A) les conceptions du contrôle de constitutionnalité : entre théorie et pragmatisme

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Transcription:

La réforme du contrôle de constitutionnalité En France Il n existe pas seulement un contrôle de validité de la norme pénale, tout comme il n existe pas non plus une seule norme pénale. Plusieurs coexistent mais ces dernières n occupent pas les mêmes places et forces juridiques dans notre système de hiérarchie des normes. Les sources du droit pénal sont diverses. Il faut donc les distinguer afin d identifier les contrôles opérés par les instances nationales et supranationales, tout cela dans un souci de respect de la hiérarchie des normes. La constitution, source suprême au sein de cette hiérarchie, a été progressivement amendée et révisée dans un but bien précis : L adaptation des institutions aux évolutions de la société. Celle-ci se manifeste, entre autres, par l influence grandissante des sources supranationales parmi lesquelles les dispositions fondamentales de la Convention européenne des droits de l homme, reconnues par la Constitution elle-même. Les normes de droit interne doivent donc s y conformer. C est dans ce contexte qu a été promulgué le 23 juillet 2008 la loi constitutionnelle 1 introduisant le contrôle de constitutionnalité a posteriori en droit français. Désormais deux contrôles coexistent ; d une part celui consistant à saisir le Conseil constitutionnel avant promulgation d une loi, d autre part celui permettant la saisine de l organe juridictionnel à l occasion d une instance en cours devant une juridiction. Depuis son institution en 1958, force est de constater que la compétence du Conseil Constitutionnel, organe indépendant 2, ne cesse de se renforcer. Pour autant, l existence de nouvelles dispositions, dont l entrée en vigueur a été largement inspirée par les pratiques de nos Etats voisins européens, nous permet-elle de conclure à l émergence d un modèle commun? Si la réforme du contrôle de constitutionnalité opère indéniablement un rapprochement offrant une mise en conformité du système français au regard du système européen (I), le contrôle français conserve quelques singularités sur lesquelles il convient de se pencher (II). I) Le contrôle de constitutionnalité : vers un modèle commun A) les conceptions du contrôle de constitutionnalité : entre théorie et pragmatisme Il existe deux approches conceptuelles mettant en évidence les modalités du contrôle de constitutionnalité. L une est théorique, il s agit du modèle européen, tandis que l autre est davantage pratique, il s agit du modèle américain. Les États-Unis furent le premier Etat à intervenir en donnant compétence aux juridictions ordinaires pour apprécier de la validité d une loi et, par la même, pour examiner sa conformité à la Constitution 3. 1 Art. 61-1 de la loi constitutionnelle n 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République, JORF 24 juillet 2008. 2 Le conseil constitutionnel est en effet institué par la Constitution du 4 octobre 1958 3 L affaire Marbury v. madison (1803) pose pour la première fouis le principe selon lequel les tribunaux ainsi que la Cour suprême sont compétents pour juger de la conformité des lois à la constitution et d écarter en ne les appliquant pas, celles qui y contreviendraient. Ce principe sera ensuite étendu notamment avec l arrêt Fletcher v. Peck (1810) dans lequel il est établit que le pouvoir judicaire peut contrôler la conformité des lois des Etats aux 1

Ainsi le contrôle de constitutionnalité en Amérique du Nord peut se définir comme un contrôle pragmatique c est à dire concret puisque celui-ci est effectué à l occasion d un litige. Il est de plus déconcentré dans la mesure où tous les juges sont compétents pour l exercer. Il s agit également d un contrôle a posteriori puisque ce dernier est réalisé une fois que la loi dont la conformité est contrôlée, a été promulguée. Enfin il constitue un contrôle par voie d exception compte tenu des effets juridiques attachés à une éventuelle décision d inconstitutionnalité. En effet dans ce cas, la loi litigieuse ne pourra être annulée mais seulement «paralysée», écartée d une situation juridique précise. S agissant de la conception théorique, celle-ci fut à l origine révélée par Kelsen 4. Cette conception s appuie sur le fait que toutes les normes découlent elles mêmes d une norme qui leurs est supérieure : la Constitution, cette dernière devant être considérée comme la source suprême. En droit français par exemple le Conseil constitutionnel étant compétent pour apprécier de la validité d une loi par rapport à la Constitution, ce contrôle doit donc être opéré préalablement c'est-à-dire au moment où cette loi est votée. Ce contrôle de constitutionnalité peut, de ce fait, se définir comme un contrôle concentré puisque seul un organe spécifique, la Cour constitutionnelle, est compétent pour l effectuer. Il est de surcroît abstrait et a priori, dans la mesure où l examen porte sur une loi non encore promulguée. Il est enfin opéré par voie d action, la loi étant directement attaquée, l objet du recours n ayant d autre finalité que de contester la conformité de la norme par rapport à la Constitution 5. De nos jours de nombreux Etats européen à l instar de la France ont confié ce contrôle de constitutionnalité à un organe indépendant portant le plus souvent le nom de «Cour constitutionnelle 6». De plus la plupart des pays européens 7 combinent les deux approches conceptuelles. Ainsi il existe d une part un contrôle a priori permettant de saisir directement le juge de la juridiction constitutionnelle et d autre part, un contrôle a posteriori par lequel la juridiction spécialisée est saisie par voie d exception, au cours d un procès. La France a s est donc aligné aux systèmes européens en vigueur et après avoir institué un contrôle de constitutionnalité a priori, a récemment réformé sa Constitution et l a complétée d un contrôle de constitutionnalité a posteriori. B) La mise conformité du système français : l institution d un contrôle a posteriori La France, depuis la révolution de 1789, a connu de nombreuses tentatives visant à instaurer un contrôle de constitutionnalité. nommes fédérales, constitutionnelles et législative. La cour suprême précise également que ce contrôle peut être effectué en appel lorsque les décisions des tribunaux des Etats sont contestées (Martin v. Hunter s Leese, 1816). 4 Une théorie pure du droit (1934). 5 V. Le contrôle de constitutionnalité dans les autres pays occidentaux, La vie publique, La documentation française 2008. 6 La cour d arbitrage belge est devenue la cour constitutionnelle lors de la révision opérée le 7 mai 2007. L Autriche fut dotée d une cour constitutionnelle dès 1920. Plus généralement, v. Les Documents de travail du Sénat, série législation comparée : La composition des cours constitutionnelles, n LC 179, Novembre 2007. 7 C est le cas par exemple de l Allemagne, l Espagne, le Portugal, l Autriche, l Italie et la Belgique. 2

Sa hantise du «gouvernement des juges» et l'importance donnée au pouvoir parlementaire ont retardé, voir même empêché lorsque celui-ci était prévu par la Constitution, l'émergence d'un réel contrôle de constitutionnalité. A l époque de l institution du Conseil constitutionnel, l idée d une loi souveraine expression de la volonté générale, l adhésion à un contrat social préservant les droits et libertés des citoyens étaient encore dans tous les esprits. La mise en œuvre d un contrôle de constitutionalité confié à un organe indépendant visait moins à garantir les libertés individuelles qu à contrôler les dérives éventuelles du Parlement compte tenu de ses attributions constitutionnelles 8» ainsi qu à écarter la compétence du pouvoir judiciaire à l égard d un tel contrôle. «L objectif des constituants de 1958 n était pas tant d établir un contrôle général de constitutionnalité des lois». Si l on connait le contrôle de constitutionnalité a priori prévu par l article 61 de la Constitution française et par lequel «les lois organiques, avant leur promulgation, les propositions de loi mentionnées à l article 11 avant qu elles ne soient soumises au référendum, et les règlements des assemblées parlementaires, avant leur mise en application, doivent être soumis au Conseil constitutionnel qui se prononce sur leur conformité à la Constitution 9», il convient de présenter le contrôle a postériori institué par la loi du 23 juillet 2008. La Modernisation des institutions souhaitée par les français et engagé par le gouvernement, révèle une nécessaire adaptation aux évolutions de la société qui ne peut plus être ignorée. Cette réforme vise en effet à préserver l équilibre fragile entre d une part, l exigence de sécurité juridique, le respect du Parlement 10 ainsi que la volonté