12 juin 1897, Rome-Naples, Marche Fondatrice de l'audax Italiano 1 / 10 Il y a 120 ans : le 12 juin 1897, Rome-Naples, la Marche Fondatrice de l'audax Italiano, premier brevet cyclotouriste de longue distance. Le 12 juin 1817, le baron Karl Drais von Sauerbronn effectue les premiers essais de la «machine à courir» qu'il vient d'inventer, machine que nous connaissons aujourd'hui sous le nom de draisienne (l'article de Raymond Henry «Le bicentenaire de la draisienne», dans Cyclotourisme de mai 2017, l'a rappelé récemment). Le 12 juin 1897, quatre-vingts ans plus tard, jour pour jour, sous la conduite du sculpteur Vito Pardo, douze cyclistes italiens tentent de montrer que, sans être coureur cycliste, il est possible de réaliser plus de 200 km en une seule journée. Le parcours choisi, Rome-Naples, est effectué avec succès par neuf d'entre eux. Cette journée constitue la première randonnée cyclotouriste de longue distance effectuée en groupe. Vito Pardo a publié plusieurs fois le (bref) récit de cette journée avec l'objectif de faire connaître le mouvement Audax qu'il avait créé ; la synthèse de quatre documents d'époque 1, 2, 3, 4 nous fait revivre cet événement grâce aux informations qui permettent d'en effectuer une reconstitution partielle, reconstitution complétée par quelques autres documents qui nous ramènent 120 ans en arrière, le jour de Rome-Naples, la Marche Fondatrice de l'audax Italiano, le premier des brevets de cyclotourisme que nous connaissons encore aujourd'hui, sur des distances variables. Sur une idée de Vito Pardo... L'organisateur de la randonnée Rome-Naples est un sculpteur de 25 ans, Vito Pardo, auteur de nombreux ouvrages (dont plusieurs monuments de grande taille) en Italie et à l'étranger. Dans un livre qui lui est consacré, Pardo évoque brièvement les problèmes de santé (conséquences d'un excès de travail) qui l ont conduit à pratiquer la bicyclette 5. Les bienfaits de cette pratique ayant effacé ses problèmes, il devient un adepte des voyages à bicyclette qui lui procurent plaisir moral et bien-être physique, et le rendent robuste et résistant. En pédalant, il peut mieux apprécier la campagne romaine et la richesse de ses monuments historiques. Il adhère au Touring Club Ciclistico Italiano (T.C.C.I.) dont il est capo console [chef consul] pour Rome de 1895 jusqu'aux premiers mois de 1897. Il participe aux voyages en groupe organisés par le T.C.C.I. et y assume des responsabilités. Durant ses randonnées dans la campagne romaine, puis surtout pendant le voyage Rome-Milan 1896 (sept étapes dont la longueur varie entre 60 et 120 kilomètres 6 ), il considère qu il doit lui être possible de réaliser plus que les distances journalières programmées. Ayant réalisé les 232 km de Rome-Naples en un jour et demi en 1893, il envisage de refaire ce parcours en 18 heures seulement, avec les meilleurs cyclistes de son groupe, en organisant le voyage de manière rationnelle, tant sur le plan de l itinéraire que de l horaire, des haltes et des repas. Il «sélectionne» onze de ses compagnons en fonction de leur âge et leurs capacités physiques, a priori capables d'effectuer le trajet sans effort, selon les principes du cyclotourisme. Mais ce projet déclenche une tempête, au nom du tourisme et de la santé publique... Et il est traité de rêveur et de fou! Néanmoins, Pardo ne se laisse pas intimider et il défend chaque pouce du terrain face à ses adversaires. Le groupe d'amis proches se prépare, tremblant, mais déterminé à se battre jusqu'au bout, pour tenter de gagner ce pari très contesté. A gauche : portrait de Vito Pardo, organisateur de la marche Rome - Naples (photo publiée par le journal Tribuna-Sport en 1899). A droite : cachet philatélique du 18 septembre 2012 commémorant le 140 e anniversaire de la naissance de V. Pardo et le centenaire du monument de Castelfidardo dont il est l'auteur. 1. Pardo Vito (1898) Come vene ideato l'audax. In : Audax Italiano. Marcia annuale di resistanza Torino-Bologna, km 334, in ore 24. Prima prova, 4 giugno 1898. Tipografia M. Massaro, Torino. p. 6-19. 2. Pardo Vito, Pennino & Barberino (1902) La grande riunione degli Audax a Torino. La Stampa Sportiva, Anno 1, num. 18 (18 maggio), p. 9-11. 3. Pardo Vito (1907) L'idea dell' "Audax". Audax, Puntata mensile. Anno 3, num. 5-6, p. 37-38. 4. Pisani Costantino (1905) 1897-1905. Audax, Puntata mensile. Anno 1, num. 1, p. 3. 5. Piccioni Augusto (Momus) & Pardo Vito (1922) Vito Pardo scultore. «La Leonardo», Collana direta e ordinata da Momus. S.T.E. Taddei, Ferrara, Italie, 133 p. 6. T.C.C.I. (1896) Gita Roma Milano (9-15 maggio). Touring Club Ciclistico Italiano, Rivista mensile, n 3(13), Mars, p. 58-60.
