Internet et liberté d expression en France : dossier documentaire ( mars 2011) La France est entrée dans la liste des pays placés "sous surveillance" en matière de liberté d expression sur Internet (Reporters sans frontières). état du droit applicable en France sur la question dans une synthèse documentaire : Le ministère des Affaires étrangères propose un état du droit applicable en France sur la question dans une synthèse documentaire : "La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ". La liberté d expression, telle qu inscrite dans la Déclaration des droits de l homme et du citoyen de 1789, dans son article 11, a acquis une portée universelle. Sa formulation a influé la Déclaration universelle des droits de l homme, adoptée par l ONU le 10 décembre 1948 (art. 19) et la Convention européenne des droits de l homme adoptée le 4 novembre 1950 (art. 10), toutes deux approuvées par la France. I. L encadrement législatif français de la liberté d expression sur Internet Les textes législatifs sur la liberté de la presse, antérieurs à l émergence d Internet, voient certaines de leurs dispositions s appliquer directement à la liberté d expression sur ce nouveau média. De même, les limites à cette liberté découlent de dispositions préalablement existantes, parmi lesquelles le maintien de l ordre public, la lutte contre l incitation à la haine raciale, la protection de l enfance et de l adolescence et surtout l ensemble des délits et crimes commis par voie de la presse. 1) Liberté d expression et délits de presse La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse [1] - qui encadre cette liberté en posant des restrictions afin de trouver un équilibre entre la liberté d expression, la protection des citoyens et le maintien de l ordre public - s applique directement aux sites Internet. C est dans cette loi que figurent aujourd hui la plupart de ce qu il est convenu d appeler les délits d information ou de presse, tels que l incitation à la haine raciale ou le négationnisme [2] : provocation aux crimes et délits (atteintes volontaires à l intégrité de la personne et agressions sexuelles, apologie des crimes visés au premier alinéa, des crimes de guerre, des crimes contre l humanité ou des crimes et délits de collaboration avec l ennemi, incitation et apologie aux actes de terrorisme, incitation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l égard d une personne ou d un groupe de personnes en raison de leur origine ou de leur appartenance... à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, incitation à la haine ou à la violence à l égard d une personne ou d un groupe de personnes en raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap, délits contre la chose publique, délits contre les personnes (diffamation, injure), publications interdites (actes d accusations, identité des mineurs...). Cent ans après la loi de 1881, le Parlement a doté la France de la loi n 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, qui garantit la liberté de communication audiovisuelle, dans le "respect des principes de pluralisme et d égalité entre les cultures, les croyances, les courants de pensée et d opinion" et prévoit la mise en oeuvre d un droit de réponse en cas d atteinte à l honneur ou à la réputation de toute personne physique ou
morale [3]. La loi du 30 septembre 1986 sur la liberté de communication [4] modifiant profondément la loi de 1982 précise les limites de la liberté d expression dans le cadre des nouvelles technologies : «L exercice de cette liberté ne peut être limité que dans la mesure requise, d une part, par le respect de la dignité de la personne humaine, de la liberté et de la propriété d autrui, du caractère pluraliste de l expression des courants de pensée et d opinion et, d autre part, par la protection de l enfance et de l adolescence, par la sauvegarde de l ordre public, par les besoins de la défense nationale, par les exigences de service public, par les contraintes techniques inhérentes aux moyens de communication, ainsi que par la nécessité, pour les services audiovisuels, de développer la production audiovisuelle.» La loi n 2000-719 du 1er août 2000 modifiant la loi n 86-1067 du 30 septembre 1986 [5] prévoit plusieurs mesures de protection de l enfance et de l adolescence vis à vis des programmes. Les dispositions relatives à la communication audiovisuelle de la loi de 1982 s appliquent à tous les services de communication en ligne (article 1er). La loi pour la confiance dans l économie numérique (LCEN) du 21 juin 2004 [6] procède à une refonte de l architecture du droit des médias, clarifiant le droit applicable aux services de l internet. Aux côtés du droit de la presse papier et de l audiovisuel, la LCEN, dans son article 1er, crée dorénavant une nouvelle catégorie générique : la «communication au public par voie électronique», qui se subdivise en «communication audiovisuelle» et en «communication au public en ligne». Cette loi - outre la responsabilité des prestataires techniques - hébergeurs et fournisseurs d accès Internet (FAI) qu elle définit -, prévoit une protection renforcée des particuliers [7]. C est à la loi de 1982 et à la LCEN (article 6 sur la responsabilité des hébergeurs) que se réfère la réglementation en matière de droit de réponse sur Internet, dont le décret n 2007-1527 du 24 octobre 2007 relatif au droit de réponse applicable aux services de communication au public en ligne [8], qui introduit le domaine d application du droit de réponse et ses conditions d exercice. 