TRANSPORT, ENERGIE, CLIMAT : LES APPORTS DE LA PROSPECTIVE TERRITORIALE POUR ELABORER DES POLITIQUES LOCALES Le recours croissant aux énergies fossiles pose aujourd hui la double question de leur raréfaction et de leur impact sur le climat de la planète. Dans ce contexte, la question des déplacements constitue en particulier un double enjeu : énergétique : le secteur des transports consomme 32 % de l énergie finale et représente 70 % de la consommation finale de produits pétroliers en France ; d atténuation du changement climatique : les transports sont la cause de plus d un quart des émissions brutes de gaz à effet de serre en France Métropolitaine. La question de la mobilité et des déplacements à l'échelle des territoires doit donc être examinée en fonction des exigences climatiques et énergétiques. Face à ces enjeux énergie-climat, cet article expose tout d abord en quoi la prospective territoriale s'avère être un outil adapté pour penser les orientations des politiques de transport au sein d un projet de territoire. L article montre ensuite l importance pour les acteurs d un territoire de connaître le panel de leviers mobilisables des politiques de transports, et la nature exacte de leurs impacts énergétique et climatique, en matière de sobriété et d efficacité. Pour ce faire, les leviers tels que : organisation polycentrique du territoire, taxation des déplacements en voiture, renforcement de l'attractivité du réseau de transports en commun, etc. sont décrits au regard de leurs «objectifs transport» : report modal, réduction des longueurs de déplacements, etc. et, par conséquent, de leurs impacts énergie-climat : sobriété, efficacité. Les effets attendus de ces leviers peuvent être ensuite estimés, en matière de consommations énergétiques et d émissions de gaz à effet de serre. Bien entendu, la lecture énergie-climat proposée pour une politique de transport ne doit pas être exclusive ; elle doit être croisée avec les autres enjeux constitutifs d un projet de territoire : amélioration de la mobilité et du bien-être, santé publique, etc. Précisons également que nos propos ciblent ici le secteur des déplacements des personnes ; les transports de marchandises ne sont pas traités. 1- La prospective territoriale, un outil pour traiter des enjeux énergieclimat sur un territoire De plus en plus d acteurs territoriaux lancent des travaux de prospective territoriale pour éclairer les politiques locales en matière d aménagement et de déplacements, intégrant notamment les enjeux énergétiques et climatiques. Citons par exemple les exercices réalisés sur l agglomération de Tours 1, l'aire urbaine de Rennes 2 et le Pays de Brocéliande 3. La prospective 4 territoriale est effectivement un outil intéressant pour traiter des enjeux énergie-climat car elle permet de : 1 «Axes de progrès vers un schéma de cohérence territoriale Facteur 4», Beauvais Consultants et ATU, ADEME, janvier 2011. 2 «Prospective des mobilités sur l'aire urbaine de Rennes à l'horizon 2050», Stratys, Futurouest, Marc Wiel, DDTM Ile et Vilaine Ministère de l'ecologie, janvier 2010. 3 «Prospective des mobilités sur le Pays de Brocéliande à l'horizon 2050», Syndicat Mixte du Pays de Brocéliande, janvier 2011. 4 «Processus créatif, pluridisciplinaire, participatif, impliquant les parties prenantes, organisé à différents niveaux (de l'infra-départemental à l'international), la prospective pense l'homme, son environnement, l'organisation de la société et rompt avec l'habitude de subir l'avenir dans l'anticiper ou le préparer», extrait de «Phénoménologie du temps et prospective», Gaston Berger, PUF, 1964. Congrès ATEC-ITS France 2014 : Les Rencontres de la Mobilité Intelligente» 1/5
débattre et faire le choix d orientations de long terme à donner aux territoires, en y intégrant les enjeux énergétiques et climatiques qui sont eux-mêmes des enjeux de long terme ; confronter des enjeux énergétiques et climatiques aux évolutions supposés, redoutés ou souhaités du territoire à long terme ou au travers de ruptures : changement de conjoncture économique, rupture démographique ou technologique, changement de comportement, etc. ; associer aux choix d orientations des leviers, tels que : l incitation au changement de comportements, la taxation de l usage de la voiture, l amélioration de l attractivité des transports en commun, etc. Il peut également s agir de leviers qui ont des effets à long terme, tels que les politiques d urbanisation ; décliner ensuite dans la planification territoriale et la politique de court terme les orientations et leviers retenus 5. On retrouve bien la volonté de mener ces quatre étapes dans les volets prospective des SRCAE (Schémas régionaux du climat, de l air et de l énergie) et des PCET (Plan climat-énergie territorial), ainsi que dans les exercices de prospective territoriale issus d'une démarche volontaire tels que ceux réalisés sur Tours, Rennes et le Pays de Brocéliande, cités précédemment. Le choix des leviers à faire correspondre aux orientations retenues pour le territoire nécessite cependant de connaître l impact énergétique et climatique des leviers de mobilité et de transport mobilisables dans les politiques territoriales. 