LES EFFETS DU DIVORCE EN DROIT INTERNATIONAL DANS LES RAPPORTS ENTRE LES ETATS EUROPEENS FRANCOPHONES ET LES ETATS MAGHREBINS



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Transcription:

LES EFFETS DU DIVORCE EN DROIT INTERNATIONAL DANS LES RAPPORTS ENTRE LES ETATS EUROPEENS FRANCOPHONES ET LES ETATS MAGHREBINS BOUCHAREB Hafida (*) «Le divorce divise un couple, la question du divorce divise une nation», écrivait-il y a près de trente ans Jean Carbonnier 1. Notre étude portant sur les «effets du divorce en droit international dans les rapports entre les Etats européens francophones et les Etats maghrébins», est assurément trop vaste pour que l on prétende la traiter de façon exhaustive. Aussi se réfèrera-t-on à l intitulé du colloque, «Marché du travail et genre dans les pays du Maghreb», pour ne prendre en considération que les aspects ayant trait à ce thème. Chronologiquement, il convient d envisager cette étude au travers de ses causes, de sa procédure, de ses effets, autrement dit de sa dynamique. Comment les grands systèmes de droit européen appréhendent-ils le phénomène des effets du divorce lié aux pays du Maghreb? Et quelles solutions y apportentils? La réponse n est pas facile à donner puisque les difficultés rencontrées en droit interne sont moindres par rapport à celles qui sont susceptibles de naître lorsqu un élément d extranéité est présent dans le divorce. Le divorce en droit international privé est un domaine marqué par l hétérogénéité. En effet, le divorce reflète dans chaque pays l état des mœurs et des conceptions philosophiques, juridiques, sociales, voire religieuses. Il n est donc pas étonnant de constater qu à la diversité de ces idées répond une «palette» de solutions très étendues en matière de divorce. Ce phénomène est apparu à la suite des masses migratoires 2 qu a accueillies la France, et plus largement l Europe occidentale, dans les années 60, en provenance, notamment, des pays du Maghreb. Cette communauté, qui est de plus en plus stabilisée dans les Etats d accueil, a suscité un intéressant problème de droit international privé. (*) : Doctorante à l université de Paris VIII. 1 CARBONNIER J., La question du divorce, mémoire à consulter, D 1975, Chr. 115 in fine. 2 voir à ce titre LAZAAR M. «La migration internationale marocaine, aspects récents», CNRS, Annuaire de l Afrique du Nord, 1995, p. 993 et s. 1

Sans reprendre ici les divers discours, eux-mêmes évolutifs, qui ont été tenus sur l intégration 1, on rappellera la définition du modèle français donnée par le Haut Conseil à l intégration, impliquant à la fois l acceptation des différences par la société d accueil et l adhésion de tous à un minimum de valeurs communes, l acceptation d un cadre global de référence permettant l inclusion des immigrés dans la collectivité nationale 2. La stabilisation en Europe de nombreuses familles musulmanes soulève des questions fondamentales dans notre société. L influence de la loi islamique sur le système juridique maghrébin est manifeste dans plusieurs domaines, l illustration la plus frappante étant dans les domaines entièrement régis par la loi islamique, tels que le statut personnel et les successions. De fait, les problèmes ne manquent pas. Combien de couples franco-marocains, belgomarocains ou encore tuniso-suisses se séparent-ils aujourd hui? 3. La multitude des études consacrées jusqu à présent à la stabilisation des communautés musulmanes en Europe témoigne de l intérêt que cette stabilisation suscite 4. En ce sens, il s agira d évoquer les problèmes que pose la confrontation, ou plutôt la coexistence obligée de deux systèmes juridiques appartenant, l un à l ensemble des droits d inspiration islamique, l autre à l ensemble des droits de tradition romano-chrétienne. Nul n est besoin de rappeler le nombre important de mariages dissous par un divorce, ce phénomène se retrouvant dans la plupart des différentes cultures. Les mœurs évoluant et, avec l internationalisation des relations humaines, les mariages binationaux sont de plus en plus fréquents et acceptés. Ainsi en Suisse, environ un mariage sur trois est mixte. Les couples mixtes doivent encore souvent affronter leur famille et mettre à l épreuve leurs relations avec la société, surtout lorsqu il s agit de deux traditions différentes tels que la 1 Sur ce problème, voir le Rapport du Haut Conseil à l intégration, «Pour un modèle français d intégration», mars 1991, La Documentation française ; «Les conditions juridiques et culturelles de l intégration», mars 1992, La Documentation française. 2 SCHNAPPER D., «La France de l intégration.. Sociologie de la nation», éd. Gallimard, 1991 ; «L intégration, définition sociologique» in Identité et Communauté, Migrants-formation, n 86, septembre 1991, p.32. 3 «L étranger en France, face au regard du droit», Rapport pour le Ministère de la Justice, sous la direction de H. FULCHIRON, 1999. 4 dans le domaine des études sur les retombées en droit de l immigration dans le domaine familial, on pensera ici aux travaux dirigés par Fr. DEKEUWER-DEFOSSEZ, «Le droit de la famille à l épreuve des migrations transnationales», Paris, LGDJ, 1993 ; M. VERWILGHEN et J-Y. CARLIER, «Le statut personnel des musulmans. Droit comparé et droit international privé», Bruxelles, Bruylant, 1992 ; ou par l étude de J. DEPREZ, «Droit international privé et conflits de civilisation.. Aspects méthodologiques, les relations entre systèmes d Europe occidentale et systèmes islamiques en matière de statut personnel», Recueil des cours de l Académie de droit internatioanl, 211 (1988-IV), p. 13-372, ou encore les travaux dirigés par S.A ABU- SALIEH et A. BONOMI, «Le droit musulman de la famille et des mécanismes à l épreuve des ordres juridiques occidentaux», 1999, Zürich, p. 1-353. 2