2) Protection des données personnelles La loi Informatique, fichiers et libertés du 6 janvier 1978 s applique aux sites web comme aux autres medias pour tout traitement de données à caractère personnel et distingue les dispositions propres à tout type de collecte et traitement de données et les obligations en cas de traitement automatisé de ces données. Seul l article 1 de la loi a conservé sa rédaction d origine affirmant notamment l obligation faite à l informatique de respecter les libertés individuelles : «L informatique doit être au service de chaque citoyen. Son développement doit s opérer dans le cadre de la coopération internationale. Elle ne doit porter atteinte ni à l identité humaine, ni aux droits de l homme, ni à la vie privée, ni aux libertés individuelles ou publiques.» 3) Liberté d expression et cybercriminalité La Convention du Conseil de l Europe sur la cybercriminalité [9], signée par la France le 23 novembre 2001 [10] devient opposable et invocable par les justiciables français. La Convention rappelle dans son préambule "le droit à ne pas être inquiété pour ses opinions, le droit à la liberté d expression, y compris la liberté de rechercher, d obtenir et de communiquer des informations et des idées de toute nature, sans considération de frontière, ainsi que le droit au respect de la vie privée".
La loi n 2004-204 du 9 mars 2004, dite Perben II [11] portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, renforce les dispositifs existants en matière de lutte contre la pornographie infantile, de diffusion de propos racistes, de contrefaçon ou de diffusion d informations sur la conception d engins explosifs. Elle complète également le dispositif existant de réquisition informatique "sans que puisse lui être opposée, sans motif légitime, l obligation au secret professionnel" [12]. Enfin, le projet de loi LOPPSI 2 [13], adopté par le Sénat en première lecture le 10 septembre 2010, présente la politique de sécurité du Gouvernement contre les nouvelles formes de délinquance. Ce texte contient notamment les mesures relatives à Internet, dont la création d un délit d usurpation d identité sur internet, l obligation pour les fournisseurs d accès à internet de bloquer des contenus de pédopornographie, la modification du code pénal pour sanctionner la diffusion sur internet d images incitant les enfants à des jeux dangereux et des mesures permettant la captation des données informatiques dans la lutte contre la criminalité organisée. Avec la LOPPSI 2, est introduite notamment la captation de données informatiques à distance, qui pose selon Claudine Guerrier, la question de la compatibilité de la captation de données informatiques avec le concept actuel de respect de la vie privée [14] Liberté d expression et droit de propriété intellectuelle sur Internet La loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet [15] et la loi du 28 octobre 2009, relative à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet [16] limitent la liberté d expression des internautes au respect du droit de la propriété intellectuelle des œuvres diffusées sur Internet. II. Les spécificités des libertés d expression appliquées à l Internet : extraterritorialité des hébergeurs, neutralité... 1) Application de la législation et extraterritorialité Aucun texte, accord ou convention internationale ne désigne la compétence du tribunal et la législation applicable aux délits de presse commis à partir ou grâce au réseau. Cependant, dans l affaire opposant l UEJF (Union des étudiants juifs de France) à Yahoo! Inc. concernant un service de vente aux enchères d objets nazis sur le site Yahoo, le TGI de Paris a été déclaré compétent en application de l article 46 du Code de procédure civile, lequel prévoit la compétence de "la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi [17]. En raison du maintien sur le site Yahoo du service incriminé, le tribunal correctionnel de Paris s est déclaré compétent pour traiter de la responsabilité pénale de la société américaine Yahoo! Inc., selon l article 113-2 alinéa 2 du Code Pénal, qui régit l application de la loi pénale française dans l espace et qui énonce que "l infraction est réputée commise sur le territoire de la République dès lors qu un de ses faits constitutifs a eu lieu sur ce territoire" [18], même si l obligation de filtrage imposée aux fournisseurs internet (LCEN) ne peut être qu une simple obligation de moyens. 2) Neutralité des réseaux et de l Internet Le 30 septembre 2010, l ARCEP a rendu publiques ses dix propositions et recommandations pour promouvoir un internet neutre et de qualité [19]. L enjeu du débat est notamment de garantir à l ensemble des utilisateurs un accès libre, transparent et non discriminatoire à l ensemble des contenus et applications sur les réseaux et sur l internet. Parmi ces dix propositions : la liberté et la qualité dans l accès à l internet, la non discrimination des flux, la prise en compte du rôle des Prestataires dans la neutralité de l internet.
