Règlement de comptes sur le Mont Athos. Romain Kroës



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Transcription:

Règlement de comptes sur le Mont Athos Romain Kroës

2 Que crois-tu donc qu'il répondra si quelqu'un lui vient dire qu'il n'a vu jusqu'alors que de vains fantômes, mais qu'à présent, plus près de la réalité et tourné vers des objets plus réels, il voit plus juste? si, enfin, en lui montrant chacune des choses qui passent, on l'oblige, à force de questions, à dire ce que c'est? Ne penses-tu pas qu'il sera embarrassé, et que les ombres qu'il voyait tout à l'heure lui paraîtront plus vraies que les objets qu'on lui montre maintenant? Platon, La République Livre VII Scène 1. Le Mont Athos, demeure des dieux, un jour d orage. Au loin, on entend l inquiétante rumeur des hommes. Ploutos et Déméter avancent l un vers l autre. - «Je ne te dis pas bonjour, Ploutos. Tu es la honte de l Olympe et je compte bien t en faire chasser.» - «D où te vient cette soudaine colère et pourquoi cet ostracisme, chère Déméter? Les habitants de l Olympe n auraient-ils plus coutume de régler leurs différents par mortels interposés? Laisse-les donc s entretuer, amusons-nous à les observer, et que le meilleur gagne!» - «Cynisme, suffisance et vulgarité, on ne sait plus qui de toi ou de ton dèmos a déteint sur l autre!» - «C est que tu n es pas moderne, ô reine des épis blonds! Sois cool, détendstoi. Veux-tu que je te prépare une petite ligne de blanche?» - «S enrichir en dépouillant les pauvres est obscène et surtout suicidaire. Faute d argent, les moissons et tous les autres arts des hommes vont entrer en récession. Les terres cultivables seront transformées en pelouses pour le plaisir des fortunés qui prétendent imiter l Olympe. Mais toutes leurs finances ne remplaceront pas les fruits du labeur à la table du foyer. Les ventre-creux se

3 révolteront et les hoplites ne pourront pas longtemps les contenir. Plutôt que d être cool, tu ferais bien de t inquiéter pour l avenir de tes protégés. Crois-tu vraiment que leur dictature sur les nations est sans limite?» - «Eh oui! sans limite, tant que les mortels éprouveront la culpabilité d une dette. Et tu n y pourras jamais rien.» - «Sans doute, mais tout dépend d envers qui l on s endette et d où vient l argent prêté.» - «Mais c est tout simple. Zeus a divisé l humanité en deux catégories : les créanciers et les débiteurs. Les premiers prêtent aux seconds, et les seconds doivent rembourser les prêts aux premiers. Toute créance doit être exactement honorée, telle est la loi princeps de l univers. Les rôles sont d ailleurs interchangeables. Ne dit-on pas que celui qui paie ses dettes s enrichit? Qu un débiteur s étant ponctuellement acquitté fasse encore montre d abstinence, et le voilà à son tour créancier. A l inverse, qu un créancier fasse preuve d intempérance, et l enfer de l endettement lui est promis. D où vient l argent? Mais de l épargne! ma chère. Pour devenir riche, il suffit d épargner.» - «En suivant ton raisonnement, si tout le monde épargnait il n y aurait que des créanciers. Et en l absence de débiteurs, à quoi donc leur servirait leur épargne?» - «Fort heureusement, Zeus y a pourvu, en n accordant la vertu qu aux élus de son choix qui sont donc prédestinés à posséder la finance, maîtresse de tous les arts.» - «On ne peut épargner qu à partir de la monnaie qui passe déjà de mains en mains, si bien que tu ne réponds pas à la question d où vient l argent.» Ploutos semble perdre de son assurance et se lance alors dans une explication compliquée.

4 - «Quiconque possède un bien de valeur peut le gager auprès d un banquier et obtenir de la sorte un crédit qu il va pouvoir utiliser pour prêter aux débiteurs. Le banquier qui a concédé le prêt sur gage se tourne à son tour vers le grand émetteur appelé Banque Centrale qui quotidiennement crie sa provende sur le marché aux monnaies, contre prise en pension des titres gagés. Ainsi, tout est en équilibre, puisque le grand émetteur peut inscrire dans ses livres, en contrepartie des monnaies inventées, une valeur qui provient de l épargne. Ce système a permis de conserver la rigueur associée à la monnaie or, bien que ce métal soit aujourd hui, hélas, démonétisé.» - «Si je te comprends bien, l argent vient de la richesse et la richesse de l argent épargné. Ne serais-tu pas en train de me servir une nouvelle version de la fable éculée de l œuf et de la poule? J ai plus simple à te proposer. Le grand émetteur vend sa monnaie contre des titres qui ne viennent pas de la richesse accumulée, mais représentent un investissement promettant un résultat escompté. C est un endettement sur l avenir et non sur le passé. De sorte que par exemple les Etats n ont pas besoin d en passer par les fourches caudines des créanciers prétendument prédestinés. Ils peuvent obtenir directement le crédit du grand émetteur, lequel appartient d ailleurs aux institutions de la république.» - «Selon toi, la monnaie n aurait donc aucune valeur, ni ne figurerait aucune référence de valeur? Oserais-tu prétendre que je ne sers à rien? Que le dèmos qui sacrifie sur mes autels n est qu engeance parasitaire? As-tu oublié l inflation, ce mal pire que tous les maux qui résulta de l émission inconsidérée de monnaie par des Etats oublieux de la saine valeur, comme en Germanie il y a encore moins d un siècle? Et les épargnants de toute une vie de labeur, qui préparent ainsi leurs vieux jours, veux-tu leur supprimer le garant de la dette publique?» Cette fois, c est Déméter qui se trouve embarrassée.

