Julie Vallée. To cite this version: HAL Id: hal-00720697 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00720697

Documents pareils
La voix en images : comment l évaluation objectivée par logiciel permet d optimiser la prise en charge vocale

Système de diffusion d information pour encourager les PME-PMI à améliorer leurs performances environnementales

Le niveau de revenus des ménages est associé à la couverture vaccinale par le vaccin pneumocoque conjugué chez les enfants d'ile-de-france

L indice de SEN, outil de mesure de l équité des systèmes éducatifs. Une comparaison à l échelle européenne

La complémentaire santé : une généralisation qui

AGROBASE : un système de gestion de données expérimentales

Notes de lecture : Dan SPERBER & Deirdre WILSON, La pertinence

statique J. Bertrand To cite this version: HAL Id: jpa

Les déterminants du volume d aide professionnelle pour. reste-à-charge

Sur le grossissement des divers appareils pour la mesure des angles par la réflexion d un faisceau lumineux sur un miroir mobile

Comptabilité à base d activités (ABC) et activités informatiques : une contribution à l amélioration des processus informatiques d une banque

Dessin assisté par ordinateur en lycée professionnel

Compte-rendu de Hamma B., La préposition en français

Les Champs Magnétiques

Le renoncement aux soins pour raisons financières dans l agglomération parisienne :

Jean-Luc Archimbaud. Sensibilisation à la sécurité informatique.

Un SIG collaboratif pour la recherche historique Partie. Partie 1 : Naissance et conception d un système d information géo-historique collaboratif.

CONCEPTION D UN MONITORING DES QUARTIERS COUVRANT L ENSEMBLE DU TERRITOIRE DE LA RÉGION DE BRUXELLES-CAPITALE

Les intermédiaires privés dans les finances royales espagnoles sous Philippe V et Ferdinand VI

Budget Constrained Resource Allocation for Non-Deterministic Workflows on a IaaS Cloud

Peut-on perdre sa dignité?

Étude des formes de pratiques de la gymnastique sportive enseignées en EPS à l école primaire

Tableau de bord des communautés de l Estrie DEUXIÈME ÉDITION INDICATEURS DÉMOGRAPHIQUES ET SOCIOÉCONOMIQUES

L ANALYSE DU «PARC SOCIAL DE FAIT» PARISIEN EN 2003 : UNE ANALYSE TERRITORIALISÉE DES PROFILS D OCCUPATION DES PARCS ET DES QUARTIERS

Program Analysis and Transformation: From the Polytope Model to Formal Languages

L axe 5 du Cancéropole Nord Ouest

Enquête globale transport

Sylvain Meille. Étude du comportement mécanique du plâtre pris en relation avec sa microstructure.

L allocataire dans un couple : l homme ou la femme?

Sécurité et insécurité alimentaire chez les Québécois : une analyse de la situation en lien avec leurs habitudes alimentaires

AICp. Vincent Vandewalle. To cite this version: HAL Id: inria

Les simulations dans l enseignement des sondages Avec le logiciel GENESIS sous SAS et la bibliothèque Sondages sous R

LES FACTEURS DE FRAGILITE DES MENAGES

EVALUATION DE LA QUALITE DES SONDAGES EN LIGNE : CAS D UN SONDAGE D OPINION AU BURKINA FASO

Endettement des jeunes adultes

Santé et recours aux soins des populations précaires

SYMPOSIA 11. Thursday, September 12 th. Room : Salle des conférences à 15h00

Sur la transformation de l électricité statique en électricité dynamique

En 2014, comment mener à bien une enquête aléatoire en population générale par téléphone?

DÉTERMINANTS COMPORTEMENTAUX DE LA SANTÉ SEXUELLE ET REPRODUCTIVE DES JEUNES EN MILIEU URBAIN

La couverture universelle des soins de santé

L évolution des parts modales des déplacements domicile-travail

SANTE ET RECOURS AUX SOINS DES JEUNES EN INSERTION

SURVEILLANCE EPIDEMIOLOGIQUE DES TMS EN ENTREPRISES : LES RESULTATS DU SUIVI A TROIS ANS DE LA COHORTE COSALI

Les parcs de logements et leur occupation. dans l Aire Urbaine de Lille et sa zone d influence. Situation 2005 et évolution

UNIVERSITÉ PARIS VI PIERRE ET MARIE CURIE

La mobilité professionnelle revêt

Chapitre 3 : Principe des tests statistiques d hypothèse. José LABARERE

Evolution de l équipement technologique des ménages Bretons entre 2008 et 2012 : Chiffres clés Emilie Huiban et Adrien Souquet, OPSIS, M@rsouin.

