Chimie des sucres: Synthèse de N-glucosides par Michel Prévost et Benoit Cardinal-David Introduction Le but de ce programme de recherche est le développement de stratégies synthétiques permettant d'accéder efficacement à des analogues de nucléosides de façon stéréocontrôlée. Inspiré par la structure des N-glycosides, ce projet pourrait mener à la découverte de nouveaux prototypes moléculaires. Les N-glycosides (naturels ou synthétiques) et leurs dérivés acycliques, ont une importance biologique significative, et ce pour plusieurs raisons. En effet, ces composés démontrent une variété de propriétés thérapeutiques prometteuses, telles des activités antitumorales, antibactériennes et antivirales. Synthèse de N-Glycosides La synthèse d'analogues de N-glycosides représente un défi important. Ces molécules comprennent un certain nombre de centres stéréogéniques, dont le centre anomérique où la base doit être introduite stéréosélectivement sur le substrat. Dans le cas des nucléosides, il est nécessaire d'avoir accès à un bassin de molécules possédant des structures variées pour espérer la découverte d'une drogue potentielle. Ainsi, il est non seulement nécessaire d'améliorer les voies synthétiques existantes mais aussi d'en développer de nouvelles. Or, la plupart des méthodes couramment utilisées afin de synthétiser ces analogues reposent sur une stratégie commune où la base est introduite sur un sucre cyclique 1. Malgré le fait que cette voie s'avère efficace pour la synthèse d'un certain nombre d'analogues, elle ne satisfait pas à toutes les cibles, et ce dû aux limitations associées à la structure du substrat de départ. Figure 1 Afin de combler ces lacunes, nous avons proposé une nouvelle approche pour la synthèse de N-glycosides qui implique le couplage diastéréosélectif d'une base silylée sur un dithioacétal acyclique 2 suivi d'une cyclisation S N2. L'intermédiaire thioaminal obtenu (2a dans la Figure 1) peut cycliser par deux voies différentes, l'une menant à des analogues de nucléosides (Type 1 dans la Figure 1) et l'autre menant à des analogues de thionucléosides (Type 2 dans la Figure 1) où le soufre endocyclique remplace l'atome d'oxygène. Cette méthodologie offre beaucoup plus de flexibilité quant au choix du substrat de départ, ce qui permet la synthèse d'analogues où une large gamme de structures potentielles sont possibles. De plus, la deuxième étape, soit la cyclisation, peut employer différent nucléophiles comme des amines ou des thiols, ce qui pourrait mener à la synthèse d'aza- ou de thionucléosides. Cette approche versatile pourrait potentiellement donner accès aux nucléosides en séries D ou L, α ou β. Le développement d'une telle méthode synthétique est une grande contribution pour le développement de nouveaux agents thérapeutiques et pour la production plus efficace de structures déjà existantes. 1 Vorbrüggen, H.; Org. React., 2000, 55. 2 Guindon, Y.; Gagnon, M.; Thumin, I.; Chapdelaine, D.; Jung, G.; Guérin, B.; Org. Lett., 2002, 4(2), 241-244.
Intérêt biologique par Daniel Charpentier Les nucléosides sont de petits composés chimiques naturels qui agissent comme modules de base du matériel génétique humain et viral, généralement désignés sous les noms d'acides désoxyribonucléiques (ADN) et d'acides ribonucléiques (ARN). Les nucléosides naturels sont modifiés dans la cellule pour produire des dérivés, nommés nucléotides, qui sont utilisés par les polymérases comme blocs fonctionnels de base du matériel génétique de l'adn et de l'arn. Les analogues de nucléoside sont des composés synthétiques qui sont structurellement semblables aux nucléosides naturels et sont devenus une classe importante d'agents chimiothérapeutiques pour combattre les infections virales (exemples: Acyclovir, AZT et L-3TC) et les cancers (exemples: Cytarabine, Fludarabine et Gemcitabine). Les analogues de nucléoside fonctionnent par une variété de mécanismes comprenant la concurrence pour les sites de liaison sur les enzymes et l'incorporation dans les acides nucléiques. Dans les cas où leur mécanisme d'action est l'incorporation de l'analogue triphosphate correspondant dans l'adn, où il interfère avec la réplication de l'adn, la phosphorylation de l'analogue en sa forme triphosphaté par des enzymes cellulaires ou virales est essentielle pour son activation. La première étape de phosphorylation, catalysée par des kinases de nucléoside, est considérée comme l'étape limitante pour la plupart des analogues de nucléoside. Les analogues de nucléoside partagent certaines caractéristiques communes, telles que le transport à travers la membrane cellulaire par les transporteurs spécifiques et le