5 - «Nous butons tous deux sur une contradiction. Tu ignores la raison et l origine du crédit, et je ne sais que répondre à tes arguments de l inflation et de l épargne. Faisons venir Athéna, déesse de la raison, pour nous éclairer.» Scène 2. Ploutos et Déméter parlent chacun à une oreille d Athéna qui écoute simultanément les deux discours. Puis elle leur impose le silence. -«Votre querelle retentit jusque sur l Acropole ; elle est en train d incendier la cité. Etes-vous devenus fous? Ploutos, tu te réfugies dans le déni de réalité, seul moyen pour toi de te donner l illusion de ton utilité. En fait, ce n est pas toi qui as créé la finance et les financiers, ce sont les mortels qui t ont inventé. Et saistu pourquoi? Pour tenter, à travers toi, de s approprier l éternité. La valeur incorruptible en constitue la garantie. Et c est ce qui explique la fantasmagorie humaine autour du métal jaune imputrescible. Mais les hommes se sont multipliés, et l or extrait des entrailles de Gé n a pas pu suivre la croissance du dèmos. Il a bien fallu un beau jour s en passer en tant que référence du numisma. Mais les mortels n ont pas pour autant renoncé à la quête de l éternité. Ils ont continué à entretenir le mythe de l or sans l or, remplacé par une valeur autant virtuelle que conventionnelle qui serait issue de l épargne, garantissant ainsi que le futur sera conforme au passé, que rien d irréversible ne puisse arriver. Pure illusion, bien entendu. Déméter sur ce point a raison, et la prochaine étape de l intelligence humaine, si elle s avère en être capable, c est le renoncement définitif au mythe de la valeur, la résignation à se contenter d une monnaie qui ne vaut rien, créée de rien puis détruite à la fin de sa course, simple procédé technique destiné à fluidifier les échanges des fruits du labeur. Car c est bien de cette activité que nait la richesse, et non de la finance. Or, le produit de tout labeur nécessite un temps de gestation pendant lequel les

6 ouvriers et leurs ayant-droits ont besoin de consommer. Pour ce faire, de la monnaie leur est avancée afin qu ils puissent accéder aux stocks de biens et moyens de subsistance, en attendant l achèvement du produit escompté. C est un endettement sur un à-venir, qui sera apuré lors de la vente du produit achevé, au départ d un nouveau cycle productif. Alors, la monnaie sera détruite puis recréée. Et ainsi de suite. Si bien, Ploutos, que la prééminence de la finance constitue une inversion de réalité. Lorsque se manifeste une inadéquation entre les produits offerts et le pouvoir d achat monétaire distribué, le bon sens commande d augmenter ce dernier. Mais c est le contraire que font les archontes, subjugués qu ils sont par les injonctions des marchés financiers. Ils réduisent les dépenses et enraient le procès de production en mettant le dèmos ouvrier au chômage! Ce système marche complètement sur la tête. Aussi faut-il t attendre, Ploutos, à disparaître prochainement de l Olympe. Il ne sera même pas nécessaire de t en chasser. Tu perdras simplement ton pouvoir quand renaîtra la démocratie, en Attique et alentours. Quant à toi, Déméter, tu as tort de stigmatiser le dèmos de Ploutos. Certes, comme tu l as dit toi-même, les plus gavés de richesses sont souvent cyniques, vulgaires et suffisants, convaincus qu ils sont de devoir leurs privilèges à leurs mérites, mais, cependant que tu les fustiges, tu ne penses pas la crise ni les fondements de la monnaie et de l économie. Tes moissonneurs et autres gens de métiers en sont aveuglés et, leur colère l emportant sur la raison, ils sont condamnés à demeurer victimes de Ploutos, à travers des aventures politiques encore plus dramatiques. N as-tu pas souvenance des tyrans? Il me reste à t éclairer sur les points que tu as dû concéder à Ploutos : l inflation et l épargne en vue du repos de fin de vie des mortels. Pour le premier, Ploutos et toi-même ainsi que ton dèmos, là encore, vous voyez la réalité à l envers. Par inflation, les docteurs de la foi financière et la quasi-totalité du dèmos entendent