de ne pas engorger le conseil constitutionnel et, d autre part, la garantie du progrès de la société sans remettre en cause la protection des droits fondamentaux 11. En l espèce cet équilibre est réalisé par l existence d un filtre assuré par les juridictions répressives qui ne transmettent au Conseil d Etat et à la Cour de cassation que les affaires les plus sérieuses. Désormais il est possible pour le conseil constitutionnel de contrôler la validité d une loi après sa promulgation. Les juridictions répressives, à l occasion d une instance en cours, lorsqu elles estiment que cela est nécessaire, saisissent respectivement les juridictions de dernier ressort des ordres administratif et judiciaire qui après l avoir également jugé utiles saisissent le conseil constitutionnel 12. Toutefois le mécanisme du contrôle de constitutionnalité tel qu instauré par la loi du 23 juillet 2008 doit davantage être assimilé à une question préjudicielle qu à celle de l exception d inconstitutionnalité. 8 A. Roux, Le nouveau Conseil constitutionnel.- Vers la fin de l exception française?, JCP G 2008 n 31, I 175. 9 Il également précisé que «Aux mêmes fins, les lois peuvent être déférées au Conseil constitutionnel, avant leur promulgation, par le Président de la République, le Premier ministre, le Président de l Assemblée nationale, le Président du Sénat ou soixante députés ou soixante sénateurs». 10 Une loi déjà votée ne devant pas être remise systématiquement en cause. 11 En ce sens il convient d instituer un contrôle a posteriori afin de pouvoir une contester la constitutionnalité d une loi même après que celle-ci ait été votée. 12 Art. 61-1 Constitution : «Lorsque, à l occasion d une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé». 3

En effet et compte tenu des dispositions légales, il ne s agira pas pour les juges des ordres judicaire et administratif de trancher la question de la constitutionnalité d une loi, la solution du procès pénal étant conditionnée par l examen effectué par ces derniers. Les juges devront plus précisément étudier la recevabilité ainsi que la pertinence de la requête d inconstitutionnalité soulevée, et transmettre au Conseil d Etat ou la Cour de cassation les questions soulevant des difficultés sérieuses. Leur rôle de filtre permettra ensuite au Conseil Constitutionnel, seul compétent, de se pencher sur la question de la constitutionnalité de la loi. Autrement dit à l instar du mécanisme exercé dans le cadre d une question préjudicielle, les juges des deux systèmes devront en quelque sorte surseoir à statuer en attendant que le Conseil constitutionnel ait solutionné le problème de l inconstitutionnalité soulevé. II) Les spécificités du contrôle de constitutionnalité français A) Les caractéristiques du contrôle de constitutionnalité français Tout d abord même si l amendement du Sénat adopté par celui-ci lors de la séance du 24 juin 2008, visait à substituer le nom de «Cour constitutionnelle» à celui de «Conseil constitutionnel», ce nom ne fut finalement pas retenu. En effet certains donc notamment le sénateur Badinter soulignait le caractère obsolète d une telle dénomination dans la mesure où la compétence essentielle du Conseil devait, plus particulièrement après la réforme, être d ordre juridictionnel. Il est vrai que toutes les instances européennes portaient et porte encore le nom de cour constitutionnelle ou de tribunal constitutionnel, le choix de la dénomination de Conseil constitutionnel apparaissant ainsi comme une véritable «exception française 13». L argument soulevé par la garde des Sceaux, selon lequel le Conseil constitutionnel exerçait également des fonctions consultatives devait l emporter, la Haute instance française conservant donc son originalité sur ce point. En outre contrairement à certains Etats européens 14, le renvoi de la question de constitutionnalité au Conseil constitutionnel ne peut être effectué par tous les juges, seuls ceux du Conseil d Etat et de la Cour de cassation sont compétents. Si certains Etats ne se contentent que d un simple doute sur la constitutionnalité d une norme pour la saisir la Cour constitutionnelle, d autres exigent que les juges soient préalablement convaincus de l inconstitutionnalité de la norme pour saisir légitimement la Cour. Enfin au titre des particularités françaises, il convient de préciser que le contrôle de constitutionnalité est indirect. Qu il soit a priori ou a posteriori, le Conseil constitutionnel ne peut être saisi par un citoyen comme c est le cas en Allemagne, en Espagne ou encore en république Tchèque 15. Dans le premier cas le citoyen est totalement absent du processus, dans le second il devra sans remettre à la décision des juges d accueillir favorablement ou non leur requête. 