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Transcription:

Sur la route du Chemin des Cantons / Stéphane Lemire Le charme des Cantons-de-l Est réside en grande partie en sa spécificité géographique. Ses forêts, ses montagnes et ses lacs alimentés par des rivières parfois tumultueuses attirent les villégiateurs depuis plus de cent cinquante ans. Encore aujourd hui, ses paysages bucoliques ne cessent de nous charmer. Sébastien Larose Ici peut-être plus qu ailleurs, cette géographie a eu un impact profond sur l histoire de la région. Difficile d accès par le nord, ce territoire est boudé par le régime français qui n y dépêche que quelques rares expéditions pour en inventorier les richesses forestières. Il demeure l apanage de quelques groupes abénaquis qui utilisent ses rivières comme voies de communication et ses grandes forêts comme territoires de chasse. Même le gouvernement britannique d après la Conquête préfère le garder inoccupé, n y voyant qu une zone tampon entre les États-Unis et ses nouvelles colonies. Ce n est finalement qu à la toute fin du 18 e siècle, pour répondre à la pression d expatriés américains, Loyalistes puis simples colons, que la Grande-Bretagne autorise son peuplement. Celui-ci est donc le fait d abord d Américains venus du Sud puis d habitants des îles Britanniques, Anglais, Écossais et Irlandais, qui arrivent du Nord. La personnalité des Cantons-de-l Est sera donc dans un premier temps le fait de l amalgame de ces deux cultures qu unit une même langue, l anglais. Kilborn s Mill, 1836, Bouchette 1 Les Cantons-de-l Est représentent ainsi une expérience de peuplement unique au Québec et son patrimoine culturel reflète cette unicité. L architecture, l appartenance religieuse, les modes d exploitation, de vie et de pensée, y sont différents de ceux du reste de la province et cela transpire de partout. Même si la population est maintenant en grande majorité d origine canadienne-française, le caractère propre des Cantons-de-l Est demeure rattaché à ce passé et en constitue un de ses principaux attraits.

Chemin des Cantons La géographie des Cantons-de-l Est a en grande partie déterminé des axes de pénétrations de ses pionniers. Au sud, le vaste plateau appalachien s abaisse graduellement et rejoint les vallées du nord des États-Unis, permettant un passage relativement facile entre les deux pays. Au nord, il faut plutôt utiliser les rares brèches ouvertes par les rivières dans les contreforts de cette région montagneuse pour atteindre le cœur des townships. 2 Le guide Le thème du présent guide est celui des influences américaine et britannique sur le développement des Cantons-de-l Est. L histoire des Premières Nations et des Canadiens français est donc mise en veilleuse. Cela impose aussi une limite dans le temps puisque l ascendance anglophone sur ce vaste territoire ne s exerce réellement que durant le 19 e siècle. Stéphane Lemire

Le guide La géographie politique des Cantons-de-l Est fut longtemps axée sur les cantons. Toutefois, nous nous devions de respecter les limites de ces nouvelles entités que sont les Municipalités régionales de comté (MRC). Celles-ci déterminent donc le plan pratique du guide. De plus, il a été décidé que chaque MRC serait marquée par un sous-thème se rattachant à son développement en propre mais débordant à plusieurs égards de son cadre. L Université Bishop s / Stéphane Lemire 3 Une emphase spéciale a été mise sur l histoire, mais aussi sur le patrimoine bâti. Il est l élément par lequel le passé prend vie et se communique. Le charme des vieilles demeures, des écoles de rang, des églises de toutes confessions, des vieilles granges et des ponts couverts, tout cela souligne et caractérise une présence donnée. Le mandat du guide n est pas de marquer chacun des éléments importants de ce riche patrimoine, mais de permettre de se déplacer avec intelligence sur ce vaste territoire. En ce sens, le travail s est fait en association avec les différentes MRC et les institutions historiques et touristiques des villes et des villages. Leur travail dans l élaboration de circuits patrimoniaux, dans la mise sur pied de panneaux d interprétation et dans la rédaction de dépliants, complète ce guide. Comme pour tout voyage, le plaisir tient souvent en la route elle-même. Les arrêts, les endroits d intérêts, sont prétextes autant qu objectifs. Cela est d autant plus vrai dans une région aussi variée et pittoresque que celle des Cantons-de-l Est. Particularité de la région : les granges rondes / Sébastien Larose

