Éléonore de Staël Nez Indigo Un conte initiatique par le parfum
Éléonore de Staël, 2016 ISBN numérique : 979-10-262-0728-3 Courriel : contact@librinova.com Internet : www.librinova.com Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Illustrations de Violette Vaîsse
«Ton âme est ton parfum» Matthieu Chedid, L élixir - Mister Mystère
Plage de la Conche en hiver, instant calme. Je marche et cueille sur le chemin qui mène à la mer l Immortelle, fleur des dunes dont l odeur se diffuse sans limites à mes narines. Assise sur le sable devant cet océan à perte de vue, mon regard se perd dans les traces des marcheurs. Mes pensées s envolent naturellement vers Grasse, lieu de vie, terre de cultures, espace de partages. L année à Grasse, à l école de parfumeur, au cœur de la parfumerie s est achevée. Il paraît que ce que l on appelle la fin n est en fait qu un commencement. Je pense à une continuité pour se trouver soi. Instant songeur aux creux des dunes, je repasse mes souvenirs parfumés, reviens sur ce début de parcours pour mieux avancer, envisager l avenir. Je me remémore le film, attirée par les senteurs d abord, passionnée de parfums ensuite, amoureuse des odeurs aujourd hui. Les images, les moments défilent, emplis de leurs empreintes olfactives. Je perds souvent le fil du temps, comme si mes souvenirs étaient jalonnés, classés par intensités, comme les flacons d un même Orgue. Retournant sur ces souvenirs, organisés comme les notes qui composent un parfum, je pose les mots ici et maintenant sur le papier. J imagine ainsi la petite fille que j étais à 7 ans en train de fouiller, farfouiller dans les flacons de mon orgue à souvenirs. Piocher au hasard, accéder aux moments de son futur, à des expériences qui seront les siennes. Elle y trouverait des clefs pour commencer sa route. Et moi je n aurai qu à y revenir quand je serai perdue, ou empreinte de doutes.
Mes pensées continuent à voguer au rythme des vagues. J imagine cette petite fille, agile, entrer par la fenêtre de ce château du Magnoac à l abandon, et y découvrir chaque recoin. Imaginer, salle après salle, les scènes de vie qui s y sont jouées. Amusée, elle court dans les escaliers et entre dans les chambres, déambule dans les couloirs qui n en finissent pas. Mille surprises sont cachées dans ce château : un lit abandonné, un miroir doré au-dessus de la cheminée de la chambre du fond. Un boudoir entre deux salles immenses, lieu de tant de secrets dévoilés, calfeutrés dans cette petite pièce. Je l imagine monter ainsi le dernier escalier de bois sombre. Elle fait glisser son doigt le long d une dorure au mur. Prend un instant et regarde par cette petite fenêtre où elle retrouve l arbre, si beau qui l avait tant captivée, à l entrée du jardin. L enfant continue son chemin sans but, elle flâne, son esprit vagabonde. Oublié le temps, loin bien loin de sa mère restée en bas. L envie et la curiosité sont trop grandes.
Elle est arrivée par hasard dans cette pièce, dans les combles. Des meubles, des outils, des jouets sont déposés là, comme oubliés. Au fond de ce grenier, espiègle, elle se glisse entre les cartons. Maladroite, en fait tomber un, perd l équilibre et se rattrape à un escabeau, dans un éclat de rire. S y hisse, elle découvre émerveillée de petits flacons entreposés soigneusement sur une étagère mais ternis par la poussière. L orgue de bois clair, majestueux surplombe le débarras. Deux, trois, cinq, six étages, compte l enfant. Comme de minces lignes de bois, sorte d escalier mural dressé autour du bureau. Les petits pots de verre opaque siègent fièrement. A la lueur du lustre, ils scintillent dans la pénombre. Luminaire imposant, vestige d une époque où sa lumière dominait les danseurs, en diadème bienveillant. Dans cette pièce reculée de la demeure, on suppose que le parfumeur venait créer ici, à l abri des regards, des curieux.