2- Connaître le panel de leviers mobilisables, pour le secteur des transports, et leurs impacts énergiques et climatiques Pour fixer des objectifs énergétiques et climatiques pour le secteur des transports dans des scénarios de prospective, les acteurs du territoire auront à choisir des leviers de politiques de transport. Cela nécessite de connaître l impact énergie-climat des leviers mobilisables pour le secteur des transports appelés «leviers transports» par la suite ( 2.1). Afin de clarifier les conséquences de ces leviers en matière de transport et leurs impacts énergieclimat, une classification des leviers est proposée en fonction des «objectifs transports» qu'ils visent, pour chacun des deux objectifs énergie-climat correspondant : sobriété ( 2.2) et efficacité ( 2.3). 2.1- Connaître l impact énergie-climat des leviers transport pour construire un scénario de prospective sobre et/ou efficace Pour choisir des leviers, il est nécessaire de comprendre la nature et de connaître les impacts énergétiques et climatiques des différents leviers mobilisables. Il s agit en effet de recourir à des leviers qui puissent contribuer à (aux) l objectif(s) énergie-climat vers le(s)quel(s) on cherche à orienter son scénario de prospective : vers la sobriété 6 et/ou vers l efficacité énergétique 7. Pour savoir à quels objectifs énergie-climat les différents leviers mobilisables par les acteurs d un territoire contribuent, il faut tout d abord identifier les objectifs de politiques de transport auxquels ils répondent appelés «objectifs transport» par la suite. S agit-il d objectifs de : report modal, de baisse des longueurs de déplacements, de réduction des émissions des modes motorisés, etc.? On peut ensuite traduire ces objectifs transport en objectifs énergie-climat de sobriété et/ou d efficacité. 5 «Le temps long doit permettre de donner du sens et de la cohérence aux actions à court et moyen termes ( ) à toutes les échelles géographiques, aussi bien au niveau local que national et global», Hugues de Jouvenel, extrait du rapport d'information n 342 du Sénat, 5 février 2013. 6 La sobriété énergétique consiste à interroger et prioriser ses besoins pour éviter de consommer de l'énergie. 7 L'efficacité énergétique vise à réduire la consommation d'énergie pour un même niveau de production ou un même niveau de service. Congrès ATEC-ITS France 2014 : Les Rencontres de la Mobilité Intelligente» 2/5
2.2- Viser un objectif énergie-climat de sobriété en réduisant le nombre de kilomètres parcourus en modes motorisés Pour le secteur des transports, viser un objectif énergie-climat de sobriété consiste à réduire le nombre de kilomètres parcourus en modes motorisés. On cible alors l un des objectifs transport suivants. Réduction de la longueur des déplacements motorisés Cet objectif transport de diminution des distances parcourues peut être visé à partir d un principal levier : les politiques d urbanisation du territoire cherchant en particulier à favoriser les déplacements de courte distance, pour un usage des modes doux. Il est généralement préconisé de viser une organisation polycentrique du territoire 8. Rappelons qu il s agit là d un levier qui, d une part, est reconnu comme primordial dans les politiques de sobriété et, d autre part, dont les effets sont de long terme. À titre d exemple, le scénario de l exercice de prospective réalisé sur l agglomération de Tours cité ci-avant mobilise essentiellement ce levier pour viser un objectif «Facteur 4» pour le secteur des transports. Réduction du nombre de déplacements motorisés Il s agit ici de réduire le nombre de déplacements en voiture individuelle tout en veillant à maintenir les droits d accessibilité et les capacités à se mouvoir. La réduction du nombre de déplacements motorisés peut être recherchée en mobilisant les leviers de taxation de l usage de l automobile. Il peut s agir du levier de politique de stationnement, auquel les centres d agglomération ont largement recours pour limiter l usage de la voiture en ville. Il peut encore s agir de quotas kilométriques, de péages urbains, etc., utilisés dans certains pays étrangers et mobilisés dans des scénarios de prospective territoriale française, mais pas encore mis en œuvre en France, à ce jour. Citons ainsi un scénario de l exercice de prospective sur l aire urbaine de Rennes : «Une mobilité très contrainte et sous haute surveillance», qui recourt au levier de quota kilométrique. Ce scénario se base sur une hypothèse de contexte de crise énergétique et climatique grave qui n a pas été suffisamment anticipée. On peut encore chercher à réduire le nombre de déplacements motorisés par d autres leviers, en développant par exemple les services numériques, tels que le télétravail. 2.3- Viser un objectif énergie-climat d efficacité en réduisant les émissions kilométriques des déplacements réalisés Pour le secteur des transports, viser un objectif énergie-climat d efficacité consiste à réduire les émissions kilométriques des déplacements réalisés. On cible alors l un des objectifs transport suivants. Report modal Cet objectif transport consiste à augmenter la part modale des véhicules les moins consommateurs d énergie ou les moins émetteurs de gaz à effet de serre, au détriment de la part des véhicules les plus consommateurs et émetteurs. Pour ce faire, les acteurs du territoire peuvent recourir aux leviers suivants : renforcer l attractivité de leur réseau de transports en commun, ou encore investir dans les aménagements pour les modes doux. 8 «Renouveler les approches des phénomènes périurbains», Les Entretiens du Certu, Collection Essentiel n 14, juin 2013. Congrès ATEC-ITS France 2014 : Les Rencontres de la Mobilité Intelligente» 3/5
