Bonjour. Je suis Masafumi TANAKA, chef du bureau du secteur audiovisuel public à la direction générale des médias et des industries culturelles, au ministère français de la culture et de la communication. Je suis donc un représentant de l État français, et non de l organisme indépendant de supervision de l audiovisuel, le Conseil supérieur de l audiovisuel (le CSA) que vous connaissez bien. Compte tenu de mes fonctions, je m intéresse plus particulièrement au secteur public, et moins au secteur privé. Il me semblait important de préciser ces éléments au début de mon intervention, car les propos qui vont suivre ne sont pas ceux d un spécialiste objectif de l audiovisuel français, comme le serait un chercheur universitaire par exemple, mais reflètent bien le regard subjectif qu un professionnel de l audiovisuel public porte sur le paysage audiovisuel français en général. Ceci étant précisé, je dirais que le paysage audiovisuel français est d abord marqué par un secteur public puissant. En effet, en 2013, le chiffre d affaires du groupe public France Télévision a été de 2,8 G, dont 2,5 G de dotations publiques, et ce chiffre de 2,8 G est à comparer aux recettes publicitaires nettes de l ensemble de la télévision en France hors France Télévisions en 2013 de 2,9 G (selon l IREP). Ensuite, le service public audiovisuel en France est aussi marqué par une grande diversité de ses organismes, avec bien sûr France Télévisions et ses 5 chaînes nationales (France 2, France 3, France 4, France 5, France Ô) plus le réseau des Outremer Première, mais aussi Radio France et ses sept antennes (France Inter, France Info, France Culture, France Musique, France Bleu, FIP et le Mouv ), la société ARTE France, qui contribue à parité avec son homologue allemand à la chaîne culturelle européenne ARTE, l audiovisuel extérieur de la France avec une chaîne de télévision d information continue France 24 en trois langues (français,
anglais et arabe) ainsi que les radios Radio France International en français et Monte Carlo Doualiya en arabe, la chaîne multilatérale francophone TV5 Monde dont la France en finance environ les deux tiers de son coût de fonctionnement, et enfin l Institut national de l audiovisuel chargé notamment de l archivage audiovisuel mais aussi de la formation initiale et continue aux métiers de l audiovisuel. Le total des dotations publiques en faveur du secteur sera supérieur à 3,7 G en 2014, malgré un contexte particulièrement difficile pour les finances publiques. Je n inclus pas dans le périmètre du secteur audiovisuel public français, la participation au financement de la radio marocaine Médi 1, qui diffuse la moitié de ses programmes en langue française, et dont je souhaite saluer ici à Rabat la qualité de l ensemble de ses programmes ainsi que ses excellents résultats d audience dans tout le Maghreb. Si la puissance du secteur public n est pas une spécificité française, je pense par exemple à nos amis allemands ou britanniques, la télévision française présente me semble-t-il une particularité bien française, relative à la politique de défense de l exception culturelle, qui se traduit dans le secteur par l obligation faite, tant aux chaînes du service public qu aux chaînes privées, d investissement dans la création indépendante, audiovisuelle et cinématographique, en plus de la classique obligation de diffusion d œuvre européennes et nationales. Cette politique a permis le développement d un secteur privé de la production audiovisuelle très diversifié, composé d environ 180 producteurs de fictions indépendants ; il y a en fait plus de 2 000 entreprises indépendantes de production audiovisuelle immatriculées au registre de commerce, mais beaucoup d entre elles
ne produisent en réalité qu une ou deux heures de programmes par an, et je préfère donc retenir le chiffre de 180 producteurs réguliers. Il faut faire un peu d histoire, comme souvent, pour bien comprendre le fondement de cette politique. Il faut se rappeler que la télévision française était entièrement publique jusqu en 1984, année de lancement de la chaîne Canal+, et avant la privatisation de TF1 en 1987. Dans ce contexte, c est l outil public de production audiovisuelle qui était longtemps l acteur principal en France du marché de la prestation audiovisuelle et cinématographique. Il était donc nécessaire pour l État d accompagner le processus de libéralisation de cette activité, marqué dans un premier temps par l éclatement de l ORTF (office de radiodiffusion télévision française) et la création de la Société Française de Production (SFP) en 1974, puis par la privatisation de la SFP en 2001. Cette politique de l exception culturelle a eu également une autre conséquence, plus négative. L interdiction faite aux diffuseurs de détenir des droits de coproduction sur la part indépendante, alors qu ils sont les principaux financeurs de la création audiovisuelle française, a empêché l intégration verticale des groupes audiovisuels français. Ainsi, contrairement à la BBC notamment, le groupe France Télévisions n est pas un acteur important pour l exportation des œuvres audiovisuelles que le groupe public a pourtant financées, car il n en détient simplement pas les droits. C est également pour l essentiel la même situation pour les grands groupes privés, qui peinent à trouver des relais de croissance externe, et ont souvent investi dans des activités assez éloignées de leur cœur de métier, en rachetant par exemple des clubs professionnels de football.
