Une approche hybride de gestion des connaissances basée sur les ontologies:



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Transcription:

N d ordre 2006-ISAL-00110 Année 2006 THESE Une approche hybride de gestion des connaissances basée sur les ontologies: application aux incidents informatiques Présentée devant L Institut National des Sciences Appliquées de Lyon Pour obtenir Le grade de Docteur Ecole doctorale : Informatique et Information pour la société (EDIIS) Spécialité : Documents Multimédia, Images et Systèmes d Information Communicants Par Djida BAHLOUL (épouse YASSIR-MONTET) Soutenue le 15 décembre 2006 devant la Commission d examen Jury MM. Directeur Y. Amghar Professeur (INSA de Lyon) Examinateur B. Bachimont HDR (UTC) - Directeur Scientifique (INA) Examinateur L. Bouzidi Professeur (Université Jean Moulin Lyon3) T. Faivre Responsable Technique du CIRTIL Co-directeur P. Maret Maître de conférences (INSA de Lyon) Rapporteur E. Murisasco HDR (Université du Sud Toulon-Var) Rapporteur F. Sèdes Professeur (Université Paul Sabatier Toulouse3) LIRIS : Laboratoire d'informatique en Images et Systèmes d'information.

A mes parents A Abdel A Malek

Remerciements Je remercie M. Youssef Amghar et M. Pierre Maret pour m avoir proposé le sujet de ma recherche, pour leur encadrement, pour leur aide, patience et soutien tout au long de ces années. Je remercie Mme Florence Sèdes et Mme Elisabeth Murisasco pour avoir accepté d être rapporteurs de cette thèse. Je les remercie également pour les remarques constructives qu elles ont formulées au sujet de mon manuscrit. Mes vifs remerciements s adressent à M. Bruno Bachimont et M. Laid Bouzidi pour l honneur qu ils me font en acceptant de participer au jury, et pour l intérêt qu ils accordent à mon travail. Je tiens à remercier M. Guy Mercier pour m avoir accueilli au CIRTIL, ainsi que toutes les personnes avec lesquelles j ai eu le plaisir de travailler ou tout simplement de «bavarder» au cours des trois années passées au CIRTIL. Mes plus sincères remerciements vont particulièrement à M. Thierry Faivre. Je le remercie pour sa confiance et ses orientations qui ont été fort judicieuses et appréciées. Je remercie également M. Robert Laurini pour m avoir accueilli au sein de son laboratoire ainsi que tous les chercheurs, enseignants et membres du personnel du laboratoire LIRIS pour leur amitié et leur aide. Je remercie particulièrement Anne Courant et Nicolle Pillay pour le temps consacré à relire attentivement tout ou partie de ce manuscrit. Je termine par un grand remerciement à mon mari, à mes parents, à mes sœurs Wahiba, Nabila et Karima, à Claude et Philippe et à Lamia pour leurs encouragements et pour leur soutien moral.

Une approche hybride de gestion des connaissances basée sur les ontologies: application aux incidents informatiques. Résumé Le travail développé dans cette thèse concerne la problématique de gestion des connaissances au sein des organisations. Le but est de proposer des aides méthodologiques et des outils facilitant la capitalisation et la réutilisation des connaissances produites et/ou utilisées par les acteurs d une entreprise. Nous avons proposé une approche hybride basée sur une ontologie du domaine. La mise en œuvre de cette approche privilégie l utilisation des techniques du web sémantique tels que XML et OWL. Dans ce contexte, nous avons conçu une mémoire d entreprise pouvant s interfacer avec le système d information de l entreprise. En nous plaçant dans le contexte d applications logicielles produites et/ ou mises en production par le CIRTIL, organisme attaché à la sécurité sociale, pour le compte de ses clients qui sont les URSSAF, nous avons élaboré une ontologie du domaine des incidents informatiques. Cette ontologie est considérée comme un modèle qui permet, en plus des représentations formelles et consensuelles des connaissances du domaine, un accès unique aux ressources de connaissances via une terminologie partageable et non ambiguë tout en offrant des mécanismes de raisonnement sur les connaissances modélisées. Mots-clés : gestion des connaissances, ontologies, mémoire d entreprise, approche hybride, système de gestion des connaissances, XML, OWL. A Hybrid Approach of knowledge management founded on ontologies : an application on the data-processing incidents. Abstract The work developped in this thesis deals with the problem of knowledge management within the organizations. Its aim is to propose methodological assistances and tools facilitating the capitalization and reuse of knowledge producted and/or used by the actors of a company. We have suggested a hybrid approach based on a domain ontology. Settling down this approach requires the use of the techniques of the semantic Web such as XML and OWL. In this context, we have designed a corporate memory being able to interface with the information system of the company. Looking focustly on the context of software applications produced and/or being in production by the CIRTIL, organization attached to the social security in France for the account of its customers which are the URSSAF, we have developed a domain ontology of tha data-processing incidents. This ontology is regarded as a model which allows not only formal and consensual representations of knowledge of the field, but also a single access to knowledge resources thanks a shareable and nonambiguous terminology while offering mechanisms of rasoning on modelled knowledge. Key-words: Knowledge Management, Ontologies, Corporate Memory, Hybrid Approach, Knowledge Management System, XML, OWL.

