TOPIC Mai 2012 www.hec.fr/eurasia Les entreprises chinoises arrivent en Europe Alors qu une entreprise européenne sur cinq présentes en Chine envisagerait sérieusement de quitter ce pays1, les entreprises chinoises commencent à arriver en rangs serrés en Europe. Hausse spectaculaire des chinois à l étranger L Europe est une nouvelle destination Qui sont les investisseurs chinois? Des dans tous les secteurs d activité En 2011, les chinois à l étranger se sont élevés à 75 milliards de dollars, ce qui représente un triplement en cinq ans. Pour la seule Europe, ils ont été multipliés par deux en deux ans, atteignant 10 milliards de dollars. Cette tendance amorcée en 2007 s est accentuée avec la progression de la crise financière, les entreprises européennes devenant des cibles affaiblies. Ils restent toutefois très inférieurs en volume aux japonais et américains sur le vieux continent. Pour la première fois en 2011, l Europe a représenté 34% des fusionsacquisitions étrangères chinoises contre 10% en 2010, devant l Asie (27%) et l Amérique du Nord (21% contre 34% en 2010). En matière d accueil des chinois, la France se situe au troisième rang au niveau européen derrière l Allemagne et le Royaume Uni. Jusqu il y a peu, le secteur des ressources naturelles était privilégié, aujourd hui la Chine investit dans tous les domaines. Ceci indique une évolution de la stratégie de ses entreprises, lesquelles s intéressent désormais aux marchés matures et plus seulement aux matières premières. Les investisseurs chinois en Europe sont d abord les Fonds souverains de l Etat chinois, à travers deux structures riches de centaines de milliards de dollars : la CIC (China Investment Corporation) et la SAFE (State Administration of Foreign Exchange). Suivent les d entreprises du secteur industriel (encore aux deux tiers d Etat) et de fortunes privées chinoises (1,43 millions de Chinois sont millionnaires en dollars!) Les entreprises chinoises investissent en Europe sous forme d acquisitions ou de prises de participation dans tous les secteurs industriels, y compris stratégiques. Parmi les plus importantes opérations de ces dernières années, on peut noter le rachat par la CIC de 30% des parts de la branche exploration-production de GDF Suez pour 3,2 milliards de dollars. Parallèlement le groupe français a passé un accord pour la vente de gaz liquéfié. En Norvège, Elkem producteur de polysilicium (composant de panneaux solaires) a été racheté à 100% pour 2,3 milliards de dollars par la société de chimie Bluestar. En Pologne, ce sont les activités civiles d un groupe militaro-industriel qui ont été reprises par la société de génie civil Liu Gong. En 2008, le producteur chinois d éoliennes Goldwind avait déjà acquis le concepteur de turbines allemand Wensys.
En France, plusieurs domaines viticoles du Bordelais ont été récemment rachetés par de grandes fortunes chinoises. Dans un secteur en récession, cette arrivée massive suscite des inquiétudes quant à l image de marque et à la sauvegarde du patrimoine. Toutefois, les repreneurs chinois investissent pour moderniser l outil de production et favorisent ainsi les exportations de grands crus. Les chinois en France Dans le secteur des télécommunications sont déjà présents Huawei et ZTE. Le groupe Huawei est d ores et déjà un acteur majeur des centraux téléphoniques en France. Également, Yongli Green Energy (énergie solaire), la banque ICBC, Ecota France, spécialisé dans la vente de produits 100% biodégradables. Weichai, premier fabricant chinois de moteurs diesel a racheté l équipementier Famer Paca. Le conglomérat Fosun est entré il y a deux ans au capital de Club Méditerranée à hauteur de 9,3% et détient aujourd hui 10,2% du groupe de tourisme, devenant son principal actionnaire. Club Méditerranée a ouvert plusieurs stations de ski dans le Nord-Est du pays et compte faire de la Chine son 2 e plus grand marché dans les années à venir. Des pragmatiques et variés L exemple de Volvo Un nouveau mode de développement Les prises de participation chinoises dans des entreprises européennes sont avant tout pragmatiques et variées. Il s agit pour les groupes chinois d utiliser leurs capitaux afin de diversifier leurs placements, de pénétrer de nouveaux marchés, d acquérir de la technologie ou encore d asseoir une position. Pour cela, ils disposent le plus souvent de liquidités illimitées, soit en propre, soit parce que les grandes banques chinoises sont «incitées» à leur prêter ad libitum. En 2009 la nouvelle du rachat du fleuron de l automobile suédoise Volvo, par le constructeur automobile chinois Geely, avait été accueillie par des cris d orfraie. Geely prenait le contrôle de Volvo pour 1,8 milliards de dollars et le recapitalisait à hauteur de 900 millions. Depuis, la