12 juin 1897, Rome-Naples, Marche Fondatrice de l'audax Italiano 2 / 10 Les conditions de la réalisation L'historien des Audax, Bernard Déon 7,8 a évoqué le Rome-Naples de 1897 : «Il faut imaginer les routes et les bicyclettes d'alors, aussi la mise sur pied de ce raid fut-elle, à cette époque, qualifiée d'audacieuse». Tout d'abord, tentons de visualiser ces éléments pour nous plonger dans l'ambiance. Il n'y a pas de description des machines utilisées dans les récits de cette journée. Sur la seule photo disponible (voir plus loin), la bicyclette mise en évidence disparaît derrière un panneau montrant que ce sont les participants de Rome-Naples qui posent pour passer à la postérité. Du peu que l'on peut apercevoir de cette bicyclette, elle est comparable à celles que montrent les documents commerciaux de l'époque. Malheureusement, dans les documents italiens dont le récit est issu, les publicités ne comportent pas d'illustration ; ce sont donc deux dépliants français (de 1894 et 1895, donc avec des modèles de 2 à 3 ans d'âge) qui ont été utilisés ici. Types de bicyclettes utilisées sur route en 1897 : mono-vitesse, pignon fixe, un seul frein sur le pneu avant, 13 à 16 kg environ. Extraits de deux dépliants publicitaires. A gauche : Bernimolin (1894), 63 Boulevard de Strasbourg, à Paris. A droite : Agence Générale Vélocipédique (1895), 3&5 rue de Roanne, à St Etienne (créée par Paul de Vivie, plus connu sous le pseudonyme de Vélocio). On note la différence de prix entre le modèle de l'agence Générale Vélocipédique (AGV) et celui de Bernimolin (chez qui le prix peut encore baisser si l'on met des caoutchoucs creux à la place des pneumatiques). Les bicyclettes de route ont des silhouettes et des caractéristiques similaires. L'absence de changement de vitesse est générale à l'époque. La machine est équipée d'un pignon fixe avec un seul frein (amovible!) sur le pneu avant. Le poids est compris entre 13 et 16 kg (le plus léger des deux n'est pas le plus cher ; la robustesse de la machine joue un rôle primordial), et divers accessoires en option peuvent encore modifier le poids. Maintenant que nous avons une idée des caractéristiques de la monture, intéressons-nous à l'itinéraire. Fin 1897, le Comte de Ronseray 9, membre du Touring Club de France, relate une visite chez Vito Pardo lors d'un voyage en Italie réalisé à bicyclette : «Je consulte l'annuaire et j'y trouve : Rome, délégué : le Signore Vito Pardo, via Sallustiana. Je me précipite et je reçois le plus aimable et le plus empressé des accueils, les cyclistes sont frères et je suis traité comme tel. Le salon de notre délégué est rempli de cartes, guides vélocipédiques, etc... Il vient lui-même de faire le trajet de Rome à Naples (234 kilomètres) en un jour, il n'y paraît pas, et cela ne l'empêche pas de se livrer à la sculpture avec succès et de revêtir le brillant uniforme de la cavalerie légère italienne ; il est en plus secrétaire du cercle Militaire à Rome ; nous n'avons donc qu'à nous féliciter de notre représentant dans la Ville Éternelle. Il a poussé la gracieuseté jusqu'à m'accompagner à Tivoli (66 kil. aller et retour). La route est médiocre, mais la pensée que je foule à bicyclette la route que suivait Cicéron pour gagner Tusculum la fait paraître sans défaut...» 7. Déon Bernard (1974) 1904-1974. Le petit livre jaune des Audax. Un résumé des faits saillants de leur histoire. Union des Audax Français éd., Paris, France, 58 p. 8. Déon Bernard (2006) Un siècle de brevets d'audax Cycliste (1904-2004). B. Déon éd., Ravières, France, 560 p. 9. Comte De Ronseray (1897) En Italie (Notes de voyage). Touring Club de France, Revue mensuelle, Octobre, p. 394-395.
