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Transcription:

Les Géopolitiques de Nantes (IRIS et Lieu Unique) Table ronde «La mer, espace stratégique» Nantes 27 septembre 2014 Avec trois interventions de 15 mn de : Brigitte Bornemann (Marine Renewable Energy Group) Mers et océans, nouveaux eldorados énergétiques? Quel est le potentiel des énergies marines? Leur potentiel énergétique fait-il l objet d une lutte d influence entre pays et entreprises?) Amiral Bernard Rogel (Chef d Etat-major de la marine) La France est-elle une puissance maritime qui s ignore? La dimension maritime est-elle une condition de la puissance aujourd hui? Véronique Roger-Lacan (Représentante spéciale chargée de la lutte contre la piraterie maritime) La maritimisation illégale : comment lutter contre la piraterie et les trafics? Ampleur, menace, moyens déployés, défis Intervention de Mme Roger-Lacan Avant tout, je voudrais remercier l IRIS et le Lieu Unique d avoir inscrit «la mer» à l ordre du jour des Géopolitiques, et je voudrais vous remercier, tous aussi nombreux, d assister à cette table ronde un samedi après-midi. Car, les missions de la Marine nationale que vient de vous décrire l Amiral Rogel, et dont on entend peu parler dans le grand public et dans les médias, montrent à quel point ces activités que mène la Marine nationale sont essentielles pour notre vie de chaque jour. En effet, comme le dit un de mes collègues américains, «no shipping, no shopping». 90% du commerce mondial, et 90% du commerce européen passent par la mer. Il s agit donc bien, pour le bien-être de la planète, de faire de sorte que ces échanges puissent s effectuer en toute fluidité et sécurité. Pour nous, diplomates et «bureaucrates des relations internationales», la mer est un espace soumis comme les autres à l ordre juridique international, que nous tentons d organiser à travers ce qui régit les relations entre les sujets du droit international public, à savoir, les Etats. Partant, si on parle de maritimisation illégale, on parle de la légalité, et de ceux qui ne la respectent pas. Mais la mer est aussi un espace spécifique car, contrairement aux autres espaces, il appartient à tous les Etats, qui se sont dotés de règles communes pour encadrer son utilisation. Mon intervention se fera donc en quatre points : - Qui sont ceux qui violent le droit, où se situent les menaces, et quelles sont ces menaces? - Quel est le droit applicable? - Que peuvent faire les «bureaucrates des relations internationales», et avec quels moyens, pour rétablir la légalité? - Quels défis doivent-ils relever? 1- Etat de la menace Nous avons quatre grands pôles de menaces : l Amérique latine et les Caraïbes, l Asie du Sud-Est, le golfe de Guinée, et l océan Indien. S agissant de la zone Amérique latine-caraïbes, le vecteur maritime est le premier mode de transport utilisé par les cartels pour exporter la cocaïne vers les marchés de consommation. La production annuelle, qui provient du Pérou, de Colombie et de Bolivie, est évaluée entre 800 et 1000 tonnes, dont environ un tiers est acheminée vers l Europe. La cocaïne transite principalement par les Caraïbes, le Brésil et le Venezuela. Elle a des effets profondément déstabilisateurs non seulement dans cette région, mais aussi en Afrique de l Ouest et dans la zone sahélo-saharienne, traversées par

d importants trafics à destination des marchés européens. La France prend une part active à la lutte contre le narcotrafic maritime en menant régulièrement des opérations d arraisonnement. Pour l Asie du Sud-Est, depuis avril 2014, les attaques contre des pétroliers, des vraquiers et des remorqueurs avec barge, augmentent de 47 % aux abords du détroit de Singapour, 12 % dans le détroit de Singapour et 26 % dans des zones de mouillage au large de Jakarta, Belawan, Dumai, Surabaya et Cigading. Certains armateurs s interrogent donc à nouveau sur les besoins de protection active et passive sur les navires de leur flotte transitant ou opérant dans cette zone. Les pirates sont de retour en Asie du Sud-Est. Les deux chefs de gang que l on croyait convertis à d autres activités, Orang Buton et Bulldog, tous deux basés en Indonésie, sont réapparus. Les analystes divers évoquent aussi une menace réelle d attaque terroriste par vecteur maritime. Les navires qui transportent des produits pétroliers au profit de l occident seraient particulièrement visés. Dans la zone du golfe de Guinée, qui s étend sur 6 000 kilomètres de côtes, du Sénégal à l Angola, la menace monte en puissance et se chiffre comme suit : - 551 attaques contre des navires en haute mer ou dans les eaux territoriales depuis dix ans. Les attaques sont passées d une soixantaine en 2010 à 169 en 2013, dans les eaux territoriales et en haute mer ; - 30 prises d otages en 2013, dont deux Français (relâchés une semaine après) ; - 20 à 40 tonnes de cocaïne par an transitant, en provenance d Amérique latine, par le golfe de Guinée notamment, et