culture occidentale et le monde islamique. «Vivre à cheval» sur deux cultures est très enrichissant, mais l arrivée d un enfant suscite des épreuves supplémentaires lorsqu il y a désunion du couple. Il peut s agir du droit de garde, du droit de visite, de l obligation d entretien, et des nombreux conflits d autorité parentale au sein de couples mixtes. A ces difficultés viennent s ajouter les problèmes liés aux conflits de lois. Les deux systèmes ne retiennent pas les mêmes règles de rattachement. Il s agit de conflits de lois nombreux et fréquents. Concernant les divorces de couples mixtes, la différence entre les statuts personnels des deux époux peut poser problème car ce qui est permis dans le statut de l un ne l est pas forcément dans le statut de l autre 1. Aussi, à l heure actuelle, les femmes maghrébines sont maintenues dans un ghetto juridique et ce, au mépris des conventions internationales garantissant l égalité de traitement entre les femmes et les hommes. Le droit de la famille au Maghreb reste fortement marqué par la tradition religieuse. Certes, les femmes tunisiennes bénéficient d une législation sur le statut personnel relativement avancée. Mais celle-ci est loin d assurer une égalité réelle entre les hommes et les femmes. En Algérie, le Code de la famille adopté en 1984, et toujours en vigueur, maintient la femme dans un état d infériorité et institutionnalise sa minorité à vie. Au Maroc et en Algérie, la répudiation et la polygamie sont maintenues. Au Maroc, alors que le discours officiel suscite l espoir d une révision 2 de la «Moudawana», Code du statut personnel et des successions 3, une coalition politico-religieuse se dresse contre toute avancée éventuelle des droits de la femme. La problématique étant très complexe, nous aborderons d abord la répudiation ou le divorce face au poids de la tradition dans les pays du Maghreb, ceci afin de mesurer l impact de la tradition religieuse. Nous achèverons notre étude par un aperçu de la situation en cas de problème de droit international privé. La confrontation entre les Etats du Maghreb et les Etats européens en matière de divorce peut se révéler particulièrement dure puisque cette institution 1 Voir en ce sens BARBARA A. : «Le mariage mixte avec les musulmans apparaît à l opinion commune comme un mariage difficile. Il suscite des réticences et même parfois des oppositions très nettes. Le mariage européo-maghrébin mesure bien la nature des rapports politiques et historiques entre les deux rives de la méditerranée. Si l opposition au mariage mixte avec des musulmans se révèle importante en Europe, nous devons aussi voir du côté du Maghreb la mesure de cette opposition, surtout quand elle est confortée par des règles coraniques précises.», «Les mariages mixtes avec les musulmans», in Familles-islam-Europe. Le droit confronté au changement, l Harmattan, 1996, p. 227-228. 2 Prologues de la revue maghrébine du livre : «La réforme du droit de la famille, cinquante années de débat», études et analyses coordonnées par M. MOUAQIT, Casablanca, 2002, p. 2-54. 3 Code du statut personnel et des successions mis à jour conformément aux dernières modifications introduites par le Dahir portant loi n 1093-347 du 22 rabia I, 1414 (10 septembre 1993), Ed. Bilingue, Royaume du Maroc, Ministère de la Justice, Institut National d Etudes Judiciaires. 3