Table des matières Introduction générale...4 Première partie...11 La gestion des connaissances basée sur les ontologies : état de l art...11 1 La gestion des connaissances de l entreprise... 12 1.1 Définition de la connaissance... 13 1.2 Les connaissances de l entreprise... 14 1.2.1 Les catégories de connaissances dans l entreprise... 14 1.2.2 La création des connaissances dans l entreprise... 16 1.3 La gestion des connaissances... 18 1.3.1 Définition de la notion de gestion des connaissances... 18 1.3.2 Quelques approches de gestion des connaissances... 20 1.3.3 Les systèmes de gestion des connaissances... 23 1.4 Le processus de la gestion des connaissances... 30 1.5 Les outils de gestion des connaissances... 31 1.5.1 Ce que doit permettre un outil de gestion des connaissances... 32 1.5.2 Les solutions intégrales de gestion des connaissances... 33 1.5.3 Les suites logicielles... 33 1.5.4 Les outils offrant certaines fonctionnalités... 33 2 Rôle des ontologies dans la gestion des connaissances... 35 2.1 Définition et développement des ontologies... 36 2.1.1 Les composants d une ontologie... 36 2.1.2 Les types d ontologies... 37 2.1.3 La construction d une ontologie... 39 2.2 La représentation des connaissances par les ontologies... 47 2.2.1 La représentation des connaissances... 48 2.2.2 L utilisation des ontologies pour la représentation des connaissances... 56 2.2.3 Ontologies et raisonnement... 59 2.3 L indexation et l annotation par les ontologies... 63 2.3.1 L indexation, une ancienne pratique documentaire... 64 2.3.2 Les ontologies comme ressource d indexation des connaissances... 68 2.3.3 L annotation par les concepts de l ontologie... 70 2.4 L exploitation des connaissances basée sur les ontologies... 74 2.4.1 La recherche d information basée sur les ontologies... 74 2.4.2 La manipulation des SBC via les ontologies... 77 2.5 Conclusion... 79 Deuxième Partie...81 Proposition et mise en œuvre d une démarche de gestion des connaissances...81 3 La problématique de gestion des connaissances au sein du CIRTIL... 82 3.1 Domaine d activité et connaissances métier... 83 3.1.1 Le traitement de l information... 84 3.1.2 Le développement d applications logicielles... 88 3.2 Disparité des connaissances dans le Système d Information de l Entreprise (SIE)... 90

3.2.1 Le système d information de la branche Recouvrement... 90 3.2.2 Les bases de données relationnelles... 94 3.2.3 Les bases locales Lotus Notes... 94 3.2.4 Les ressources électroniques... 97 3.2.5 Les documents sur support papier... 98 3.3 La question de l accès centralisé aux connaissances... 99 3.4 La problématique de gestion...102 3.4.1 L absence d une solution globale de gestion des connaissances...102 3.4.2 La gestion des savoir-faire...103 3.4.3 La gestion des connaissances explicites...106 3.4.4 Le partage des connaissances...106 3.5 Les enjeux de la gestion des connaissances pour le CIRTIL...107 3.5.1 L aide à la décision...107 3.5.2 L amélioration du processus de recherche d information...108 3.5.3 L amélioration de la qualité et des processus métiers...108 3.5.4 La capitalisation de l expertise et des expériences passées...109 3.6 Synthèse...109 4 Recommandations pour la mise en œuvre d une démarche de gestion des connaissances... 112 4.1 Définir une approche appropriée...113 4.1.1 Précision des besoins de l organisation en matière de gestion des connaissances...114 4.1.2 Etude de l existant...115 4.1.3 Détermination des connaissances à capitaliser...116 4.2 Prendre en compte les processus déterminants de la gestion des connaissances...117 4.2.1 Le repérage des connaissances cruciales...118 4.2.2 La modélisation des connaissances repérées...120 4.2.3 La réutilisation et l exploitation des connaissances capitalisées...121 4.3 Situer le rôle des employés au sein du projet de gestion des connaissances...122 4.4 Synthèse...124 5 Mise en application de la démarche... 125 5.1 L approche de gestion des connaissances appropriée au CIRTIL...125 5.2 Le repérage des connaissances cruciales...129 5.2.1 La détermination des processus sensibles...130 5.2.2 La distinction des problèmes déterminants...133 5.2.3 La localisation des connaissances cruciales...136 5.3 La modélisation des connaissances...139 5.3.1 Les connaissances relatives aux incidents informatiques...139 5.3.2 Description de la méthode de construction d OntoIncident...141 5.3.3 Structuration sémantique des connaissances du domaine...153 5.4 La réutilisation des connaissances...160 5.4.1 La recherche par les concepts et le raisonnement sur les connaissances...161 5.4.2 L interrogation simultanée de plusieurs sources...162 5.5 Outillage de la démarche...164 5.5.1 La conception d une mémoire d entreprise «métier»...164 5.5.2 Proposition d une architecture de la mémoire d entreprise...167 5.6 Synthèse...172 6 Prototypage et évaluation... 174 6.1 Implémentation de l ontologie OntoIncident...174 6.1.1 Le choix du formalisme OWL...174 6.1.2 La représentation des connaissances ontologiques avec OWL...175 6.1.3 Opérationnalisation de l ontologie OntoIncident...184 6.2 L outil MemConsult...198 2

6.2.1 La conception des interfaces utilisateurs...199 6.2.2 Le schéma de la base de connaissances...200 6.2.3 L exploration selon les types de liens...202 6.2.4 Les règles d'inférence...206 Conclusion générale...208 3

Introduction générale Nous abordons dans cette thèse un sujet qui intéresse aussi bien les dirigeants des entreprises et leurs collaborateurs, que la communauté des chercheurs. Ce sujet s articule autour d une réflexion sur une meilleure pratique de gestion et d organisation du patrimoine des connaissances des entreprises. Nous étudions particulièrement la problématique de gestion des connaissances du CIRTIL 1, qui est l entreprise d accueil au sein de laquelle a été mené le travail que nous présentons ci-après. Cette problématique se résume en : - la disparité des connaissances dans le Système d Information de l Entreprise (SIE), qui est systématiquement alimenté par les connaissances individuelles et collectives des employés, devenues difficilement repérables par ce qu elles sont enfouies dans les différentes sources qui constituent le SIE ; - la coexistence d une multitude d outils et d approches hétérogènes destinés à gérer les sources d informations, la documentation et les savoir-faire que possède l entreprise ; - l absence d un accès centralisé aux connaissances et par conséquent, le manque d un outil fédérateur capable d interroger simultanément et «intelligemment» les ressources de connaissances via une interface unique et centralisée. Ces constats 2 se sont considérablement développés au fil des années nécessitant des études académiques plus poussées. Actuellement, l absence d un système efficace de restitution de connaissances amène les employés de cette entreprise, à passer beaucoup de temps à rechercher des connaissances auprès de leurs collègues ou dans le SIE. Dans de telles conditions, la répercussion sur la production et/ou la qualité des services auprès des clients, s avère notable et embarrassante notamment pour les dirigeants. 1 Centre Interrégional de Traitement de l Information de Lyon 2 Ces constats sont le résultat de l étude de l existant abordée dans le chapitre 3 de cette thèse. 4