12 juin 1897, Rome-Naples, Marche Fondatrice de l'audax Italiano 3 / 10 Cet extrait révèle les diverses activités de Vito Pardo, toujours impliqué avec passion sur plusieurs fronts. Il laisse également supposer que, pour établir les détails de son itinéraire, parmi les nombreux documents évoqués dont dispose Pardo pour préparer l'itinéraire et programmer les différentes haltes, il y a vraisemblablement la plupart (pour ne pas dire la totalité) de ceux édités par le T.C.C.I. (dont il est membre à vie) : des guides régionaux, des cartes et des profils destinés avant tout aux cyclistes, puisqu'en cette année 1897, ils en sont encore les utilisateurs majoritaires. Le choix du parcours sur les cartes et les guides vélocipédiques du T.C.C.I... A posteriori, la revue du T.T.C.I. cite un article qui explique le choix de l'itinéraire du Rome-Naples de 1897 10 : «D'après un article de Vito Pardo, paru dans la Bicicletta, je constate que chez les cyclistes romains, il est acquis que des deux itinéraires Rome-Naples, par Frosinone-Ceprano et par Velletri-Terracina, le premier est le plus pratique, bien que plus accidenté, tant pour les ressources qui peuvent y être trouvées en cas de besoin que pour l'état de la route. Une autre raison que Pardo ne mentionne pas, et qui a sa propre importance pendant quelques mois de l'année - en particulier pour ceux qui ne sont pas acclimatés - et qui aide au choix, c'est que par Terracina vous traversez les Marais Pontins, qui ne sont pas totalement salubres» (la malaria y était fréquente à l'époque). Pour couvrir l'itinéraire Rome-Naples par l'itinéraire choisi par Pardo (via Frosinone et Ceprano), deux profils cyclistes (de Rome à Capoue) sont disponibles 11 ; le dernier tronçon Capoue-Naples semble ne pas avoir été édité sous cette forme). Et plusieurs guides 12,13 permettent de disposer d'informations précises (tourisme, hôtels, restaurants, garages et réparateurs notamment) sur les villes et les principaux villages traversés. Comme les profils pour cyclistes, ils décrivent également des itinéraires touristiques. Il peut être fondamental, pour la réussite de la tentative, de savoir qu'en cas de panne sur les bicyclettes, des réparateurs sont annoncés à Valmontone, Ferentino, Frosinone, Ceprano, Cassino et Capoue alors que, sur l'itinéraire qui emprunte la Voie Appienne [Via Appia en italien]), il n'y en a qu'à Velletri et à Terracina. Extrait du profil cycliste Rome - Frosinone (édité en 1897 par le T.C.C.I.) montrant les 50 premiers kilomètres du parcours. A droite du profil, se trouve la carte topographique correspondante à la même échelle (l'ensemble déplié mesure plus de 1 mètre de long). Les pentes sont reportées (en ) ; l'état des routes est indiqué sous l'échelle des distances ; en petits caractères, en bas, à gauche, il est noté que ces données ont été vérifiées sur le terrain en février 1897. Les profils cyclistes du T.C.C.I. sont suffisamment détaillés pour que les cyclistes qui les utilisent disposent d'informations tant sur les difficultés du parcours (pentes, état des routes) que sur les curiosités touristiques spécifique visibles de la route (panoramas notamment). Si le document replié (10 x 22 cm) tient dans un sac ou une grande poche, l'ensemble déplié profil + carte mesure plus de 1 mètre de long. La carte topographique (à la même échelle : 1/125000, avec le relief représenté par des hachures) est collée à la droite du profil. Sur l'ensemble du parcours, l'état des routes est résumé par cinq formules : 10. (1897) Sezione strade. Touring Club Ciclistico Italiano, Rivista mensile, n 10(34), Oct.-Nov., p. 125-126. 11. Bertarelli Luigi Vittorio (1897) Planimetrie e profili ciclistici, n 23 : Roma-Frosinone ; n 24-25-26 : Frosinone-Ceprano-Capua. Touring Club Ciclistico Italiano, Milano. 12. Bertarelli Luigi Vittorio (1895) Guida-Itinerario dell'italia e di alcune strade delle regioni limitrofe. Touring Club Ciclistico Italiano, Milano. 390 p. 13. Bertarelli Luigi Vittorio (1902) Guida turistica delle strade di grande comunicazione italiane [n 200 : Roma-Frosinone-Capua-Napoli et n 201 : Roma- Terracina-Capua], Touring Club Italiano, Milano, 184 p.