Observatoire Orange Terrafemina vague 14. La ville connectée. Sondage de l institut CSA

RÉSUMÉ DE THÈSE. L implantation des systèmes d'information (SI) organisationnels demeure une tâche difficile

L emploi des jeunes dans les entreprises de l économie sociale et solidaire

Qui fait quoi sur internet?

Homosexualité et milieu de travail

L état de la pauvreté en France

Karine Côté, Ph.D. Professeure adjointe

LADIES IN MOBILITY. LIVE TWEET Innovative City

Etude Elfe, Le de de e v nir de en a f n a t n s

Les Français et le pouvoir d achat

Les Français et les nuisances sonores. Ifop pour Ministère de l Ecologie, du Développement Durable et de l Energie

C R É D I T A G R I C O L E A S S U R A N C E S. Des attitudes des Européens face aux risques

Forthcoming Database

SYNTHÈSE. En 2012, la province Sud compte personnes. Le maintien à domicile : solution privilégiée des personnes âgées

Les contraintes de financement des PME en Afrique : le rôle des registres de crédit

Comment la recherche en sciences humaines est-elle utilisée? Observations tirées du sondage du groupe d experts chargé de l examen des pratiques d

Fiche qualité relative à l enquête Santé et Itinéraire Professionnel 2010 (SIP) Carte d identité de l enquête

MODÈLE CROP DE CALIBRATION DES PANELS WEB

Famille continue de courbes terminales du spiral réglant pouvant être construites par points et par tangentes

Jessica Dubois. To cite this version: HAL Id: jpa

POPULATION ÂGÉE D UN AN ET PLUS AYANT DÉMÉNAGÉ UN AN AUPARAVANT

e-science : perspectives et opportunités pour de nouvelles pratiques de la recherche en informatique et mathématiques appliquées

La survie nette actuelle à long terme Qualités de sept méthodes d estimation

Les débats sur l évolution des

Les Franciliens utilisent autant les transports en commun que la voiture pour se rendre au travail

François Louesse Comment rédiger un bon projet de R&D européen? Bien choisir son programme

MSO MASTER SCIENCES DES ORGANISATIONS GRADUATE SCHOOL OF PARIS- DAUPHINE. Département Master Sciences des Organisations de l'université Paris-Dauphine

Objectif : optimiser des décisions et croiser des données en tenant compte de leur caractère géographique

Faits saillants et survol des résultats du sondage

Chapitre 3 : INFERENCE

Calculer les coûts ou bénéfices de pratiques sylvicoles favorables à la biodiversité : comment procéder?

Un exemple spécifique de collaboration : Le produit-partage

Modèle d évaluation quantitative des risques liés au transport routier de marchandises dangereuses

INTERVENIR SUR LE TRAVAIL D ENCADREMENT ET L ORGANISATION

Être seul. Jean-Louis Pan Ké Shon* Données sociales. La société française

attitudes envers le dépistage

information L autonomie résidentielle et financière augmente avec la durée des études, les difficultés financières aussi

FÉDÉRATION INTERNATIONALE DE NATATION Diving

Title Text. Gestion de données de mobilité Mobility data management

Master de Santé Publique et Management de la Santé

LES ENSEIGNEMENTS DE L OBSERVATOIRE DE L ENDETTEMENT DES MENAGES. LES CREDITS DE TRESORERIE AUX PARTICULIERS EN FRANCE

Les Français et l assurance santé

Inégalités sociales de Santé Propositions du SMG dans le cadre de la discussion conventionnelle

CONVENTION TRIENNALE D OBJECTIFS POUR LES QUARTIERS POPULAIRES 2013 / entre LA MINISTRE DES AFFAIRES SOCIALES ET DE LA SANTÉ,

et recherches VULNÉRABILITÉS SOCIALES, SANTÉ ET RECOURS AUX SOINS Sous la direction de Pierre Chauvin et Isabelle Parizot

Le géomarketing - Page 1 sur 7

Les Français et le handicap visuel

Compas études. compas. Les enjeux du vieillissement. n 7 - juin 2013

DEMANDE EN TRAITEMENT D ORTHODONTIE A MADAGASCAR : INFLUENCE DE L AGE, DU SEXE ET DU STATUT SOCIO-ECONOMIQUE.