Pour remédier à cette situation, les différentes équipes du CIRTIL ont acquis et développé quelques outils et adopté certaines approches intrinsèques à la gestion des connaissances. Malheureusement, ces initiatives ont rendu plus complexe l accès aux ressources des connaissances de l entreprise et ont suscité ainsi, le besoin d un cadre méthodologique pour la gestion des connaissances. L objectif visé par le CIRTIL, est d apporter des aides méthodologiques et des outils facilitant la capitalisation et la restitution des connaissances. Le résultat attendu est une solution intégrale qui soit facilement exploitable par les employés. Cette solution doit pouvoir rendre accessible les connaissances via une interface centralisée, en offrant non seulement le moyen de structuration des connaissances, mais aussi la capacité d orientation des employés vers d autres ressources. Au regard de nos recherches dans la littérature, nous nous sommes rendu compte que la réalisation de tels résultats nécessite la mobilisation de différents domaines : sciences de gestion, sciences cognitives, intelligence artificielle, systèmes d information, etc. 3 Ainsi, l hypothèse de départ sur laquelle nous nous sommes basé dans ce travail, est qu il est nécessaire d'adopter une vision multidisciplinaire pour approcher la problématique de gestion des connaissances au sein du CIRTIL. En conséquence, l approche proposée est une approche hybride qui combine plusieurs méthodes et techniques issues des domaines de l ingénierie des connaissances, de l ingénierie documentaire et des systèmes d information. Le recours à une telle approche se justifie, par le besoin de l entreprise en matière de gestion des connaissances, mais aussi par la nature des connaissances à prendre en compte. Si les employés du CIRTIL manipulent fréquemment les connaissances à travers les documents (dossier URSSAF, procédure d exploitation, code source d une application, cahier des charges, etc.), il est à noter également, que beaucoup de connaissances exploitées au cours des activités quotidiennes relèvent des savoir-faire non explicités. Pour que l approche proposée tienne compte de la dualité : connaissances explicites / connaissances tacites, nous suggérons de coupler les méthodes de l ingénierie des connaissances (ontologie, raisonnement, etc.) avec certaines techniques habituellement attribuées à l ingénierie documentaire (indexation, structuration avec XML, etc.) Une solution est de construire une mémoire d entreprise autour d une ontologie du domaine. 3 La problématique de gestion des connaissances trouve ses origines chez les chercheurs en sciences de gestion et le développement de la gestion des connaissances en tant que discipline dans le domaine informatique est récent (Charlet, 2002). 5

Dans le domaine de l ingénierie des connaissances, de nombreuses études s accordent sur l intérêt de l usage des ontologies pour pallier la problématique de gestion des connaissances (Dieng et al., 2001), (Benjamins et al., 1998), (Charlet, 2002) et (Gandon, 2002). Ces études montrent que les ontologies permettent des représentations formelles des connaissances car elles s appuient sur le raisonnement ; celui-ci étant important dans le contexte de la gestion des connaissances. Par ailleurs, l ingénierie documentaire peut fournir un levier pour la concrétisation de la mise en œuvre de la mémoire d entreprise. Ainsi, l indexation documentaire 4 peut se révéler particulièrement intéressante dans le contexte d une mémoire d entreprise. Cette pratique consiste à associer à une ressource, les mots-clés représentatifs de son contenu, afin d en faciliter l accès. Ces mots-clés sont les métadonnées et les concepts de l ontologie choisis par l indexeur en adéquation avec le contenu de la ressource à décrire. L indexeur devrait être un expert ou un spécialiste du domaine, afin de garantir un certain niveau de pertinence quant à la description des ressources de connaissances. L ingénierie documentaire peut être également exploitée, pour faciliter la formalisation des savoir-faire d experts. Ceci consiste à transcrire les connaissances sous une forme exploitable et échangeable entre les individus mais aussi, entre des applications hétérogènes. L utilisation d XML comme support de formalisation et d explicitation des savoir-faire offre l avantage de structurer les connaissances selon des balises. Ces dernières sont fournies par les métadonnées et les concepts préalablement créés à partir de l ontologie du domaine. Dans cette acceptation, l ontologie est utilisée comme un modèle de représentation conceptuelle des savoir-faire. C est ainsi que la formalisation des savoirfaire peut reposer à la fois sur l XML et les ontologies. Ainsi, nous proposons d utiliser l ontologie comme un cadre conceptuel permettant d assurer différents niveaux de modélisation et de représentation des connaissances (représentation du contenu, modélisation des processus d activité et formalisation des savoir-faire d experts). Basée sur les logiques de description «qui ont pris le pas sur les graphes conceptuels» (Charlet, 2002), cette ontologie offre des représentations formelles et fournit un référentiel sémantique partageable et non ambigu, 4 Il s agit particulièrement de l indexation manuelle ou semi-automatique où c est l être humain qui choisi les mots d indexation les plus représentatifs du contenu à indexer. 6

