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Infirmiers de Rue Fellow Ashoka Belgique

Ashoka: Et si vous commenciez par me parler un peu de votre famille et de l endroit où vous avez grandi!? Émilie: J ai grandi à Namur, au sein d une famille nombreuse!: je suis la seconde d une famille de 5 enfants et mes parents sont médecins. Nous avons également eu des étudiants d échanges, cousins ou amis qui ont régulièrement vécu chez nous, ce qui nous donnait l occasion de découvrir et échanger sur d autres modes de vie. Mes hobbies à ce moment étaient le scoutisme (pendant plus de 15 ans), la musique (flûte, saxophone et accordéon) et le sport (principalement le tennis, la natation et les sports de montagne). Ashoka: Quelles sont quelques-unes de vos expériences personnelles qui, depuis votre enfance, ont influencé votre vision du monde!? Émilie: Il y en a eu plusieurs, et beaucoup sont des rencontres avec des personnes ou des projets. C est d ailleurs assez difficile d en choisir!! Je vais en prendre 3 qui m ont particulièrement inspirées mais ce serait franchement très réducteur de dire que j ai cette vision du monde pour ces raisons.

Première expérience A l adolescence, j étais plutôt introvertie à l école. J avais parfois l impression que l on me jugeait sur base de mes vêtements ou de ma façon d être et que l on prenait parfois trop peu de temps pour aller plus en profondeur et me laisser devenir qui j étais vraiment. Etait-ce vraiment comme ca ou me suis-je moi-même mis dans cette position!? Je ne sais pas vraiment Mais petit à petit je me suis retrouvée dans une position isolée où je m étais écartée de tous. Je n avais pas envie de changer d école car je ne voulais pas que l on garde cette image de moi et que l on m étiquette comme «!la tête de turc». Je suis donc restée, convaincue que je pouvais changer même chose concernant les personnes qui étaient parfois violentes à l école... j estimais que nous étions tous ado, nous allions tous grandir, il fallait juste attendre que cela passe et garder la conviction que chacun d entre nous pouvait être meilleur

Deuxième expérience Une seconde expérience marquante s est déroulée en Afrique, avec Sara Janssens (avec qui j ai créé Infirmiers de rue). Nous travaillions dans un dispensaire de brousse et nous avions décidé d aller visiter le 3 ième plus grand hôpital du Burkina Faso. Il ne se trouvait pas trop loin de notre village. Dans cet hôpital, il n y avait ni médecin, ni chirurgien. C était les infirmiers qui faisaient tout. Ils avaient donc développés des compétences extraordinaires qui nous bluffaient Sara et moi. Quand nous sommes arrivées pour observer le travail, un infirmier est venu nous chercher en nous disant qu une femme s était fait poignarder de bas en haut et qu il comptait sur nous pour la recoudre. Selon lui, comme nous étions blanches, nous étions a priori forcément capable de le faire. Ce qui n était pas le cas et qui ne l est toujours pas!! J ai vécu une fois de plus l expérience que l habit ne fait pas le moine et qu il ne faut pas se fier à l apparence. Les gens peuvent avoir beaucoup plus de ressources que ce qu on pense ou beaucoup moins.

Troisième expérience J ai travaillé 4 ans à «!La Fontaine!». Il s agit d un centre d hygiène et d accueil pour les personnes sans-abri. Les gens viennent y prendre une douche, laver leurs vêtements et peuvent se faire soigner à l infirmerie. Pendant ces 4 ans, j ai rencontré des personnes extraordinaires pleines de ressources et de talents, qui arrivaient à développer des compétences en rue afin de réussir à y survivre. J ai aussi rencontré des personnes qui venaient trop tard à l infirmerie, qui ne se rendaient pas du tout compte de la gravité de la situation. Et puis aussi Marie-Thérèse, ma collègue infirmière à ce moment là, et les nombreux bénévoles, qui chacun à leur façon participaient à la valorisation des personnes sans-abri et à leur bien-être. Chacune de ces rencontres m a donné envie d aller plus loin et de continuer de travailler avec ces personnes.

Ashoka: En quoi votre approche est-elle distincte et originale!? Que faites-vous de différent des autres acteurs pour remédier à ce problème!? Emilie: Nous utilisons de manière pro-active l hygiène et la valorisation des ressources et talents pour aider les personnes sans-abri à se réinsérer. L hygiène est un tabou dans notre société. Beaucoup ont des difficultés à dire à leur collègues ou amis qu ils ont quelque chose dans les dents ou qu ils devraient mettre du déodorant. Et ce, de peur de briser la relation de confiance et de toucher quelque chose de trop intime. Cependant l état d hygiène d une personne nous montre l intérêt qu elle se porte à elle-même, et l attention portée à l hygiène peut aider chacun à reprendre un contrôle sur sa vie par de petits objectifs. Nous avons donc choisi de briser le tabou et d utiliser l hygiène comme un outil de travail. Notre constat quotidien est que le fait de retrouver une hygiène et une estime de soi, aide à se projeter et à envisager l avenir. Des projets beaucoup plus conséquents deviennent alors possibles, comme celui de retrouver un appartement. La valorisation des ressources et talents nous paraît également être indispensable en vue d une réinsertion.