reste très souvent rattachée dans les législations arabes aux valeurs sociales traditionnelles transmises depuis des siècles. I - La répudiation 1 ou le divorce face au poids de la tradition dans les pays du Maghreb Le contexte juridico-religieux En droit musulman, l institution familiale est en rapport très étroit avec la religion et la morale 2. Dès lors, le régime juridique des institutions que nous allons étudier est en partie très influencé par le point de vue moral et religieux. En effet, le Code de statut personnel marocain (la Moudawana), comme dans la plupart des pays d obédience musulmane, applique le droit musulman classique dont le Coran et la Sunna sont les principales sources de référence. Le Coran constitue le livre sacré de l islam. La Sunna est le recueil contenant l ensemble des «hadiths», c est-à-dire ce que la tradition a rapporté des dires et actes du Prophète. Ces hadiths sont nombreux et chaque école de droit musulman que nous allons définir ci-dessous a choisi ceux qui venaient à l appui des thèses qu elle avançait. «La Sunna est donc essentiellement utile en vue de remonter à l origine de l élaboration doctrinale ; mais ni le Coran, ni la Sunna ne peuvent fournir la norme légale à celui qui recherche uniquement le droit positif.» 3. Le droit musulman, œuvre de création de théologiens juristes reconnus pour leurs connaissances scientifiques et leur honorabilité, n a pas revêtu un caractère unitaire et a emprunté son cadre à différentes écoles 4, aux enseignements bien souvent divergents. On dénombre quatre écoles juridiques constituées entre 750 et 850 après J-C et qui correspondent à des orientations intellectuelles divergentes sur les méthodes d interprétation des textes religieux. Il convient donc de donner un aperçu juridico-religieux du droit musulman, ceci avant d aborder le sujet proprement dit de ce travail consacré aux effets du divorce dans les rapports entre les Etats européens francophones et les Etats maghrébins. 1 CORNU G., d après Vocabulaire juridique : rupture du mariage par la volonté libre et unilatérale d un époux sans contrôle de justice ni accord du conjoint répudié 2 voir le remarquable article de H. GAUDEMET-TALLON, «La désunion du couple en droit international privé», RCADI, 1991, t 226, p.13-275. 3 Linant de Bellefonds, «Traité de droit musulman comparé», Tome 1, 1975, p.33. 4 L imam Jalâhu-Dîne Al-Suyûti «Les quatres écoles Sunnites, l intérêt de leurs différences», 2002, p. 655 ; Linant de Bellefonds, «Traité de droit musulman comparé», Paris, 1965-1973. 4

A - Les écoles rituelles dans le sunnisme Quatre écoles sunnites ont été constituées, elles définissent les sources du droit musulman, à savoir le Coran et la Sunna d une part, et la Charia désignant l ensemble des normes religieuses, morales, sociales et juridiques contenues dans le Coran et la Sunna d autre part. Les quatre écoles sunnites qui existent encore de nos jours sont les suivantes : Hanafite, Malékite, Chaféite, Hanbalite 1. L école Hanafite, fondée par l Imam Abou Hanifa, est qualifiée de libérale car elle fait appel principalement à la raison par analogie. Le rite Hanafite est le rite dominant officiel dans les pays tels que l Irak et la Syrie. L école Malékite, fondée par l Imam Malik Ibn-Anas Ibn-Abu-Amer, né à Médine. Elle établit une hiérarchie des normes commençant par le Coran, la Sunna, le droit coutumier de Médine. Son développement répond dans une certaine mesure à une réaction contre le libéralisme de l école Hanafite. Cette école prédominante dans les pays du Maghreb reste très attachée à la coutume de Médine, ville du Prophète Mahomet. L école Chaféite créée par l Imam Al-Shaféi, né à Gaza, représente dans une certaine mesure une tentative de conciliation entre ce qu avaient de divergent les orientations des Hanafites et des Malékites. C est l école des modérés. Le rite Chaféite se répand en Irak, en Egypte, en Iran et au Yémen. Le rite chaféite ne s établit ni dans les pays du Maghreb, ni en Andalousie. Enfin, l école Hanbalite créée par l Imam Hanbal, qui se confond avec le wahhabisme, inspire directement le droit de l Arabie Saoudite. Il convient d exclure du champ géographique de l étude la Tunisie 2, seul pays à avoir jusqu à présent accordé aux deux époux un droit égal à solliciter judiciairement la dissolution du mariage. Ces rappels sont essentiels à la bonne compréhension des développements suivants puisqu il sera précisé le cas échéant lesquelles de ces modalités participent d un rite plutôt que d un autre. Il importe d emblée de mettre l accent sur le fait que les Etats maghrébins suivent essentiellement la doctrine Malikite mais sont aussi influencés par l école Hanafite. 1 RIGAUX F., Préface à l ouvrage de M.TAVERNE, «Le droit familial maghrébin et son application en Belgique», Bruxelles, 1981, p.10-11. 2 La polygamie a été interdite en 1956 pour les citoyens tunisiens musulmans et israélites. 5