à destination d Europe, pour un coût à l achat de 1,3 milliards d euros ; - environ 300 000 barils de pétrole offshore volés par jour, sur une production quotidienne de 5 millions de barils par jour ; - 40 % de la pêche dans le golfe de Guinée est illégale, soit 350 millions de dollars de pertes par an. La majorité des pirates serait Nigérians. Ils sont armés, bien organisés et s appuient, pour les opérations de soutage et les kidnappings, sur des réseaux criminels à terre. Ils ont démontré leur capacité à planifier des attaques complexes contre des navires préalablement repérés. Et le niveau de violence dans les attaques augmente. Les pirates n hésitent ainsi pas à maltraiter voire à tuer des membres d équipage, et à répliquer par les armes aux interventions des forces de sécurité. Les analystes évoquent un lien entre ces pirates et certaines forces publiques, Enfin, les armateurs indiquent qu ils se voient imposer, lorsqu ils arrivent au mouillage dans les eaux de la région, le recours à des sociétés privées de sécurité locales, dont la probité est souvent douteuse et qui sont soupçonnées de liens avec les pirates. Dans le golfe d Aden et dans le bassin somalien, la piraterie maritime a connu un nouveau regain à partir de 2005, et plus encore en 2008. La situation de non-droit qui prévalait en Somalie a en effet permis l essor d activités criminelles et l existence d espaces refuges où les navires peuvent, encore aujourd hui, stationner sans être inquiétés et où peut s organiser la détention d otages pendant toute la durée nécessaire aux négociations. La piraterie est devenue, au fil des ans, une activité criminelle organisée, lucrative et attractive, conduite à des fins crapuleuses. L investissement est très faible pour le gain attendu : entre 10 000 à 70 000 dollars en matériel et frais de garde, il peut rapporter jusqu à 5 millions de dollars. Endémique dans la région depuis des siècles, le phénomène a prospéré sur fond de conflits armés, d affrontements inter-claniques, de crise politique, d absence de contrôle minimal sur l espace politique et économique, et d économie mafieuse. Au large des côtes somaliennes, la piraterie a pris indifféremment pour cibles des navires de commerce, de pêche ou des bateaux de plaisance, particulièrement lents et vulnérables. Le but des

pirates était de prendre le contrôle du navire attaqué pour ensuite s approprier tout ou partie des cargaisons, et surtout négocier une rançon pour le navire et son équipage. Les attaques sont très violentes, d autant que la survie des pirates très loin de leurs côtes peut dépendre de la réussite de leurs attaques. Le recours à l emploi d armes automatiques AK47 et de lance-roquettes RPG 7 en première intention est habituel. Si les liens organiques entre pirates et insurgés islamistes ne sont pas avérés, la coexistence de groupes de pirates avec Al-Shabaab, dans les zones tenues par ce groupe, laisse supposer des accords ponctuels garantissant aux pirates la liberté d agir en échange d un prélèvement d une part de la rançon. À l inverse, des groupes de pirates ont facilité le déplacement du repli des Shabaab du Sud vers le nord, moyennant rétribution. Une telle collusion passive est évidemment un facteur aggravant pour la stabilité de la Somalie. Le risque d un rapprochement plus poussé à l avenir ne peut être écarté. 2- Quel est le droit applicable? La plupart des Etats avec lesquels on traite pour ces sujets, ont signé les conventions internationales applicables aux questions de sûreté en mer. Il s agit pour l essentiel de : -la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer -la convention internationale pour la sauvegarde de la vie en mer (SOLAS), et notamment le code ISPS (sûreté des navires et des ports) : ce sont des textes adoptés dans le cadre de l Organisation maritime internationale ( OMI), quasi universels -la convention pour la répression des actes illicites contre la sécurité de la navigation maritime et celle pour la répression des actes illicites contre les plateformes (conventions «SUA», suppression of unlawful acts : deux conventions + deux protocoles.) -la convention des Nations Unies contre le trafic de stupéfiants et de substances psychotropes -Les résolutions du Conseil de sécurité qui portent sur ces sujets (2018 de 2011 et 2039 pour le golfe de Guinée, 1814 et 1816 de 2009 de 2009 sur le golfe d Aden, pour ne citer qu elles) et les codes de conduite régionaux (Yaoundé 2013 et Djibouti 2009, qui appellent à «l élaboration de législations nationales pertinentes» sur la base des conventions internationales). Etre partie à une convention internationale est une condition nécessaire pour lutter contre la criminalité en mer, mais elle n est pas suffisante. Les Etats doivent adopter des législations nationales conformes à ces instruments et mettre en œuvre effectivement le droit ainsi adopté. La haute mer étant un espace ne relevant de la juridiction d aucun Etat, la lutte contre