Pesticides: Des valeurs limites suffisantes pour notre assiette?

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Pesticides: Des valeurs limites suffisantes pour notre assiette?

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Executive Summary très complexes et d un volume considérable. L explication pour cette réglementation si «sobre» se trouve à l article 5 de la dite ordonnance fédérale qui précise : «L OSAV adapte régulièrement l annexe de la présente ordonnance selon l évolution ( ) des législations des principaux partenaires commerciaux de la Suisse.». Pourtant, la dernière adaptation a eu lieu en juin 2014. Les nouvelles connaissances et évolutions ne se reflètent donc qu avec un grand retard dans la législation suisse. L article 3 de l OSEC pourrait en outre donner la (fausse) impression que l office en charge l Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV) - mène sa propre évaluation des risques, puisqu il y est écrit : «Outre la documentation scientifique usuelle, l OSAV prend notamment en considération les éléments suivants: c. l absorption de la substance, déterminée en fonction de la quantité moyenne de denrées alimentaires ingérées; d. l effet de cumul de substances agissant sur les mêmes systèmes biologiques dans l organisme humain.» Or, des quantités pour l absorption spécifique de la population suisse font complètement défaut. Quant à la prise en compte de «l effet de cumul» lors de l évaluation fédérale des risques, elle n est au mieux qu un vœu pieux, car une procédure juridiquement contraignante n existe ni au niveau européen, ni à l échelon de la Suisse. Les charges en provenance d autres sources négligées La pollution de fond à laquelle la population est exposée n intervient ni lors de l établissement de valeurs limites, ni lors de l évaluation des risques. Ceci alors que cette dernière est soumise outre aux pesticides à une multitude d autres produits chimiques pouvant agir sur les mêmes organes. Ainsi la majorité de la population absorbe déjà aujourd hui plus de plomb (dont l impact neurotoxique est reconnu) que ne le conseillent les recommandations. L évaluation des risques, elle, part du principe qu outre la substance à évaluer, il n existe pas d autre pollution. Un changement de paradigme Toute évaluation des risques poursuit l objectif d éviter que les consommateurs/trices soient soumis à des dangers pour la santé. Elle sous-estime cependant tant l absorption (exposition) que la charge totale en substances. Les soi-disant facteurs de sécurité n offrent de fait pas davantage de sécurité ils ne font que refléter le non-savoir - et encore de manière insuffisante. Un changement de paradigme s impose : la protection des consommateurs/trices doit tenir compte de la pollution totale en substances à laquelle est exposée l être humain. Si le corps humain est déjà contaminé avec des métaux lourds aux effets neurotoxiques et avec des substances à effet endocrinien, l évaluation des risques doit inclure ces éléments. Mais en premier lieu la pollution doit être réduite. La politique agricole doit s orienter en fonction des meilleures pratiques et non des quantités de substances toxiques que la majorité des producteurs sont capables de respecter ou veulent bien accepter. Il s agit d introduire une valeur limite globale de 0.01 mg/kg, car la faisabilité d aliments sans résidus de pesticides n est plus à prouver. Une telle démarche reprendrait la logique prévalent en ce moment à savoir se baser sur ce qui est techniquement possible mais en misant sur les «meilleures pratiques» disponibles. 3

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