Actes du VIII ème Congrès de l Association pour la Recherche InterCulturelle (ARIC) Université de Genève 24-28 septembre 2001 L'auteur assume la responsabilité du texte et en garde les droits. Symposium «Culture et travail : du local au mondial» organisé par Pascal Tisserant Culture et travail : du local au mondial par Pascal TISSERANT Université de Metz UFR Sciences Humaines Ile du Saulcy F-57000 METZ e-mail : tisserant@zeus.univ-metz.fr Résumé : P. Tisserant, Culture et travail : du local au mondial 1
Culture et travail : du local au mondial La notion de culture est au centre de tous les débats dans un colloque comme celui de l ARIC. La notion de travail l est moins mais l articulation de ces deux notions est de plus en plus présente dans les réflexions. Ces analyses concernent une diversité de situations allant de problématiques locales, comme celle de la main d œuvre immigrée dans une région en particulier, à des situations plus mondiales, comme celles des cadres expatriés des multinationales. A partir d une importante revue de synthèse effectuée sur le sujet (Tisserant, 1999), ce texte cherche à organiser la diversité des analyses articulant la notion de culture à celle de travail, en proposant une typologie des études inter-culturelles dans le domaine du travail et des organisations. Le principe organisateur de cette typologie est établi à partir de deux conceptions de la notion de culture et une définition du terme inter-culturel, envisagés dans une première partie. De la diversité des sens de la notion de culture à celle d inter-culturel Deux conceptions de la culture Depuis le sens originel de l action de cultiver les sols, transposé à l homme ou plus précisément à son esprit, la notion de culture est devenue très courante et son usage parfois abusif. Les significations de cette notion se sont diversifiées mais deux de ces conceptions méritent d être distinguées dans le cadre d une approche inter-culturelle de l homme au travail : la culture comme construit ou la culture au sens anthropologique et la culture comme représentation ou la culture au sens socio-perceptif. La culture comme construit : la culture au sens anthropologique «En 1787, Alexandre de Chavannes crée le terme ethnologie qu il définit comme la discipline qui étudie l histoire des progrès des peuples vers la civilisation» (Cuche, 1996, p.10). La culture va alors s imposer comme le principal objet d étude de cette discipline, rejoignant ainsi celui de l anthropologie qui se propose de décrire et de théoriser l évolution de l homme. La diversité des conceptions de la culture envisagées depuis ces premières réflexions peut se caractériser à partir de deux dimensions : - universaliste / différenciatrice : les approches universalistes de la culture renvoient à une conception de la culture humaine où toutes les sociétés apportent leur contribution depuis les premiers temps ; à l opposé, les approches différencialistes cherchent à spécifier les sociétés, les ethnies ou encore les groupements sociaux dans leurs productions. - - statique (les contenus) / dynamique (les processus) : les approches statiques sont centrées sur le contenu des cultures concernées qu elles tentent de décrire à partir des éléments qui les caractérisent (par exemple : l art, la morale, les croyances, etc ) ; à l opposé, les approches dynamiques sont centrées sur les processus de production des groupements sociaux. P. Tisserant, Culture et travail : du local au mondial 2
La culture comme représentation : la culture au sens socio-perceptif La culture comme représentation correspond à l ensemble des phénomènes associés à la perception des groupes culturels dans l environnement social. Cette définition rejoint, en partie, celle de la culture subjective énoncée par Triandis (1994, p333) : une caractéristique culturelle d un groupe dans la manière de percevoir son environnement social 1. La culture socio-perceptive est subjective dans le sens où elle se rapporte au sujet pensant mais elle se distingue de la conception anthropologique qui renvoie davantage à une culture portée par l individu. La culture au sens socio-perceptif est avant tout une culture attribuée à un individu ou à un groupe de personnes : la culture est une représentation. Dans cette perspective, la culture est utilisée par le sujet dans sa définition de l appartenance aux groupes qu il perçoit dans l environnement social. Le façonnement et l expression de l identité, les relations entre groupes, les stéréotypes ou encore les discriminations culturelles, constituent les principales manifestations de la culture au sens socioperceptif. Les travaux de Geneviève Vinsonneau (1996) illustrent cette