Compte rendu de la rencontre du Club Construction Durable Logement social du 18 septembre 2012 Comment se loger mieux et moins cher? C est à cette ambitieuse problématique que la quarantaine de participants de la rencontre du Club Construction durable consacrée au Logement social ont tenté de répondre, le 18 septembre dernier à Paris. Quels sont les leviers pour construire moins cher en termes de financement, de conception et de construction dans le logement social? Afin d apporter quelques premiers éléments de réponse à cette préoccupation sociétale, plusieurs membres se sont succédés à la tribune : Jacques Berger, responsable de l Action tank entreprise et pauvreté, a livré une analyse du coût global d un logement et évoqué les leviers d économie possibles. Denis Valode, architecte a dévoilé l «Autonomous Building Concept», un projet de recherche pour concilier confort, environnement et réduction des coûts. Jean Lacroix, directeur du Pôle de Compétences Construction Durable de Bouygues Construction a présenté un panorama des expériences en cours dans le monde pour se loger mieux et moins cher. En préambule Christine Grèzes (directrice développement durable de Bouygues Construction) et Xavier Rodarie (directeur développement et stratégie de Bouygues Bâtiment Ile-de-France Habitat Social) ont rappelé combien le Club Construction Durable a permis de partager entre professionnels du secteur «idées, expériences, parfois même les innovations que les uns et les autres ont pu mettre en place au sein de leurs structures, à travers des rencontres thématiques ou des visites sur le terrain». Ils ont également réitéré leur volonté de dynamiser l innovation et la prospective au sein du Club Construction Durable, notamment en créant des Think Tanks thématiques. Ces derniers seront des groupes de travail restreints d experts pluridisciplinaires, qui auront pour tâche d approfondir certains sujets spécifiques dans un temps donné, et dans une approche de prospective et d innovation. 1
1. Analyse du coût global d un logement social et leviers d économie Jacques Berger a rappelé la vocation de l Action Tank entreprise et pauvreté, qui constitue une sorte de laboratoire pour : impliquer les grandes entreprises dans la lutte contre la pauvreté en France ; mettre à flot des solutions qui ne nécessitent pas de subventions (social business) ; s inspirer de ce que les entreprises peuvent proposer en terme d organisation à des associations. Il rappelle que de nombreuses entreprises commencent à s intéresser aux populations les plus pauvres. A travers leurs actions dans ce domaine, elles cherchent des mécanismes qui ne requièrent pas de subventions publiques. Nombre d entre elles s investissent au sein d associations «hybrides», dans des programmes qui portent avant tout sur les services essentiels : nutrition, santé, mobilité, logement. A titre d exemple, un projet dans la nutrition associe Blédina à la Croix Rouge pour garantir une nourriture de qualité à moindre coût dans certains magasins Carrefour (150 000 personnes concernées en France). D autres projets ont vu le jour avec Essilor dans la santé optique ou encore Renault sur les enjeux de mobilité. Le secteur du logement est également concerné. Jacques Berger présente l étude réalisée par le Boston Consulting Group (BCG) sur le thème du coût global. Il précise que le secteur du logement possède des spécificités fortes et qu il a donc fallu définir un périmètre (le coût du logement social en Ile-de France). Il s agit d une zone où se concentrent les principales tensions du marché en terme d accessibilité mais aussi parce une région qui ne présente pas de contrainte en terme de relief ou de climat. L étude s est appuyée sur les données de Bouygues Bâtiment Ile-de-France Habitat Social pour ce qui concerne les coûts de construction, et en ce qui concerne les charges, sur les bases de données confiées par l association «Apogée» qui produit chaque année des statistiques ; et enfin sur une analyse du Boston Consulting Group. Les besoins en logements sociaux restent forts et pérennes. On constate que le coût du logement pèse de plus en plus lourd dans le budget des ménages, y compris dans le cas d un logement social, en raison de charges élevées. Le