La croissance des institutions financières internationales privées depuis



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Transcription:

137 Une réponse progressiste européenne à la crise dans la zone euro Trevor Evans Professeur d économie à la Berlin School of Economics & Law La croissance des institutions financières internationales privées depuis les années 1970 a sérieusement réduit la capacité des gouvernements nationaux à exercer un contrôle démocratique sur la politique économique. C est apparu clairement au début des années 1980, lorsque la fuite des capitaux a contraint le gouvernement français du président Mitterrand à abandonner son programme de réformes économiques progressistes. Depuis lors, la finance privée mondiale s est considérablement renforcée et les contraintes sont particulièrement lourdes pour les petits pays. Un renforcement de l Union européenne (UE) et un pôle financier unique de taille comparable à celle des États-Unis pourraient permettre de réaliser un changement majeur de rapports de force entre les autorités politiques démocratiquement élues et les institutions financières privées. En agissant au niveau européen, on parviendrait à un plus grand contrôle démocratique de la politique économique que ce n est possible dans chaque État européen pris individuellement. Les grandes entreprises, qui organisent leurs activités sur une base mondiale, peuvent jouer les pays les uns contre les autres, obtenant des concessions en menaçant de délocaliser la production et l emploi. Mais le marché européen dans son ensemble comme celui des États-Unis ou de la Chine étant trop important pour être laissé de côté, il serait possible, au niveau européen, d imposer une plus grande régulation sociale sur les activités des entreprises.

138 Crise et alternatives en Europe L UE a, bien sûr, en pratique, pris un chemin différent. Depuis les années 1980 en particulier, la politique de l UE a été dominée comme dans la plupart des États membres par une approche fortement néolibérale. Au lieu d essayer de promouvoir un plus grand contrôle social sur le capital privé, elle s est clairement alliée aux intérêts des entreprises privées, ce qui conduit à un clivage social croissant dans une grande partie de l Europe. L UE s est également plus fortement intégrée aux marchés mondiaux, promouvant une politique commerciale agressive au détriment de nombreux pays en développement. Le projet le plus ambitieux de l UE, le lancement de l euro en 1999, est construit sur des défauts majeurs. Il s agit d une politique monétaire commune, mais il n y a pas de politique fiscale commune, et encore moins de politique salariale ou industrielle commune. La politique monétaire commune, en outre, est fondée sur des principes très restrictifs hérités de la Bundesbank allemande. Bien que cette approche se soit avérée bénéfique pour les entreprises allemandes aussi longtemps que les autres pays européens ont adopté des stratégies de croissance élevée, avec une inflation plus élevée dans la foulée, elle s est avérée fatale une fois imposée à l ensemble de la zone euro, en accroissant les taux de chômage, avant même le début de la crise de 2007. Le groupe EuroMémo (économistes pour une politique économique alternative en Europe) n a eu de cesse, depuis sa création au milieu des années 1990, de critiquer les structures antidémocratiques de l UE et les politiques néolibérales menées par l UE et ses États membres. Il a fait valoir que des politiques économiques progressistes peuvent être plus efficaces si elles sont appliquées au niveau européen. La question principale abordée dans le rapport de l EuroMémo de cette année est la nécessité d une alternative à la réponse apportée par l UE à la crise de la zone euro. Cette crise est le résultat de deux facteurs étroitement liés : la crise financière internationale qui a débuté aux États-Unis et les déséquilibres majeurs dans la zone euro elle-même. La crise financière internationale La crise financière a éclaté en août 2007 aux États-Unis, à la suite d années de crédit excessif, et s est aggravée de façon spectaculaire en septembre 2008. Les grandes banques européennes avaient élargi leurs activités aux États-Unis depuis les années 1990 afin de profiter des rendements apparemment plus élevés dans ce pays. Quand la crise a éclaté, les banques américaines et européennes ont été touchées par des pertes importantes. Un effondrement financier massif en octobre 2008 n a pu être empêché que par des injections, de la part des gouvernements, de capitaux à grande échelle dans la plupart des plus grandes banques. La crise financière a conduit à une forte contraction du crédit et, au cours du dernier trimestre de 2008 et du premier trimestre de 2009, les États-Unis

