamique de deux éléments complémentaires du yin et du yang (taï-chi)». Les particularités du taï-chi-chuan résident dans cette définition. Pour atteindre l efficacité en combat de percussion, il faut avant tout obtenir des capacités en vitesse et en force, sans lesquelles on ne peut pas faire de combat de manière efficace. Sur ce point, il n y a pas de mystère. Dans cette perspective, cette méthode doit avant tout permettre de cultiver au moins ces deux qualités. Cependant, il est bien connu que le taï-chi-chuan s exerce lentement et souplement. D où la question : est-il possible de cultiver et développer des capacités en vitesse en s exerçant lentement et des capacités en force en s exerçant souplement? Si la réponse est non, il faut en déduire que le taï-chi-chuan ne peut pas être une méthode efficace en art martial, ce qui n empêche pas qu il puisse être efficace pour la santé et le bien-être. Si la réponse est oui, il faut expliquer comment cela est -5-
TAÏ-CHI-CHUAN possible. N est-il pas extraordinaire de pouvoir développer des capacités en vitesse par la lenteur et des capacités en force par la souplesse? Celui qui s interroge sur l efficacité du taï-chi-chuan en tant qu art du combat ne peut éviter cette question. En élucidant cette question, nous pourrons avancer dans notre pratique et ouvrir un champ d application. C est un des thèmes principaux de ma réflexion. De plus, le domaine d application du taï-chi-chuan étant très large, celui-ci peut déjà se pratiquer pour la recherche de la santé et du bien-être. Les médecins confirment que l exercice lent et homogène d un effort physique est bon pour les convalescents et pour ceux qui cherchent à rétablir ou maintenir leur santé. Pour atteindre cet objectif, le taï-chi peut répondre positivement, et ceci quel qu en soit le courant ou l école. Mais, au-delà de cette faculté, si nous voulons, en plus, acquérir et renforcer des capacités en art martial, il me semble évident qu il nous faut suivre des directives plus exigeantes. Alors, lesquelles? Mon objectif est la recherche d une méthode d art martial qui me permette de perfectionner ma qualité en combat le plus longtemps possible, voire toute la vie. Je pratique donc le taï-chi dans cette optique et, de ce fait, de mon point de vue, la valeur du taï-chi-chuan se vérifie par le développement dans trois domaines : la santé, le bien-être et l efficacité en art martial. Je cherche dans le taï-chi une méthode permettant d atteindre ces objectifs conformément à son principe initial. En tout cas, j ai examiné ma pratique du taï-chi selon ces trois principes : la santé et le bienêtre en rapport avec le qi gong et l efficacité en art martial avec la pratique du combat. Il y a trente-cinq ans, peu de personnes pratiquaient le taïchi-chuan en France. Je ne le connaissais moi-même que très peu à cette époque où je m adonnais passionnément au karaté. Je dois avouer que je pensais, tout comme mes aînés, que le karaté était une meilleure discipline martiale et nous méprisions le taï-chichuan sans réellement le connaître. Dans la voie du karaté, j étais -6-
Introduction entouré par des adeptes exceptionnels. Chacun d eux était considéré comme un génie. Mais avec le recul, je dois constater qu à ce jour aucun d eux, passé la cinquantaine, n a conserver un parfait état de santé. En tout état de cause, la plupart de ceux qui m ont incité par leur exemple à suivre la voie du karaté sont soit décédés, soit considérablement diminués physiquement, et ce constat m a fait beaucoup réfléchir. Je pratiquais déjà intensément le karaté depuis plus d une dizaine d années lorsque j ai commencé à subir des traumatismes successifs : le dos, les coudes, les genoux Pour surmonter ces problèmes, j ai recherché des méthodes traditionnelles d arts martiaux japonais et chinois, car la pratique martiale s inscrit pour moi tout au long de la vie et la qualité de la pratique doit s améliorer avec l âge. J ai donc commencé à étudier les différentes écoles de karaté. Cette recherche m a conduit progressivement vers les arts martiaux chinois. J ai abordé le taï-chi-chuan pour la première fois en 1976. J ai alors commencé à apprendre le taï-chi des 24 mouvements puis, plus tard, celui des 48 mouvements et enfin celui des 88 mouvements du style Yang. En pratiquant le taï-chi-yang, j ai appris que le taï-chi-chuan de style Chen était le style originel du taï-chichuan et qu il était plus dynamique et combatif que le taï-chiyang ; c est pourquoi j ai été attiré par le taï-chi-chen. En 1982, sous la direction de maître Ryûchi Matsuda, le pionnier des arts martiaux chinois au Japon, j ai appris pour la première fois le taï-chi-chen. Je me suis entraîné passionnément à cette forme de taï-chi durant plusieurs années. À cette époque, je ne pouvais pas concevoir qu il puisse exister un grand nombre de variantes dans l enseignement et la forme du taï-chi-chuan. Dès lors, j ai commencé à me rendre régulièrement au Japon pour y étudier les différents styles de karaté et d arts martiaux chinois. J ai reçu l enseignement de différents maîtres et j ai compris peu à peu qu il existait des divergences au sein même d unstyleoud uneécoledetaï-chi-chuan.lesdétailsetles -7-