Transcription:

L influence croisée des espaces de résidence et de mobilité sur la santé. L exemple des recours aux soins de prévention et de la dépression dans l agglomération parisienne Julie Vallée To cite this version: Julie Vallée. L influence croisée des espaces de résidence et de mobilité sur la santé. L exemple des recours aux soins de prévention et de la dépression dans l agglomération parisienne. Bulletin de l Association de Géographes Français, 2012, 2, pp.269-275. <hal-00720697> HAL Id: hal-00720697 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00720697 Submitted on 25 Jul 2012 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of scientific research documents, whether they are published or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés.

L INFLUENCE CROISEE DES ESPACES DE RESIDENCE ET DE MOBILITE SUR LA SANTE. L EXEMPLE DES RECOURS AUX SOINS DE PREVENTION ET DE LA DEPRESSION DANS L AGGLOMERATION PARISIENNE. Julie Vallée Chargée de Recherche CNRS, UMR Géographie-Cités, 13, rue du Four, 75006 Paris. julie.vallee@parisgeo.cnrs.fr Ce texte est issu d une présentation orale lors de la séance consacrée à «la géographie de la santé en France en 2011» qui s est tenu le 10 décembre 2011 à Paris. Ce texte met en perspective les résultats de travaux récemment publiés (Vallée et al., 2010; Vallée et al., 2011). Résumé De quelle manière la mobilité quotidienne des individus interfère-t-elle dans l influence que le quartier de résidence exerce sur les comportements de santé des individus? Ce texte fournit des éléments de réponse à cette question à partir de l étude des symptômes dépressifs et des dépistages des cancers féminins dans l agglomération parisienne. L analyse statistique de données recueillies en 2005 auprès de 3000 habitants de 50 quartiers de l agglomération montre que les caractéristiques sociales et physiques des quartiers de résidence influencent plus fortement la santé des habitants les moins mobiles (i.e. avec un espace limité d activité). Une mobilité spatialement restreinte ne donne en effet pas aux individus l opportunité d échapper aux contraintes sociales et physiques de leur quartier de résidence. A l heure où l importance du quartier de résidence se trouve remise en question face à l extension et à la fragmentation des espaces de vie, cette recherche en géographie de la santé souligne à quel point le quartier de résidence demeure un espace clef, notamment pour la frange peu mobile de la population. Mots-clefs Mobilité quotidienne ; espace d activité ; quartier ; inégalités de santé ; Paris Abstract This research aims to account for people daily mobility to adequately measure relationship between characteristics of residential neighbourhood and health. From statistical analysis of data collected in 2005 among 3000 inhabitants living in 50 neighbourhoods in the Paris metropolitan area, I showed that residential neighbourhood effects on health-seeking behaviours and on mental health should not be measured independently from individual activity space. People with a limited activity space were indeed found to be more vulnerable to characteristics of their residential neighbourhood than people with a large activity space. While the importance of neighbourhood of residence is currently questioned because of the extension and the fragmentation of individual life spaces, this paper underlined that neighbourhood of residence remains a key space, specifically for less mobile residents Key-words Daily mobility; activity space; neighbourhood; health inequalities; Paris