Chemin des Cantons Un petit mot sur la géographie politique des Cantons-de-l Est Les Cantons-de-l Est tiennent leur nom du système de répartition des terres utilisé par le gouvernement britannique pour permettre son peuplement. Celui-ci souligne, avec l appartenance linguistique et culturelle, le caractère propre de cette région et la distingue des zones peuplées sous le régime seigneurial. Le découpage du paysage géographique en cantons est originaire d Angleterre et cette façon de faire est déjà largement répan due en Nouvelle-Angleterre à l époque de la guerre d Indépendance américaine. Contrairement au système seigneurial du régime français, il permet aux colons de recevoir des terres en tenure libre et en pleine propriété, sans redevances ni corvées. Cela donne, entre autres choses, le droit de vendre ou d acheter des propriétés en toute légalité. En route! / Sébastien Larose 4 Le village de Robinson (Bury), 1871, G. Bompas Les townships, ou cantons, ont en général une superficie de 10 miles (17 kilomètres) carrés, contrastant avec la forme rectangulaire des seigneuries des basses terres du Saint-Laurent. À l origine, on en fait la répartition sur le modèle américain des leaders et associés. Selon celuici, un chef fait la demande d octroi en son nom et en celui d un nombre

Géographie politique donné d associés qui reçoivent chacun 200 acres de terre. Les leaders qui doivent défrayer les coûts d arpentage, de construction de routes, d émission des titres, etc. sont généralement dédommagés par une portion des lots consentis aux associés. Il est à noter que le gouvernement prélève sur chaque canton un septième de sa superficie pour le clergé anglican, et un septième pour la Couronne. Le système des leaders et associés a malheureusement ses failles et l on doit bientôt faire appel aux concessions individuelles, aux ventes aux enchères et aux compagnies privées de colonisation pour répartir les lots restants, mais le système de cantons demeure longtemps la véritable assise politique des Cantons-de-l Est. Découpage par cantons et par MRC 5 Adaptée de : Jean-Pierre Kesteman, Peter Southam et Diane Saint-Pierre, Histoire des Cantons de l Est, Québec, PUL, 1998, p. 94.

Petit guide architectural Chemin des Cantons L architecture domestique des Cantons-de-l Est Dès le début du 19 e siècle et tout au long de la période victorienne, l architecture des maisons dans les Cantons-de-l Est imite surtout des styles qui s étaient développés aux États- Unis et en Grande-Bretagne. Les adaptations locales donnent naissance à un style architectural que l on peut qualifier de vernaculaire, c est-à-dire qui est propre au pays. Ce style s en tient aux silhouettes familières du pays d origine, mais utilise des formes et des matériaux locaux, tout en répondant aux conditions climatiques d un nouvel environnement. Dans les Cantons-de-l Est, les premiers bâtiments érigés dès le début du 19 e siècle, s inspirent de ceux de la Nouvelle-Angleterre, lieu d origine de la plupart des premiers occupants du territoire. Ce siècle voit évoluer l architecture à travers de nombreux styles qui se succèdent ou se chevauchent, cependant on ne retrouve que peu d exemples d un style pur. Dès les premières décennies, apparaît d abord le style néoclassique, suivi du néogrec. Avec l arrivée des ressortissants des îles Britanniques, on voit ensuite s ériger des maisons d inspiration géorgienne et d autres qui adoptent le style néogothique influencé par le mouvement pittoresque anglais. Ensuite, on trouve le style Second Empire, très populaire dès 1870. Puis, quelques nouvelles maisons sont construites selon l adaptation canadienne des villas à l italienne. Enfin, avec la prospérité apportée par les chemins de fer et l industrie manufacturière en pleine expansion, c est la montée du style anglais néo-queen Anne, dont l influence est manifeste dans les magnifiques demeures bourgeoises qui parsèment les villes et les villages dans les Cantons après les années 1880. 6 Le néoclassicisme Ce style s inscrit dans la foulée des mouvements prônant le retour à l Antiquité pour élaborer une architecture qui réponde aux besoins d une époque. Au début du 19 e siècle, ce style se répand dans les Cantons-de-l Est avec l arrivée des premiers colons américains. On introduit dans l architecture vernaculaire des éléments et des principes appartenant au classicisme, lesquels se résument pour l essentiel à une symétrie d ensemble et aux éléments décoratifs appliqués à des modèles traditionnels. La porte d entrée est parfois ornée de fenêtres latérales et on trouve souvent des planches cornières suggérant un pilastre. Les constructions adoptent des plans rectangulaires, s élevant à un étage et demi ou deux étages, avec des toits à versants droits et des façades symétriquement agencées. Le néogrec Après la révolution américaine, l architecture de la Grèce antique, berceau de la démocratie, est perçue comme le modèle approprié pour la jeune république. Grâce à la publication de modèles de plans proposant plusieurs variations du néogrec, ce style connaîtra une grande popularité en Nouvelle-Angleterre dans les années 1830 et 1840. Il n est donc pas étonnant que ce soit dans les Cantons-de-l Est qu apparaissent au Québec les premières manifestations de ce style. Parmi ses caractéristiques les plus importantes, la façade est souvent située sur le mur pignon où un petit retour de corniches accentue la filiation avec le temple grec. Les angles du bâtiment ainsi que les encadrements de portes et fenêtres sont marqués par la présence de pilastres carrés, avec ou sans entablements. On trouve parfois un porche orné de colonnes doriques ou ioniques. Retour de corniche