III. Une jurisprudence confortant l évolution de la législation La jurisprudence a permis de préciser les conditions d application du droit des médias aux spécificités de l Internet, que ce soit en termes de : contenus illicites : propos négationnistes et racistes avec la condamnation de la société Yahoo en 2000 [20], l ordonnance de référé dans l affaire "J Accuse" interdisant la poursuite de l exploitation d un site Internet pour négationnisme [21] et l obligation faite aux fournisseurs d accès Internet de mettre en oeuvre des mesures de filtrage empêchant l accès à des contenus illicites [22]. compétences en matière de diffamation et injures sur internet [23]. dans l arrêt du 5 mai 2004 de la Cour d appel de Paris, le TGI est la juridiction compétente en matière de diffamation et d injures commises sur un site Internet [24] ou compétence territoriale des juridictions françaises en matière de contrefaçon en ligne. - Par un arrêt du 7 décembre 2010 (1), la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le groupe ebay sur le fondement de l exception d incompétence territoriale et confirme la décision d appel instaurant la compétence des juridictions françaises dès lors que les internautes français sont visés et les produits livrables en France [25] respect des droits des tiers [26]. données personnelles [27]. IV. Une législation controversée Reporters Sans Frontières a, à l occasion de la journée mondiale contre la cybercensure du 14 mars 2011, placé la France "sous surveillance" en matière de liberté d expression sur Internet. Les principales raisons avancées sont la loi Hadopi de lutte contre le télédéchargement illégal - qui permet d interrompre un accès, contrairement au "droit fondament" d accès à internet - et la loi de sécurité intérieure Loppsi 2 qui instaure entre autres le "filtrage administratif du web sans décision judiciaire" permettant potentiellement d étendre le filtrage à d autres domaines (lutte contre la contrefaçon, diffamation, offense au chef de l Etat...) (RSF) [28]. S y ajoutent également pour RSF, le fait que l année 2010 a été "une année difficile pour les journalistes en ligne et leurs sources" et la première réaction des autorités françaises à l affaire Wikileaks, "faire interdire l hébergement". V. Sélection de sites Internet 1) Sites utiles : Hadopi. - (hadopi.fr) ARCEP. - (www.arcep.fr) Commission nationale de l informatique et des libertés (CNIL). - (www.cnil.fr) Internet/TIC. - (www.diplomatie.gouv.fr) Le forum des droits sur l internet, fermé au 31 décembre 2010 - (www.foruminternet.org) Internet-signalement. - (www.internet-signalement.gouv.fr) The Internet Governance Forum (IGF). - (www.intgovforum.org) International Telecommunication Union (UIT). - (www.itu.int) Reporters sans frontières (RSF). - (fr.rsf.org) La Quadrature du Net. (www.laquadature.net.fr)
Legalis.net.-(www.legalis.net) base de données de jurisprudence et actualité du droit du numérique 2) Dossier documentaire : Nouvelles technologies, Vie publique, octobre 2010. - (www.vie-publique.fr) 3) Revues en ligne : Juriscom.net. - (www.juriscom.net)revue juridique spécialisée dans le droit des technologies de l information. Notes: [1] Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de presse. - version en vigueur au 25 octobre 2010. - (www.legifrance.gouv.fr). - (htm) [2] Notamment dans l article 24 de la loi. [3] Loi n 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle. - version en vigueur au 25 octobre 2010. - (www.legifrance.gouv.fr). - (htm) [4] Loi n 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication (Loi Léotard). - version en vigueur au 25 octobre 2010. - (www.legifrance.gouv.fr). - (htm) [5] Loi n 2000-719 du 1 août 2000 modifiant la loi n 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication. - (www.legifrance.gouv.fr). - (htm) Elle renforce la diversité de l offre audiovisuelle en organisant les conditions de mise en œuvre de la diffusion hertzienne terrestre numérique et assure également de nouveaux moyens de régulation pour le CSA et facilite la création des services en ligne [6] Loi n 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l