12 juin 1897, Rome-Naples, Marche Fondatrice de l'audax Italiano 4 / 10 quasi tutta pavimentata a selci, con tratti di buona banchina buona alquanto pulverosa discreta pessimo stato di manutenzione presque toute pavée, avec par endroits, de bons bascôtés bon plutôt poussiéreux acceptable très mal entretenu Avec ces documents, il est possible d'appréhender les difficultés du parcours et d'en programmer le découpage en tronçons en fonction des divers paramètres à prendre en compte. Le parcours a été reporté sur une carte plus récente (1902) du TCI. Notez qu'avec le temps le T.C.C.I. est devenu le TCI, le C de Ciclistico ayant été retiré pour montrer que cette organisation s'intéresse à d'autres modes de transport que le cycle. L'itinéraire par Frosinone débute par la montée jusqu'à la Collona, puis suivent les vallonnements de la vallée du Sacco, à plus de 200 mètres d'altitude, entre les monts Lepini et les monts Ernici, sur des routes en montagnes russes qui recoupent tous les affluents du Sacco, avant de retrouver un relief plus doux au delà de Ceprano, avec la vallée du Liri et de redescendre sur Cassino (voir également le profil de l'itinéraire complet) ; une seconde partie vallonnée sera franchie après Cassino (l'altitude de 218 m est de nouveau atteinte sur la ligne de partage des eaux du Garigliano et du Volturno) avant de regagner la plaine du Volturno vers Capoue. En vert : itinéraire de Rome Naples du 12 juin 1897 reporté sur une carte d'époque (TCI, 1902) 13. Les lieux d'arrêt sont surlignés en jaune. Le tracé bleu correspond à l'itinéraire des cyclistes napolitains lors de Naples Rome effectué au mois d'août 1897. Marches, sorties, brevets : les appellations des organisations des Audax italiens et français De nos jours, les brevets Audax sont des randonnées (de 100 à 1000 km) effectuées en groupe, à une vitesse moyenne de 22,5km/h, sous la conduite d'un ou plusieurs capitaines de route qui gèrent l'allure, les horaires et la réalisation du parcours. Ils ont été créés en France en 1904 par Henri Desgrange (qui s'est inspiré du modèle italien inventé par Vito Pardo) sous l'appellation de «sorties d'audax», puis de «brevets d'audax». Lors de son congrès à Rome en 1900, l'audax Italiano décide d'utiliser exclusivement le terme «marche de résistance» (marcia di resistanza) ou plus simplement «marche» pour qualifier ses organisations lorsqu'elles conduisent à la nomination de nouveaux membres (c'est-à-dire 200 km minimum, en 18 heures consécutives maximum et 14 h. minimum) 14 ; les autres sorties sont qualifiées de promenades (gite). A partir de 1906, les membres de l'audax Italiano peuvent acquérir (éventuellement rétroactivement pour les anciens Audax) un diplôme sur lequel est portée la mention «Diploma-Brevetto» 15 qui explique la généralisation du terme brevet, encore utilisé de nos jours. 14. Direzione Generale dell'audax Italiano (1900) Audax Italiano (Comunicato Ufficiale). Tribuna Sport, n 27 du 8 juillet 1900. 15. (1906) Il nostro Diploma-Brevetto. Audax, Puntata mensile. Anno 2, num. 8, p. 66.