conception psychosociale de la culture en démontrant certaines limites de la conception anthropologique pour l analyse des situations de contacts de cultures. Une définition du terme inter-culturel Face à la diversité des sens et des utilisations du terme interculturel, nous réservons cette écriture à l objet d une rencontre. De cette façon, l approche interculturelle se distingue de l approche culturelle comparative ou encore monoculturelle qui renvoient, dans le premier cas à la comparaison de phénomènes culturels et dans le second à des situations relevant d une seule culture (Camilleri et Vinsonneau, 1996). En revanche, en référence à Jahoda (1993), nous recourons à l écriture inter-culturel pour désigner l ensemble du domaine concerné, par équivalence avec le terme anglophone cross-cultural (Krewer et Dasen, 1993). Nous allons appliquer cette distinction aux études interculturelles du travail et des organisations. Typologie des études inter-culturelles du travail En référence aux différents sens couverts par le terme inter-culturel, nous distinguons trois types d études inter-culturelles dans le domaine du travail et des organisations: - Les études monoculturelles (ou culturelles) - Les études culturelles comparatives - Les études interculturelles Le tableau 1 développe la conception de la culture principalement associée à ces différents types d études. 1 «a cultural group s characteristic way of perceiving its social environment». P. Tisserant, Culture et travail : du local au mondial 3
Les études interculturelles s Les études monoculturelles Les études culturelles comparatives Les études interculturelles Conception dans le domaine La culture des milieux professionnels La culture comme variable dépendante obtenue à partir des situations de travail Les interactions hommesmachines en situation de pluralité culturelle: La culture portée par les machines de la culture du travail et des organisations La culture comme une des variables indépendantes d'un concept du domaine du travail et des organisations Les effets de la diversité culturelle intranationale ou internationale sur l'individu au travail: La culture comme facteur d'influence de la rencontre Tab. 1:Conceptions de la culture dans les études inter-culturelles du domaine du travail et des organisations Le premier type d études inter-culturelles dans le domaine du travail et des organisations, les études monoculturelles, renvoie à une conception de la culture largement utilisée en sciences de gestion et en sociologie. Ces études cherchent à caractériser des groupes professionnels en spécifiant la culture dont ils sont porteurs. Dans cette perspective, la culture est avant tout un ensemble de pratiques professionnelles communément partagées. Cette conception renvoie donc à l approche anthropologique de cette notion. Le fait d appartenir au même corps de métier ou encore à la même entreprise conduit à ce type d utilisation, comme l expression culture d entreprise le désigne. L utilisation de la notion de culture chez Schein (1985) ou encore chez Sainsaulieu (1987) correspond à cette conception. Le deuxième type, les études culturelles comparatives dans le domaine du travail et des organisations, cherche à caractériser les différences et les spécificités nationales. Cette conception de la culture est une des plus courantes dans le champ de l inter-culturel et concerne la plupart des disciplines, de la littérature comparée aux sciences économiques. Elle relève d une approche anthropologique où la culture s adresse, cette fois-ci, à des individus ou des organisations relevant d une même unité nationale. Deux conceptions peuvent être distinguées au sein de ce deuxième type d études : - La culture comme variable dépendante obtenue à partir des situations de travail - La culture comme une des variables indépendantes d'un concept du domaine du travail et des organisations Dans le premier cas, les environnements de travail et d'organisations sont utilisés dans le but d'étudier les contenus de culture. Il s'agit d'extraire de cette notion un sens opérationnalisable afin d'obtenir un modèle de la culture, voire des cultures, en comparant des différences nationales. Les dimensions de la culture d'hofstede (1980) sont le plus célèbre exemple d études relevant de ce cas. Dans le second cas, la culture n'est plus considérée comme une variable dépendante dont on recherche certaines manifestations, mais elle correspond plutôt à une variable indépendante dont les chercheurs envisagent l'influence sur des situations ou des comportements de travail. L engagement P. Tisserant, Culture et travail : du local au mondial 4