production n a pas été délocalisée. Il n y a pas eu de licenciements mais, au contraire, des recrutements. En 2011 les ventes ont augmenté de 23% et Volvo a renoué avec la croissance. Aujourd hui, Volvo réfléchit au lancement d une marque en Chine. Un centre de recherche a été créé à Shanghai et une usine devrait ouvrir à Chengdu en 2013. Malgré quelques débats rugueux au démarrage, l affaire est aujourd hui considérée comme un succès. Pour certains, l arrivée massive des chinois rappelle celle des entreprises japonaises dans les années 1980 où Sony rachetait les studios Columbia et Mitsubishi le Rockfeller Center à New York ou le trou des Halles à Paris. Déjà, on parlait d offensive et de crainte de dépossession du patrimoine national. Et de fait, si le rachat d une entreprise européenne par un groupe chinois fait les gros titres des journaux, ce n est en général pas de manière positive. Il y a bien sûr des échecs, souvent dus à des problématiques managériales mais aussi de remarquables réussites. Sur les premiers mois de 2012, on recense déjà de nombreuses prises de participation dans des groupes européens par des entreprises chinoises. Toutes les industries sont concernées, y compris les secteurs publics. 1 Hausse du coût du travail et obstacles réglementaires dans un contexte de ralentissement de la croissance chinoise, 22% des entreprises européennes présentes en Chine envisageraient de retirer leur investissement. Enquête (mai 2012) de la Chambre de Commerce Européenne en Chine.
80 Investissements de la Chine à l'étranger 70 60 50 40 30 20 10 0 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 Source: UNCTAD, MOFCOM Investissements chinois par secteur en 2011
Déjà de nombreuses opérations en 2012 dans des secteurs économiques variés Chine ou Hong Kong? Au printemps 2012, après une tentative malheureuse sur Yoplait et après avoir racheté 75% de l australien Manassen, le conglomérat alimentaire shanghaien Bright Food (connu en Europe pour les caramels White Rabbit) a fait une offre pour 60% du capital du britannique Weetabix qui produit des céréales pour le petit déjeuner, à hauteur de 1,8 milliard de dollars. Etant donné les gros problèmes de sécurité alimentaire qui sévissent actuellement en Chine, on peut penser que les grands groupes alimentaires chinois vont rechercher des alliances avec des entreprises européennes dans ce secteur. Cela leur permettra d accéder à des procédures en matière de sécurité alimentaire. Au début de l année, le constructeur de pièces automobiles Lingyun a acheté la PME allemande Kiekert, n 1 mondial des systèmes de verrouillage pour automobile. Le fonds souverain chinois CIC a pris une participation à hauteur de 8,7% dans la compagnie des eaux britannique Thames Water. Shangong Heavy Industry, 75% du constructeur italien de yachts Ferretti. China Three Gorges a acquis 21,3% de Energias de Portugal pour 3,3 milliards de dollars. Deux entreprises européennes alors au bord de la faillite. Le groupe de Hong Kong Cosco, 6 e armateur mondial, possède déjà deux terminaux du port grec du Pirée et cherche à y accroître ses. Nous ne cédons cependant pas à la confusion fréquente consistant à qualifier un peu rapidement de «chinoises» les entreprises de Hong Kong. C est une facilité abusive des média que de fustiger le rachat de Sonia Rykiel par Li&Fung, celui de Marionnaud par Li Ka Shing ou de port de Rotterdam par Hutchison Whampoa de stratégie «chinoise», donc censément contrôlée par Pékin. Cela n a rien à voir. Ce mode de développement ne se fait pas sans difficultés. En s implantant en Europe, les entreprises chinoises découvrent un nouvel environnement en matière de droit du travail et de législations. Mais les incompréhensions les plus grandes restent d ordre culturel, et c est là que les Chinois ont encore presque tout à apprendre. Une tendance d avenir Les chinois en Europe sont amenés à se multiplier. Ils sont de plus en plus complexes et bénéficient aux deux parties impliquées. En effet grâce à une alliance avec un groupe chinois, l entreprise européenne bénéficie du soutien inestimable de son partenaire pour pénétrer le marché chinois. C est du moins la théorie. En voyant les choses de manière optimiste, on peut considérer qu en investissant au-delà de ses frontières, l industrie chinoise est en train de se normaliser en étant confrontée pour la première fois à des règles du jeu mondialisées. Ce que les règles de l OMC n ont pas pu assurer, sans doute le foisonnement des initiatives d entreprises va-t-il mieux contribuer à le réaliser. NJ A lire aussi sur ce sujet, notre étude «Les entreprises chinoises à la conquête du monde» A NOTER SUR VOTRE AGENDA 3 juillet 2012, à HEC (Porte de Champerret, Paris) : «Travailler avec les Chinois»