coût global a été décomposé en cinq postes clés qui ont été analysés : charges foncières, coûts de construction, charges financières, charges payées par les locataires et coût de la maintenance. Le coût d un logement social est estimé à environ 800 euros/mois/logement sur 50 ans, dont : 9 % de charges foncières 11 % de frais de financement 21 % de coûts de construction 38 % de coûts d utilisation + 10 % pour les taxes et assurances 11 % de coûts de maintenance. Principaux résultats de l étude : L étude montre que les coûts apparaissent de façon séquencée dans le temps : ainsi 40 % du montant est déjà employé avant l arrivée de l occupant de l appartement. Quelles vont donc être les actions à mener sur les 60 % restants pour réduire le coût global? Pour envisager la diminution du coût, il est indispensable de : quantifier ce coût (spécifier la famille de dépenses sur laquelle on souhaite agir et analyser ce que cela implique). 2
Planifier des économies qui résulteraient d un investissement spécifique au moment de la construction (identifier les relations de cause à effet). Huit leviers d économie ont été identifiés, selon une approche fonctionnelle du bâtiment: abri des agressions extérieures (pluie, vent,...), confort thermique et eau chaude, accessibilité, eau froide, électricité, communications, vie privée et esthétique, gardiennage et gestion. Plusieurs enjeux se posent pour passer à l action : jusqu où peut-on aller dans l impact sur le cadre de vie (ex : possibilité de fusionner certaines pièces, lieu des parkings sur le cadre de vie)? Est-il possible de quantifier les économies potentielles obtenues? etc. En conclusion, Jacques Berger a précisé que l analyse du coût global reste un problème complexe en raison de nombreux paramètres non prédictibles, comme l évolution du coût du foncier et celui de l énergie notamment (x6 du coût sur 50 ans) : «Il s agit d une chaîne de valeur avec des coûts éclatés. Arriver à une solution impliquerait la mise en place de processus partagés et collectifs entre les financiers, les constructeurs, les bailleurs et les locataires. Notre volonté d expérimenter nos approches et de profiter de l expérience de partenaires qui nous accompagnent (St Gobain, Schneider..), demeure forte», a-t-il souligné. 2. «Autonomous Building Concept», un projet de recherche pour concilier confort, environnement et réduction des coûts «Il s agit d un projet de recherche ambitieux mais réaliste. Nous sommes intervenus pour donner une première matérialisation architecturale et constructible du concept ABC qui n est pas une utopie», a expliqué Denis Valode en introduction de la présentation. Le premier objectif du projet ABC réside dans l autonomie du bâtiment : une approche assez radicale puisqu elle suppose une autonomie en eau, énergie, assainissement, valorisation des déchets, énergie. «Nous avons mené en parallèle une réflexion sur la densité. Ce projet prévoit un habitat dense afin d éviter l étalement des villes et son impact négatif sur la biodiversité. Flexible et adaptable, il doit pouvoir répondre aux exigences d un habitant et rester en phase avec les mutations fortes vécues par la société (familles recomposées, vieillissement de la population)». Deuxième objectif : rechercher toutes formes d industrialisation possibles pour faire baisser les coûts (en agissant sur la structure, l enveloppe ou les équipements). Troisième objectif : concevoir un habitat convivial qui contribue à créer du lien social. Quatrième objectif : permettre une interaction entre tous ces paramètres. Un îlot urbain dense autonome a été imaginé, «il s agit d un concept radicalement différent puisque traditionnellement les bâtiments se coupent et cherchent à s isoler des éléments extérieurs. Ici, on cherche à récupérer un maximum d éléments du milieu extérieur (eau, soleil), à l image de certaines plantes vivant dans le milieu naturel. Une véritable révolution architecturale!» a expliqué Denis Valode. 3