métabolisme intracellulaire. Cependant, ces composés diffèrent dans leur interaction préférentielle avec leurs cibles, ce qui peut expliquer pourquoi certains composés sont plus efficaces contre les tumeurs qui prolifèrent rapidement alors que d'autres sont plus actifs contre les néoplasmes ayant une évolution plus lente. Ces agents concurrencent les nucléosides naturels et agissent sur un vaste éventail de cibles intracellulaires pouvant ainsi induire la cytotoxicité. Les analogues de nucléoside continuent à dominer la chimiothérapie antivirale actuelle et à apporter une contribution majeure à la thérapie contre le cancer et d'autres infections. Acyclovir L'acyclovir (également connu sous le nom de Zovirax) appartient à la famille des médicaments appelés anti-viraux, qui sont employés pour traiter les infections provoquées par des virus. Habituellement ces médicaments fonctionnent pour seulement un groupe de virus. L'acyclovir est un analogue de nucléoside synthétique de purine ayant une activité inhibitrice in vitro et in vivo contre le virus d'herpès simplex de type 1 (HSV-1), de type 2 (HSV-2), et le virus varicella-zoster (VZV). L'activité inhibitrice de l'acyclovir est hautement sélective due à son affinité pour la thymidine kinase (TK) codée par le HSV et le VZV. Cette enzyme virale convertit l'acyclovir en acyclovir monophosphate, un analogue de nucléotide. Le monophosphate est converti en diphosphate par la kinase guanylate cellulaire et en triphosphate par un certain nombre d'enzymes cellulaires. In vitro, le triphosphate d'acyclovir arrête la réplication de l'adn viral de l'herpès. Ceci est accompli de 3 manières: 1) inhibition concurrentielle de l'adn polymérase viral, 2) l'incorporation et l'arrêt de la synthèse d'adn viral, et 3) l'inactivation de l'adn polymérase viral. L'activité antivirale plus grande de l'acyclovir contre HSV que contre le VZV est due à sa phosphorylation plus efficace par la TK virale. AZT L'AZT (également connu sous le nom de Zidovudine) est employé en combination avec d'autres médicaments anti-viraux dans le traitement de l'infection provoquée par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH). L'AZT est employé pour ralentir la progression de la maladie dans les patients atteints du VIH qui ont des symptômes avancés, des symptômes précoces ou aucun symptôme. Ce médicament est également employé pour diminuer les probabilités que les femmes enceintes qui ont le VIH transmettent le virus à leurs bébés pendant la grossesse et à la naissance. L'AZT est un analogue de nucléoside synthétique dérivé de la thymidine naturelle sur laquelle le groupe hydroxy en 3' (-OH) est remplacé par un groupe d'azide (-N 3). Dans des cellules, l'azt est converti en métabolite actif triphosphaté en 5' (AztTP), par l'action séquentielle des enzymes cellulaires. L'AztTP empêche l'activité de la transcriptase inverse du VIH par la concurrence avec le substrat normal, la deoxythymidine 5'-triphosphate (dttp), et par son incorporation dans l'adn virale. Le manque du groupe hydroxy en 3' de l'analogue incorporé empêche la formation du lien phosphodiester 5'-3' essentielle pour l'élongation des chaînes d'adn et, en conséquence, la croissance d'adn virale est interrompue. On a rapporté
que le métabolite actif AztTP est également un faible inhibiteur de l'adn polymérase cellulaire α et de l'adn polymérase mitochondrique γ et est incorporé dans l'adn des cellules en culture. Cytarabine La cytarabine (également connu sous le nom d'ara-c) appartient au groupe de médicaments appelés antimétabolites. Elle est employé pour traiter certains types de cancers du sang. Elle peut également être employé pour traiter d'autres genres de cancers. La cytarabine est métabolisée intracellulairement en sa forme active triphosphatée (triphosphate d'arabinoside cytosine). Ce métabolite endommage alors l'adn par des mécanismes multiples, y compris l'inhibition de l'adn polymérase α, l'inhibition de la réparation de l'adn par un effet sur l'adn polymérase β, et l'incorporation dans l'adn. Le dernier mécanisme est probablement le plus important. Sa cytotoxicité est fortement spécifique à la phase de S du cycle cellulaire. Fludarabine La fludarabine appartient au groupe de médicaments appelés antimétabolites. Elle est employée pour traiter la leucémie lymphatique chronique, un type de cancer. Le succès obtenu par la cytarabine a ammené la recherche d'autres analogues potentiellement actifs. La recherche sur cette famille des composés a mené à la découverte de la fludarabine au début des années 80. La fludarabine est un analogue fluoré d'adénine. Elle est rapidement métabolisée en F-Ara-ATP