12 juin 1897, Rome-Naples, Marche Fondatrice de l'audax Italiano 5 / 10 Les marches Rome-Naples et Naples-Rome racontées par Vito Pardo 1,2,3 Dans la nuit du 12 Juin 1897, à deux heures précises, sous un ciel poétique où des milliers d'étoiles brillaient de toute leur splendeur, nous sommes partis du petit café Compagnucci, sur la via Nazionale, en direction de Naples. Mes compagnons étaient onze jeunes hommes courageux, pleins de force et de joie. Pourquoi ne pas vous les citer? : Floridi, le comte Morlacchi, Spalazzi, Arioli, Salvatori, Nautier, le docteur Ascarelli, Volpi, Farina, Turchi et Cipolla ; seuls les trois derniers n'ont pas atteint l'objectif, victimes d'accidents et de pannes à leur machine. Nous étions accompagnés d'une escorte de cinquante cyclistes qui nous ont quittés à la montée de la Colonna, souhaitant un heureux dénouement à notre tentative ; mais l'aube qui pointait derrière les sommets éclairés éclairait à ce moment-là l'incrédulité de leur visage et le sourire presque moqueur de leurs lèvres!! Un petit arrêt à Frosinone, la ville ancienne et guerrière des Volsques, et un succulent déjeuner à Cassino - au pied de la célèbre abbaye du VIe siècle - étaient suffisants pour nous reposer le long du chemin et continuer le voyage rendu plus facile par de légers nuages qui voilaient le soleil et rendaient supportable la chaleur de la saison déjà avancée. Nous sommes arrivés dans la belle Partenope, presque surpris, à huit heures du soir, dans l'horaire le plus parfait, accueillis par une foule immense et encore assez frais pour nous déplacer en ville jusqu'à minuit avec des collègues napolitains qui voulaient bien affectueusement, fraternellement, célébrer le succès de cette marche qui a écarté ces préjugés stupides qui disent à la fois qu'il est impossible de réaliser Rome-Naples en une journée sans être un bon coureur, et de faire parcourir de longues distances à de grands groupes. Un nouveau champ inexploré fut ouvert pour faire progresser le tourisme. Les cyclistes napolitains, plus d'un mois plus tard, ont effectué le voyage de retour à la capitale (leur parcours 237 km empruntait la Voie Appienne, par Capoue, Formia, Terracina et Velletri). Ils l'ont fait avec la même audace que ceux de Rome qui avaient donné l'exemple. A la mi-août, les randonneurs, admirablement dirigés par Vittorio Jannon, ont accompli la randonnée en 18 heures, malgré toutes sortes de problèmes. Un vrai miracle! Partis aussi de Naples à 2 heures du matin, peu après Capodimonte (après 5 km environ), ils ont été pris dans une tempête qui les a forcés à marcher à pied pendant 10 kilomètres. Ils sont arrivés à 11 heures à Terracina (km 144) et y ont déjeuné ; repartis après deux heures d'arrêt, ils ont été gênés par un fort vent contraire. A la nuit tombée, ils ont atteint Frattocchie (à 20 km de Rome) où plus de 150 (ou 250, selon la source) cyclistes Romains étaient venus à leur rencontre et pour les escorter jusqu'à la capitale. Ce long ruban de vélocipédistes, éclairé par les lampes allumées lucioles modernes à travers la campagne romaine, ordonné et silencieux, fait un effet étrange, imposant, et que certainement, aucune des personnes présentes ne pourra oublier. Au cours du banquet donné en l'honneur des participants à ce tourisme nouveau et audacieux - entre l'enthousiasme le plus sincère et la mousse du champagne, la fondation de l'audax a été initiée : - Et nous aurons une nouvelle société? - Oui. - Comment l'appellerez-vous? - Audax. - Hip, hip, hip, hourra pour l'audax... ont répété cent voix, et les verres remplis se sont heurtés avec plaisir, souhaitant bonne chance à la société naissante...» Rome Naples 1897. Les neuf arrivants figurent sur cette photo publiée dans la revue Audax, puntata mensile, (1907, n 5-6) 3.