doté d un mécanisme de raisonnement qui repose sur la logique du premier ordre. Ce référentiel sémantique est également utilisé dans une perspective d indexation des ressources de connaissances formalisées. Les concepts jouent alors le rôle de métadonnées thématiques ou de descripteurs pour identifier le contenu des ressources de connaissances. L ontologie permet ainsi d encadrer les principales facettes du processus de gestion des connaissances (cf. figure 1). Elle est essentiellement utilisée pour faciliter : - la représentation des connaissances et la formalisation des savoir-faire des experts; - l indexation des ressources de connaissances formalisées ; - le signalement et l intégration des connaissances cruciales dans la mémoire d entreprise ; - la restitution des connaissances capitalisées et la manipulation du contenu de la mémoire d entreprise. Figure 1 : L ontologie du domaine au cœur de la mémoire d entreprise Comme nous allons l expliquer dans cette thèse, l expérience montre qu il est recommandé pour la formalisation de l ontologie dans le cadre d une application industrielle, d utiliser un formalisme suffisamment 7

expressif basé sur une syntaxe accessible. Ainsi, notre utilisation du langage de définition d ontologies pour le Web, OWL, répond à ces critères. D une part, OWL est doté d une sémantique issue des logiques de description qui offrent une expressivité suffisamment précise ; et d une autre part, la syntaxe d OWL est basée sur l XML. Comparée aux travaux existants, notre proposition se positionne au carrefour de différents domaines qui s intéressent à la gestion des connaissances. L objectif de notre travail est donc, de construire -pour l employé- une mémoire d entreprise basée sur une ontologie du domaine qui, tenant compte de ses besoins, lui permettra une meilleure restitution et capitalisation des connaissances. L approche que nous proposons dans ce travail, tend à responsabiliser les employés et les amener à jouer un rôle actif dans le processus de gestion des connaissances. Notre contribution vise à enrichir, à travers une ontologie du domaine, les métadonnées traditionnelles par des relations sémantiques, des axiomes et des contraintes logiques générales et constituer ainsi, un référentiel de concepts riche qu on pourrait mobiliser pour effectuer l'indexation des ressources de connaissances formalisées (Bahloul et al., 2003) et (Bahloul et al., 2004a). L utilisation d une ontologie dans le contexte de la gestion des connaissances est d autant plus intéressante, si cette ontologie emploie une terminologie dynamique et évolutive sans ambigüité, dotée d un mécanisme d inférence. Sur le plan méthodologique, notre proposition se distingue par son intention de prendre en compte tous les éléments essentiels à la gestion des connaissances et ce, afin de les intégrer dans une démarche globale qui se veut pragmatique et opérationnelle. Nous nous sommes appuyés sur une étude de cas concrète issue du CIRTIL et qui porte sur la gestion des incidents informatiques auprès des URSSAF de Lyon. Cette thèse est structurée en deux parties. La première présente l état de l art de la question de la gestion des connaissances basée sur les ontologies. Cette partie se compose des chapitres : 1 et 2. Le chapitre 1 est un chapitre introductif qui donne les définitions essentielles du domaine de la gestion des connaissances de l entreprise. Ces définitions se rapportent à la notion de la connaissance, aux connaissances de l entreprise et à la gestion des connaissances de l entreprise. Les approches, les processus et les outils de gestion des connaissances sont également abordés par ce chapitre. 8

Le chapitre 2 explicite la notion d ontologie, ses composants et le cycle de son développement et aborde les méthodes et les outils d aide à la construction d ontologies. Ce chapitre met ensuite l accent sur l intérêt de l usage des ontologies dans la gestion des connaissances. Son objectif est de montrer l apport des ontologies dans les processus de modélisation et de restitution des connaissances. Cet apport, consiste notamment en la représentation des connaissances par les ontologies et l utilisation de celles-ci pour l indexation et la manipulation des ressources de connaissances formalisées. Les principales familles de formalismes de représentation des connaissances sont donc présentées et les mécanismes de raisonnement admis par les ontologies sont évoqués. La deuxième partie de cette thèse expose notre contribution à la résolution du problème posé au cours de cette thèse ; à savoir la gestion des connaissances du CIRTIL à travers une mémoire d entreprise bâtie autour d une ontologie du domaine. Cette partie se compose des chapitres 3 à 6. Le chapitre 3 expose la problématique de gestion des connaissances du CIRTIL qui consiste en la disparité des connaissances dans le SIE, le problème d accès centralisé aux connaissances et le problème de gestion jusque là adopté par l entreprise. Chacun de ces facteurs est décrit et illustré par des exemples extraits de l étude de l existant. Ce chapitre évoque également, les quatre principaux enjeux que représente la gestion des connaissances pour le CIRTIL. Le chapitre 4 présente un ensemble de recommandations destinées à guider toute entreprise dans son projet de capitalisation et de management de ses connaissances. L objectif de ces recommandations est de fournir un cadre méthodologique pour les concepteurs des systèmes de gestion des connaissances. Le chapitre 5 est consacré à l application de la démarche suggérée. Il rappelle en conséquence, la méthode du repérage des connaissances cruciales ainsi que les processus de représentation et de réutilisation de ces connaissances. Il met l accent sur l ontologie du domaine spécialement créée pour modéliser les connaissances à capitaliser et ; décrit le modèle de structuration de cette ontologie. Enfin, ce chapitre montre que l outillage d une démarche de gestion des connaissances peut se concrétiser par une mémoire d entreprise. De fait, il présente l architecture fonctionnelle de cette mémoire d entreprise. 9

Le chapitre 6 est consacré à l expérimentation et à la réalisation d un outil prototype qui implémente l ontologie du domaine et l outil de consultation de la mémoire d entreprise. La conclusion générale rappelle le bilan de nos travaux de recherche et des résultats obtenus. Le bilan est axé sur les propositions de la thèse à partir de la problématique vécue par l entreprise. Enfin, les perspectives et les travaux futurs sont également énoncés. 10

