C A N A D A PROVINCE DE QUEBEC DISTRICT DE MONTREAL C O U R D U Q U E U E C CHAMBRE CRIMINELLE ET PENALE (DIVISION STATUTAIRE) PRESENT: MONSIEUR LE JUGE ROBERT B. GIROUX, J.P. LE BARREAU DU QUEBEC, Poursuivant ME FRANCINE UENICOUKT, Défenderesse J U G E M E N T Me Nathalie Lanctot, Procureur du poursuivant Me Jacques Eybalin Procureur de la défenderesse Le 31 août 1994
L'accusation La défenderesse a été poursuivie pour des infractions à la Loi sur le Barreau et plus spécifi- quement d'avoir contrevenu à 1 'article 128 (1) (b) et dont l'acte d'accusation se lit comme suit: "Le ou vers le 26 février 1993, à Montréal, district de Montréal, alors qu'elle n'était pas détentrice d'un permis valide à cette fin et qu'elle n'était pas inscrite au tableau du Barreau du Québec, a sciemment amené, par un conseil ou un encouragement, soit une annonce pub1 iée. à la page 24 du Journal de Montréal du 26 février 1993, une personne qui n'est pas membre du Barreau du Québec, s@t 1 'étude de notaires' Denicourt et Cossetta et plus particulièrement les notaires exerçant au sein de cette étude, à exercer une activité professionnelle réservée aux membres du Barreau du Québec par l'article 128 (1).(b) de la Loi sur le Barreau ('L.R.Q. ch. B-l), soit la préparation et la rédaction de demandes conjointes en séparation de corps, commettant ainsi une infraction prévue à 1 'article 188.1 (3) (a) du Code des professions (L.R.Q. ch. C-26) et se rendant ainsi passible d'une amende minimale de 500$." En somme, il s'agit d'une infrac- tion relative à l'exercice de la profession d'avocat par une personne non-membre du Barreau. Au jour du procès, la défenderesse, par son procureur, a déposé au dossier de la Cour, un plaidoyer écrit libellé comme suit: /...3
"Je, soussignée, Francine Denicourt, enregistre un plaidoyer de culpabilité sur les chefs 1 à 5 inclusivement du présent constat d'infraction. Je comprend que le Barreau du Québec verra à retirer les chefs d'accusation 6 et 7 incl usivement. De plus, je m'engage par les présentes à ne plus pratiquer illégalement la profession d'avocat, ni directement, ni par personne interposée. En foi de quoi, j'ai signé à St-Lambert ce 23 juin 1994 (Signature) FRANCINE DENICOURT".. Le tribunal _décl are coupable la défenderesse et imposa la peine minimum prévue à la loi et accorde les retraits de plainte requis par le poursuivant et inscrits au plaidoyer. Par la suite, l'avocate du poursuivant demanda au tribunal qu'il rende une ordonnance judiciaire pour confirmer l'engagement de la défenderesse de ne pas pratiquer la profession d'avocat; engagement souscrit par celle-ci dans son plaidoyer écrit. Le soussigné a pris en délibéré, cette demande afin de vérifier s'il avait juridiction pour y donner suite, en regard des dispositions actuelles prévues au Code de procédure pénale.