270 J. VALLÉE Introduction L influence du quartier de résidence sur la santé des individus et leur accès aux soins fait aujourd hui l objet d une reconnaissance croissante en géographie de la santé, en épidémiologie sociale et en santé publique. De nombreux travaux se sont en effet attachés à mesurer l influence du quartier de résidence sur la santé. Pourtant, la délimitation du quartier demeure une question épineuse dans toutes ces études. L objet «quartier» reste en effet très difficile à caractériser. Le quartier est tantôt défini comme une portion de ville, un espace de proximité, un lieu de vie et un cadre d action (Grafmeyer, 2007) mais il n y a pas de consensus sur l échelle optimale à considérer alors que le découpage spatial retenu peut modifier les résultats des analyses statistiques. En pratique, le quartier se confond - souvent par défaut - avec le découpage administratif le plus fin pour lequel les données socioéconomiques sont disponibles. Or, la délimitation d un quartier (sa forme et son étendue) peut varier d un individu à l autre (Authier, 2001; Coulton et al., 2001) A la complexité de la notion de quartier, s ajoute celle de l interprétation des effets de quartier sur la santé. Différents auteurs étudiant les effets du quartier de résidence sur la santé soulignent que ces effets sont souvent considérés à tort, comme opérant de façon identique sur tous les individus (Stafford et al., 2005). Or, ces effets varient probablement selon les pratiques spatiales des habitants. Pour que le contexte ait une influence sur les comportements de santé, il faut en effet que l espace soit vécu, pratiqué : on peut supposer que celui qui demeure étranger à son espace, ne se laisse guère influencer par lui (Vallée, 2009; Vallée et al., 2010). La multiplication des déplacements urbains pourrait en effet brouiller l influence du quartier de résidence, qui n est alors plus le seul à être connu et pratiqué. La mobilité pourrait alors être envisagée comme une possibilité de s évader des contraintes de son quartier de résidence (Authier, 1999; Gustafson, 2009; Ramadier, 2007). La question qui guide cette recherche est donc la suivante : de quelle manière les usages du quartier de résidence et des autres espaces de la ville interfèrent-ils dans l influence que le quartier de résidence exerce sur les comportements de santé des individus? Pour étudier les pratiques spatiales des citadins dans leur quartier de résidence et dans les autres espaces de la ville, je me suis appuyée sur la notion d «espace d activité». La mobilité quotidienne, observée à partir de l espace d activité, suscite un intérêt grandissant en sciences sociales dans la continuité des travaux de la time-geography d Hägerstrand (1967, 1970). L'espace d'activité peut être défini comme l espace au sein duquel un individu se déplace au cours de ses activités quotidiennes. Données Pour mener à bien cette recherche, j ai mobilisé les données recueillies dans le cadre de l enquête «Santé, Inégalités et Ruptures Sociales» (SIRS) mise en place par des chercheurs de l INSERM et du CNRS (Chauvin & Parizot, 2009). Il s agit d une enquête longitudinale conduite auprès d un échantillon représentatif de la population adulte francophone résidant à Paris et dans les trois départements de la première couronne. Le recueil de données a été réalisé par l administration d un questionnaire en face à face, au cours de l automne 2005 et d un suivi téléphonique 18 mois plus tard. Une troisième vague d enquête a eu lieu de nouveau en face-à-face à l hiver 2009-2010. Cette enquête s appuie sur un échantillonnage aléatoire par grappe. Le premier niveau est constitué d IRIS (Ilots Regroupés pour l'information Statistique) qui ont été stratifiés selon le profil socioprofessionnel de leur population (Préteceille, 2003) et le classement (ou non) en Zone Urbaine Sensible (ZUS). Au total, 50 IRIS ont été tirés au sort parmi les 2595 IRIS éligibles de l agglomération parisienne (Carte 1). Puis, 60 logements ont été sélectionnés aléatoirement dans chaque IRIS. Enfin, un adulte fut tiré au sort dans chaque logement. En 2005, 3023 individus ont ainsi été enquêtés. Les analyses présentées ici s appuient uniquement sur les données transversales de 2005. BAGF 2012-2 pp. 269-275

QUARTIER DE RÉSIDENCE, MOBILITÉ ET SANTÉ Carte 1 : Localisation des 50 îlots (IRIS) de l enquête «Santé, Inégalités et Ruptures Sociales» (SIRS) Au cours de l enquête, les personnes ont notamment été interrogées sur l inscription - totale, partielle ou nulle - de leurs activités domestiques (faire les courses alimentaires, utiliser de services tels que la banque ou la poste), sociales et de loisirs (voir des amis, se promener et aller au café ou au restaurant) dans leur quartier de résidence. Lors de l entretien, les limites du quartier n étaient pas précisées : elles étaient laissées à l appréciation des personnes interrogées. Ces différentes questions permettent donc de caractériser l espace d activité des habitants à partir de la concentration de leurs activités dans ce qu ils perçoivent comme leur quartier de résidence. Les autres informations recueillies concernent l état de santé des individus et leurs recours aux soins. Elles permettent également de préciser leur profil démographique, culturel et social. Enfin, de nombreuses données géographiques décrivant le profil socio-économique des espaces de l agglomération parisienne et les services de santé ont été intégrées dans un Système d Information Géographique (SIG). Description de l espace d activité des habitants de l agglomération parisienne Une première analyse descriptive indique que la majorité des habitants de l agglomération parisienne déclare faire ses activités domestiques dans son quartier de résidence, tandis que la grande majorité déclare sortir de son quartier de résidence pour accomplir ses activités sociales et de loisirs. Un score de concentration des activités dans le quartier de résidence a ensuite été calculé. Ce score varie de 0 (pour les personnes ayant déclaré faire toutes les activités proposées en dehors de leur quartier de résidence) à 1 (pour les personnes ayant déclaré faire toutes les activités proposées dans leur quartier de résidence). Ce score - dont la valeur moyenne est de 0,5 et l écart type de 0.27 - est relativement bien distribué parmi les 3023 personnes interrogées. On comptabilise 520 personnes (17%) dont le score est égal ou supérieur à 0,8 : une part non négligeable des habitants de l agglomération parisienne déclare donc centrer ses activités quotidiennes sur son quartier de résidence.