envers l organisation (Luthans et col., 1985) ou encore le leadership (Misumi, 1985) constituent des exemples de concepts ainsi soumis à la question du relativisme culturel. Le troisième type, les études interculturelles dans le domaine du travail et des organisations, reflète la diversité des situations professionnelles de contacts de cultures. La plupart des disciplines sont concernées et les études sont le plus souvent empiriques. Parmi ces cas de rencontres, celui des interactions hommes machines peut être distingué des autres situations de pluralité culturelle. Ce cas relève essentiellement de l ergonomie et postule que les machines portent en elles des éléments de la culture de leurs concepteurs. Cette approche plutôt anthropologique de la notion de culture cherche à favoriser le développement et "l'acculturation" des transferts de technologies, à satisfaire les parties en présence dans le respect des différences et des singularités culturelles. L anthropotechnologie définie par Wisner (1985) s inscrit dans cette perspective. Les autres cas traduisent la diversité des situations de rencontres interpersonnelles au travail. Ils concernent les situations de diversité culturelle intranationale comme l effectue Camilleri (1987) à propos des travailleurs immigrés ou Bataille (1997) dans son enquête sur la racisme au travail. Ils s adressent également aux cas de rencontres internationales comme celui des expatriés (par exemple, Tung, 1988) ou des joint ventures (Salk, 1997). Cette conception de la culture renvoie avant tout à l approche socio-perceptive définie précédemment. La culture est utilisée dans les relations de travail dans la définition de l appartenance aux groupes. Les cultures ainsi attribuées aux uns et aux autres façonnent l identité des individus et les relations intergroupes conduisant aux comportements discriminatoires ou, à l opposé, de grande solidarité et de cohésion. La diversité des études inter-culturelles du travail trouve avec cette typologie un cadre permettant de discuter la question du lien entre la notion de culture et de travail au-delà des clivages disciplinaires. L'idée du symposium intitulé ''culture et travail: du local au mondial'' illustre cette problématique. La diversité des analyses inter-culturelles du travail proposées par les auteurs relevant de champs disciplinaires différents nous conforte dans l'idée d'un axe de recherche commun fondé sur la complémentarité des disciplines de chacun. P. Tisserant, Culture et travail : du local au mondial 5
Bibliographie Bataille P. (1997). Le racisme au travail. Paris, La Découverte. Camilleri, C. (1987). Les travailleurs immigrés. In C. Lévy-Leboyer & J.C. Sperandio (Eds.) Traité de psychologie du travail, (pp.245-259). Paris: PUF. Camilleri, C. & Vinsonneau, G. (1996). Psychologie et culture. Paris: Armand Colin. Cuche, D. (1996). La notion de culture dans les sciences sociales. Paris: La Découverte. Hofstede, G. (1980). Culture s Consequences: International Differences in Work Values. Bevery Hills CA: Sage Publications. Jahoda, G. (1993). L homme ou les hommes? Lumières ou romantisme? In F. Tanon & G. Vermès (Eds.), L'individu et ses cultures, (pp62-78). Paris: L Harmattan. Krewer, B. & Dasen, P. (1993). La relation Psychisme-Culture: un problème d équivalence des termes dans la discussion internationale. In F. Tanon & G. Vermès (Eds.), L'individu et ses cultures, (pp53-61). Paris: L Harmattan. Luthans F.; McCaul H.S. & Dodd, N.G. (1985.) Organizational commitment: A comparison of American, Japanese, and Korean employees. Academy of Management Journal, 28(1), 213-219. Misumi J. (1985). The behavioral science of leadership. Ann Arbor, University of Michigan Press. Salk (1997.) Partners and Other Strangers. International Sudies of Management and Organizations, Vol 26(4), 48-72. Sainsaulieu R. (1987). Sociologie de l organisation et de l entreprise. Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques. Schein E.H. (1985). Organizational culture and leadership. San Francisco, Jossey-Bass Publishers. Tisserant, P. (1999). L identité interculturelle dans l organisation de salariés lorrains d une multinationale sud-coréenne: contextualisation représentationnelle des relations intergroupes. Thèse de Doctorat. Université de Metz. Triandis, H.C. (1994a). Subjective culture. In V.S. Ramachandran (Ed.), Encyclopedia of Human Behavior, Vol 4, (pp333-335). San Diego: Academic Press. Tung, R.L. (1988). The new expatriate. Cambridge: Ballinger. Vinsonneau, G. (1996). L identité des jeunes en société inégalitaire. Le cas des maghrébins en France. Paris: L Harmattan. Wisner (1985). Quand voyagent les usines. Paris : Syros. P. Tisserant, Culture et travail : du local au mondial 6