12 juin 1897, Rome-Naples, Marche Fondatrice de l'audax Italiano 6 / 10 Le dernier paragraphe de ce récit annonce le futur Audax Italiano. Les neuf premiers Audax furent donc : Carlo Arioli, Attilio Ascarelli, Aurelio Fariselli-Spallazzi, Giuseppe Floridi, Corrado Morlacchi, Ettore Nantier, Vito Pardo, Oreste Salvatori, et Guido Volpi 16. Ils fondèrent l'audax Rome-Naples avec les cyclistes napolitains ayant réalisé Naples-Rome : Alberto Benedetti, Luigi Cava (ou Caso selon la source), Vittorio Jannon, Enrico Natali, Luigi Pitterà et Luigi Revello. Fondées en 1897, Rome et Naples sont considérées par l'audax Italiano comme ses deux premières sections. Les sections suivantes se joindront à elles à partir de 1898, au fur et à mesure de l'organisation de leur première marche respective, pour former l'audax Italiano. Le profil et le tableau de marche de Rome-Naples ont été publiés en 1905 dans la revue Audax 17. On remarque que le kilométrage annoncé sur ces deux documents n'est que de 227,8 km au lieu des 230 à 234 km lus par ailleurs. Cela tient tout d'abord au lieu de départ du décompte effectué par Pisani (et par les guides du T.C.C.I.) : la Porta Maggiore, à la sortie de Rome, alors que les cyclistes sont partis de la Via Nazionale, à l'intérieur de la ville. Sur internet, les logiciels de cartographie donnent une distance de 2 à 3 km environ jusqu'à la Porta Maggiore, selon le point de départ choisi sur la Via Nazionale (la localisation du café Compagnucci n'ayant pas été possible). Une seconde incertitude existe également pour le lieu d'arrivée dans Naples. On comprend donc qu'il est facile d'obtenir quelques kilomètres de différence selon les sources, mais ceci a peu d'importance car l'ordre de grandeur reste le même. Profil de Rome Naples 1897. Sur le graphique publié par C. Pisani (revue Audax, puntata mensile, 1905, n 1), ont été superposées les dénivelées partielles et cumulées (en vert) ainsi que la vitesse moyenne entre deux arrêts successifs et l'évolution de la vitesse moyenne durant le parcours (en rouge). Pour cet article, les vitesses ont été calculées à partir des indications du tableau de marche et les dénivelées à partir des altitudes des profils édités par le T.C.C.I. L'état des routes a également été ajouté à partir des profils du T.C.C.I. 16. (1908) I fondatori delle sezioni seniori. Audax, Puntata mensile. Anno 4, num. 3-4, p. 107. 17. Pisani Costantino (1905) Itinerari Audax n 1. Roma-Cassino-Napoli. Marcia di fondazione dell'audax. Audax, Puntata mensile. Anno 1, num. 1, p. 7-8.
12 juin 1897, Rome-Naples, Marche Fondatrice de l'audax Italiano 7 / 10 Tableau de marche de Rome Naples 1897. On y trouve les localités où sont programmés les arrêts, les kilométrages partiels et cumulés, l'altitude ainsi que les durées de chaque tronçon de parcours et de repos à chaque arrêt. Les heures d'arrivée et de départ ont été ajoutées à partir des indications du tableau : en bleu d'après les indications du tableau de C. Pisani (marche réalisée en 17h 30) ; en vert d'après les horaires du récit de V. Pardo (marche réalisée en 18h 00). A droite, un calendrier de juin 1897 apporte des informations complémentaires : lever et coucher du soleil, phases de la lune. Les horaires publiés par Pisani sont certainement ceux des éditions ultérieures de Rome-Naples. En 1897, pour la première édition, il est possible que quelques détails aient été différents, mais la localisation et la durée des pauses est vraisemblablement similaire : dans des lieux où il est possible de trouver du ravitaillement, voire un réparateur pour les bicyclettes. Entre deux haltes, les distances parcourues sont comprises entre 12 km (Ferentino-Frosinone) et 33,7 km (Ceprano- Cassino). Dans son récit, Pardo ne signale que l'arrêt matinal à Frosinone (contre 20 minutes de repos à Ferentino pour Pisani) et le repas à Cassino (2 heures de pause), aucune des autres pauses du tableau de marche de Pisani (10 ou 15 minutes) n'étant évoquée. Les heures d'arrivée et de départ ont été ajoutées à partir des indications du tableau de C. Pisani (trajet effectué en 17h 30 minutes, pauses incluses) et d'après les horaires du récit de V. Pardo (départ à 2h du matin, arrivée à 20h, soit 18h 00m). Si l'on attribue la demi-heure de différence au début du parcours (c'est-à-dire à l'itinéraire dans Rome intra-muros), on obtient pour chaque lieu d'arrêt les horaires de passage au plus tôt (marche réalisée en 17h 30m) et les horaires de passage au plus tard (marche réalisée en 18h 00m). Ainsi, la pause déjeuner à Cassino se serait déroulée entre 11h 10m - 13h 10m et 11h 40m - 13h 40m.