B Codification du droit musulman de la famille dans les pays du Maghreb Actuellement, le droit musulman est diversement appliqué dans les Etats musulmans. Excepté la Turquie et dans une moindre mesure la Tunisie, qui a laïcisé son droit de la famille, les autres pays du Maghreb ont continué le droit traditionnel au statut personnel, mais à des degrés divers, et ont codifié ces règles 1. Cette codification diffère dans son contenu d un Etat à un autre selon l école de rattachement. Le Code de la famille marocain (la Moudawana) 2, est conforme à la Charia (loi musulmane) ; il maintient la polygamie et la répudiation. De même, le Code de la famille algérien 3 du 9 juin 1984 se rapproche beaucoup du Code marocain. Ce Code n a pas vocation à s appliquer aux personnes de confession non musulmane. Au cours de ces dernières années, les différents gouvernements marocains et algériens ont tenté de rendre la répudiation plus difficile et plus lente dans le but de stabiliser les couples mariés. D ailleurs, M. M Salha déclare que : «En la matière, l objectif ne peut plus se limiter à sanctionner les caprices du mari qui recourt à la répudiation, mais également penser au devenir de la femme après la séparation. La réalité de l évolution sociale plaide en faveur d une nouvelle approche pour aborder l institution. Cette réalité a par ailleurs permis au législateur marocain d intervenir dans le but de modérer les effets négatifs de la répudiation. Son fonctionnement est aujourd hui plus lent et plus difficile qu auparavant. En approfondissant le rôle joué par le juge, en imposant le recours à deux arbitres et en allongeant les délais, le législateur a, en définitive, visé à stabiliser l union.» 4. 1 Voir HAMDAN L., «Les difficultés de codification du droit de la famille algérien», Revue internationale de droit comparé, 1985, p. 1001 et s. 2 Voir à ce sujet MERNISSI S., «Quelques aspects de la codification du statut personnel marocain», in CARLIER J.Y et VERWILGHEN M. (édit), «Le statut personnel des musulmans. Droit comparé et droit international privé», Bruxelles, 1992, p. 111-142. 3 BORRMANS M., «Le nouveau code algérien de la famille dans l ensemble des codes musulmans de statut personnel, principalement dans les pays arabes», RIDC, 1986, p. 133-139. 4 Voir l audacieuse analyse de M. M SALHA, «Qu en est-il aujourd hui de la polygamie et de la répudiation en droit marocain?», RIDC, 2001, p. 171 et s ; A. Zoukaghi, Al-zawag hasaba al-sîga al-hâliyya li-muda wwanat al-ahwâl al-sahsiyya (le mariage selon la forme actuelle du Code de statut personnel), Rabat, Dar Salam, 1995, p. 20 et s. 6