Eléments différentiels d Infirmiers de Rue Méthodologie Infirmiers de rue asbl est soucieux de développer une méthodologie de travail interne à la fois agréable pour l équipe et efficace pour permettre d atteindre les objectifs établis, sachant que l un est tributaire de l autre. Ainsi, nous avons une responsable pour la planification du travail de rue, nous créons des groupes de travail sur des problématiques touchant directement à notre travail de terrain, nous maintenons nos connaissances sociomédicales à jour via des ateliers «! refresh!», etc. Récemment, nous avons commandé une base de données performante qui nous permettra d analyser au mieux notre impac Coordination! IDR est un relais entre les personnes sans-abri et les différents services psycho-médico-sociaux. Cette coordination permet de compléter le travail du réseau, éviter les doublons et ainsi optimiser l impact des actions de chacun. De plus, Infirmiers de rue agit au niveau individuel (les patients), mais aussi au niveau social (formation des agents de sécurité, travail avec les commerçants et le grand public) et au niveau environnemental (meilleure utilisation de l infrastructure existante, outils d information). La coordination de tous ces acteurs est donc indispensable pour garantir la stabilité du réseau du patient.

Eléments différentiels d Infirmiers de Rue Revalorisation des ressources Un travail important est fait autour de la "revalorisation" de la personne. Par exemple, les infirmiers mettent en avant minimum 3 ressources/talents qui seront utilisés lors de tout leur parcours de réinsertion, afin de les remotiver et de leur donner confiance en eux. Ces talents retrouvés guideront également le patient, une fois relogé, à se reconstruire et à se recréer un nouveau rôle sociétal: ex! : s il aime la nature et jardiner, il pourrait devenir le jardinier, rémunéré ou non, de sa maison de repos. Vision intégrale: psycho-médico-sociale En plus du travail sur l estime de soi et leur bien-être global, les patients sont remis en ordre et payent directement leurs logement, mutuelle, soins, etc comme tout un chacun. Hygiène comme facteur de réinsertion! L hygiène est souvent un sujet tabou et passée au second plan. Infirmiers de rue la considère indispensable. C est un sujet qui doit être abordé et travaillé en rue mais également en logement, car il permet à chaque patient de se sentir mieux et d'être d avantage intégré dans son entourage.

Eléments différentiels d Infirmiers de Rue Patients les plus vulnérables IDR vise les personnes pour qui le risque de morbidité et de mortalité est très élevé. Elles se caractérisent comme suit!: - leur score sur l échelle d évaluation de l état d insertion sociale (CVC) est faible - leur réseau psycho-socio-médical est découragé ou inexistant - leur nombre d'années passées en rue est souvent très élevé : 8-20 ans en moyenne. IDR démontre par son action, que la réinsertion durable est possible pour tout le monde, y compris pour les patients souffrant de problématiques graves et multiples. Suivi durable! Des mécanismes sont mis en œuvre pour éviter toute retombée en rue pour le patient En effet, le suivi une fois le patient stabilisé en logement, se fait via des contacts réguliers avec les professionnels qui ont pris le relais, et des visites ponctuelles au patient. Ce suivi va durer jusqu'au décès du patient. IDR n est pas un service d urgence, mais favorise plutôt une responsabilisation du patient sur le long terme.

Ashoka: Comment faites-vous pour communiquer vos idées aux autres et les inspirer à partager votre vision!? Pourriez-vous donner des exemples où votre travail a inspiré ou habilité des individus à devenir des agents de!? Emilie : L impact et les résultats sur le terrain sont la meilleure preuve. Un des premiers patients remis en logement par IDR l a été en partie grâce à une autre association! : voyant les progrès que la personne avait faits en termes d hygiène, l assistant social qui s occupait de son dossier s est remis à y croire, et a réactivé les choses, ce qui a grandement aidé à la remise en logement. Nous partageons également nos outils pour que chacun puisse se les approprier et agir à son niveau. Lorsque nous faisons des sensibilisations à l extérieur, mais aussi lors de nos formations, en montrant des photos «!avantaprès!»de nos patients et en expliquant leur parcours, nous donnons la possibilité à tous de croire en un possible et qu une situation idéale est envisageable. Les rêves de chacun deviennent possibles. Nous voyons que beaucoup de gens n attendent que cela pour se remobiliser.

Ashoka : Qu est-ce qu un agent de pour vous et comment le devient-on!? Emilie : Quelqu un qui croit en son idée et en ses rêves, qui crée une équipe solide et dynamique, et qui arrive a entrainer cette équipe avec lui et la motiver à continuer. Ashoka : Pourquoi votre idée ou votre travail vous tient-il tant à cœur!? Emilie : Il est la preuve que tout est possible, que chacun est rempli de ressources et de talents et que nous pouvons tous nous reconstruire. Je suis aussi épatée par l équipe et la volonté de de chacun, ainsi que par le nombre de personnes qui veulent s impliquer à leur niveau (que ce soit le commerçant, le psychiatre ou le balayeur de rue). Ce travail est la preuve que tout le monde peut s en sortir mais que pour s en sortir il faut être soutenu dans ses projets, et que ce soutien soit à taille humaine. Ashoka : Quel soutien le réseau Ashoka a-t-il apporté à votre parcours!? Emilie : Du soutien justement!! Mais aussi beaucoup d autres choses!grâce à Ashoka je me suis rendu compte que notre impact pouvait être plus important et que nous pouvions toucher plus de personnes. Nous travaillons aussi maintenant de manière beaucoup plus professionnelle. J ai en effet reçu via Ashoka de nombreux conseils via les ASN et via les formations et les WE organisés. Ces nouveaux outils me permettent de travailler beaucoup mieux au quotidien. Rencontrer d autres Fellows me pousse également à alimenter mes perspectives et à réfléchir à de nouvelles solutions. Merci beaucoup Emilie!