139 et l Europe ont été confrontés à la récession la plus grave depuis les années 1930. La production de l UE a chuté de près de 5 %, et l impact aurait été encore plus sévère si les gouvernements n avaient pas réagi par des programmes d urgence pour relancer leurs économies. Le sauvetage des banques, le coût des programmes budgétaires d urgence et une chute brutale des recettes fiscales due à la récession ont entraîné une forte augmentation des déficits publics. Dans la zone euro, le déficit est passé de 0,7 % du PIB en 2007 à 6,4 % en 2009. Les déséquilibres dans la zone euro Lorsque des pays ont rejoint la zone euro, les taux d intérêt ont convergé au niveau du taux allemand (le plus bas). Les faibles taux d intérêt ont permis une croissance économique plus élevée et la hausse des salaires dans l Europe du Sud, bien qu une inflation supérieure à celle de l Allemagne ait, dans une certaine mesure, érodé la valeur réelle des augmentations de salaires. La baisse des taux a également alimenté le boom du prix des logements en Irlande et en Espagne. En Allemagne, en revanche, les politiques introduites par le gouvernement social-démocrate vert ont abouti à la stagnation absolue des salaires en valeur réelle entre l introduction de l euro en 1999 et l éclatement de la crise en 2007. Avec la stagnation des dépenses de consommation intérieure, la croissance économique a dépendu de la hausse des exportations. Grâce à la monnaie unique, l Allemagne a pu étendre ses exportations vers d autres pays de la zone euro sans hausse de la valeur de sa monnaie (et donc sans augmentation du coût de ses exportations), ce qui se serait produit sans l euro. Ces évolutions opposées ont abouti à ce que, entre 2000 et 2007, l excédent commercial allemand est passé de 65 milliards à 195 milliards d euros ce qu a étroitement reflété le déficit commercial de la Grèce, du Portugal et de l Espagne, qui est passé de 61 milliards à 160 milliards d euros. Le déficit des pays du Sud a été largement financé par des prêts des banques allemandes et françaises. Le maillon le plus faible de la polarisation des relations entre l Europe du Sud et du Nord était la Grèce. En 2007, avant même que la crise ait commencé à frapper, le déficit public de ce pays était égal à 5 % du PIB, principalement en raison de l incapacité à taxer les plus riches. Ce chiffre est passé à environ 15 % en 2009 (le chiffre exact fait l objet de contestations en Grèce). Les investisseurs financiers ayant commencé à sentir l odeur du sang, la spéculation contre les obligations d État grecques s est accrue au début de 2010. L incapacité de l UE à apporter une réponse jusqu à ce que la situation soit devenue critique, en mai, a conduit à un affaiblissement de l euro et au début de la crise de la zone euro. Une réponse progressiste européenne à la crise dans la zone euro

140 Crise et alternatives en Europe L UE impose l austérité Bien que ce soient les grandes banques qui aient provoqué la crise en 2007 et qui après avoir été sauvées par les gouvernements aient spéculé contre les obligations d État de la zone euro, les mesures adoptées par l UE pour réformer le secteur financier sont encore plus timides que celles qui ont été adoptées aux États-Unis. Au lieu de réformer fondamentalement le secteur financier, la réponse de l UE à la crise menée par l Allemagne a mis l accent sur l imposition d une discipline budgétaire aux pays déficitaires. Mais les déficits budgétaires sont le résultat et non la cause de la crise. Outre la Grèce, d autres pays périphériques de la zone euro avaient de légers déficits budgétaires avant la crise et l Espagne avait un excédent budgétaire. Dans la plupart des pays, c était le secteur privé qui était endetté. Lorsque la Grèce, et par la suite l Irlande et le Portugal, ont été contraints de se tourner vers l UE pour un soutien financier, ce dernier a été lié à la mise en œuvre de programmes d austérité impliquant des coupes sévères dans les salaires, les pensions et les autres dépenses publiques. Cela a conduit ces pays à de profondes récessions et, outre l impact social profondément régressif, les recettes fiscales ont diminué rendant plus difficile le remboursement de leurs dettes par les pays concernés. La récession s aggravant en 2011, la Grèce a dû de nouveau se tourner vers l UE pour une aide supplémentaire. Dans le même temps, l Italie et l Espagne ont subi des pressions pour réduire leurs dépenses publiques, condition du soutien de la Banque centrale européenne (BCE) au marché des obligations d État. Le résultat est que la zone euro, y compris l Allemagne qui dépend des exportations vers d autres pays de la zone euro, devrait, au mieux, stagner en 2012. Le sommet de l UE, en mars 2011, a adopté une série de mesures pour faire face aux déséquilibres dans la zone euro. Mais celles-ci font reposer tout le poids de l ajustement sur les pays confrontés à des déficits. Les pays ayant un excédent commercial, comme l Allemagne, ne sont pas tenus de les appliquer. Les pays où les salaires progressent plus que la productivité, comme en Europe du Sud, doivent impérativement s ajuster, mais pas les pays, encore une fois, comme l Allemagne où les salaires augmentent moins que la productivité. Depuis le début de la crise de la zone euro, la réponse de l UE a été insuffisante et trop tardive. Ses politiques soit ont omis de traiter la cause de la crise soit, dans la pratique, n ont fait qu empirer la situation. L insistance de l Allemagne et d autres à faire que les investisseurs privés assument les pertes sur leurs portefeuilles d obligations a conduit à une vente panique qui a sérieusement aggravé la crise. Le prêt à 3 ans de la BCE aux banques de quelque 489 milliards d euros au taux d intérêt de 1 % en décembre constitue une énorme subvention aux banques, sans aucune garantie d utilisation de