En somme, la question litigieuse pourrait se formuler comme suit: "Les dispositions actuelles du Code de procédure pénale, autorisent-elles le juge à rendre jugement sur des conclusions autres que celles prévues par l'article 219 C.P.P.?" Pour une meilleure compréhension, 1 'article 219 est ici reproduit, lequel se lit comme suit: "219. (Jugement) Le juge qui rend jugement peut acquitter le défendeur, le déclarer coupable ou rejeter la poursuite." Y., Bien que cet article restreigne les pouvoirs du juge en matière de' jugement, il n'est pas limi- tatif des pouvoirs que possède le juge iorsqu'il rend "juye- ment" en matière pénale aux seules conclusions de déclarer cou- pable, d'acquitter ou de rejeter la plainte. A titre d'exemple et sans res- treindre la généralité de ce qui précède, le juge en matière pénale peut rendre jugement sur des conclusions ci-après décri- tes et qui sont autres que celles prévues à l'article 219, à savoir: -AUTORISER un mode spécial de signification (art. 24) -STATUER sur la constitutionnalité de la Loi (art. 34) /...5
-REVISER un cautionnement (art. 80) -AUTORISER l'examen d'un bien saisi (art. 117) -STATUER sur la remis'e d'un bien saisi (art. 138) -TRANSFERER un dossier dans un autre district (art. 174 ss.) -ORDONNER un examen psychiatrique (art. 214) -ACCUEILLIR une demande de rétractation (art. 253) -SURSEOIR 2 des procédures d'exécution (art. 255) -ORDONNER l'arrêt des procédures et etc. Bien que la source historique du droit pénal provincial soit le Common Law, tel qu'il existait lors de son introduction par l'acte de Québec de 1774, c'est '-.. néaninoins, la législation québécoise qui demeure la source premiëre pour rëglementer les poufsuites pénales des infrac- tions provinciales. En premier lieu, la primauté de la recherche des solutions, en cas de silence au Code de procédure pénale, doit puiser son inspiration en droit québécois; lequel constitue pour le Québec, un droit commun codifié par les Codes civils et le Code de procédure civile et ce, avant 11 recours supplétif aux solutions du droit criminel et du Coininon Law. Cette opinion me semble être celle adoptée par la Cour Suprême dans l'affaire Sault Ste- Marie (l), lorsque le juge en chef Uickson parlant au noin de 1< /...6 (1) La Reine -vs- La Corporation de la Ville de Sault-Ste-Marie (1978) 2 R.C.S. p. 1299
Cour écrivait sur le sujet, reconnaissant que l'ensemble des 1 infractions statutaires ou pénales était relié au droit civil, tel qu'il l'écrit à la page 1302: "Dans le présent pourvoi, la Cour doit examiner des infractions diversement appelées infractions "statutaires", "réglementaires'', "contre le bien-être pub1 ic", "de responsabilité absolue" ou "de responsabilité stricte". Ces infractions ne sont pas criminelles au plein sens du terme, mais sont prohibées dans 1 'intérêt public. (Sherras v. De Rutzen) Bien qu'appliquées comme lois pénales par le truchement de la procédure criminelle, ces infractions sont essentiellement de nature civile et pourraient fort bien être considérées comme une branche du droit administratif à laquelle les principes traditionnels du droit criminel ne s'app-li,quent que de façon limitée. Elles se rapportent à des questions quotidiennes, telles les contraventions à la cirbulation, la vente de nourriture contaminée, les violations de lois sur les boissons alcooliques et autres infractions semblables. Le présent pourvoi a pour objet la pollution." (Le soussigné a souligné). A cette fin, force est donc de conclure qu'en 1 'absence de dispositions pertinentes, ou au cas 1 de silence du Code de procédure pénale, les dispositions du droit civil et du Code de procédure civile pourront s'appliquer Mutadis Mutandis en matière pénale provinciale. A titre d'exemples, qu'il me suffise de mentionner une brève énumération de situations juridiques non prévues au Code de procédure pénale mais prévues i l l I
234 et ss. C.P.C.). les règles relatives à la signification (art. 119 et ss. C.P.C.), de la contestation et de la correc- tion des procès-verbaux (art. 232 C.P.C.), les règles relatives à 1 'outrage au Tribunal, etc. C'est ainsi que la solution à la question formulée à savoir, si le juge peut légalement confirmer l'engagement de ne pas pratiquer la profession d'avocat, souscrit par la défenderesse dans son plaidoyer, se retrouve dans les dispositions du Code de procédure civile du Québec. Il a, été adinis et reconnu en / l jurisprudence qu'un tribunal peut rendre des jugements dits 1 "D'EXPEDIENT" ainsi que des jugements dits de "DONNE ACTE". Analysant la distinction entre les deux nuances, l'honorable juge Maurice Jacques concluait dans deux arrêts sur le même sujet conime suit l'un (2) à la page 45 et l'autre (3) à la'page 343 lorsqu'il écrivait ceci: "Le jugement d'expédient permet au Tribunal de donner force exécutoire à une transaction judiciaire, tandis que le jugement de Donné acte n'a pas cet effet."