qui empêche la synthèse d'adn par l'inhibition des ADN polymérases et par l'arrêt de l'élongation des brins d'adn par son incorporation dans la molécule d'adn. Gemcitabine La gemcitabine est un médicament chimiothérapeutique qui appartenent au groupe de médicaments appelés antimétabolites. Elle est généralement utilisée pour traiter le cancer du poumon, le cancer pancréatique, le cancer de la vessie et le cancer du sein. Elle peut également être employé pour traiter d'autres genres de cancers. La gemcitabine, un analogue de pyrimidine, est structurellement semblable à la cytarabine, mais démontre une gamme plus étendue d'activité antitumorale due, entre autre, à sa pharmacologie cellulaire et son mécanisme d'action différents. La gemcitabine est métabolisée intracellulairement en deux métabolites actifs, les diphosphates de gemcitabine (dfdcdp) et les triphosphates de gemcitabine (dfdctp). Les effets cytotoxiques de la gemcitabine sont exercés par l'incorporation du dfdctp dans l'adn avec l'aide du dfdcdp, résultant en l'inhibition de la synthèse d'adn et l'induction de l'apoptose. La gemcitabine est active aux phases S et G 1 du cycle cellulaire. L-3TC Le L-3TC (également connu sous le nom de Lamivudine) est employé dans le traitement d'infections provoquées par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH) ou le virus de l'hépatite B. Le L-3TC est utilisé en combinaison avec l'azt ou d'autres médicaments pour traiter le VIH. Le L-3TC est un analogue de nucléoside synthétique. Intracellulairement, le L-3TC est phosphorylé en son métabolite actif 5'-triphosphate (L-TP). Le mode d'action principal de L-TP est l'inhibition de la transcriptase inverse du VIH-1 en causant l'arrêt de la synthèse de l'adn après l'incorporation de l'analogue dans l'adn virale. Le L-TP est un faible inhibiteur des ADN polymérases de type α et β des mammifères ainsi que de l'adn polymérase mitochondrique γ.
Évaluation du potentiel biologique La capacité de réduire le taux de prolifération des cellules tumorales des analogues synthétisés dans le laboratoire est mesurée en utilisant le test largement reconnu du bromure de 3-[4,5-dimethylthiazol-2-yl]-2,5-diphenyltetrazolium (MTT), d'abord décrit en 1983 par Mosmann 3. Le test de MTT est basé sur la capacité réductrice des cellules métaboliquement actives, en partie par l'action des déshydrogénases ou les équivalents réducteurs tels le NADH et le NADPH, à couper les cycles du MTT jaune pâle (Figure 2). La membrane des cellules est en grande partie imperméable aux cristaux de formazan pourpres résultants, causant ainsi une accumulation dans les cellules saines. La solubilisation des cellules par l'addition d'un détergent entraîne la libération des cristaux qui sont alors solubilisés. Le nombre de cellules vivantes est directement proportionnel à la quantité de formazan produit. La couleur peut alors être mesurée en utilisant une analyse colorimétrique de base. Ce test mesure le taux de prolifération de cellules et réciproquement, quand des événements métaboliques mènent à l'apoptose ou à la nécrose, la réduction de la viabilité de cellules, permettant également l'évaluation de la cytotoxicité des analogues synthétisés dans le laboratoire. Figure 2 3 Mosmann, T.; J. Immunol. Methods., 1983, 65(1-2), 55-63.
Projets académiques sur le sujet Synthèse diastéréosélective d analogues de nucléosides via des précurseurs thioaminals acycliques par Michel Prévost & Benoit Cardinal-David Les analogues de nucléosides constituent, tant d un point de vue thérapeutique que synthétique, une classe de molécules intéressante. Une méthodologie pour la synthèse de ces molécules a récemment été développée dans notre laboratoire. Nous avons démontré que des dithioacétals (1 dans la Figure 1), activés en présence de bases (purines ou pyrimidines) silylées, donnent des thioaminals (2 dans la Figure 1) de façon diastéréosélective. Ces intermédiaires thioaminals s avèrent des intermédiaires très versatiles, le groupe thiyle étant sujet à un déplacement de type S N2. D une part, le groupe SR 1 peut être déplacé de façon intermoléculaire par un diol monoprotégé (3 dans la Figure 1), pouvant mener à la formation d analogues acycliques comme 4. D autre part, le déplacement intramoléculaire de SR 1 par l attaque nucléophile de l alcool en C4 (R4 = H dans la Figure 1) mène à la formation d analogues cycliques de façon stéréospécifique. Alternativement, l alcool en C4, lorsque transformé en groupe partant, peut être déplacé par une attaque S N2 intramoléculaire de l atome de soufre au niveau du centre acétal, ce qui mène aux thioanalogues cycliques (6 dans la Figure 1). Figure 1