Dans ce contexte, la loi relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision du 5 mars 2009 a prévu un assouplissement de cette interdiction faite aux éditeurs de détenir des parts de coproductions dans la part indépendante, mais le décret d application topique n ayant toujours pas été publié au Journal Officiel, c est toujours le régime d interdiction qui est en vigueur aujourd hui en France. S agissant toujours de cette loi de 2009, qui a notamment supprimé les écrans de publicité sur les chaînes de France Télévisions après 20 heures comme vous le savez, on peut débattre longtemps sur les intentions du législateur. Cette disposition a en tout cas eu deux conséquences concrètes majeures. D une part, elle a donné un peu d air aux groupes privés, dont le modèle économique est contraint comme on l a vu, surtout en période de contraction du marché publicitaire. Elle a également déstabilisé le financement non seulement de France Télévisions mais aussi de tout le secteur audiovisuel public compte tenu du poids du groupe France Télévisions. En effet, si la loi de 2009 avait bien prévu le principe d une compensation par les crédits du budget général de l État de la perte de recettes publicitaires pour France Télévisions, ce principe s est avéré dans la durée irréaliste dans le contexte budgétaire actuel. Ainsi, le montant de la compensation versée au groupe public a commencé à diminuer fortement à partir de 2012 : 435,9 M en 2012, 248,8 M en 2013, et 103,6 M en 2014. Et il est prévu une disparition totale de cette compensation à l horizon 2017.
C est dans ce contexte que le président de la République française a annoncé une réforme de la redevance audiovisuelle (qui s appelle plus précisément «contribution à l audiovisuel public») avec pour objectif de garantir un financement pérenne de l audiovisuel public grâce au seul produit de la redevance, qui est une ressource affectée au secteur, et donc une garantie supplémentaire d indépendance vis-à-vis du gouvernement. [Je voudrais maintenant rappeler, à ma façon, les modalités de gouvernance et de contrôle des sociétés publiques de l audiovisuel en France. En premier lieu, la principale instance de gouvernance de ces sociétés est bien le conseil d administration, qui prend les principales décisions sur la conduite de l entreprise, assisté dans ses décisions par des comités spécialisés, dont notamment le comité d audit, le comité stratégique et le comité des engagements. L État français est certes l actionnaire unique de France Télévisions, de Radio France et de France Médias Monde par disposition de la loi. Mais il ne dispose pas de l unanimité, même pas la majorité des voix aux conseils d administration, car des administrateurs sont nommés par le Parlement et par le CSA, et aussi parce que des représentants des salariés siègent à ces conseils avec droit de vote. Par exemple au conseil d administration de France Télévisions, siègent 14 administrateurs en plus du Président, dont 5 représentants de l État, 2 parlementaires, 5 administrateurs indépendants nommés par le CSA, et 2 salariés.
Plus précisément, le système d évaluation et de contrôle de l audiovisuel public s articule en trois temps : 1) La définition des grandes orientations stratégiques tous les cinq ans, correspondant généralement aux mandats des Présidents des organismes audiovisuels publics, lors des discussions du contrat d objectifs et de moyens entre les dirigeants de ces organismes et l État ; 2) La mise en œuvre de ces orientations par les dirigeants de ces organismes, qui jouissent d une large autonomie de gestion, sous le contrôle de leurs conseils d administration ; 3) Une multitude de contrôle a posteriori et d évaluation de la performance, par le CSA mais également par le Parlement dans le cadre des projets et rapports annuels de performances ou encore la Cour des Comptes. Le contrôle effectué par le CSA est bien celui d un régulateur, consistant à vérifier a posteriori si les sociétés ont bien rempli leurs obligations qui leur sont assignées dans les conventions signées avec le CSA pour les chaînes privées, et dans les cahiers des charges des chaînes publiques, qui sont des décrets du gouvernement. Le CSA émet également des avis consultatifs sur l exécution des contrats d objectifs et de moyens, ainsi que sur tous les textes réglementaires relatifs au secteur audiovisuel public.
L État français quant à lui fixe également les règles qui sont justifiées par d impérieux motifs d intérêt général à l ensemble des chaînes (par exemple l interdiction de toute publicité pour des armes, tabac, alcool, etc., ou encore l obligation de sous-titrer tous les programmes pour les personnes sourdes ou malentendantes), et c est le gouvernement qui propose chaque année au Parlement les montants des dotations publiques attribués à chacun des organismes de l audiovisuel public dans les projets de lois de finances.] Je conclurai en rappelant les principales caractéristiques de la redevance aujourd hui en France. Une seule redevance est due par résidence principale équipée d un poste de télévision. Sa collecte repose sur un principe déclaratif, c est-à-dire que ce sont les contribuables eux-mêmes qui doivent déclarer sur l honneur ne pas détenir de poste de télévision en cochant une case dédiée à cet effet sur leur feuille de déclaration de la taxe d habitation. En 2012, sur 27,8 millions de résidences principales en France, 26,6 millions, soit 95,6 %, ont payé une redevance de 125 euros. À noter que selon une étude réalisée par le CSA, ce sont plutôt 98,3 % de foyers qui étaient équipés d un poste de télévision la même année. En projet de loi de finances pour 2015, le produit de la redevance est attendu à 3,7 G, avec un montant unitaire de 136 euros, et constituera l essentiel des ressources du secteur audiovisuel public, avec environ 87 %.