Introduction Philosophie des sciences séance 1 M. Cozic
remerciements à......denis Bonnay
qu est-ce que la science? réponse 1: la physique, la chimie, la biologie, les mathématiques, etc...sont des sciences la théologie, la peinture, l haltérophilie, etc...ne sont pas des sciences mais qu est-ce qui fait que la physique, la chimie, la biologie, etc...sont des sciences, alors que la théologie, la peinture, l haltérophilie, etc. ne le sont pas? donner une liste ne suffit pas: on veut savoir ce qu ont en commun les différentes sciences
qu est-ce que la science? réponse 2: la science est la tentative pour expliquer et prédire ce qui se passe dans notre monde expliquer: pourquoi les choses sont comme elles sont? prédire: quelles choses vont se produire? problème: - les religions, les mythes, etc. cherchent à expliquer beaucoup de choses de notre monde (ex: l origine du monde) - l astrologie cherche à prédire des événements
qu est-ce que la science? réponse 3: la science est la tentative pour expliquer et prédire ce qui se passe dans notre monde par la méthode scientifique question: qu est-ce que la méthode scientifique? le recours à l expérimentation? beaucoup de sciences n ont pas recours à l expérimentation. L astronomie, qui a été (et qui reste) un modèle de scientificité, n est pas une science expérimentale. la construction de théories? en un sens (très) large de théorie, les théories ne sont pas l apanage des sciences
qu est-ce que la science? question: qu est-ce que la méthode scientifique? la construction de théories mathématisées? on peut faire (et on fait) de la bonne science sans théorie mathématique; on peut construire des théories mathématisées délirantes... ces caractéristiques sont certainement importantes, mais de toute façon les citer ne suffit pas: il faut expliquer pourquoi telle ou telle caractéristique de la science est ce qui explique ce que l on valorise dans la science: son succès, sa rationalité, etc.
1. La science moderne: quelques repères historiques
origines de la science moderne: en Europe, entre 1500 et 1750, on assiste à développement spectaculaire des connaissances ce développement ne naît pas de rien: nombreuses connaissances scientifiques dans l Antiquité déjà. Chez Aristote par exemple, on trouve des études qui relèvent de la physique, de l astronomie, la cosmologie, la biologie, etc les idées aristotéliciennes jouaient d ailleurs encore un rôle central dans les sciences européennes au XVI les changements qui s opèrent dans la pensée scientifique à cette époque introduisent de nombreuses ruptures (cf. ci-après), si bien qu on parle couramment de révolution scientifique pour qualifier le passage de la science médiévale à la science moderne
la révolution Copernicienne Nicolas Copernic (1473-1543) expose et défend une théorie héliocentrique dans Des Révolutions des sphères célestes (voir illustration) la théorie qui dominait alors était la théorie géocentrique issue de l astronomie de Ptolémée (90-168) consignée dans l Almageste (voir illustration) condamnation par l Eglise en 1616, qui n abandonna la théorie géocentrique qu au milieu du XVIIIè (par...benoit XIV)
Copernic Copernic, Préface à Des Révolutions j ai commencé, moi aussi, à penser à la mobilité de la terre. Et quoique l opinion semblait absurde, cependant, puis donc que je savais qu à d autres avant moi fut accordée la liberté d imaginer n importe quels cercles afin d en déduire les phénomènes des astres, je pensai qu il me serait également permis de faire l expérience de rechercher si, en admettant quelque mouvement de la terre, on ne pouvait trouver une théorie plus solide des révolutions des orbes célestes que ne l étaient celles de ceux-ci.
Copernic Copernic, Préface à Des Révolutions C est ainsi que, étant posés les mouvements que plus bas dans mon oeuvre j attribue à la terre, je trouvai enfin par de longues et nombreuses observations que, si les mouvements des autres astres errants étaient rapportés au mouvement [orbital] de la terre et que celui-ci était pris pour base de la révolution de chacun des astres, non seulement en découlaient les mouvements apparents de ceux-ci, mais encore l ordre et les dimensions de tous les astres et orbes, et qu il se trouvait au ciel lui-même une connexion telle que dans aucune de ses parties on ne pouvait changer quoi que ce soit sans qu il s ensuive une confusion de toutes les autres et de l Univers tout entier.