En l état actuel du droit positif, c est-à-dire tant que les conventions bilatérales francoalgériennes et marocaines sont en vigueur, et dans l attente que le droit interne de la famille soit réformé, ce qui devrait avoir lieu au Maroc à brève ou moyenne échéance 1, il convient d optimiser l emploi des ressources juridiques que recèle le droit français, afin de garantir un sort convenable aux femmes résidant habituellement en France et qui ont été répudiées contre leur gré. La Tunisie fait figure d exception à la fois dans le Maghreb et dans l ensemble du monde arabe. C est en 1956, quelques mois après l indépendance, qu Habib Bourguiba fait promulguer un Code du statut personnel au caractère révolutionnaire. Celui-ci, entre autres dispositions, interdit la polygamie et la répudiation, autorise le divorce et reconnaît la filiation naturelle. La Tunisie bénéficie ainsi du code de la famille le plus avancé ( la Madjalla) et rompt avec le droit musulman. Par ailleurs, la multiplication du nombre des divorces, que nous avons déjà évoqué plus haut, soulève le douloureux problème du devenir de l enfant dans la famille désunie. Sur ce point, les divorces entre personnes de nationalités différentes vont en augmentant, et ceci plus particulièrement dans les pays à forte immigration 2. A cet égard, nous pensons aux conséquences du divorce, plus particulièrement à la garde des enfants, au droit de visite, à l autorité parentale, aux enlèvements d enfants En ce domaine, on ne doit cependant pas oublier le sort de l épouse pour compenser les disparités entre les conditions de vie matérielle par l attribution d une pension alimentaire ou d une prestation compensatoire. En ce sens, la Convention franco-tunisienne du 18 mars 1982 relative à l entraide judiciaire en matière de droit de l enfant, de droit de visite et d obligations alimentaires 3 reprend l essentiel des dispositions de la Convention franco-marocaine 4, mais ne comporte aucune disposition sur la loi applicable en matière de garde. 1 Prologues de la revue maghrébine du livre : «La réforme du droit de la famille, cinquante années de débats», études et analyses coordonnées par M. MOUAQIT, Casablanca, 2002, p. 5-54 ; voir notamment Rabéa NACIRI, «La Moudawana et sa réforme : le rôle de l Etat», prologues de la revue maghrébine du livre, n 3, Casablanca, 2002, p. 39 et s ; et l article de J. FICATIER, La Croix, 14 mars 2000, «La réforme du statut de la femme dans la rue». 2 Jean de la GUERIVIERE, Le Monde du 20 juin 1984, «Le nouveau Code de la famille prend en charge le progrès sans tourner le dos à la religion islamique» ; Le monde du 16 juin 1985, «Les mères des enfants retenus en Algérie préparent de nouvelles actions». 3 JORF, 1 er juillet 1983, p. 1998 ; revue critique de droit international privé, 1983, p. 539. 4 F. MONEGER, «La Convention franco-marocaine du 10 août 1981 relative au statut des personnes et de la famille et à la coopération judiciaire», RCDIP, 1984, p. 29-69 et p. 267-288. 7

La Convention franco-algérienne du 21 juin 1988 relative aux enfants issus de couples mixtes séparés franco-algériens 1 a un objectif plus limité, puisqu elle ne concerne que la garde des enfants et le droit de visite, à l exclusion des obligations alimentaires, et qu elle ne comporte aucune règle de conflits de lois. II L immixtion du droit musulman de la famille dans l espace juridique européen A De l Europe au Maghreb, les lois s entrechoquent Aujourd hui, les questions relevant du statut personnel concernant des millions de Marocains, d Algériens et de Tunisiens résidant en Europe et, le cas échéant, leur conjoint européen et leurs enfants sont nombreuses. Lorsqu il s agit d étrangers issus de pays ayant des systèmes juridiques proches du droit de la famille européen, l application d une loi étrangère ne suscite que des résistances ponctuelles ; en revanche, s agissant des ressortissants des pays de droit arabo-musulman, surgit une tension entre l application de la loi étrangère et le respect des principes fondamentaux du droit européen 2. Cette réflexion vaut aussi pour la Suisse 3. En toute hypothèse, les conflits sont susceptibles de croître. Et il est essentiel à ce stade de mettre en lumière la circonstance que les effets sont réglés de manière distincte du principe même de la répudiation ou du divorce judiciaire. Ainsi, comme l a récemment démontré Mme El Husseini, «le règlement des effets de la dissolution du mariage peut intervenir postérieurement à la répudiation comme il peut ne pas intervenir du tout» 4. De ce point de vue, il apparaît essentiel de rappeler que malheureusement, le statut juridique de la femme au Maroc et en Algérie suppose de grandes inégalités 5. 1 Voir l étude de F. MONEGER, Clunet, 1989, p. 41 ; et le texte de la convention, JO, 19 août 1988, Clunet, 1989, p. 176 ; Décret n 88-479, 17 août 1988 ; Gazette du Palais. 1988 p. 523 note MONNIN-HERSANT et STURLESE. 2 Pour une description détaillée, voir CHARFI M., «L influence de la religion dans le droit international privé des pays musulmans», recueils des cours de l Académie de droit international, tome 203, 1987, p. 325-454. 3 Gazette de Lausanne, 24 juillet 1984, «Couples binationaux : ils divorcent davantage». 4 EL HUSSEINI R., «Le droit international privé français et la répudiation islamique», Revue critique de droit international privé, 1999, n 25, p. 441. 5 MESSAOUDI L., «La discrimination à l égard de la femme en droit international privé marocain», Revue internationale de droit comparé, 1992, p. 947-957. MOULAY RCHID A., «La condition de la femme au Maroc», Rabat, Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales», 1985, p. 353-356. 8