Petit guide architectural La maison à loggia Certaines maisons présentent à l étage une sorte de loggia, ou balcon encastré, dans le mur pignon. À l étage, le corps de bâtiment est en encorbellement au-dessus d un porche à pilastres de type ouvert. Ce modèle rural qui s est développé tout au long du 19 e siècle est une variante rare de la maison vernaculaire américaine. On la trouve surtout dans les Cantons-de-l Est, généralement dans des villes et villages frontaliers avec les états du Vermont ou du New Hampshire. La tradition géorgienne C est après la fondation, en 1834, de la British American Land Company, grande société foncière créée pour favoriser l implantation de ressortissants des îles Britanniques dans les Cantons, que l on voit apparaître ces maisons qui se conforment à une tradition anglaise. Apanage d une bourgeoisie assez cossue, on les retrouve surtout dans les villes. Ces maisons bien proportionnées comprennent deux étages et demi, la plupart revêtues de briques et coiffées de toits en croupe avec cheminées intégrées. La porte d entrée, au centre de la façade aux ouvertures symétriques, est parfois surmontée d une fenêtre palladienne, motif décoratif original. La maison patrimoniale Uplands, dans l arrondissement Lennoxville de la ville de Sherbrooke, constitue un bel exemple de ce type de construction. Ill. Robert Lemire Fenêtre palladienne 7 Le néogothique S inspirant de l architecture du Moyen Âge, le style néogothique se distingue de la tradition du classicisme par ses formes irrégulières, ses pentes de toits parfois exagérées et une foison de détails décoratifs. Les pignons aigus, souvent surmontés d épis, sont ornés de lambrequins finement découpés en pain d épice. Notamment, on trouve dans la ville de Coaticook, au 40, rue Gérin-Lajoie, une maison qui présente un exceptionnel exemple d ornementation de bois ouvragé, tant pour la finesse de son exécution que pour son excellent état de conservation. Parmi les exemples institutionnels, il faut souligner l Université Bishop s, érigée dans les années 1840 pour, entre autres, la Épis formation du clergé anglican. Sa chapelle collégiale et son pavillon principal, bien que très modifiés au cours des ans, conservent encore certaines des caractéristiques architecturales inspirées du mouvement néogothique. Ce mouvement, popularisé par l Église anglicane, visait un retour au style gothique qui présida à l érection des églises dans la campagne anglaise au 13 e siècle.

