COURS 15, CUF SPB, LITTÉRATURE, 2012-2013 Z O L A E T S A N D O Z, U N E A U T O B I O G R A P H I E À L Œ U V R E? L A S C I E N C E D E L A C R É A T I O N L I T T É R A I R E D E L A H I R E
1. «DES SORTES DE MÉMOIRES» Prière d insérer de L Œuvre (première édition, 1886) : «Une histoire simple et poignante, le drame d une intelligence aux prises avec la nature, le long combat de la passion d une femme et de la passion de son art, chez un peintre original, qui apporte une formule nouvelle. L auteur a mis ce drame dans le milieu de la jeunesse, il s y est confessé lui-même, il y a raconté quinze ans de sa vie et de la vie de ses contemporains. Ce sont des sortes de Mémoires qui vont du Salon des Refusés de 1863 jusqu aux expositions de ces dernières années, un tableau de l art moderne, pris en plein Paris, avec tous les épisodes qu il comporte. Œuvre d artiste, mais œuvre de romancier, et qui passionnera».
UNE AUTOFICTION AVANT L HEURE? Définition de l autofiction. Caractérisation de l autofiction référentielle Enjeux d une telle pratique
SANDOZ L ALTER EGO La jeunesse de Sandoz L ascension sociale Le projet naturaliste
LE PEINTRE CLAUDE LANTIER, MIROIR RÉFLÉCHISSANT Claude, second double de Zola? Œuvre d artiste, œuvre de romancier. Ut pictura poesis
UN HÉROS CACHÉ AU SECOND PLAN? Et si Sandoz était le héros de L Œuvre? Le modèle, le père et l écrivain. Le genre romanesque et l écriture mémorialiste. La composition de L Œuvre : une confession esthétique.
RÉFÉRENTIALITÉ ET LISIBILITÉ DES PERSONNAGES EN QUÊTE D AUTEUR? Après la «mort de l auteur», sa résurrection : mais quelle tête a-t-il donc à présent? Courte histoire de mouvements longs de la critique littéraire (clés, applications, autre moi, fonction, fiction de soi)
Cohérence du texte (Michel Charles) et possibles à l œuvre (Marc Escola) : La référentialité empêche-t-elle les lectures ouvertes (Umberto Eco) ou les stimule-t-elle?
2. L OFFENSIVE SOCIOLOGIQUE EN LITTÉRATURE Préambule : goût du public et dégoût du critique littéraire. La nouvelle «sociologie de la création des œuvres culturelles» (Bernard Lahire)
Contexte institutionnel : Programme de Recherche : «Propriété des créateurs et propriétés de leurs créations : sociologie implicite des œuvres et socialisation des écrivains» (2006-2010). Financé par le cluster 13 de la région Rhône-Alpes, Dirigé par Bernard Lahire, Professeur de sociologie de l ENS-lyon. Soutenu par Patrick Boucheron (histoire sociale), Jacques Dubois (sociologie de la littérature) et Alain Vialla (sociologie de la littérature). Equipe constituée en partie des doctorants de Bernard Lahire. Ouvrage personnel en 2010 : Franz Kafka. Éléments pour une théorie de la création littéraire, Paris, La Découverte. Direction d un collectif en 2011 : Ce qu'ils vivent, ce qu'ils écrivent. Mises en scène littéraires du social et expériences socialisatrices des écrivains, Paris, éditions des archives contemporaines.
Une question de partage des disciplines A. La querelle des sociologues sur la littérature (Barrère et Martuccelli (Paris V), Le roman comme Laboratoire, 2009) B. La critique littéraire hors-champ Après Bourdieu: Les sociologues à l assaut de la forteresse formalistico-linguistico-structuraliste
A.La querelle des sociologues «incapacité d une certaine pratique sociologique à renouveler son imagination» «profond conservatisme dans la représentation du monde» et manque «de goût pour l expérimentation analytique». (Barrère et Martuccelli, cités par Lahire, 2011, p. 30).
«Ce que l on attend d un écrivain n est pas ce que l on exige d un sociologue» (Ibid., p. 31). «Les écrivains livrent donc des modèles incarnés ( ) qui ne peuvent en aucun cas être pris pour des descriptions fidèles de la réalité» (Ibid., p. 32).