7 identiquement le gonflement de la masse monétaire et la hausse des prix, postulant ainsi une immédiate relation de cause à effet entre la première et la seconde. Nombre de théoriciens ont tenté de justifier cette croyance, tantôt imaginant une sorte de commissaire priseur olympien criant à chaque instant les prix pour tout l univers, tantôt prétendant, cette métaphore étant difficilement soutenable, que la relation instantanée existait, sinon sur les marchés réels, du moins dans la conscience des agents anticipant rationnellement leurs revenus, leurs dépenses et les prix. Mais dans la réalité, comme l admettait lui-même le prophète mal inspiré David Hume, il faudrait du temps pour adapter par les prix l offre et la demande sur tous les marchés. Et cependant que cette adaptation ne serait pas encore atteinte, il faudrait bien une autre variable d ajustement. Cette variable d ajustement, ce sont tout simplement les stocks. Quand la demande excède le rythme de la production, les stocks se dégonflent. Quand au contraire le rythme de la production excède le pouvoir d achat de la demande, les stocks se gonflent. Quand le rythme de la production coïncide avec celui de la demande, les stocks ne bougent pas. Il n y a aucune raison, alors, pour que les prix changent. Les stocks, et non les prix, constituent l unique variable d ajustement entre l offre et la demande.» Sur ce, Ploutos risque une objection. - «Tu sembles oublier, déesse raisonneuse, que la création de monnaie additionnelle s accompagne toujours d un mouvement de prix.» - «Non, je ne l oublie pas. Ce fait est grandement avéré, mais ce n est pas le crédit du grand émetteur, qui provoque la hausse des prix. C est au contraire la hausse des prix qui provoque une demande accrue de monnaie, laquelle demande est ou n est pas satisfaite par le grand émetteur. Et c est la spéculation, profitant des tensions sur les stocks, qui provoque la hausse des prix, que ce soit

8 en période de croissance ou de pénuries. En Germanie, vers la fin du premier quart du siècle passé, peu de temps après la première Guerre mondiale, la population affamée dépendait de stocks alimentaires importés d Europe et surtout d Amérique. Les matières premières exportables en échange étaient exploitées par l occupant de la Sarre et de la Ruhr et ne pouvaient donc couvrir les importations. La balance commerciale en était gravement déséquilibrée, entraînant une augmentation de la dette publique et une spéculation quotidienne à la baisse sur le mark. La République de Weimar n avait le choix qu entre deux possibilités. Ou bien elle laissait le marché limiter les importations, en dissuadant la demande au moyen de la hausse continuelle des prix consécutive à la dévalorisation du mark, et condamnant ainsi la population à la famine. Ou bien elle permettait à la population de survivre, en indexant plus ou moins les salaires et pensions sur les prix. Une émission proportionnée de monnaie entretenait alors une demande soutenue d importations. C est la seconde solution qu adopta le gouvernement social-démocrate, et ce choix compense en partie, devant l Histoire, ses errements ultérieurs. Ainsi la phobie de l inflation est-elle démystifiée. Si salaires et pensions sont indexés sur les prix, la hausse de ces derniers n est en quelque sorte qu un retour à l envoyeur, une restitution du désordre à sa source : la spéculation. Quant à la question de l épargne laborieuse en vue d assurer le temps de repos de fin de vie, elle ne présente aucune difficulté. Les peuples latino-celtiques ont inventé un système d entraide entre actifs et retraités, par lequel les premiers entretiennent les seconds, avec la garantie qu un jour ils en bénéficieront à leur tour. Ceux qui pour l heure sont contraints ou ont choisi d assurer cette provende par une épargne confiée aux marchés financiers seront certes frustrés que les Etats n y émettent plus leurs reconnaissances de dette, désormais placées auprès du banquier gestionnaire des comptes publics. Ils seront frustrés, car les titres de la dette souveraine constituent traditionnellement la partie la plus fiable

9 des placements. Mais il leur suffira de confier leur capital, non plus aux marchés, mais à une caisse de retraite institutionnelle qui leur garantira une pension inaliénable jusqu à leur dernière heure. Ils auront alors le choix, soit de recourir à cette solution, soit de continuer de spéculer sur des marchés privés du support des titres d Etat, mais à leurs risques et périls.» Ainsi parlait Athéna, déesse de la raison. Mais la rumeur qui montait vers l Olympe allait s amplifiant, laissant douter que la voix de la raison s impose aux consciences avant que se commette l irréparable. Romain Kroës