Chemin des Cantons Le style néo-italien C est surtout dans la forme de la villa, résidence secondaire à la campagne, que se manifeste l influence de ce style dans les Cantons-de-l Est. Tirant ses formes décoratives de l architecture Renaissance italienne, ce style est transmis dans les Cantons par des influences américaines, entre autres celle des livres de plans inspirés par les villas qui bordent la rivière Hudson. Le vocabulaire architectural comprend des corniches larges et débordantes, supportées par des consoles jumelées, des vérandas, des fenêtres cintrées, ainsi que des tours carrées, des belvédères ou coupoles qui surmontent la toiture. Parmi les plus belles villas à l italienne des Cantons, on note la maison Butters, construite en 1863 sur la rue Dufferin à Stanstead par une famille qui n y séjournait que durant la belle saison. Le style Second Empire Élaboré d abord en France sous Napoléon III dans la seconde moitié du 19 e siècle, ce style est le fruit d un mélange de Renaissance française et d architecture classique. Suscitant rapidement un vif intérêt, il traverse bientôt les frontières et gagne les États-Unis et le Canada. Dans les Cantons, l influence du style Second Empire se fait sentir dans l architecture de la maison bourgeoise des villes et villages. Elle se distingue d abord par un toit en mansarde, orné généralement de fenêtres en encorbellement décorées par des consoles ouvragées. On note parfois la présence d une tour centrale et d une galerie. Surtout urbain, ce style se retrouve dans le Vieux-Nord de Sherbrooke, à Magog, Richmond, Danville, etc. Crête de fer 8 Le style néo-queen Anne La caractéristique architecturale la plus courante de ce style est le plan asymétrique, coiffé par un toit de forme irrégulière. Les pignons se terminent souvent par un grand fronton triangulaire. Parmi les divers éléments architecturaux qui composent la maison néo-queen Anne, on note des tours flanquant le corps du logis, de grandes galeries et des porches. La façade est souvent pourvue d une fenêtre d inspiration palladienne, et les murs recouverts de bardeau décoratif sont parfois ornés de motifs géométriques. Inspiré de l architecture vernaculaire anglaise, on trouve surtout le style néo- Queen Anne dans les résidences des quartiers chics de petites villes des Cantons-de-l Est, où une bourgeoisie anglo-saxonne s est maintenue jusqu à la fin du 19 e siècle.

Petit guide architectural Patrimoine industriel Le patrimoine industriel des Cantons-de-l Est, surtout en ce qui concerne les manufactures de textiles très nombreuses dans la région au 19 e siècle, se ressent de l influence architecturale de la Nouvelle-Angleterre. Parmi les complexes les plus importants de cette industrie, il faut souligner l usine de lainages Paton de Sherbrooke, établie sur la rivière Magog en 1866, dont les premiers bâtiments en brique, aux fenêtres en arcs segmentés et dominés par une tour à l italienne, Paton, Sherbrooke Illustrated, 1898 rappellent ceux des manufactures de textiles de Biddeford, Saco, et Lewiston, dans le Maine. Toutefois, le riche patrimoine industriel des Cantons comprend des installations plus anciennes, dont le Moulin à laine d Ulverton, construit en 1850. Bel exemple d architecture vernaculaire, le bâtiment de trois étages est érigé sur une fondation de pierres. Recouverts de bardeaux de bois, ses murs sont percés de nombreuses fenêtres à guillotine avec petits carreaux, réparties de façon symétrique sur la façade et les côtés. Magnifiquement restauré, le Moulin à laine d Ulverton est aujourd hui devenu un Centre d interprétation du textile. 9 Moulin à laine d Ulverton L utilisation de la brique comme matériau principal pour le revêtement de bâtiments industriels ne se limite pas uniquement à l industrie textile. L usine de fabrication d explosifs construite à Windsor en 1864, bien que plus modeste, témoigne du même souci d esthétique dans l utilisation de la brique et dans certains détails architecturaux. Pour la période contemporaine, les bâtiments industriels n offrent plus aucune ressemblance avec les édifices érigés au 19 e siècle. Ils ont modifié leur allure en raison de l introduction de nouveaux matériaux et méthodes de construction.