12 juin 1897, Rome-Naples, Marche Fondatrice de l'audax Italiano 8 / 10 A gauche : La Via Nazionale, où furent donnés les premiers coups de pédales de Rome Naples 1897. A droite : la Porta Maggiore par laquelle se fit la sortie de Rome. Les pavés de la première partie du trajet sont visibles sur la photo. Cartes postales. Un calendrier du mois de juin 1897, présenté à côté du tableau de marche, montre que la lune fut pleine le lundi 14, soit deux jours après Rome-Naples. Ceci assure un éclairage apprécié dans les heures qui précèdent le lever du soleil, annoncé à 5h 06 (coucher à 19h 21), sans préciser le lieu géographique de l'événement (il y a environ de vingt minutes de décalage entre les principales villes d'italie ayant pu servir de référence) ; il ne faut considérer ces informations que comme des ordres de grandeur qui permettent de situer le lever du soleil alors que les cyclistes se trouvaient vers Valmontone (km 39) et le coucher du soleil peu avant leur arrivée à Naples. La ville de Cassino (dominée par l'abbaye de Montecassino, en haut à gauche sur la photo) où les participants prirent le repas de midi. Photo provenant du fascicule Montecassino, la famosa badia beneditta. Le cento città d'italia illustrate (fascicule n 241, 1928) dont le texte a été rédigé par Vito Pardo. Les dénivelées ont été calculées à partir des altitudes portées sur les profils détaillés du TTCI (l'échelle du profil publié par C. Pisani ne permet pas de reporter l'intégralité des dénivelées rencontrées sur le terrain). Les deux tronçons aux dénivelées les plus fortes sont Rome-Osteria della Colonna (22,9 km, avec une pente à 5% pour les 5 derniers km) et Cassino-Cajanello (32,5 km) ; ils correspondent aux deux ascensions à effectuer à partir de villes situées à moins de 100 m d'altitude. La dénivelée cumulée sur l'ensemble du parcours est de 1400 m environ. Les informations fournies permettent d'estimer les vitesses moyennes sur chaque tronçon. Après un départ à 14 km/h de moyenne entre Rome et l'osteria della Colonna (obscurité de la nuit, route pavée, dénivelée et pentes importantes), les vitesses moyennes oscillent entre 16 et 19 km/h jusqu'au déjeuner à Cassino, localité où la vitesse moyenne générale est à son maximum de la journée (17 km/h). Les tronçons parcourus le plus rapidement sont ceux qui présentent le plus de descentes, ce qui laisse penser que la qualité des routes y est satisfaisante et que le groupe peut en profiter. Après le repas, la vitesse va
12 juin 1897, Rome-Naples, Marche Fondatrice de l'audax Italiano 9 / 10 constamment décroître. Après Cassino-Cajanello (et ses 400 m de dénivelées) parcouru à 16 km/h, la descente vers Capoue s'effectue à un rythme plus lent (influence de l'état de la route?), avant de tomber à 14 km/h entre Capoue et Naples. Selon les sources du T.C.C.I. consultées, l'état de cette route va de l'acceptable à «très mauvais état d'entretien». En cette fin d'aprèsmidi, l'état de la route, peut-être les incidents mécaniques qui ont empêché le succès de trois des participants, ainsi qu'un soupçon de fatigue (qui doit commencer à se manifester) expliquent vraisemblablement le ralentissement. A Naples, la vitesse moyenne générale est de 16 km/h. Naples, ville d'arrivée. La Porta Capuana marque l'entrée dans la ville en provenance de Capoue. Carte postale. Conclusions Naples-Rome (août 1897). Le parcours de cette marche empruntait la nouvelle Voie Appienne (Via Appia). Carte postale. Vito Pardo a donc été l'initiateur d'un type d'organisation destiné à permettre à des groupes de cyclotouristes d'effectuer de grandes distances dans une seule journée. Cette formule fut appelée Audax en référence à l'audace de ces premières tentatives. Sur un parcours choisi pour l'état de ses routes et pour les possibilités qu'offrent