la criminalité en mer doit y respecter les principes posés par la Convention de Montego Bay. Celle-ci donne toute son importance au phénomène de la piraterie, qui a conservé au cours des siècles son caractère de menace principale contre la sécurité de la navigation : -L article 100 pose le principe de la coopération des Etats dans la répression de la piraterie, ce qui comprend à la fois la capture des pirates mais aussi le processus de jugement subséquent et la détention -L article 101 donne une définition de la piraterie : actes, victimes, auteurs, lieu, complicité, intention, mobiles sont explicités -les moyens de la répression sont donnés par les articles 105, qui autorise la saisie des navires pirates et le jugement des personnes appréhendées par l Etat capteur Le dispositif de la CNUDM pour la répression de la piraterie en haute mer est ainsi détaillé et cohérent. Il appelle néanmoins des compléments : en particulier, la nécessité d une transposition en droit interne et une répression effective. Sur ce dernier point, le jugement des pirates capturés dans le cadre de l opération Atalante par des Etats de la région (Seychelles, Maurice), constitue une

réponse possible. La question du cadre juridique permettant la répression des commanditaires de la piraterie est également posée. En matière de lutte contre le trafic de stupéfiants, la CNUDM ne va pas aussi loin qu elle le fait contre la piraterie : L article 108 1 dispose certes que "Tous les Etats coopèrent à la répression du trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes auquel se livrent ( ) des navires naviguant en haute mer", mais il n existe pas en ce domaine d équivalent aux articles 105 et 110, qui constituent une exception à l exclusivité de juridiction de l Etat du pavillon. Celle-ci n est pas remise en cause dans le cadre de la lutte contre le narcotrafic en mer, En dehors des eaux internationales, la qualification des infractions commises en mer relève du seul droit interne (vol à main armée, brigandage, trafic de stupéfiants ), et la compétence juridictionnelle de l Etat côtier s impose. Il suffit donc, en théorie, aux Etats concernés d appliquer leur droit interne. 3- Que peut-on faire pour rétablir la légalité? Les Etats de la région du golfe de Guinée se sont engagés à régler la question. Les 25 et 26 juin 2013, réunis au sommet de Yaoundé sur la sécurité et la sûreté maritime dans le golfe de Guinée, ils ont déclaré vouloir renforcer les activités visant à la coopération, la coordination, la mutualisation et l interopérabilité de leurs moyens de sûreté maritime. Soutenus par les partenaires stratégiques du Groupe des Amis du golfe de Guinée (dans le cadre du G7), et poussés par l engagement du Cameroun, les représentants de la région se sont réunis pour créer ensemble un centre inter-régional de coordination (CIC) à Yaoundé qui puisse mener l ensemble de ces actions décidées au sommet. S agissant des actions étatiques, quelques opérations «coup de poing» ont été menées dans la zone, et surtout, les Etats se dotent petit à petit de marines, en hommes et en moyens, qui pourront traiter le sujet. Notons par exemple l efficacité des bataillons d intervention rapide du Cameroun. Mais tous n en sont pas là, et nous sommes loin d avoir des résultats pour traiter la montée en puissance de la criminalité maritime dans la zone. Alors notre travail à tous, vise à soutenir ce processus. Pour notre part, comme le dit l Amiral Rogel, nous sommes présents dans la zone depuis plus de vingt ans, avec la mission Corymbe et, depuis 2011, avec le projet ASECMAR d appui à la réforme du secteur de la sûreté maritime dans le golfe de Guinée. Enfin, à la suite du sommet de l Élysée du 6 décembre 2013 sur la paix et la sécurité en Afrique, nous favorisons : - l établissement de systèmes interministériels de coordination des différents moyens de l action de l État en mer (AEM) et à se doter de capacités de surveillance maritime, partage de l information maritime et douanière, renseignement opérationnel et judiciaire, sécurisation des zones de mouillage ; - la constitution d une image maritime commune et le renforcement mutuel entre les multiples initiatives navales dans la région ; - la création d un espace régional policier et judiciaire harmonisé, apte à contrôler efficacement les flux de personnes et de marchandises et à lutter contre le pillage des ressources halieutiques et les réseaux de trafiquants de stupéfiants, de migrants ou de produits pétroliers avec l aide d Interpol et de l ONUDC ; - la protection par les États de la région des populations victimes de la piraterie, et de leur environnement. Pour terminer, la France a adopté cette année une législation autorisant les navires battant pavillon français à assurer leur sécurité dans certaines zones (golfe de Guinée, golfe d Aden et océan Indien, et Asie du Sud-Est) et au-delà des mers territoriales, par le biais de gardes privés de sécurité embarqués.