Chemin des Cantons L architecture des églises de confessions autres que catholiques dans les Cantons-de-l Est. Pour les objectifs du guide, nous avons choisi nos exemples parmi les églises rurales érigées pour la plupart vers la moitié du 19 e siècle, car elles présentent des caractéristiques uniques aux Cantons-de-l Est. Les églises plus tardives, tout comme celles des milieux urbains, sont moins typiques de la région car on trouve des bâtiments semblables presque partout ailleurs au Québec. 10 L Église anglicane L Acte constitutionnel de 1791, séparant la nouvelle province du Bas-Canada et celle du Haut-Canada, établit le régime parlementaire, installe l Église anglicane comme Église d état et instaure un nouveau système d attribution des titres fonciers. L année suivante, une proclamation du gouverneur Alured Clarke annonce l ouverture des terres de la Couronne à la population. C est aussi dans cette proclamation de 1792 - document fondateur des Eastern Townships - que le septième de la superficie totale de chaque township est réservé à la Couronne et un autre septième au clergé anglican : Church reserves. L Église anglicane se rapproche beaucoup de l Église catholique, bien qu on y trouve d importantes divergences. Toutefois, elles partagent une même croyance en ce qui concerne le lieu du culte : l Église est la maison de Dieu. En général, les églises anglicanes des milieux ruraux sont de style néogothique dans des versions vernaculaires, la plupart avec revêtement de bois. Parmi les principales caractéristiques architecturales du néogothique : fenêtres en ogive, clocher surmonté d une flèche, souvent une tour en façade ou sur le côté, parfois l utilisation d un lambris vertical à couvre-joints ou de contreforts qui accentuent la verticalité du temple, le rapprochant ainsi de Dieu. À l intérieur, la voûte est généralement en forme d ogive et s appuie sur une charpente en bois sombre. L utilisation des vitraux dans les fenêtres est assez généralisée. Parmi les exemples les plus intéressants d églises anglicanes dans les Cantons : St. James, 1829, Hatley (p. 11). La plus ancienne église anglicane dans les Cantons, elle se distingue par un heureux mélange de néoclassicisme et de néogothique. L église, qui voisine une ancienne académie, est située au cœur de Hatley. Il s agit de l un des rares villages de la région à avoir conservé une place gazonnée, Commons, ce pré communal jadis si fréquent dans les villages de la Nouvelle-Angleterre. St. Paul, 1851-54, Marbleton, aujourd hui Dudswell. Cette église est l œuvre d un personnage marquant, le révérend Thomas Shaw Chapman, reconnu pour ses talents d architecte et de constructeur. L église St. Paul est une version vernaculaire fort originale du néogothique. L extérieur, d une grande simplicité, est revêtu d un lambris vertical à couvre-joints qui constitue un régionalisme développé par Chapman. Church of the Epiphany, 1889, Way s Mills (p. 39). Avec sa tour centrée en façade dont l élan vertical est accentué par des contreforts triangulaires, cette église illustre le symbolisme du vocabulaire architectural qui caractérise le néogothique.

Les églises dites «évangélistes» Petit guide architectural Ces églises, parmi les premières à s établir dans les Cantons, adoptent le néoclassicisme dans sa forme vernaculaire. Elles sont généralement construites avec un minimum de vocabulaire classique : plan rectangulaire peu allongé, pilastres d angle, fenestrage simple. Le clocher, lorsqu il y en a un, est simple et délicat. L intérieur est sobre, en général le plafond est plat. Dans un certain nombre de ces églises, la parenté avec une architecture religieuse est souvent difficile à établir. Dans l esprit de ces confessions évangélistes, Dieu est dans le cœur des fidèles et, quand ceux-ci quittent le temple, ils emportent sa présence dans leur cœur. Il n y a donc rien de sacrilège à utiliser ces bâtiments, qui ont plus l allure d une grande maison que d une église, pour les besoins de la collectivité. Quand elles ne servent pas de lieu de prêche et de prière, ces églises deviennent des Meeting Houses, d où le nom de «mitaines» donné par les catholiques canadiens-français. Église baptiste, 1837, Barnston. Il s agit de la quintessence du Meeting House. Architecture néoclassique, fenestration simple, intérieur dépouillé, bref, une grande habitation qui ne se distingue des premières maisons des colons américains que par une échelle plus imposante. Église universaliste, 1845, Huntingville, aujourd hui Waterville (p. 37). Cette église est la plus ancienne église universaliste construite au Canada. Fermée au culte depuis 1945, elle revit aujourd hui grâce aux efforts d un groupe de résidents de la région immédiate qui cherchent à lui redonner sa vocation originelle de lieu de culte. Église unie, 1860, Cookshire, à l origine de confession mé - tho diste. En dépit de sa monumentalité, ce bâtiment présente l essentiel des éléments les plus importants du vocabulaire classique vernaculaire qui a présidé à l érection des Meeting Houses. 11 Église union, 1861, Massawippi. Construite à l époque de l expansion des chemins de fer dans les Cantons, cette église était fréquentée par des ouvriers de confessions différentes qui œuvraient dans la région durant cette période. Église anglicane St. James, Hatley / Stéphane Lemire