Première partie La gestion des connaissances basée sur les ontologies : état de l art 11

1 La gestion des connaissances de l entreprise Les connaissances de l entreprise sont considérées comme «une ressource stratégique pour la productivité croissante ; un facteur de stabilité dans un environnement instable et dynamique ; et c'est un avantage concurrentiel décisif» (Ermine, 2000). Cette ressource est essentielle pour tous les acteurs de l organisation ; car elle est utile pour les décideurs et managers, mais aussi pour les collaborateurs qui contribuent directement à fructifier cette richesse grâce aux savoirs et savoir-faire acquis et/ou transmis. Il est donc important pour toute organisation de maîtriser la gestion de son capital intellectuel, car comme le confirme Maret «savoir et savoir-faire sont les deux aspects indissociables de la connaissance tant qu ils ne sont pas maîtrisés, ils constituent un capital fragile car, ils ne sont ni partageables, ni persistants, c'est-à-dire non réutilisables en l absence de leur détenteur» (Maret et Pinon, 1997). En effet, la gestion des connaissances devrait permettre pour les organisations de «localiser et rendre visible les connaissances de l'entreprise, être capable de les conserver, y accéder et les actualiser, savoir comment les diffuser et mieux les utiliser, les mettre en synergie et les valoriser» (Grundstein, 1995). Dans ce contexte, la prise de conscience par les entreprises, de l importance de la gestion des savoirs et savoir-faire, individuels ou collectifs, a abouti à la production de nombreux outils et démarches dont certains sont destinés à la capitalisation des meilleures pratiques des collaborateurs. Par ailleurs, si la gestion des connaissances est un nouveau domaine de recherche en termes de formalisation et de théorisation, il existe du point de vue académique, de nombreuses manières d approcher la problématique de la gestion des connaissances. Parmi ces approches, citons la capitalisation des connaissances, la modélisation du système de connaissances, le management des compétences, etc. Nous avons repéré à travers la revue de la littérature les différentes catégories de connaissances qui existent au sein de toute entreprise. Ces catégories de connaissances sont définies et les différentes approches de leur gestion sont discutées dans la section ( 1.3.1). Au cours 12

de ce chapitre, nous abordons également, les processus et les fonctionnalités attendues d un système de gestion des connaissances. 1.1 Définition de la connaissance La définition de la connaissance est un exercice difficile, car la connaissance est une notion abstraite dont la détermination peut impliquer des aspects complexes tels que : les actions, le contexte, les informations, les acquis et expériences, etc. Cependant, nous avons noté quelques définitions proches de notre conception de ce qui est la connaissance. Ces définitions sont donc celles que nous considérons dans le cadre de cette thèse. En effet, nous soutenons l idée que la connaissance est intimement liée aux individus et à la perception humaine. Par conséquent, elle est liée à une faculté mentale et cognitive qui relève de la pensée et de l interprétation. De ce point de vue, la connaissance se défini dans certains ouvrages de références comme : «ce qui est connu, est présent à l'esprit ; ce que l'on sait pour l'avoir appris» 5 ; «une manière de comprendre et percevoir» 6 le monde ; «un ensemble de représentations, idées ou perceptions acquises par l étude ou l expérience» 7 Cette faculté mentale permet de donner un sens à l'information, de la mettre dans un contexte et de l'acquérir. L information n est pas une connaissance mais elle peut en devenir une si elle est comprise et assimilée par un individu. Ainsi, le passage de l information à la connaissance se fait par l individu qui utilise cette information dans un contexte donné. La connaissance est donc le résultat de l interprétation de l information dans son référentiel. Ce référentiel comprend selon Ermine, la sémantique que l individu attache à l information et au contexte dans lequel est intégrée cette information (Ermine, 2000). Cela veut dire qu il y a «connaissance quand il y a contexte d'utilisation de l'information» (Charlet, 2002) et qu un «ensemble de connaissances se manifeste [ ] par un ensemble de messages (visuels, parlés, écrits, ), qui transmettent non seulement de l information, mais aussi du sens.» (Ermine, 2000). 5 Dictionnaire du Robert, 1994 6 Définition du Petit Larousse éd.1991 7 Fascicule de documentation de l AFNOR, 2002 13

1.2 Les connaissances de l entreprise Les connaissances de l entreprise appartiennent à deux grandes familles : connaissances internes et connaissances externes. Les connaissances internes sont crées, transférées et gérées au sein de l entreprise par les collaborateurs. Les connaissances externes, sont l ensemble des connaissances provenant de sources externes à l entreprise. La part des connaissances externes dans le cadre de l activité de l entreprise est de plus en plus importante. Non seulement parce que les collaborateurs ont besoin de ce type de connaissances mais aussi parce qu elles sont de plus en plus disponibles au travers d Internet, des partenaires, de la presse spécialisée, etc. 1.2.1 Les catégories de connaissances dans l entreprise Si les connaissances de l entreprise peuvent être classées selon différents points de vue : type d usage, nature, etc., il convient de rappeler qu au sein de toute organisation les connaissances recouvrent les savoirs et savoirfaire produits et/ou acquis par les employés au fil du temps. Les savoirs sont des connaissances explicites pour lesquelles il existe une trace visible, car elles se présentent sous forme de documents explicites souvent formalisés ; et les savoir-faire sont des connaissances tacites issues de l expérience des spécialistes et d experts souvent emmagasinés dans les têtes des employés et pour lesquelles les informations associées ne sont pas explicites. Ces deux catégories de connaissances ont été distinguées par Nonaka qui s est basé sur les travaux de Polyani (Polyani, 1966) et qui considère que, «les connaissances explicites sont les connaissances transmissibles dans un langage formel alors que les connaissances tacites ont un aspect personnel qui les rend difficiles à formaliser et à communiquer» (Nonaka, 1991). Par la suite, Grundstein a apporté des précisions dans (Grundstein, 1995) et (Grundstein, 1996) en considérant les savoirs comme étant des éléments tangibles qui comprennent les données, procédures, plan, modèles, algorithmes, documents d analyse et de synthèse. Les savoir-faire sont des éléments intangibles tels que les capacités, talents professionnels, connaissances privées, connaissances sur l historique de l entreprise et les contextes des décisions. Ces connaissances comportent selon (Johnson- Larid, 1983), d une part un volet cognitif, à savoir les modèles mentaux 14