le système géocentrique
le système héliocentrique
les lois de Kepler Johannès Kepler (1571-1630): l orbite des planètes autour du Soleil n est pas circulaire mais elliptique (première de ses trois lois) les 2 autres lois portent sur la vitesse de rotation des planètes
Galilée Galilée (1564-1642) contribua à l astronomie, mais aussi à la mécanique = science du mouvement des corps hypothèse aristotélicienne : les corps plus lourds tombent plus vite que les corps plus légers (pseudo?) expérience de la Tour de Pise: les corps en chute libre tombent à la même vitesse attention: il faut évidemment faire abstraction de la résistance de l air
Galilée loi de la chute des corps: les corps en chute libre accélèrent uniformément i.e. ils gagnent la même vitesse dans le même intervalle de temps Galilée est souvent vu comme le premier physicisien moderne: (i) utilisation des mathématiques en physique - cela ne va pas de soi (ii) recours à l expérimentation
Galilée sur les mathématiques Galilée, L essayeur (Il Sagiattore) La philosophie est écrite dans ce vaste livre qui constamment se tient ouvert devant nos yeux (je veux dire l Univers), et on ne peut le comprendre si d abord on n apprend à connaître la langue et les caractères dans lesquels il est écrit. Or il est écrit en langue mathématique, et ses caractères sont les triangles, les cercles, et autres figures géométriques, sans lesquels il est humainement impossible d en comprendre un mot, sans lesquels on erre vainement en un labyrinthe obscur.
la physique newtonienne les Principes Mathématiques de la Philosophie Naturelle (1686) d Isaac Newton (1643-1727) sont le point d orgue de la révolution scientifique deux contributions fondamentales: (A) les trois lois du mouvement (B) la loi de la gravitation universelle
la physique newtonienne: les trois lois du mouvement (A) les trois lois du mouvement (1) principe d inertie Tout corps persévère dans l état de repos ou de mouvement uniforme en ligne droite dans lequel il se trouve, à moins que quelque force n agisse sur lui, et ne le contraigne à changer d état. (2) loi fondamentale de la dynamique Les changements qui arrivent dans le mouvement sont proportionnels à la force motrice, et se font dans la ligne droite dans laquelle cette force a été imprimée. (3) égalité de l action et de la réaction L action est toujours égale et opposée à la réaction ; c est-à-dire que, que les actions de deux corps l un sur l autre sont toujours égales, et dans des directions contraires.
la physique newtonienne: les trois lois du mouvement (A) les trois lois du mouvement dans la théorie standard: (1) principe d inertie si F = 0, alors a = 0 où F est l ensemble des forces qui s exercent sur le corps et a = 0 son accélération (le changement de sa vitesse) (2) loi fondamentale de la dynamique F = m a où m est la masse du corps (3) égalité de l action et de la réaction F A B = F B A
la physique newtonienne: la gravitation universelle force gravitationnelle F g : pour toute paire de corps 1, 2, ces deux corps s attirent proportionnellement à leurs masses, inversement proportionnellement au carré de la distance qui les sépare. La valeur de F g est alors F g = G (m 1 m 2 )/r 2 où r est la distance entre 1 et 2. F1 F2 m 1 m 2 F = F = 1 2 r m G _ 1 m 2 r 2
la physique newtonienne la théorie newtonienne se développe dans un cadre mathématique qui joue depuis lors un rôle fondamental en physique (et dans d autres sciences) - le calcul infinitésimal la théorie newtonienne permet de rendre compte de très nombreux phénomènes, et simultanément des phénomènes célestes et terrestres: - lois de Kepler - lois de la chute des corps de Galilée
le succès de la physique newtonienne fantastique succès de la physique newtonienne ou physique classique... (i)...comme voie à suivre pour le savoir humain en général exemple: Hume dans le Traité de la Nature Humaine (1739) entend construire une science de l homme à l image de la physique newtonienne (ii)...qui domine la physique jusqu à la fin du XIXè siècle
la physique contemporaine on a cependant découvert au XXè siècle que la physique classique ne valait pas pour des corps très massifs ou se déplaçant à des vitesses proches de celle de la lumière théorie de la relativité (Einstein) dans le très (très) petit mécanique quantique
les progrès de la science la science physique n est évidemment pas la seule à avoir connu des développements spectaculaires Charles Darwin (1809-1882) propose sa théorie de l évolution dans L origine des espèces (1859)
la théorie de l évolution selon la théorie de l évolution, les espèces que l on observe aujourd hui n ont pas été créées telles quelles mais ont évolué d espèces ancestrales l évolution des espèces est régie par la sélection naturelle: certaines variations existent au sein des espèces, et l environnement favorise plutôt telle variation que telle autre l itération de ce processus permet l apparition de nouvelles espèces à partir d anciennes la théorie de l évolution est l un des piliers de la biologie contemporaine...et de notre vision du monde
la théorie de l évolution