13 Exception empruntée au professeur A. Roux, v. sur ce point, Le nouveau Conseil constitutionnel.- Vers la fin de l exception française?, JCP G 2008 n 31, I 175. 14 En Allemagne, en Belgique, en Espagne et en Italie, le renvoi est possible par tous les juges. En Autriche la limitation du droit de saisine de la Cour constitutionnelle imposée en 1929, été élargie aux juges de seconde instance en 1975. 15 P. Tavernier, Le Conseil constitutionnel français et le Convention européenne des droits de l homme, Droits fondamentaux, n 7, janvier 2008 décembre 2009. 4

Si certaines de ces particularités ne constituent en soi que de simples formalités, d autres sont néanmoins susceptibles de remettre en cause l effectivité du contrôle de constitutionnalité nouvellement institué. Le choix du contrôle de conventionalité sera, en conséquence, privilégié. B) L effectivité du contrôle a posteriori concurrencé par le contrôle de «conventionalité» Jusqu à présent le juge de l ordre répressif, incompétent pour examiner la validité d une norme législative par rapport à la Constitution, était en revanche admis à exercer un contrôle de conventionalité. Rapidement cette compétence fut mise à profit et le contrôle de conventionalité fut considéré comme un palliatif permettant ainsi de contourner l interdiction faite au juge ordinaire d exercer un contrôle relevant exclusivement de la compétence du Conseil constitutionnel. L avantage était effectivement de taille puisque les droits et libertés fondamentales contenus dans la Constitution étaient similaires à ceux protégés par la Convention européenne. Ainsi lorsque le justiciable s estimait lésé, ce dernier ne se trouvait pas désavantagé et soulevait la non-conformité de la loi au regard des principes conventionnels, à défaut de pouvoir se référer aux principes constitutionnels. Il était donc permis de penser que cette difficulté, au demeurant facilement surmontée, allait être complètement évincée avec l institution de la question préjudicielle de constitutionnalité. Pourtant selon la doctrine 16, les perspectives ne sont guère réjouissantes. Il n est, en effet, pas certain que le contrôle de constitutionnalité a posteriori soit favorisé au vu de «l expansionnisme du contrôle de conventionalité» qui «apparaît d ores et déjà comme un substitut au contrôle par voie d exception 17». Il est possible de citer à titre d exemple deux dispositions concernant les modalités de fonctionnement de ce mécanisme. En premier lieu, le filtre exercé par les juges des instances suprêmes des ordres administratif et judicaire peut constituer un frein au recours à la question préjudicielle de constitutionnalité. En second lieu le fait que cette compétence ne soit attribuée qu à certains juges en excluant de celle-ci les magistrats des premières et secondes instances peut nuire à l effectivité de ce contrôle. Le Conseil constitutionnel ne connaîtra donc que des recours que les juges auront bien voulu lui soumettre. Le contrôle de constitutionnalité a posteriori venant tout juste d être institué, il est encore trop tôt pour affirmer que ces craintes sont bel et bien fondées. Il serait donc plus prudent de patienter quelques temps afin de pouvoir dresser un bilan objectif de la situation. Il est d ailleurs tout à fait possible qu une fois ce mécanisme complètement assimilé, le contrôle de conventionalité soit utilisé de manière complémentaire au contrôle de constitutionnalité. L idée selon laquelle la Cour de Strasbourg serait comparée à «la Cour constitutionnelle de la Grande Europe, à l égal et à l instar des cours constitutionnelles nationales, ou même au-dessus de celles-ci a, à ce titre, déjà été évoquée 18». Même si la place de ces deux contrôles doit être précisée, il est certain que cette réforme révèle une volonté voir une nécessité du législateur français de s adapter aux évolutions de la société. 16 A. Roux, préc. 17 J. Gicquel, numéro spécial «Du nouveau dans la Constitution?», LPA, 14 mai 2008, p.78. 18 Pour un avis critique sur ce point, v. notamment P. Tavernier, préc. 5