que les humains se forment sur le monde (schémas, paradigmes, croyances et points de vue fournissant des perspectives les aidant à percevoir et définir leur vision du monde) et d autre part, des contextes spécifiques. Les savoir-faire souvent transmissibles de bouche à oreille, peuvent dans certains cas faciliter l utilisation des connaissances explicites. Ajoutons que les connaissances peuvent être individuelles ou collectives : la connaissance individuelle, appartient à l individu ; elle peut être tacite ou explicite (Nonaka et Takeuchi, 1995). La connaissance collective n est pas une addition de connaissances individuelles mais c est un ensemble coordonné de savoirs, de comportements et de pratiques. Les connaissances collectives constituent une des ressources essentielles de l entreprise; elles sont le plus souvent transmises oralement de manière implicite ; «en l absence de ceux qui les ont formalisées, elles sont difficiles à repérer et à exploiter» (Maret et Pinon, 1997). Dans ce sens, les connaissances de l entreprise restent fortement dépendantes des personnes et de leur présence dans l entreprise. C est là où intervient le rôle de la gestion des connaissances dont l objectif est «de formaliser les connaissances tacites afin de les rendre mobilisables et opérationnelles au niveau de l organisation entière» (Ermine, 2000) Par ailleurs, les connaissances de l entreprise peuvent se distinguer selon plusieurs niveaux (Barthès, 1997) : les connaissances locales, les connaissances liées à un produit et les connaissances sur l entreprise. Les connaissances locales sont celles qui sont nécessaires à un individu ou un groupe d individus pour accomplir une tâche précise. Elles peuvent prendre par exemple la forme de procédures pour aider à la conduite d un projet, ou d un système expert d aide au diagnostic. Les connaissances liées à un produit sont celles qui concernent ce produit tout au long de sa vie. Elles comprennent tous les documents associés au produit, tous les tours de mains qui ont été utilisés pour concevoir, fabriquer, vendre, maintenir et éventuellement recycler le produit, et toutes les informations souvent non écrites, mais importantes pour le produit (décisions de conception, raisons des modifications, erreurs et échecs, ). Enfin, les connaissances sur l entreprise sont celles utilisées par la direction et concernent les aspects de l organisation globale des activités ainsi que la stratégie de l entreprise. 15

1.2.2 La création des connaissances dans l entreprise Après avoir distingué les connaissances explicites des connaissances tacites, Nonaka et Takeuchi (Nonaka et Takeuchi, 1995) ont formalisé la création des connaissances dans l entreprise en identifiant quatre modes de création et de transfert de connaissances. Ils partent de l'hypothèse que la connaissance est créée à partir des différentes interactions possibles entre connaissances tacites et connaissances explicites (cf. figure 1.1). Pour ces auteurs, la création des connaissances dans une entreprise intervient à trois niveaux qui sont : le niveau individuel, le niveau du groupe et le niveau de l entreprise. Figure 1.1 Modèle de création de connaissances (Nonaka et Takeuchi, 1995) Il s agit au niveau individuel de l'autonomie des individus et au niveau du groupe, il s agit de l'interaction et du dialogue. Le niveau de l'entreprise, concerne la compétition pour l'accès aux ressources. De fait, les connaissances organisationnelles se développent particulièrement dans le temps au cours de deux dimensions : la dimension épistémologique (tacite / explicite) et la dimension ontologique (individus, groupes, organisations). Le processus de création de la connaissance se joue alors dans les différentes circulations entre l'individu et le collectif, les connaissances tacites et les connaissances explicites. - Socialisation (Tacite vers Tacite) : la conversion de connaissances tacites en connaissances tacites se fait par interaction entre individus, ou socialisation. Cette dernière représente le processus de transmission de connaissances tacites. Il s'agit donc de transmettre des 16

modèles mentaux ou des compétences techniques. Cette transmission peut très bien se faire sans échanges verbaux. En effet, la transmission d'un tour de main s'effectue généralement par l'observation, l'imitation et surtout la pratique. Comme le soulignent les auteurs, l'expérience est la clef pour acquérir des connaissances tacites. - Externalisation ou articulation (Tacite vers Explicite) : l externalisation est le processus de conversion du tacite à l explicite. Elle consiste à rendre transmissibles et exploitables les savoirs tacites créés dans l organisation. L externalisation permet de valoriser les compétences acquises en multipliant leurs usages. Mais comme elle repose sur une codification des savoirs, elle favorise leur diffusion et imitation et réduit leur valeur. C est le paradoxe de la valeur : en exploitant le savoir, on le dégrade. L'externalisation est un processus qui permet le passage de connaissances tacites en connaissances explicites, sous la forme de concepts, modèles ou hypothèses. La modélisation d'un concept est très souvent déclenchée par le dialogue et l'échange avec d'autres individus. - Internalisation (Explicite vers Tacite) : l'internalisation est le processus de conversion de connaissances explicites en connaissances tacites. Typiquement, cette conversion est un processus d'apprentissage avec des supports, documents, manuels. L internalisation des connaissances explicites est un processus d appropriation par expérimentation. Les compétences explicites sont progressivement traduites, par essai/erreur et interaction, en compétences tacites qui permettent l application des connaissances explicites. - Combinaison (Explicite vers Explicite) : la combinaison est un processus de création de connaissances explicites à partir de la restructuration d'un ensemble de connaissances explicites acquises par différents canaux de communication. La théorie de la création de la connaissance développée par Nonaka et Takeuchi (Nonaka et Takeuchi, 1995) considère que la première fonction de l'entreprise est de créer un avantage concurrentiel basé sur le savoir collectif et que le rôle des managers est d'orienter les activités de création de la connaissance. Le modèle de création des connaissances repose donc sur la distinction entre savoir tacite et savoir explicite. Le savoir tacite est enraciné dans l action, dans les habitudes, dans un contexte spécifique (ce qui peut donner la productivité personnelle au niveau 17