les villes traversées, le tableau de marche, publié a posteriori, a été établi pour qu'entre deux pauses (10 à 20 minutes plus une pause de deux heures pour le déjeuner), sur chaque tronçon du parcours (dont le kilométrage varie), la vitesse du groupe soit adaptée en fonction du relief rencontré, de l'état de la route et de l'avancement de la journée, donc de la fatigue potentielle des participants. Cette formule a eu rapidement un grand succès en Italie. Pour regrouper toutes les associations désireuses d'organiser des marches selon ce principe, le 16 janvier 1898, l'audax Italiano a été créé en Italie et Vito Pardo, le premier des capitaines de route Audax, en a été nommé directeur général. L'Audax Italiano se développera jusqu'en 1914, mais la première guerre mondiale entraînera la disparition de ce mouvement. En 1904, Henri Desgrange a repris ce modèle pour l'introduire en France ; cette action fut à l'origine à l'audax Club Parisien (ACP) durant cette même année. Après quelques conflits avec les cyclotouristes de l'acp, Desgrange leur retira l'organisation des brevets Audax en 1921 7,8 ; elle est aujourd'hui assurée par l'union des Audax Français (UAF). De son côté, l'acp créa les brevets Randonneurs. En participant à un brevet, les cyclotouristes mettent donc leurs roues dans les traces des 12 audacieux italiens qui, le 12 juin 1897, à 2 heures du matin, partirent de Rome en direction de Naples. A lire pour en savoir davantage : Sur les Audax : Déon Bernard (1974) 1904-1974. Le petit livre jaune des Audax. Un résumé des faits saillants de leur histoire. Union des Audax Français éd., Paris, France, 58 p. Disponible sur le site de l'u.a.f. Sous forme de fichier PDF ( http://www.audaxuaf.com/pratique/images/ljaune.pdf)
12 juin 1897, Rome-Naples, Marche Fondatrice de l'audax Italiano 10 / 10 Déon Bernard (2006) Un siècle de brevets d'audax Cycliste (1904-2004). B. Déon éd., Ravières, France, 560 p. (disponible auprès de la boutique de la FFCT et du site de l'uaf). Sur Vito Pardo (les trois premières références sont consacrées à son activité de sculpteur) Piccioni Augusto (Momus) & Pardo Vito (1922) Vito Pardo scultore. «La Leonardo», Collana direta e ordinata da Momus. S.T.E. Taddei, Ferrara, Italie, 133 p. Volpe Gianni (2005) - In ricordo dello scultore Vito Pardo. Accademia Raffaello (Urbino), Atti e studi, 1, p. 109-121. Ghidoli Alessandra (2015) Il monumento commerotativo di Vito Pardo per Grottammare. In : 12 ottobre 1860_Lo storico incontro di Grottammare e il suo contributo all'unità d'italia. Atti del Convegno 4-5 giugno 2011. Alessandra Ghidoli Ed., Città di Grottammare, Italie, p. 79-95. (disponible sur le site de la Città di Grottammare : http://www.comune.grottammare.ap.it/contents/atti+del+convegno+unità+d'italia/1288) Bouchet Alain (2015) - Vito Pardo, sculpteur et fondateur de L Audax Italiano. In : 26e Conférence Internationale d'histoire du Cycle, Entraigues-sur-la-Sorgue. Raymond Henry et Gary W. Sanderson Eds., Fédération Française de Cyclotourisme, Ivry-sur-Seine, p. 178-187. (les actes de la Conférence d'entraigues-sur-la-sorgue de 2015 sont disponibles auprès de la boutique de la FFCT : http://ffct.org/activites-federales/adherents/la-boutique/). La revue du Touring Club de France est consultable sur le site de la Bibliothèque Nationale de France (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6505758k/f36.image.r=1897%20vito%20pardo?rk=429186;4) La revue du Touring Club Ciclistico Italiano est consultable sur le site d'internet Archive (https://archive.org/stream/rivistamensilede1119cava/rivistamensilede1119cava_djvu.txt) La revue Stampa Sportiva est consultable sur le site Digibess (http://www.digibess.it/fedora/repository/mauto:ssport- C902/-/collection) Alain Bouchet Cyclotouristes Châtelleraudais Juin 2017