272 J. VALLÉE Une régression linéaire multiniveaux est utilisée pour voir si l espace d activité des habitants varie de façon statistiquement significative (p<0,05) selon leur profil social et les caractéristiques de leur quartier de résidence. Les analyses statistiques indiquent que les personnes de nationalité étrangère, avec un faible niveau d'éducation, qui sont retraités ou au foyer, vivant dans un ménage à faible revenu ou dans le même quartier depuis plus de 20 ans ont tendance à restreindre leur espace d'activité à leur seul quartier de résidence. On observe également que les habitants de Paris intra-muros, les habitants des quartiers avec un revenu moyen élevé et avec une forte densité de commerces sont plus nombreux à déclarer limiter leurs activités à leur quartier de résidence. Par ailleurs, on constate que ni le sexe, ni l âge des habitants n est associé à leur espace d activité. Ces analyses montrent - notamment - que les individus les plus pauvres et ceux vivant dans des quartiers favorisés ont tendance à restreindre leurs activités à leur seul quartier de résidence. En d'autres termes, la pauvreté mesurée au niveau individuel est associée à un espace d'activité centré sur le quartier de résidence, tandis que la pauvreté mesurée au niveau des entités spatiales est associée à un espace d'activité qui dépasse les limites du quartier. Cette apparente contradiction peut s expliquer par le fait que (i) les habitants des quartiers favorisés n'ont pas nécessairement besoin de sortir de leur quartier pour accéder aux équipements commerciaux ou de loisirs et que (ii) les personnes aisées disposent d un capital financier, culturel et social qui leur donne un plus grand potentiel de mobilité - ce que Kaufmann appelle la «motilité» (2002)- même s ils n ont pas nécessairement besoin d exploiter ce potentiel quand ils habitent dans un quartier bien équipé. De quelle manière l espace d activité interfère-t-il dans l influence que le quartier de résidence exerce sur la santé des habitants de l agglomération parisienne? Parmi la population interrogée, la prévalence de la dépression s élève à 12%. Elle est significativement plus élevée parmi les habitants des quartiers socialement défavorisés (17%). L utilisation de régression logistique multiniveaux permet d observer que les habitants des quartiers socialement défavorisés demeurent sensiblement statiquement plus touchés par la dépression (OR=1,6; IC95%=1,2-2,0), même après ajustement sur leurs caractéristiques sociodémographiques. De plus, on observe une interaction statistiquement significative entre l espace d activité des individus et la composition sociale de leur quartier. Le fait de résider dans un quartier défavorisé multiplie en effet par 4 (OR=4,0; IC95%=2,1-7,8) le risque de dépression pour les personnes dont l espace d activité se limite au quartier de résidence et seulement par 1,3 (OR=1.3; IC95%=1,0-1,8) le risque de dépression pour les personnes avec un espace d activité plus large. Cette étude suggère que l influence du quartier de résidence sur la santé mentale des habitants de l agglomération parisienne varie selon leur espace d activité (Vallée et al., 2011). Du point de vue des dépistages du cancer du col de l utérus, on constate que la proportion de frottis tardifs (c est-à-dire ceux réalisés il y a plus de deux ans) est sensiblement la même (26%) quelque soit la densité médicale du quartier de résidence des femmes interrogées lors de l enquête SIRS. Pourtant ces résultats se trouvent modifiés dès que seules les femmes «peu mobiles» (c est-à-dire celles avec un espace d activité centré sur le quartier de résidence) sont prises en compte. Pour cette souspopulation, une faible densité médicale est associée à une proportion deux fois plus élevé de frottis tardifs (53%). Après avoir tenu compte des caractéristiques sociodémographiques des femmes, on constate que le fait de résider dans un quartier faiblement médicalisé multiplie par plus de 3 (OR=3,40; 95% IC 1,57-7,36) le risque de recours tardif pour les femmes avec un espace réduit d activité tandis qu il n est pas statistiquement associé aux recours des femmes avec un large espace d activité (OR=1,17; 95% IC 0,80-1,71). La présence de structures de soins à proximité du lieu de résidence facilite les recours aux soins des femmes peu mobiles de l agglomération parisienne (Vallée et al., 2010). BAGF 2012-2 pp. 269-275