individuel et l'avantage concurrentiel au niveau de l'entreprise). Le savoir explicite est la connaissance codifiée, transmissible en un langage formel et systématique (production de données au niveau individuel, et gestion électronique documentaire au niveau de l'entreprise). 1.3 La gestion des connaissances 1.3.1 Définition de la notion de gestion des connaissances La gestion des connaissances de l organisation est définie dans (Alavi et Leidner, 2001) comme «un processus spécifique systématique et organisationnel pour acquérir, organiser et communiquer des connaissances tacites et explicites des employés afin que d autres puisse les utiliser pour être plus efficace et productif dans leur travail.» Cette définition est loin d être la définition unique du terme gestion des connaissances compte tenu de la diversité des approches de la gestion des connaissances et de l interdisciplinarité du domaine. Cependant, il est possible d adopter plusieurs points de vue pour aborder la notion de la gestion du capital intellectuel des entreprises. Par exemple, du point de vue de l approche organisationnelle, la gestion des connaissances est un processus qui met en évidence les mécanismes de transmission et d'évolution des connaissances dans les organisations. Son but est de permettre aux différents détenteurs et experts de partager et transmettre les savoirs et savoir-faire plutôt que de chercher à les formaliser et à les modéliser. Dans le domaine de l Ingénierie des Connaissances, la gestion des connaissances est basée sur la représentation des connaissances. Celle-ci consiste en la modélisation des différents éléments du monde réel et la détermination de procédures d interprétation faisant le lien entre le monde et le modèle, tant au moment de l acquisition des connaissances et l élaboration du modèle, que pendant la manipulation de la représentation (pour donner des explications) et, finalement, lors de l application des résultats du modèle au monde réel. A partir de cette représentation et d une capacité de raisonnement appropriée, le système doit pouvoir s adapter et exploiter son environnement (Barr, 1981), (Brachman, 1990). De plus, la gestion des connaissances dans l Ingénierie des Connaissances est guidée par l application des techniques et méthodes développées dans ce domaine comme les modèles de capitalisation ou les langages de représentation. 18

Notons aussi que certains auteurs emploient le concept capitalisation des connaissances pour désigner la gestion des connaissances. Ce concept a été énoncé dès 1990 chez Framatome dans le prolongement de la démarche de déploiement de l'intelligence Artificielle et des Systèmes à Base de Connaissances réalisée dans le Groupe de 1984 à 1991 (Grundstein et al., 1988). Il s'agissait de pérenniser et de valoriser le savoir-faire acquis en Ingénierie des Connaissances. La capitalisation des connaissances est donc un processus qui permet de réutiliser les connaissances d un domaine donné, préalablement modélisées et stockées afin de mieux effectuer de nouvelles tâches (Simon, 1996). En effet, si l on se réfère à la définition de (Grundstein, 1996) selon laquelle «Capitaliser les connaissances de l'entreprise c'est considérer les connaissances utilisées et produites par l'entreprise comme un ensemble de richesses constituant un capital, et en tirer des intérêts contribuant à augmenter la valeur de ce capital», nous pouvons constater que le concept de capitalisation des connaissances est employé au sens gestion des connaissances. Cette idée est soutenue par (Barthès, 1997) pour qui capitaliser les connaissances implique que l'on constitue un capital qui sera ensuite valorisé. Ainsi, la capitalisation des connaissances est un processus qui inclut le repérage ou l'identification des sources de connaissances, leur formalisation, leur organisation et leur stockage, leur distribution, et leur maintenance : «Capitaliser les connaissances de l'entreprise consiste à repérer ses connaissances cruciales, à les préserver et les pérenniser tout en faisant en sorte qu elles soient partagées et utilisées par le plus grand nombre au profit de l augmentation de richesse de l entreprise». En fait il s'agit de renforcer tout ce qui - au delà des tâches répétitives et automatisables - peut améliorer les moyens de gestion des savoirs, permettre de formaliser des pans de savoir-faire et partager les connaissances non structurées (Grundstein, 2000). Enfin, Prax inclut le facteur humain et considère la gestion des connaissances comme un «processus de création, d enrichissement, de capitalisation et de diffusion des savoirs qui implique tous les acteurs de l organisation en tant que consommateurs et producteurs.» (Prax, 2000). Cette définition insiste sur l implication des acteurs de l entreprise dans le processus de gestion des connaissances. 19

