Dimanche Alors c est ça. C est ça, un matin avec toi. J aurais espéré bien mieux. J avais cru que ça valait le coup. Je pensais que nous allions nous réveiller en douceur, vers huit heures, et que nous n aurions pas l intention de sortir du lit avant bien longtemps. Je pensais que tu serais venu contre moi, là, tout près, que tes mains m auraient cherchée sous les draps. Une main tendre qui part de mon ventre et remonte sur mes hanches, mes seins, mon cou, mon visage. J aurais cru que c était bien de se lever auprès de toi. J aurais espéré que l amour aurait débordé. J aurais bien voulu que tu te blottisses contre moi et que tu ne t éloignes pas. Jamais. J aurais bien voulu te caresser, passer mes mains
sur ton dos, tes épaules, ton cou, et puis t embrasser le front aussi, te dire que je suis là, sans le dire. J aurais bien aimé que tu me chuchotes des petits mots au creux de mon oreille. J aurais été encore toute ensommeillée, les yeux, le corps, les idées. Mais j aurais souri. Le tout premier vrai matin sans réveil. Ça se fête. Ça se réussi. Ça ne se rate pas. Assurément. Nous si. Nous avons raté notre premier vrai matin sans réveil. Nous sommes passés à côté, nous nous sommes manqués, j ai parié trop vite. Nous avons laissé filer notre premier vrai matin sans réveil. La semaine, ce n est pas pareil. Le réveil sonne, nous sommes pressés. Tu l éteins vite, me fais un baiser et m abandonnes sous les draps. Mais le temps presse, je le sais. Là c est différent. C est dimanche. Pas de soleil, pas de ski, pas de repas de famille à midi, pas de rendez-vous, rien. Juste toi et moi, dans ton lit, dans ta chambre, sans réveil. 2
Facile. Cadeau. Gratuit. On aurait dû en profiter. On aurait dû se câliner, s aimer pour de vrai. Nous avons joué le match avant la rencontre. Nous avons cru que ça ne pourrait qu être bien. Raté. Pas de réveil. Mais le chant des oiseaux qui caresse nos oreilles. On se réveille doucement. Tu es à l autre bout du lit, tourné, loin de moi. Je suis nue, je ne dors plus. Tu es loin et je tente une approche. Je pose une main sur ta hanche et je remonte doucement. Tu ne bouges pas. Tu dors? Dis-moi que tu dors. Tu ne m entends pas respirer tout près de toi. Tu ne bouges pas, tu ne te tournes pas, tu ne m embrasses pas, tu ne te dis pas «Chouette, mon amour est là, rien qu à moi, sous mes draps.». Tu dors j espère. Je préfère imaginer que tu dors. Alors, un peu susceptible et vexée, je me retourne. Je retourne de mon côté du lit, et je regarde le plafond. J attends qu il se passe quelque chose, un miracle. J attends qu un miracle nous bouscule. Je ne compte pas les moutons, je regarde les 3
poutres au plafond. Quatre. Il y en a quatre. J aurais du compter les moutons, ça aurait été plus long, et je n aurais pas entendu mon cœur s énerver, se demander ce qu il se passe, pourquoi est-ce que nous ne sommes pas blottis dans les bras l un de l autre. Et puis, tu respires plus fort, tu t étires, ta jambe frôle tout juste la mienne, et tu te rapproches un peu. Tu poses ta main sur mon ventre, et puis plus rien. Tu la retires. Tu t en vas. C est fini. Je me dis que je rêve. Que tu es endormi, et que tu ne sais pas que je suis là, près de toi. Je me demande du coup si tu te souviens que je suis là. Si tu te souviens que c est notre premier matin sans réveil. Notre premier dimanche. J adjuge que non. Tu t es enroulé sous les draps. Normal. La lumière du jour s est installée dans la pièce et tes yeux ne sont pas d accord. Alors tu t es caché sous la couette. Et moi, du coup, je recompte les poutres, pour être bien sûre qu il n y en ait que quatre. C est important. Et puis, j en ai eu assez. Assez de t entendre t étirer, bailler, tourner, faire semblant de dormir, faire semblant que je ne sois pas là. 4
Alors je me suis levée. J ai retrouvé ma culotte et un pull, abandonnés la veille. Tu ne me vois même pas. Je quitte la chambre. Je descends. Le carrelage est tout froid, ça me réveille, ça m énerve un peu aussi. Il est neuf heures, c est dimanche et je suis en pull et culotte, les pieds nus sur le carrelage de ta cuisine, pendant que tu ne me fais pas de câlin. Et puis je me dis que ça ne sert à rien. Et puis, de toute manière, je suis en colère. C est trop tard pour être bien maintenant. Alors je remonte à l étage, je rentre doucement dans ta chambre. Je mets un pantalon, je coiffe à la main mes cheveux emmêlés, et là, oh surprise, tu me parles. Tu demandes : «Ça ne va pas?» Je réponds : «Je vais y aller.» Tu dis : «Qu est-ce qu il y a?» J aurais pu dire : «J avais envie de tendresse, donc non, ça ne va pas. J avais envie d amour, de toi, de nous deux amoureux, mais c est un matin comme les autres. Tu n es pas là, alors que tu es là. Je m en vais parce que je suis triste, parce que je pensais 5
que nos corps avaient vraiment envie de passer un dimanche matin, sous les draps, l un contre l autre». Mais j ai dit : «Il n y a rien.» Et puis je croise ton regard. Tes yeux d enfants, qui ont l air surpris et un peu tristes aussi, je ne sais pas trop. Peut-être que tu es comme ça toi. Peut-être que ça te suffit de me savoir à tes côtés, que tu profites de notre dimanche matin sans réveil, comme ça, à ta manière. Je suis triste, mais je peux comprendre que tu ne comprennes pas. Alors, je soulève les draps et me blottis contre toi. Ma tête sur ton épaule et j écoute ton cœur. Toi, tes yeux sont ouverts et tu comptes sûrement les poutres. Et comme pour faire ce que je semble réclamer, nos mains s animent sans un mot, sans un sourire. Les tiennes sur moi. Les miennes sur toi. Voilà. On se parcourt, on se caresse, on se cherche, on se trouve. Il fait chaud, tu envois valser mes vêtements. Il fait froid alors nous faisons l amour. Toi sur moi. Mes mains dans tes cheveux. Tes yeux bien loin des miens. Pas un regard. 6
Seulement des caresses, de l amour sans certitude. Et lorsqu on a eu fini, nous nous sommes allongés. Nous nous sommes allongés chacun de notre côté. Et alors j ai compté les moutons, pour ne pas pleurer. 7