la biologie moléculaire 2nd pilier de la biologie contemporaine: la biologie moléculaire 1953: Watson & Crick découvrent la structure de l ADN, le matériel héréditaire qui constitue les gènes dans les cellules des organismes explique comment l information génétique peut être transmise de parents en descendants 1990-2003: séquençage complet de l ADN du génome humain
nouvelles frontières
2. la philosophie des sciences
la philosophie des sciences la philosophie des sciences (PSci) est aujourd hui l une des principales branches de la philosophie la philosophie générale des sciences s intéresse aux questions épistémologiques et ontologiques transversales soulevées par l activité scientifique questions épistémologiques: par quels moyens la science atteint-elle ses connaissances? quelle confiance devont nous accorder à ce que la science avance?... questions ontologiques: quel statut faut-il accorder aux entités et propriétés (parfois étranges) qui peuplent les théories scientifiques? la philosophie des sciences spéciales s intéresse aux questions (épistémo. ou onto.) soulevées par des disciplines scientifiques particulières philosophie de la physique philosophie de la biologie philosophie des sciences sociales philosophie des sciences M. Cozic cognitives Introduction Philosophie des sciences séance 1
exemple exemple: quand ils comparent leurs hypothèses à des données empiriques, les scientifiques parlent très souvent de confirmation et d infirmation leur objectif n est pas de savoir ce qu est la confirmation ou l infirmation; c est de savoir si telle donnée confirme telle théorie le philosophe des sciences adopte un point de vue réflexif: il se demande en quoi consiste exactement la confirmation, quels sont les principes tacites qui guident l usage du concept il adopte également un point de vue évaluatif: il se demande si de tels principes sont compatibles entre eux, et s ils sont justifiables
organisation le cours s organise autour des notions et des questions fondamentales de la philosophie des sciences: (1) le raisonnement scientifique Au coeur du raisonnement scientifique: la liaison entre théories scientifiques et données empiriques. Comment fonctionne et comment doit fonctionner cette mise en relation? (2) explications, lois et causalité Qu est-ce qu une explication? Qu est-ce qu une loi de la nature? qu est-ce que la causalité? (3) réalisme et anti-réalisme Les théories scientifiques sont peuplées d entités et de propriétés étranges. Doit-on croire en l existence de ces entités? (4) le changement scientifique Comment la science évolue-t-elle? Le fait-elle de manière rationnelle?
la philosophie des sciences la philosophie des sciences (PSci) se distingue de l histoire des sciences: étude du développement historique de domaines de l activité scientifique (histoire des théories, des expériences, des innovations, des instruments...) la sociologie des sciences: étude de la science comme activité sociale (ex: les institutions scientifiques, la division du travail scientifique, les conditions et les effets sociaux de la science)
3. science et non-science
le problème de la démarcation pour achever cette introduction, revenons à la question dont nous étions partis, la question de savoir ce qui distingue la science problème de la démarcation = problème de savoir ce qui distingue les sciences des non-sciences ou pseudo-sciences ce problème a été très discuté dans les années 1930 où deux théories de la démarcation se sont affrontées: celle des positivistes logiques du Cercle de Vienne et celle de K. Popper
la démarcation selon le positivisme logique l objectif est de séparer la science de la métaphysique à laquelle les positivistes sont très hostiles hypothèse de départ: science et non-science se séparent sur la base de leurs propositions idée fondamentale: les propositions de la science sont douées de signification tandis que celles des non-sciences ne le sont pas question: quand un énoncé est-il doué de signification?
la démarcation selon le positivisme logique théorie vérificationniste de la signification: la signification d un énoncé est la méthode par laquelle on le vérifie i.e. par laquelle on établit qu il est vrai Carnap: Un énoncé ne dit que ce qui en lui est vérifiable la méthode de vérification d un énoncé S est l ensemble des observations (en fait, des énoncés d observation) qui permettent d établir S les énoncés des sciences satisfont au critère vérificationniste, pas ceux des non-sciences exemple: le Néant néantit (Heidegger, Qu est-ce que la métaphysique?)
la démarcation selon le positivisme logique R. Carnap (1929), La conception scientifique du monde Lorsque quelqu un affirme : Il y a un Dieu, L Inconscient est le fondement originaire du monde, Il y aune entéléchie comme principe directeur du vivant, nous ne lui disons pas : ce que tu dis est faux, mais nous lui demandons : Qu est-ce que tu signifies avec tes énoncés? Une démarcation très nette apparaît alors entre deux espèces d énoncés : d un côté les affirmations telles que les formules de la science empirique ; leur sens peut être constaté par l analyse logique, plus précisément par un retour aux énoncés les plus simples portant sur le donné empirique. Les autres énoncés, parmi lesquels ceux que l on vient de citer, se révèlent complètement dénués de signification quand on les prend au sens où l entend le métaphysicien.