Analysant 1 ui-même la question, l'honorable Juge Pierre Verdy apportait les précisions et commentaires suivants dans l'arrêt Droit de la Famille no. 89 (4) à la page 265 lorsqu'il s'exprimait sur le sujet comme suit: "... le jugement de "donner acte" n'a en principe qu'une valeur d'archives... Une telle conclusion n'est pas susceptible d'exécution: si l'entente n'est pas suivie, il faudra une action distincte. En droit français, comme au Québec, l'expression "donner acte" ne signifie pas implicitement transformer les èi~gayements des parties compris dans une transaction en coddamnations ni mêqe entériner les conventions entre les parties. Il ne s'agit que de confirmer une.entente liant privément les parties, de la consigner et lui donner ainsi une valeur d'archives, un certain caractère additionnel de permanence avec possibilité d'en obtenir des copies certifiées par la Cour. Mais cette convention privée n'acquiert pas force exécutoire à défaut d'une condamnation ou d'une ordonnance formelle du Tribunal dans le jugement." ' Au même effet, la doctrine française nous enseigne la même chose tel que confirmé par Baudry - Lacantinerie (5) lorsqu'il écrit: /...9 (4) Uroit de la Famille no. 89, (1983) C.P. p 263 (5) G. Baudry - Lacantinerie, Traité théorique et pratique de droit civil, t. 26, vol. 2. 3e éd. (1906) p. 341-342
"Si le dispositif ne prononce pas une condamnation en conséquence, les jugements par lesquels il est purement et simplement donné acte aux parties d'une déclaration ou d'une convention ne sont pas des jugement de condamnation." Cette manière de procéder peut s'apparenter d'une certaine façon à la théorie de la juridiction volontaire du juge contrairement à sa juridiction contentieuse. Me Henri Turgeon a fait une ana- lyse exhaustive de la théorie volontaire et voici ;es remarque' sur le sujet lorsqu'il élabore comme suit à la page 181 quant 7. il écrit: (6) "Dans la juridiction contentieuse, le droit est sur "un pied de guerre", en ce sens que le juge prononce sur des intérêts opposés, quand 1 'un a cité 1 'autre ou quand il prononce par défaut sur une demande susceptible par sa nature de donner lieu à un débat contradictoire. Au l'une puisse être forcée d'y adhérer, malgré sa répugnance." (Les soulignés sont du soussigné) (6) Henri Turgeon "Essai sur la juridiction volontaire" 53 11. du N. p. 179
Le dispositif Considérant que les dispositions actuelles du Code de procédure pénale sont silencieuses en la matiëre. Considérant que les dispositions du Code de procédure civile s'appliquent à titre supplétif en matière pénale, lorsqu'elles ne sont pas incompatibles avec celles du Code de procédure pénale. ConsidérantYqs distinctions de la doctrine et de la j~risprudence~en matiëre de jugements dit: d'"expédient' et de "donné acte". juridiction volontaire du juge. Considérant la théorie de la PAR CES MOTIFS, LA COUR: poursuivant comme suit: ACCUEILLE en partie la demande dl DONNE ACTE à la défenderesse de son engagement à ne pas pratiquer la profession d'avocat ni directement ni indirectement ni par personne interposée. /...Il
LE TOUT sans frais. Ce jugement s'appliquera aux autres instances entre les mêmes parties et dans lesquelles le même engagement a été souscrit et déposé.