Toutefois, il convient de nuancer sensiblement ce constat par rapport à la Tunisie où les droits des femmes se sont considérablement développés. Le Code du statut personnel tunisien (la Madjalla) s inspire en ce domaine plutôt du modèle occidental. Il a supprimé la répudiation, rendu le divorce nécessairement judiciaire avec des conséquences pécuniaires réglementées, ce qui n est le cas ni au Maroc, ni en Algérie. Comme nous l avons vu précédemment, l organisation des rapports parents-enfants s avère déjà difficile lorsque les époux divorcés sont de même nationalité et de même religion ; elle le devient encore plus dans le cadre d un mariage mixte 1. La prise de mesures destinées à protéger les enfants s impose. Dans ce cas, le rôle du juge est d intervenir le plus tôt possible pour sauvegarder non seulement le droit de l enfant 2, mais aussi ceux de ses parents : il évalue le montant de l obligation d entretien, il attribue la garde des enfants et règle les modalités d exercice du droit de surveillance de l autre parent. L essentiel, c est le bien-être et la stabilité de l enfant, comme l est (ou devrait l être) l aptitude parentale à les élever 3. Dans ce but, il est amené à appliquer à la fois les règles de droit interne et celles de droit international privé. La dissolution d un mariage mixte peut engendrer des conséquences dramatiques 4. Ainsi, celui des époux auquel le droit de garde est retiré peut être tenté d emmener ses enfants avec lui. Et nombreux sont ceux qui règlent leurs comptes conjugaux en s arrachant les enfants par-delà les frontières. Ces conflits sont d une résolution particulièrement difficile : le conflit d origine du couple est exacerbé par la distance géographique, les différences de cultures et des systèmes juridiques des Etats, chacun des parents se renforçant des décisions rendues dans son pays 5. 1 CHARFI, recueils des cours de l Académie de droit international, 1987, III, p. 325 et s, et plus particulièrement p.338 ; CARLIER et VERWILGHEN, Bruxelles, 1992, p. 33. 2 BARTHELET B., «Les conséquences du divorce à l égard des enfants», Thèse, Lyon, 1986. 3 sur cette évolution, voir BOULANGER Fr., «Droit civil de la famille», tome II, 1994, p. 350 et s. 4 MONEGER F., JCP, 5 août 1992, p. 354 ; Cour de cassation Civ 1 ère, 15 mai 2002, revue juridique personnes et familles, 2002, n 10, octobre, p. 23. 5 FULCHIRON H., «Protection nationale et coopération internationale : comment lutter contre les enlèvements d enfants?», actualité juridique famille, octobre 2002, p. 318-320 ; LIMAROLA P., «L enlèvement parental vers l étranger : l épreuve des faits», actualité juridique famille, octobre 2002, p. 331-333 ; BRUNET B., «Conflits de garde consécutifs à un enlèvement international d enfants», Jurisclasseur international, Fascic. 549 ; Le Figaro, «Couples binationaux : recrudescence des enlèvements d enfants», 26 juin 2002 ; Maroc Hebdo international n 373 du 21 au 27 mai 1999 : il s agit là d un couple belgo-marocain ayant trois enfants et séparé depuis quatre ans. Les tribunaux belges ont accordé le droit de garde à la mère. Le père les a enlevés au Maroc alors qu il exerçait son droit de visite. 9