Les industriels opérant dans la zone demandent par ailleurs l élaboration d une convention de coopération intégrant un respect des règles de confidentialité entre le CIC et les organisations de sûreté des entreprises opérant en mer dans la zone, la sécurisation effective et permanente par les services gouvernementaux des États de la région, des routes maritimes, des zones de mouillage et des zones de transfert entre tankers, l établissement d une coopération entre les marines des États côtiers et les forces internationales présentes dans les zones à risques, la mise en place de juridictions compétentes pour juger les auteurs d actes de piraterie, la règlementation par les Etats de la région de l emploi d entreprises privées de sécurité. Au large de la Somalie, l urgence est de produire du résultat dans la lutte contre l impunité des commanditaires de la piraterie. En effet, sous l effet conjugué, depuis 2009, des opérations navales de l UE, de l Organisation du traité de l Atlantique nord (OTAN) et de la Combined Task Force 151, et de l application par tous les armateurs naviguant dans la zone de règles rigoureuses de bonne pratique, aucune attaque réussie n a été recensée depuis mai 2012. Mais si ces deux types d action cessent, la piraterie reprendra, à son intensité la plus forte, celle de 2008. Car les commanditaires de la piraterie, pourtant d autant plus connus qu un bon nombre font l objet de mandats d arrêts internationaux et de notices rouges d INTERPOL, continuent de sévir dans d autres domaines et attendent leur heure pour reprendre cette activité. Ils ont, en attendant, réinvesti le gain des rançons dans les trafics en tous genres (stupéfiants, khat et armes). Le blanchiment de ces recettes est réalisé via des comptes en banque hébergés dans la région ou parfois en Europe, bien identifiés des autorités locales et internationales, et le secteur bancaire informel, dont le système somalien des «hawalas». Les pirates et, surtout, leurs commanditaires jouissent d une impunité presque complète : ni les chefs de clans, ni les entités locales et encore moins les autorités fédérales n affichent la volonté d engager leur poursuite, par crainte de représailles de la part de ces réseaux économiquement et politiquement actifs et influents. 4- Quels défis devons-nous relever? Notre plus gros défi, c est la gouvernance aléatoire dans les Etats concernés, sauf en Asie du Sud Est, où les Etats ont mis en place un système inter-gouvernemental de patrouilles communes de leurs eaux, de partage de l information maritime, et de poursuites et de détention. Le tout est centralisé dans un centre, ReCAAP, dont nous espérons qu il serve de modèle pour les autres zones. Pour les Caraïbes aussi, le système de lutte contre le trafic de stupéfiants par voie maritime est parfaitement géré par le même type de schéma d alertes, de patrouilles et d arrestations-détentions gérés par le biais d un système de commandement coordonné entre, pour notre part, l antenne de l office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS) en Martinique et pour les Américains, avec la coordination de tous ceux qui le souhaitent, la JIATF (Joint inter-agency task force-south). En revanche, en Afrique de l est et de l ouest, tout est à mettre en place. En Afrique de l est, c est avec peine, et avec force subventions et programmes de développement que nous proposons des actions de formation, de mise en place de capacités de sûreté et de sécurité maritime, d instruments régionaux, comme le code de Conduite de Djibouti adopté en 2009 sous les auspices de l organisation maritime internationale (OMI), sans beaucoup de succès quant à la coopération entre les Etats concernés ou des Etats concernés. En Afrique de l ouest, tous nos espoirs reposent maintenant sur le processus de Yaoundé. Mais en attendant, les marines, garde-côtes, polices maritimes, polices, juges, et douanes locales sont très souvent minées par la corruption, ne coopèrent pas entre elles, au contraire, pour conserver pour elles le butin. Souvent par ailleurs, en Afrique de l est ou de l ouest, les commanditaires de la criminalité maritime liés aux réseaux de la criminalité à terre, sont eux-mêmes liés aux pouvoirs en place

Pour autant, ces Etats et leurs administrations sont nos interlocuteurs, à nous, «bureaucrates des relations internationales», et nous n avons pas d autre choix que de dialoguer avec eux, sans relâche, avec comme perspective l amélioration de la gouvernance, et la préservation, s agissant de la mer, des libertés de naviguer et de commercer garanties par le droit international.