la démarcation selon Popper Popper rejette deux thèses: - celle selon laquelle sciences vs. non-science correspond à doué de signification vs. dénué de signification - celle selon laquelle un énoncé est scientifique ssi il est vérifiable Popper n abandonne ni l idée qu il existe un critère de démarcation, ni celle selon laquelle ce critère s applique aux énoncés
la démarcation selon Popper pourquoi la démarcation positiviste n est-elle pas bonne? (1) les lois scientifiques à prétention universelles (ex: les lois de la mécanique de Newton) ne sont pas vérifiables; elles ne seraient donc pas scientifiques! (2) les concepts scientifiques ne sont pas réductibles à des concepts formés à partir de propriétés observables (3) une simple négation appliquée à un énoncé peut le rendre invérifiable: faut-il en conclure que l énoncé perd sa signification en état nié?
la démarcation selon Popper Popper (1964)...un système n est scientifique que s il fait des assertions qui peuvent entrer en conflit avec des observations (...) Cette conception de la science voit dans son attitude critique sa caractéristique la plus importante. Un savant doit donc examiner une théorie afin de savoir si elle peut faire l objet d une discussion critique: si elle s expose aux critiques de toutes natures; et - si oui - si elle peut y résister. La théorie de Newton par exemple prédisait certaines déviations par rapport aux lois de Kepler (en raison des interactions entre planètes). Ces observations n avaient pas été observées à l époque. Elle s exposait donc à des réfutations empiriques effectuables, dont l échec signifiait le succès de la théorie. (...) Les théories non testables n ont aucun intérêt pour les chercheurs de sciences empiriques. On peut les qualifier de métaphysiques.
la démarcation selon Popper Popper (1963), Conjectures et réfutations 1) Si ce sont des confirmations que l on recherche, il n est pas difficile de trouver, pour la grande majorité des théories, des confirmations ou des vérifications. 2) Il convient de ne tenir réellement compte de ces confirmations que si elles sont le résultat de prédictions qui assument un certain risque ; autrement dit, si, en l absence de la théorie en question, nous avions dû escompter un événement qui n aurait pas été compatible avec celle-ci - un événement qui l eût réfutée. 3) Toute bonne " théorie scientifique consiste à proscrire : à interdire à certains faits de se produire. Sa valeur est proportionnelle à l envergure de l interdiction. 4) Une théorie qui n est réfutable par aucun événement qui se puisse concevoir est dépourvue de caractère scientifique. Pour les théories, l irréfutabilité n est pas (comme on l imagine souvent) une vertu mais un défaut.
la démarcation selon Popper Popper (1963) 5) Toute mise à l épreuve véritable d une théorie par des tests constitue une tentative pour en démontrer la fausseté ou pour la réfuter. Pouvoir être testée c est pouvoir être réfutée ; mais cette propriété comporte des degrés : certaines théories se prêtent plus aux tests, s exposent davantage à la réfutation que les autres, elles prennent, en quelque sorte, de plus grands risques. 6) On ne devrait prendre en considération les preuves qui apportent confirmation que dans les cas où elles procèdent de tests authentiques subis par la théorie en question ; on peut donc définir celles-ci comme des tentatives sérieuses, quoique infructueuses, pour falsifier) telle théorie (j emploie désormais pour les désigner le terme de preuves corroborantes "). 7) Certaines théories, qui se prêtent véritablement à être testées, continuent, après qu elles se sont révélées fausses, d être soutenues par leurs partisans - ceux-ci leur adjoignent une quelconque hypothèse auxiliaire, à caractère ad hocÿ ou bien en donnent une nouvelle interprétation ad hoc permettant de soustraire la théorie à la réfutation. Une telle démarche
la démarcation selon Popper deux exemples de théories que Popper considère comme non-scientifiques: (1) la théorie psychanalytique (2) la théorie marxiste de l histoire Popper ne leur reprochent pas de ne pas être confirmées, mais au contraire d être trop facilement confirmables: tout comportement individuel (pour la théorie psychanalytique), tout phénomène social (pour la théorie marxiste) peuvent être expliquées par elles.
la démarcation selon Popper la conception de Popper est simple, et elle a eu beaucoup de succès beaucoup de philosophes des sciences s accordent cpdt aujourd hui pour la rejeter, nous verrons pourquoi lors de la séance 4 il y a de nombreuses théories scientifiques que l on peut préserver de données empiriques problématiques, et parfois c est très justifiée exemple: l orbite d Uranus perturbé par Neptume (Adams et Leverrier)