«Dans les couples mixtes européo-maghrébins, c est le plus souvent le père qui est maghrébin et la mère qui est européenne, à cause de l empêchement du mariage de la musulmane avec un non-musulman» 1. Pour revenir au droit de garde, il est illustré par la décision du tribunal de première instance de Grombalia du 7 mars 1977 2 ; l exequatur d un jugement belge a été refusé pour avoir confié la garde de l enfant à une femme belge divorcée et résidant à Bruxelles, le mari, Tunisien, ne pouvait alors exercer son droit de visite. En ce qui concerne les conséquences pécuniaires de la dissolution du mariage, la position prise par la première Chambre civile, dans son arrêt rendu le 3 juillet 2001 3, a opéré un revirement de jurisprudence en matière de répudiation, déclarant en l espèce une répudiation prononcée en Algérie conforme à la conception française de l ordre public international. Le jugement algérien a garanti des avantages financiers à l épouse en condamnant le mari à lui payer des dommages-intérêts pour divorce abusif, une pension de retraite légale et une pension alimentaire pour abandon. Selon M. Courbe, il «convient de vérifier que les conséquences matérielles de la dissolution du mariage correspondent à celles admises en France. Mais en l espèce l arrêt du 3 juillet 2001 ne permet pas concrètement de s en assurer». Notons à ce propos que la Cour de cassation a validé la répudiation de l épouse. Cette jurisprudence nous paraît inquiétante dans la mesure où elle a rompu avec la jurisprudence antérieure. Il faut tout de même rappeler que la Cour de cassation a violé le principe de l égalité des époux garanti par l article 5 du Protocole additionnel n 7 de la Convention Européenne des Droits de l Homme affirmant que «les époux jouissent de l égalité de droits et de responsabilités de caractère civil entre eux et dans leurs relations avec leurs enfants au 1 CHARFI, RCADI, 1987, III, p. 453 ; MEZIOU K. «Les relations en droit international privé de la famille entre les systèmes tunisien et français. Le cas du divorce des couples mixtes», Thèse, Tunis, 1982. 2 Voir à cet égard LADJILI J., «Recherche d une responsabilité égale des pères et mères dans la garde de l enfant mineur en droit tunisien», Revue tunisienne de droit,1980, p. 255 et s ; H. Bencheikh Hocine DENNOUNI, «La garde : un attribut de la maternité en droit algérien», Revue internationale de droit comparé, 1986, p. 897 et s ;V. également. F.BOULANGER, «La détermination de la loi applicable à la protection du mineur selon la Convention de la Haye du 5 octobre 1961», Dalloz, 2001, n 30, p.2440-2441. 3 Cour de cassation, civ. 1 ère, 3 juillet 2001, Petites Affiches, 30 mai 2002, n 108, note P. COURBE ; Cour de cassation 1 ère civ, 3 juillet 2001, «La première chambre civile répudie sa propre jurisprudence sur les répudiations musulmanes», D 2001, p. 3378, note M.L. NIBOYET ; M. FARGE, «les répudiations musulmanes : le glas de l ordre public fondé sur le principe d égalité des sexes», droit de la famille, n 7-8, 2002 ; V. notamment le récent article de OUDIN F. «le recul du principe d égalité en matière de répudiation au profit de l exception classique de l ordre public international», Revue juridique personnes et famille, déc 2002, p. 6-10. 10

regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution». De même, Mme Niboyet déclare : «mesurons les graves effets que cette jurisprudence peut propager à l intérieur comme à l extérieur de nos frontières. En France, ne risque-t-elle pas de compromettre une intégration de plus en plus réussie de très nombreux musulmans durablement installés dans notre pays, qui n invoquent en fait leur institution d origine que dans le but d user d une liberté dont beaucoup de Français seraient pareillement friands?» 1. L arrêt du 3 juillet 2001 précité a estimé la garantie d avantages financiers à l épouse. Ceci n est sans doute pas le cas des trois affaires jugées le 13 décembre 2001 2 par la Cour d appel de Paris sur la répudiation. Ainsi, les «répudiants» n ont pas satisfait aux conditions posées par la convention bilatérale, aux fins de reconnaissance en France du jugement qu ils ont obtenu à l étranger à l insu de leur femme. La France, par exemple, au début des années 80, a passé des conventions bilatérales avec les principaux pays source d immigration. Vingt ans plus tard, on doit constater l échec de ces conventions : on n assite que rarement à des «retours» d enfants enlevés, les procédures d exequatur sont interminables et exigent un divorce définitif en France, le droit de visite sur place n est que très difficilement réalisable. Les causes de ce mauvais fonctionnement semblent se trouver dans le droit de ces pays musulmans ; refus de binationalité, prééminence du droit du père, caractère provisoire de l émigration et notion d appartenence de l enfant à la culture du père. B Vers de nouvelles perspectives Au terme de cet examen successif des systèmes islamiques d une part, et des systèmes européens d autre part, nous aimerions souligner la complexité que recouvrent ces sytèmes puisqu il s agit de conflits de lois nombreux, fréquents et intéressants. Prenons l exemple du droit de la famille au Maroc qui reste régenté par les préceptes de l islam et de toutes les interprétations qui en découlent. Les institutions telles que la polygamie ou la répudiation constituent les spécificités de ce code où l inégalité entre les sexes est de principe et ce, en dépit de la réforme par le Dahir portant loi du 10 septembre 1993 3. 1 cf. Supra, Dalloz 2001, p. 3378. 2 Actualité juridique famille, mars 2002, n 3, p. 105-106. 3 Sur cette réforme, voir les observations de SAREHANE F., au J-CL droit comparé, sous la rubrique «Maroc, le statut personnel : droit commun», 1999, fasc.2-1, n 195. 11