D autres leviers peuvent y contribuer, par exemple : viser une organisation polycentrique du territoire, afin de mutualiser les déplacements de longue distance et faciliter ainsi les politiques visant à renforcer l'attractivité des réseaux de transports en commun, inciter les habitants à changer de comportements de mobilité, taxer la pratique automobile pour favoriser l usage des modes alternatifs, baisser les vitesses autorisées des voitures, prévoir des aménagements pour les déplacements en modes doux. Signalons que ce type de levier est fréquemment rencontré dans les scénarios de prospective, notamment dans les SRCAE et PCET. Le PCET du Grand Lyon mobilise par exemple les leviers suivants, répondant à un objectif de report vers les modes doux : «généraliser les «pédibus» à l ensemble des écoles de l agglomération lyonnaise, s assurer de la continuité des itinéraires vélo, établir une «carte des temps» à pied et à vélo», etc. Réduction de la consommation énergétique et les émissions kilométriques des modes motorisés La réduction des consommations d énergie peut être atteinte par l 'amélioration du système de traction du mode de transport. Celle-ci permet également de réduire les émissions de gaz à effet de serre, lesquelles peuvent être également visées par un autre levier : l emploi d une énergie moins carbonée certains biocarburants par exemple. Pou illustrer, ce levier est mobilisé à l extrême dans le scénario n 3 de l exercice de prospective sur l aire urbaine de Rennes «Une voiture propre pour un monde libre». Ce scénario est basé sur l hypothèse d une politique européenne ambitieuse d offre de transports verts et d énergie propre en particulier, qui a abouti à la maîtrise industrielle d une énergie propre et bon marché, grâce à de multiples sauts technologiques. Optimisation de l utilisation d un mode Cet objectif transport vise à augmenter le taux de remplissage des modes, en particulier : les voitures : par le covoiturage, notamment par les leviers d incitation à cet usage de la voiture partagée, les transports en commun : par les restructurations des réseaux de bus, etc. Ces leviers sont classiquement mobilisés dans les SRCAE et PCET. Citons par exemple le SRCAE Bourgogne qui, dans son orientation n 12, prévoit : «un accès facilité à des solutions de mobilité partagée (covoiturage, autopartage, vélos en libre service, etc.)». 3- Vers une estimation des consommations d énergie et gaz à effet de serre Cet article propose donc des éléments de méthode pour les acteurs locaux qui cherchent à fixer des objectifs énergétiques et climatiques pour le secteur des déplacements et de la mobilité sur le périmètre de leur territoire, et ce, au moyen d un exercice de prospective. D un point de vue méthodologique, pour viser des objectifs énergie-climat, les acteurs d un territoire peuvent suivre l une des deux démarches suivantes : soit se fixer des objectifs énergie-climat de sobriété et/ou d efficacité, les traduire en objectifs transport (report modal, baisse des longueurs de déplacements, etc.) puis choisir des leviers (politique d urbanisation, taxation de l usage de la voiture, favoriser l usage des modes doux, etc.) permettant de viser ces objectifs. À titre d exemple, c est la démarche suivie dans l exercice de prospective sur l agglomération de Tours cité ci-avant, soit à l inverse définir les leviers qu ils jugent mobilisables sur le territoire, identifier les objectifs transport que ces leviers permettent d atteindre puis traduire leurs contributions aux Congrès ATEC-ITS France 2014 : Les Rencontres de la Mobilité Intelligente» 4/5
objectifs énergie-climat. C est la démarche suivie pour la réalisation de bon nombre de SRCAE citons le SRCAE Bourgogne, à titre d illustration. Dans les deux cas, mis bout à bout, les effets supposés de ces leviers peuvent être estimés à partir d un calcul des émissions de gaz à effet de serre ou de consommation d énergie. La traçabilité est ainsi assurée : du projet de territoire constitué d une somme de leviers mobilisés dans un scénario jusqu au résultat énergétique ou d émissions de gaz à effet de serre, relativement à un objectif énergie-climat donné. Précisons enfin que les éléments exposés ici sont extraits d un dossier Cerema 9 «Transport, énergie, climat : comment mobiliser la prospective territoriale?», à paraître en 2014. 9 CEREMA : Centre d études et d expertise sur les risques, l environnement, la mobilité et l aménagement, issu de la fusion au 1er janvier 2014 des huit Centres d études techniques de l Équipement (CETE), du Certu, du Cetmef et du Sétra. Congrès ATEC-ITS France 2014 : Les Rencontres de la Mobilité Intelligente» 5/5