«Analyser les schèmes cognitifs et culturels mobilisés par les écrivains» (Ibid.) «réel historique» # «point de vue spécifique» «Repartir de l horizon de l auteur, voilà l objectif de cet ouvrage»
B. A l assaut des littéraires formalistes Se défaire des évidences du champ littéraire : 1. «L impasse Sainte-Beuve» 2. La téléologie : auteur => œuvre => lecteur «crucial de se demander ce que le texte fait au scripteur» En particulier : «objectivation d une version potentielle de soi, ou création littéraire d un avatar»
-Intérêt des personnages pour l auteur : «représentants de points de vue ou de tendances dispositionnelles opposés qui s affrontent en son fort intérieur». -Statut socio-historique de la littérature comme «expérience de soi» - Apport spécifique de la littérature à la connaissance : «La société en texte produit, sur le mode de la simulation, des instruments de lecture de la société réelle, et s affirme à ce titre comme expérimentation» (Jacques Dubois, 2000, p. 44). Même constat de Bouveresse.
La connaissance littéraire 1 «C est en tant que «scénaristes expérimentaux du social» (Dubois, 2000), bien autant qu en tant que «commentateurs» ou «théoriciens» que les romanciers manifestent leur schème d intelligibilité du monde social.» (Ibid.,p. 23)
La connaissance littéraire 2 «Pour emprunter le mot de Gilles Deleuze (Deleuze et Guattari, 1991), si le philosophe (ou le sociologue) invente des concepts, le romancier, (comme le peintre, le cinéaste ou le compositeur), crée des «percepts» ou des «affects» par lesquels il donne à voir et à sentir, modélise ou cadre le réel.»
La connaissance littéraire 3 (D après Bouveresse) «réservoir d expériences et de savoirs sur le monde qui peut augmenter la conscience du lecteur ou développer son sens pratique des situations par une mise en situation narrative. Ni apprentissage pratique ni éclairage théorique la littérature offre la possibilité d un apprentissage par la mise en situation fictionnelle qui permet de faire travailler ou de transposer des questions existentielles problématiques (des plus banales ou plus cruciales) sur un mode imaginaire. Hors de l urgence de la pratique, mais beaucoup plus sensiblement ou concrètement que dans les discours théoriques, il fait une expérience du monde d un genre très spécifique que seul la littérature lui permet de faire : une expérience à la fois concrète ou sensible et détachée de la pression sociale immédiate, une expérience éthicopratique en pensée ou en imagination. Et lorsque les réalités narrées sont éloignées géographiquement, culturellement, socialement ou historiquement des expériences ordinaires du lecteur, la littérature permet d y accéder sous la forme d une telle expérience de pensée (Bouveresse, 2006, p. 141).
3. ZOLA ET LA SCIENCE DE LA CRÉATION LITTÉRAIRE A. La valorisation de l expérience de soi chez Zola. Le roman expérimental : entre l asservissement au goût des grands ou des salons (auteur «artisan»), et le dictat du marché (auteur bon vendeur), s est créé un espace d expression personnelle. (Lahire, 2011, p. 20). => L Œuvre constitue une mise en abyme du réalisme subjectif zolien. Explicite le rôle de l écrivain dans la connaissance.
B. Zola, les personnages de L Œuvre, et la connaissance littéraire. Éléments du réalisme naturaliste, de la peinture de «milieux». Présociologie manquant de scientificité. Diffractions de l auteur, développement de son expérience unique du monde (Claude, Sandoz, Jory). Tension permanente entre l objectivité du réel et la singularité du regard artiste.
D. Enjeux de la représentation fictionnelle de soi-même. «L objectivation de soi ( ) permet à Zola de renforcer sa légitimité et sa visibilité sociale» (Frédérique Giraud, «L Œuvre d Emile Zola, l écrivain fictif au service de la mise en scène de soi», dans Ce qu ils vivent, op. cit., p. 224)
E. Conclusion : bref retour sur Zola autobiographe dans L Œuvre B. Lahire : «On pourrait dire d une manière un peu provocatrice que toute œuvre littéraire, artistique, philosophique ou sociologique- est en un certain sens autobiographique.» (ibid., p 11) => Intérêt et limite de la thèse.