QUARTIER DE RÉSIDENCE, MOBILITÉ ET SANTÉ Conclusion Certaines auteurs assurent que le quartier ne constitue pas (ou plus) en ville une échelle pertinente pour associer la densité médicale aux recours aux soins de la population et suggèrent de prendre en compte une unité spatiale plus large, qui serait plus adaptée aux déplacements de la population urbaine (Guagliardo, 2004; Litaker & Tomolo, 2007). En sciences sociales, on s interroge également sur la place à accorder au quartier. Face à la multiplication des échanges, à l étalement rapide des villes et à la diversification des espaces de travail, de loisirs et de sociabilité, l importance du quartier de résidence en tant qu espace social se trouve en partie remis en question. Certains auteurs envisagent ainsi la disparition de la ville traditionnelle et pensent que les interactions entre les hommes sont de moins en moins liées à des endroits physiques spécifiques : l urbanité serait dorénavant indépendante de tout lieu (Webber, 1996). Pourtant, ces études négligent une certaine frange de la population qui justement ne se déplace guère et pour laquelle les ressources sociales et physiques de leur espace de résidence s avèrent bel et bien discriminantes. Bibliographie Authier J.-Y. (1999). Le quartier à l'épreuve des mobilités métapolitaines. Espaces, populations et sociétés, 2, 291-306. Authier J.-Y. (2001). Les rapports au quartier. In J.-Y. Authier (Ed.), Du domicile à la ville. Vivre en quartier ancien pp. 133-169). Paris: Anthropos. Chauvin P., & Parizot I. (2009). Les inégalités sociales et territoriales de santé dans l agglomération parisienne : une analyse de la cohorte SIRS. Paris: Editions de la DIV. Les documents de l ONZUS. Coulton C.J., Korbin J., Chan T., & Su M. (2001). Mapping residents' perceptions of neighborhood boundaries: a methodological note. American Journal of Community Psychology, 29(2), 371-383. Grafmeyer Y. (2007). Le quartier des sociologues. In J.-Y. Authier, M.-H. Bacqué & F. Guérin-Pace (Eds.), Le quartier : Enjeux scientifiques, actions publiques et pratiques sociales pp. 15-20.). Paris: La Découverte. Guagliardo M.F. (2004). Spatial accessibility of primary care: concepts, methods and challenges. International Journal of Health Geographics, 3. Gustafson P. (2009). Mobility and Territorial Belonging. Environment and Behavior, 41(4), 490-508. Hägerstrand T. (1967). Innovation diffusion as a spatial process. Chicago: University of Chicago Press. Hägerstrand T. (1970). What about people in regional science? Papers of Regional Science Association, 24, 7-21. Kaufmann V. (2002). Re-thinking mobility. Contemporary sociology. Aldershot: Ashgate. Litaker D., & Tomolo A. (2007). Association of contextual factors and breast cancer screening: finding new targets to promote early detection. Journal of Women's Health, 16(1), 36-45. Préteceille E. (2003). La division sociale de l espace francilien. Typologie socioprofessionnelle 1999 et transformations de l espace résidentiel 1990-99: Observatoire sociologique du changement. Ramadier T. (2007). Mobilité quotidienne et attachement au quartier : une question de position? In J.-Y. Authier, M.-H. Bacqué & F. Guerin-Pace (Eds.), Le quartier : Enjeux scientifiques, actions politiques et pratiques sociales pp. 127-138). Paris: La Découverte. Stafford M., Cummins S., Macintyre S., Ellaway A., & Marmot M. (2005). Gender differences in the associations between health and neighbourhood environment. Social Science & Medicine, 60, 1681 1692. Vallée J. (2009). Les disparités spatiales de santé en ville. L exemple de Vientiane (Laos). Revue Européenne de Géographie - Cybergeo. Vallée J., Cadot E., Grillo F., Parizot I., & Chauvin P. (2010). The combined effects of activity space and neighbourhood of residence on participation in preventive health-care activities: The case of cervical screening in the Paris metropolitan area (France). Health & Place, 16, 838-852. Vallée J., Cadot E., Roustit C., Parizot I., & Chauvin P. (2011). The role of daily mobility in mental health inequalities: The interactive influence of activity space and neighbourhood of residence on depression. Social Science & Medicine, 73(8), 1133-1144. Webber M. (1996). L'urbain sans lieu ni borne [The Urban Place and the Nonplace Urban Realm -1964]. Paris: Editions de l'aube.