141 ces fonds pour acheter des obligations d État. En raison de cessions privées, les taux d intérêt que l Italie et d autres pays auront à payer pour refinancer la dette publique en 2012 restent un coût prohibitif et on est face à un sérieux risque d une autre vente panique. La base pour des alternatives Comme mesure immédiate, la BCE devrait annoncer qu elle va dépenser tout ce qui est nécessaire pour stabiliser les prix des obligations d État afin de mettre fin aux ventes paniques. L UE devrait décider de mesures qui aboutissent à une réduction radicale du secteur financier. En lieu et place de la complexité actuelle des institutions gigantesques guidées par le profit et de la montagne opaque de valeurs mobilières complexes, il faudrait encourager des banques commerciales coopératives et publiques à financer des projets d investissement social et environnemental. La dette publique insoutenable, comme en Grèce, devrait être soumise à un audit de la dette (à l instar de l Équateur) afin de déterminer quelles dettes sont légitimes et lesquelles devraient être effacées. La réduction de la dette devrait également s effectuer à travers un impôt sur la fortune des très riches. Ces derniers possèdent une grande partie patrimoine financier des 40 milliards d euros détenus dans la zone euro en 2011 et ont bénéficié de façon excessive de politiques néolibérales des dernières décennies. Pour éviter la spéculation future contre les États les plus faibles, les gouvernements de la zone euro devraient échanger les obligations d État restantes contre des euro-obligations émises conjointement. Il faudrait compléter la politique monétaire commune par une approche coordonnée de la politique budgétaire au sein de la zone euro. En lieu et place de l actuel accent unilatéral mis sur la discipline budgétaire, l objectif devrait être de stabiliser l économie et de promouvoir le plein-emploi et ce que l Organisation internationale du travail nomme «travail décent». Le budget de l UE, actuellement égal à un maigre 1 % du PIB de l UE devrait être porté à au moins 5 % afin d avoir un impact macro-économique et d accroître le soutien aux régions les plus faibles. À cette fin, il faudrait inverser la baisse à long terme de l imposition des revenus les plus élevés, en imposant aux alentours de 75 % des revenus annuels de plus de 250 000,00 euros. En outre, les pays ayant un excédent commercial, comme l Allemagne, devraient introduire des politiques expansionnistes de manière à renforcer la demande de la zone euro et à soulager la pression sur les pays déficitaires. Il faut un solide programme d investissement public, surtout dans les pays périphériques, afin d asseoir la capacité de production sur les technologies modernes et les emplois qualifiés, plutôt que sur les bas salaires. Le financement de ces mesures devrait s appuyer sur la Banque européenne d investissement qui est déjà habilitée à émettre des obligations. Une réponse progressiste européenne à la crise dans la zone euro

142 Crise et alternatives en Europe Une politique salariale coordonnée de la zone euro devrait avoir le souci d inverser la baisse générale de la part des salaires dans le revenu national, et de commencer à faire converger les salaires des États ayant de faibles revenus avec ceux qui ont des revenus plus élevés. Il faudrait réduire la durée légale de travail à 30 heures par semaine pour lutter contre le chômage et pour contribuer à la construction d une société dans laquelle la vie n est pas dominée par le travail salarié. Une réponse progressiste à la crise dans la zone euro doit également relever un défi majeur : alors que la crise de la dette rencontrée par les pays périphériques de la zone euro appelle à la croissance économique, la durabilité de l environnement exige une réduction massive de la consommation de ressources non renouvelables et de l émission des gaz à effet de serre. Démocratiser l UE La réponse de l UE à la crise a été très autoritaire. La Commission européenne va imposer une discipline budgétaire aux États de la zone euro et les mesures seront automatiques, à moins que les ministres des Finances de l UE ne votent leur suspension à la super-majorité. Dans des pays comme la Grèce et le Portugal, le contrôle démocratique de la politique économique a été suspendu pour un temps indéterminé. La situation actuelle dans la zone euro n est pas viable. La Grèce et d autres pays périphériques sont confrontés à la perspective d une austérité prolongée et d un chômage de masse. Mais pour un petit pays comme la Grèce, quitter la zone euro risquerait de bouleverser la vie économique et conduirait à une nouvelle baisse importante du niveau de vie. L EuroMémo plaide pour une réponse européenne coordonnée à la crise. En lieu et place de l axe actuel dominé par l Allemagne et la France, il faudrait un gouvernement économique européen renforcé, soumis à un contrôle démocratique efficace. Cela nécessitera un renforcement significatif du rôle du Parlement européen. Mais il sera également important de développer, chez les citoyens de l UE, le soutien aux politiques progressistes européennes. Les propositions de l EuroMémo ont reçu un soutien et ont été rédigées, à des degrés divers, dans différents États membres par des syndicats, des mouvements sociaux, notamment Attac, des partis de gauche, dont le parti allemand die Linke et le parti grec Synaspismos, et l aile gauche de certains partis sociaux-démocrates et Verts. Ces propositions devraient maintenant être développées par un échange approfondi entre économistes progressistes et militants des mouvements, et contribuer à construire, à l échelle européenne, un changement fondamental d orientation politique de l UE.