Le projet prévoit notamment : un toit solaire le plus grand possible qui va «déborder» du bâtiment, pour permettre un maximum de captage d énergie solaire et recueillir les précipitations d eau l installation d éoliennes sur chaque tour un système de valorisation des déchets restants. Toutes les pistes pour contenir les coûts ont été étudiées : repenser la durée d un chantier : revoir les plannings pour envisager la construction en semaines et non en mois ; envisager des techniques plus industrialisées pour monter les projets plus vite ; gérer productivement les fluides : penser le bâtiment comme un organisme, sorte de métabolisme avec des échanges entre les fluides. Raisonner pour optimiser les parcours et l utilité de chacun des fluides. Capter l eau et la stocker, la réutiliser. Stocker l électricité et la transformer. «La juxtaposition de tous ces éléments crée l autonomie», a rappelé Denis Valode. La réflexion se poursuit également sur la structure du bâtiment avec l étude de différentes filières de matériaux : la filière bois (bon isolant, permet une construction rapide), mais aussi les filières métalliques et béton. Les impératifs de dimensionnement urbain doivent néanmoins être respectés (en moyenne 50 logements par Km 2 ). Est étudié parallèlement la possibilité de mutualiser certains espaces, tels que les buanderies, et d inventer des lieux où les habitants pourraient se croiser davantage, par exemple sur les toits. Enfin, la configuration des appartements doit pouvoir être modifiable et adaptable en fonction des évolutions de la société. Certaines collectivités locales et bailleurs ont déjà manifesté leur intérêt pour cette démarche. 3. Quelles méthodes constructives pour construire moins cher? Panorama des expériences en cours dans le monde «Il n y a pas de solution miracle», a déclaré sans ambages Jean Lacroix en introduction : «construire moins cher, c est aussi construire plus vite. Il s agit d un objectif à la fois international, ancien et récurrent en raison de la concurrence et la recherche constante de compétitivité.» Afin d aller plus loin dans la recherche de solutions, il convient de s appuyer sur les expériences passées et de s en inspirer. Par exemple, puiser des idées dans les process de la construction navale ou dans la fabrication d automobiles. Plusieurs options peuvent être envisagées pour réduire les coûts : Modernisation de la chaîne de valeurs Standardisation Baisse du coût de la main d œuvre grâce à un recours à la robotisation. La standardisation peut concerner les composants et se traduire par un recours à l utilisation des sous-ensembles fonctionnels. A titre d exemple : salles de bains préfabriquées utilisées par Bouygues Construction dans le cadre de la réalisation d une série de centres hospitaliers. Un process qui s est traduit par un réel gain de qualité. Voir également la démarche Inovpac chez Norpac (filiale de Bouygues Construction), qui repose 4
sur un nouvel ordonnancement des tâches et le recours accru à l industrialisation de certains composants labellisés pour l environnement. La robotisation de la fabrication de certains composants peut permettre de réduire les coûts, à condition d avoir des séries suffisamment grandes pour amortir les investissements. Il peut s agir également d utilisation de robots pour accomplir certaines tâches à la place de l homme. Exemple avec l utilisation de petits robots par Bouygues Construction pour des tâches sans valeur ajoutée, contraignantes pour les collaborateurs comme le ponçage. Autres initiatives intéressantes développées par Jean Lacroix : réalisation en Chine d un hôtel de 15 étages en 6 jours, grâce à une préfabrication de type «mécano» et avec des finitions traditionnelles (projection du film). construction modulaire d un foyer social de 80 chambres au sud de Londres, sur la base d une préfabrication en acier, de gaines techniques et d escaliers préfabriqués. La réalisation a été achevée en 58 semaines, contre 74 semaines nécessaires pour une construction identique traditionnelle. Et ce, malgré des contraintes liées au site puisque le bâtiment était inséré entre deux autres bâtiments. Jean Lacroix a rappelé en conclusion que la durée de vie du bâtiment est une donnée essentielle dans l analyse du coût global : évolutions technologiques, évolutions des modes de vie, sont autant de paramètres qui peuvent rendre les habitations vite inappropriées. La question est alors posée : comment maintenir à niveau la performance des bâtiments dans le temps? Comment choisir entre des bâtiments conçus pour être facilement recyclables et d autres conçus pour durer le plus longtemps possible? Enfin, il a exposé les enjeux sociétaux liés à l industrialisation : Quels peuvent être les impacts négatifs de la standardisation? Quid de l intégration esthétique au sein de la ville de ces bâtiments? Comment assurer les financements initiaux conséquents de ces projets? Quel impact social d une possible baisse des emplois liée à l industrialisation, dans un secteur qui embauche une grande quantité de main d œuvre? 