économie numérique et décrets d application. - (www.legifrance.gouv.fr). - (htm) [7] Elle impose également de nouvelles mentions légales pour les cybervendeurs et permet l instauration du vote électronique pour les élections professionnelles. Loi pour la confiance dans l économie numérique : un nouveau cadre juridique pour l internet, le Forum des droits sur l internet, juin 2004. - (www.foruminternet.org.) - (pdf) [8] Décret n 2007-1527 du 24 octobre 2007 relatif au droit de réponse applicable aux services de communication au public en ligne. - (www.legifrance.gouv.fr). - (htm) [9] Convention sur la cybercriminalité, Budapest, 23 novembre 2001. (conventions.coe.int). - (htm) [10] La Convention est entrée en vigueur avec l adoption des décrets n 2006-580 Décret n 2006-580 du 23 mai 2006 portant publication de la Convention sur la cybercriminalité. - (www.legifrance.gouv.fr). - (htm) et n 2006-597 Décret n 2006-597 du 23 mai 2006 portant publication du protocole additionnel à la convention sur la cybercriminalité. - (www.legifrance.gouv.fr). - (htm) du 23 mai 2006 [11] Loi n 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité. - (www.legifrance.gouv.fr). - (htm) [12] Article 60-1 du code de procédure pénale, modifié par Loi n 2004-204 du 9 mars 2004. - (www.legifrance.gouv.fr). - (htm) [13] Projet de loi d orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure. - (www.senat.fr). - (htm) [14] Captation de données et vie privée en 2011, Claudine Guerrier. - juriscom.net, 18 mars 2011. - (www.juriscom.net) [15] appelée communément Hadopi 1 Loi du 12 juin 2009 dite "Création et Internet" (www.legifrance.gouv.fr). - (htm)
[16] dite Hadopi 2 Loi du 28 octobre 2009 relative à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet. - (www.legifrance.fr) Ces lois encadrent l activité de l Hadopi, Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet. [17] Code de procédure civile, article 46. - www.legifrance.gouv.fr). - (htm) [18] Code pénal, article 113-2. - (www.legifrance.gouv.fr) Nature transfrontalière du réseau Internet et ordre public / Alexis Guedj. - Droits fondamentaux, n 1, juillet-décembre 2001. - pp. 199-211. - (pdf) [19] Les propositions et orientations de l ARCEP. - Actes de l ARCEP, septembre 2010. (www.arcep.fr). - (pdf) [20] Condamnation de la Société Yahoo, le 20 novembre 2000 à mettre en place un dispositif de filtrage interdisant l accès des internautes français à son site américain de vente aux enchères d objets nazis Ordonnance de référé du 20 novembre 2000 du TGI de Paris. - (www.legalis.net) [21] Ordonnance en référé du 30 octobre 2001 du TGI de Paris : «Affaire J Accuse» - Contenus illicites - Négationnisme - Racisme - Responsabilité - Hébergement étranger - Filtrage. - (www.foruminternet.org). - (htm) [22] Arrêt du 24 novembre 2006 de la Cour d appel de Paris. - (www.foruminternet.org). - (htm) [23] Ordonnance du 22 janvier 2003 du TGI de Paris : détermination du juge compétent en matière d action civile pour diffamation et injures commises sur un site internet. - (www.foruminternet.org). - (htm) [24] Diffamation et injures sur l internet : le Tribunal de grande instance déclaré compétent. - (www.foruminternet.org). - (htm) [25] Les juridictions françaises sont compétentes pour connaître d une contrefaçon internationale en ligne. - Juriscom.net, 25 février 2011. - (www.juriscom.net) [26] Jugement du 17 mars 2006 Affaire Monputeaux.com Le difficile équilibre entre liberté d expression et respect des droits des tiers. (www.foruminternet.org). - (htm) [27] Arrêt du 25 juin 2008 Site internet Service de communication au public en ligne Système de notation Enseignants. - (www.foruminternet.org). - (htm) : la SARL Note2be.com doit suspendre l utilisation de données personnelles permettant la notation des enseignants [28] Liberté d expression sur internet : la France placée "sous surveillance" par RSF. - AFP, 14 mars 2011. Liberté d expression sur Internet : la France placée "sous surveillance" par RSF. lemonde.fr, 14 mars 2011. La France ennemie d Internet? Non, mais pays à surveiller selon RSF. - zdnetfr, 14 mars 2011.