1.3.2 Quelques approches de gestion des connaissances Différentes approches de gestion des connaissances ont été identifiées dans la littérature. Vu l interdisciplinarité du domaine : ingénierie des connaissances, systèmes experts, ingénierie documentaire, sciences de la gestion, etc., certains auteurs abordent la problématique de la gestion des connaissances du point de vue de la nature des connaissances : qu elles soient des connaissances tacites ou des connaissances implicites. D autres approches se focalisent sur un aspect plutôt qu un autre : technologique, organisationnel, etc. Nous présentons ci-dessous quelques courants de pensée, et nous mettons particulièrement l accent sur les Systèmes à Base de Connaissances et la mémoire d entreprise. 1.3.2.1 Approche connaissances tacites vs approche connaissances explicites L approche connaissances tacites suppose que les connaissances d une organisation se composent en grande partie des connaissances tacites qui demeurent dans les têtes des individus de l'organisation. En considérant le point de vue de (Sanchez, 2000) et partant du fait que les connaissances sont en soi personnelles, l approche connaissances tacites peut être accomplie par le biais du transfert de personnes en tant que "porteurs de connaissances" d'une partie de l organisation vers une autre. Ce transfert peut se baser sur les formations des employés car la formation favorise l échange des idées. Pour assurer une utilisation assez large des connaissances tacites, celles-ci sont d abord identifiées, ensuite organisées en différentes catégories. Il s agit selon Sanchez, d identifier par les décideurs, les connaissances que possèdent les employés et d organiser ensuite, les différentes catégories d interactions entre les connaissances individuelles qui pourraient aider à l exécution des activités quotidiennes ; transférer les connaissance d'une partie de l'organisation à une autre ; et/ou créer de nouvelles connaissances qui peuvent être utiles pour l'organisation (Sanchez, 2000). De cette façon, les recommandations relatives à la pratique de la gestion des connaissances tacites se focalisent sur la gestion des employés comme des individus porteurs de connaissances. Une telle approche, peut contribuer à l amélioration de la satisfaction et de la motivation des employés en faisant connaître leurs connaissances à d autres parties de l organisation par exemple. En outre, cette approche est susceptible d'éviter certaines difficultés qui peuvent être rencontrées grâce notamment à la coopération entre individus en rendant leurs connaissances explicites. 20

L inconvénient de cette approche est que les connaissances demeurent dans les têtes des individus et que la seule manière de transférer ces connaissances ou des les faire partager est de faire déplacer les personnes. Or, cela nécessite une organisation adaptée pour éviter de causer la perte des connaissances qui ne sont jamais transférées. Un exemple de l'approche orientée connaissances tacites visant particulièrement le transfert de connaissances dans l organisation est fourni par Toyota dans (Spear et Bowen, 1999). Contrairement à l'approche connaissances tacites, l'approche connaissances explicites suppose que les connaissances utiles des employés d une organisation doivent être explicitées sous forme de document, schéma, description structurée de processus, ou toute autre forme d explicitation du capital de connaissances individuelles. Une fois retranscrites, ces connaissances seront accessibles via le système d information de l entreprise et par conséquent elles seront disséminées dans toute l organisation (Sanchez, 2000). Il s agit en effet de la formalisation des savoir-faire d experts qui peut s effectuer selon les techniques et modèles appropriés. Cet aspect est abordé dans la section ( 1.3.3). 1.3.2.2 Approches technologique vs approche managériale Si certaines approches privilégient l aspect technologique, d autres mettent l accent sur l aspect managérial. C est dans le domaine de l Ingénierie des Connaissances, que l approche technologique est le plus souvent utilisée (Barthès, 1999). La gestion des connaissances, dans cette approche, se définit comme «le processus de capture et d'enregistrement de l'expertise collective d'une entreprise quel que soit l'endroit où cette dernière réside (les bases de données internes ou externes, les documents de toute nature et format ainsi que dans la "tête des individus" puis de sa redistribution là où elle est susceptible de produire des profits» (Crié, 2003). Pour cet auteur, les méthodes et outils de la gestion des connaissances doivent être développés à partir de trois axes : stockage de connaissances, partage de connaissances et extraction de connaissances. Il propose alors, des outils de gestion des documents pour le stockage de connaissances, des outils de moteur de recherche traditionnelle pour le partage de connaissances, et des outils de text mining, web mining, et data mining pour l extraction de connaissances. Dans l approche managériale, la gestion des connaissances vise «à permettre aux membres de l organisation d être informés de façon pertinente, à s approprier des connaissances, à les échanger en 21

interagissant avec un collectif jusqu à faire émerger des solutions innovantes et créatrices de valeur qui viendront compléter les connaissances de l entreprise et entraîner leur évolution.» (Barthelme- Trapp, 2001). En effet, l approche managériale suggère de placer les échanges, la transmission de connaissances et les comportements coopératifs des membres de l organisation au cœur des processus de gestion des connaissances. Dans cette approche, «la démarche du gestionnaire sur les besoins précis de l organisation peut conduire à proposer des solutions organisationnelles favorables à une meilleure gestion des connaissances sans pour autant présenter un volet technologique important. [ ] Le but d une approche managériale de gestion des connaissances est d axer la démarche sur une série d objectifs encadrant des aspects techniques et auxquels il est alors possible d associer des gains d efficience et d accroissement de valeur» (Barthelme-Trapp, 2001). 1.3.2.3 Approche orientée informations vs approche orientée connaissances Causannel et Chouraqui distinguent au travers des différents travaux qui ont été réalisés dans le domaine de la gestion des connaissances, l approche «orientée information» de l approche «orientée connaissances». Selon les auteurs, l approche orientée information pour la gestion des connaissances se concentre sur l amélioration de la gestion et de l échange d informations en essayant d éviter les frontières organisationnelles ou professionnelles. Elle se fonde sur l élaboration d outils informatiques facilitant le travail coopératif et la communication entre les différents collaborateurs de l entreprise (ex : outils de groupware). Elle permet également l échange de connaissances explicites au moyen d outils de type workflow ou gestion documentaire (Caussanel et Chouraqui, 1999). L inconvénient de cette approche est que les connaissances gérées ne sont pas formalisées, voire, non clairement identifiées. L approche orientée connaissances, très liée aux recherches effectuées en Ingénierie des Connaissances, se base sur une étape de capitalisation qui consiste à recenser puis à modéliser les connaissances (Abecker et al., 1998). Les connaissances sont alors modélisées (i.e. représentées sous forme d informations) tout en intégrant une sémantique et un contexte pour former une Base de Connaissances. L élaboration d un tel système correspond à une phase de capitalisation d un sous-ensemble ou de l ensemble des connaissances de l organisation. 22