4. Restitutions des travaux en tables rondes Thème 1 : expériences d industrialisation de la construction de logements : retour d expérience, enseignements et pistes de réflexion pour demain? Les participants se sont accordés pour dire que l industrialisation n entraine pas de gain économique significatif, mais de réels gains de qualité et de respect des délais. De plus ils sont convaincus de la nécessité d intégrer dès la conception le besoin de flexibilité des biens dans la durée (structures et façades légères, plateaux simples et flexibles, etc.). La standardisation constitue par ailleurs une approche intéressante pour les modules de salles de bains, les cuisines et autres pièces humides, à condition toutefois de disposer d un catalogue d option pour permettre la personnalisation. En revanche, l industrialisation n est pas compatible avec les projets de rénovation. Enfin il existe également des freins culturels (architectures régionales, sauvegarde du patrimoine, organisation de la profession ). En ce qui concerne la durée de vie des bâtiments, il pourrait être pertinent de concevoir des structures de bâtiment durables (100 ans), avec des équipements et des intérieurs qui seraient aménagés de façon à pouvoir être déconstruits et réorganisés tous les 20-25 ans. 5
Thème 2 : quelles évolutions en termes d usages dans les logements collectifs pourraient permettre une baisse de coûts tout en apportant de nouveaux services aux occupants? Parmi les pistes évoquées : rendre les lieux non conviviaux, plus conviviaux (ex : mettre les parkings en surface, etc.) ; mutualiser les zones individuelles pour en faire des espaces collectifs (ex : buanderie), densifier les espaces (utiliser des espaces tels que les terrasses pour proposer de nouveaux services), développer les services de conciergerie, accompagner le locataire pour lui apprendre à moins consommer et faire ainsi baisser les charges, éventuellement à travers une incitation financière (aider sans contraindre). Se pose la question du mode de gestion envisagé pour ces espaces, les types de services qui pourraient être facilement mutualisés, notamment dans le cas spécifique des logements sociaux. Thème 3 : Comment généraliser une approche en coût global (du financement à l exploitation) dans les opérations de logement social pour réduire les coûts? Une partie du problème tient à l aspect séquentiel du secteur la construction, avec une forte séparation des tâches et la divergence d intérêts entre les différents acteurs. Plusieurs solutions ont été proposées pour avancer sur ce sujet : - prendre en compte la valeur de l actif dès la phase de conception du bâtiment et non en fin de cycle comme cela est fait habituellement, - Intégrer la recherche d économies futures dès la conception des projets, - En ce qui concerne le financement des projets, trouver un arbitrage entre le gain immédiat et la limitation des coûts dans le futur, - oeuvrer à une meilleure collaboration entre tous les acteurs de la construction d un projet pour faire converger les intérêts, - Chercher à impliquer davantage les maîtres d œuvre sur les aspects de délais et de choix des matériaux, - réfléchir à l usage des bâtiments plus en amont et prendre en considération certains paramètres tels que la mobilité et la possible réduction de certaines surfaces, - Repenser la notion de «bien habiter» dès la conception du projet. En conclusion de la rencontre les participants ont manifesté leur intérêt pour la poursuite des travaux initiés par l Action Tank sur la base de l étude du BCG sur le coût global, et certains ont fait part de leur intérêt pour participer à un think tank thématique sur ce sujet dans les prochains mois. 6