La transposition de ces institutions dans des pays tels que la France, la Belgique ou la Suisse où le principe d égalité des sexes et la laïcité sont de mise n est pas sans créer des difficultés sur le plan juridique. L article 3 alinéa 3 du Code civil qui énonce «les lois concernant l état et la capacité des personnes régissent les Français, même résidant en pays étrangers» faisant application du Code de statut personnel des étrangers résidant en France et l existence de la Convention franco-marocaine du 10 août 1981 génèrent sans nul doute un conflit de lois difficilement gérable tant pour les juristes que pour les magistrats français. Pour notre part, la solution réside dans une réforme fondamentale de la Moudawana, comme ce fut le cas en partie du droit de la famille en Tunisie, également de rite malékite. En effet, comme nous l avons déjà souligné, il convient de voir que la place du divorce dans les législations à travers le monde est liée à la tradition religieuse du pays concerné, à la reconnaissance juridique du mariage et à la condition de la femme. L effet du divorce n est pas seulement de mettre fin à la situation juridique antérieure, mais aussi de créer une situation juridique nouvelle. Il implique donc une vue prospective se préoccupant du sort de l épouse répudiée à son insu ainsi que du sort de l enfant. S agissant d enfants nés de mariages mixtes, ils sont assujettis à une potentielle perturbation psychologique et juridique, due au divorce de leurs parents. Les problèmes de garde, d autorité parentale et d enlèvement d enfants par un parent se posent. Seule la voie conventionnelle pourra résoudre les problèmes de conflits de lois et des juridictions qui émergent. La répudiation est un acte unilatéral de l époux, ce qui introduit une grande fragilité dans les familles dont les premières victimes sont les épouses et leurs enfants. C est une menace permanente et la cause principale de l éclatement de la cellule familiale et contre laquelle il n existe aucun mécanisme de contrôle des excès. La répudiation actuelle ne prévoit aucune protection pour la femme et les enfants. Ils sont exclus du logement familial et ce, même si la mère bénéficie de la garde des enfants, la pension alimentaire ou nafaqa 1 n est jamais régulièrement perçue et la femme doit en permanence poursuivre son mari en justice pour le contraindre à la verser. Autrement dit, il n y a aucun mécanisme qui assure la régularité du versement de la pension. Afin de mettre fin à ces abus et de protéger la femme et son enfant, il serait judicieux de réformer en profondeur la Moudawana et le Code de la famille algérien. La seule forme de 1 BLANC F.P, «Les nafaqât al-aqârib dans les droits d Afrique du Nord francophone», Mélanges offerts à André COLOMER, Litec, 1993, p. 59-72. 12

rupture du lien conjugal devrait être le divorce judiciaire avec des griefs invoqués par chacun des époux. Comme le suggère M. Moulay Rchid 1, il faut que les pays arabo-musulmans fassent un pas vers l Occident : cela suppose la multiplication des conventions bilatérales à propos de l enfant et des droits des couples binationaux entre les Etats européens et les Etats maghrébins, la tolérance de la double nationalité et un éventuel effort d interprétation de la Charia. Sur ce point, il reste encore beaucoup à faire même si la spécificité du droit arabomusulman en droit international privé commence à se manifester dans l inclusion de stipulations propres à ces institutions dans les conventions internationales récentes (article 3e de la Convention de La Haye du 19 octobre 1996 relative à la protection des enfants qui énonce «le placement de l enfant dans une famille d accueil ou dans un établissement, ou son recueil légal par Kafala ou par une institution analogue»). Quant à la Tunisie, elle ne doit surtout pas interrompre ses efforts de modernisation du statut personnel. Le plus significatif est la suppression du privilège de nationalité et de la compétence de la loi du mari ou du père. Une double égalité est ainsi rétablie : égalité entre les Tunisiens et les étrangers et égalité entre les sexes. Mais il demeure des incohérences en matière de garde. Face à l insuffisance des conventions bilatérales, le droit international privé des pays étudiés doit prévoir en matière des effets du divorce concernant l enfant, un rattachement principal à la résidence habituelle de l enfant et pour l enfant étranger, un rattachement subsidiaire à la loi nationale commune de ses parents. Mais encore faut-il s entendre sur le droit interne de chaque pays du Maghreb. En tout état de cause, les Marocains et les Algériens vivent à l heure moderne, mais continuent d être régis par des textes anciens. Quoi qu il en soit, il nous semble que le droit de la famille musulman doit évoluer pour être adapté au monde occidental, ceci afin qu il puisse avoir des effets durables dans le temps et parvenir ainsi à des résultats significatifs en droit international privé. Et ce n est qu au bout de ce long processus que l on arrivera à établir une véritable coordination entre les deux systèmes. 1 MOULAY RCHID A., Les droits de l enfant», recueils des cours de l Académie de droit international de La Haye, 1997, n 268, p. 13-266. 13

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