TAÏ-CHI-CHUAN nuances des mouvements sont très variables selon les maîtres, surtout dans le taï-chi-yang. Pratiquant toujours le combat, j ai posé des questions techniques aux maîtres chinois et japonais à chaque occasion, mais je n ai pas reçu de réponses satisfaisantes. Je pratiquais et j enseignais quotidiennement les techniques de combat ; il était tout naturel que je veuille connaître la signification des mouvements et techniques du taï-chi-chuan. Les réponses étaient difficiles à obtenir, car la majorité de ces maîtres n attachaient pas d importance au sens martial, surtout au combat libre. La plupart d entre eux n avaient pas appris la signification martiale et ne l avaient d ailleurs pas recherchée. Certains maîtres s intéressaient au combat et le pratiquaient, mais ils combattaient avec les acquis d autres disciplines ; de ce fait, ils ne s interrogeaient pas vraiment sur la signification martiale du taï-chi-chuan. Leur explication technique de celui-ci était donc limitée. Cependant, à chacune de mes rencontres avec ces différents maîtres, j ai noté scrupuleusement les explications techniques, qui se sont donc accumulées au cours des années. Parallèlement, j ai continué la recherche technique sur des documents chinois et japonais, tout en testant leur validité à travers ma propre pratique. Cette recherche porte essentiellement sur la technique spécifique du taï-chi-chuan et la comparaison avec les autres disciplines martiales chinoises et celles d autres pays. J ai classé les techniques du taï-chi-chuan selon la situation (contre un ou plusieurs adversaires), selon le type d adversaire (grand, petit, moyen ; adeptes de la boxe de Shaolin, du karaté, de la boxe anglaise, de la boxe thaïlandaise ). Je les ai examinées aussi selon le mode d application, car une même technique peut être appliquée de diverses manières. Par exemple, la technique danbian (fouet simple) s applique dans quatre situations : 1) lorsque l adversaire vous saisit le poignet, 2) lorsque vous saisissez le poignet de l adversaire, 3) lorsqu il vous attaque avec un coup de poing, -8-
Introduction 4) lorsque vous prenez l initiative de l attaque. Au cours de ma recherche, j ai compris concrètement que toutes les techniques du taï-chi-chuan reposent sur le principe même du taï-chi, l intégration dynamique de yin et yang, qui constitue une méthode d entraînement spécifique. Cependant, s il y a des personnes qui excellent en tui shou (poussée des mains), très rares sont celles qui pratiquent le combat comme la boxe ou le karaté. Le terme chuan est habituellement traduit par «boxe» ; le taï-chi-chuan comporte donc l art de la boxe. Pour des raisons que nous verrons plus loin, il me semble difficile de trouver aujourd hui un taï-chi-chuan martial à part entière. J ai poursuivi de la même manière la méthode spécifique du taï-chi-chuan. J ai voulu d abord connaître la méthode que pratiquaient les adeptes d antan. Puis j ai voulu concevoir une méthode adaptée, efficace et utile pour ceux qui pratiquent aujourd hui un art martial, à une époque où abondent les informations techniques sur les arts martiaux. J ai examiné les formes d enchaînement du taï-chi-chuan qui peuvent satisfaire les deux conditions suivantes : l exercice de la forme, ou tao lù, doit être efficace pour développer l énergie qui assure le bien-être et la santé, condition essentielle de la pratique à long terme ; la pratique de l enchaînement doit permettre de développer des techniques réellement applicables au combat. Si le taï-chi-chuan est utile uniquement pour augmenter l énergie et assurer une forme de bien-être, il ne satisfait qu à la première condition. Dans ce cas, ne vaut-il pas mieux pratiquer uniquement le qi gong? Je pratique le taï-chi-chuan avant tout comme un art du combat. Dans cette perspective, j ai continué à chercher la forme de taï-chi-chuan dont l exercice du tao lù (enchaînement) active l énergie et qui enseigne en même temps des techniques de combat réellement efficaces. Aujourd hui, je suis seulement en mesure de présenter le premier résultat de mes recherches -9-
TAÏ-CHI-CHUAN concernant le taï-chi-chuan qui répond à ces deux objectifs fondamentaux. Pour avancer dans notre réflexion, il me semble nécessaire de comprendre quelques caractéristiques du taï-chi-chuan dans son cadre historique. L étude historique qui suit n a pas pour (seul) but d établir ou de rétablir la vérité historique ou de replacer le développement du taï-chi-chuan dans le cadre de l histoire complexe de la Chine. Elle est toujours liée à ma recherche pratique actuelle. Un des aspects que souhaite éclaircir cette recherche historique est le rapport entre les deux formes les plus connues du taï-chi-chuan, celle de Yang et celle de Chen. Le taï-chi-chen est réputé pour être martial et combatif alors que le taï-chi de Yang serait plutôt pratiqué par les anciens ; l étude historique montre la filiation entre ces deux styles, en quoi il n est pas vrai que le taï-chi de Yang concerne simplement la santé et en quoi il ne s agit pas seulement de forme mais de mode de pratique. Note sur la transcription : selon le contexte, certains mots seront transcrits selon la prononciation chinoise ou selon la prononciation japonaise, par exemple qi et ki, yunqi et unki, etc. -10-