WEISS, Gaëlle, «La cosmogonie dogon», in Les mythes dogon de la création de l homme. Une lecture de Marcel Griaule

Documents pareils
NE-WAZA JUDO-JUJITSU (Version 3.0 / Avril 2012)

VIVRE LA COULEUR DOSSIER PÉDAGOGIQUE. Musée des beaux-arts de Brest

ORIGINES : St Patrick, patron des Irlandais, serait né vers 385.

2ème OPERATION Travaux d'urgence de l'eglise paroissiale et intégration architecturale de la porte des morts

INVERSIO. N Azur Service consommateur Castorama BP Templemars. réf. R

Je viens vous préparer à cet évènement : L illumination des consciences

enquête pour les fautes sur le fond, ce qui est graves pour une encyclopédie.

ASCENSEUR ET APPAREILS ÉLÉVATEURS

ASCENSEUR ET APPAREILS ÉLÉVATEURS 08

Loi 12 Fautes et Incorrections (Partie 1 Fautes)

La vie des étoiles. La vie des étoiles. Mardi 7 août

«La famille, c est la première des sociétés humaines.»

«Si quelqu un veut venir après moi qu il renonce à lui-même, qu il se charge chaque jour de sa croix et qu il me suive» Luc 9 : 23.

Accessibilité ERP Guide des obligations liées à l accessibilité des personnes handicapées dans les bâtiments ERP existants.*

CORRIGES Plan de la séance

Savoir lire une carte, se situer et s orienter en randonnée


L ÉNERGIE C EST QUOI?

KAYAK DE MER NIVEAU I

Fertiliser le maïs autrement

NOTICE TECHNIQUE SSC : Système Solaire Combiné eau chaude sanitaire / appui chauffage maison / appui eau chaude piscine

Sciences de la vie et de la Terre

La reconnaissez- vous?

Nom : Groupe : Date : 1. Quels sont les deux types de dessins les plus utilisés en technologie?

La production de Semences potagères

de hanche Votre chirurgien vous a posé une prothèse de hanche...

DRACULA (RESURRECTION)

Une espèce exotique envahissante: Le Roseau commun. ou Phragmites australis

BREVET DE TECHNICIEN SUPÉRIEUR AGRICOLE SUJET

0:51 Au Moyen-Âge, les femmes prennent activement part aux métiers de l artisanat et du commerce. Elles ont obtenu une certaine indépendance.

L eau c est la vie! À l origine était l eau... La planète bleue. Les propriétés de l eau. L homme et l eau. ... et l eau invita la vie.

L énergétique Une question d équilibre

Document réalisé par :

Qu est-ce que la maladie de Huntington?

Trait et ligne. La ligne avance, Elle indique une direction, Elle déroule une histoire, Le haut ou le bas, la gauche et la droite Une évolution.

Les jours de la semaine

SAVOIR SE RECENTRER : UN ATOUT AU QUOTIDIEN

Title: OED Précis no Gestion de la production animale au Botswana: les précieuses leçons des expériences précédentes Job number: 98F0708

Ne vas pas en enfer!

Le ski à l'école. Réalisé par les CPC E.P.S. de Moselle. Février 2008

Celestia. 1. Introduction à Celestia (2/7) 1. Introduction à Celestia (1/7) Université du Temps Libre - 08 avril 2008

RITUEL POUR ATTIRER L ATTENTION DE QUELQU UN

Comment concevoir son lit biologique

CONGRES REGIONAL CTA/ ATPS DE LA JEUNESSE EN AFRIQUE

Questionnaires sur les étapes du développement

Les ministères dans l église Ephésiens

LE CATALOGUE MESSIER

Savoir-faire. Décompte Champs Pâturages. -1 point 1 point 2. 2 points. 3 points. 4 points Céréales * Légumes *

Que fait l Église pour le monde?

La reprise de la vie active

Les dimensions mentionnées sont pour la plupart reprises dans la réglementation (STS54, NBN EN 3509), RGPT, arrêté royal du 07/07/97)

Loin de mes yeux. Chaque personne apprivoise la mort à sa façon, ce qui apporte à cette dernière

Jean Dubuffet AUTOPORTRAIT II

les Carnets du p a ra d oxe

Fiche Technique. Filière Maraichage. Mais doux. Septembre 2008

Formation analyse des accidents du travail avec l arbre des causes

AMELIORER SES COMPETENCES LINGUISTIQUES les prépositions de lieu

Briller dans la communauté

Héron. branché NOUVEAUTÉ CET AUTOMNE! 22 octobre au 2 novembre

COMMENT CONSTRUIRE UN CRIB A MAÏS?

Quel Sont les 7 couleurs de l arc en ciel?

Notre galaxie, la Voie lactée

NOTICE DE RENSEIGNEMENTS CONCERNANT LES ETABLISSEMENTS RELEVANT DU CODE DU TRAVAIL

Les vers de nos compagnons

POURQUOI DIEU PERMET-IL LE MAL? Masson Alexis -

L escalier extérieur, le jardin et le balcon

MON DOS AU QUOTIDIEN COMPRENDRE, ÉVITER ET SOULAGER LE MAL DE DOS

GUIDE DE BONNES PRATIQUES POUR LA COLLECTE DE PILES ET ACCUMULATEURS AU LUXEMBOURG

TOUT SAVOIR SUR LES POUX DE TÊTE

TP 2: LES SPECTRES, MESSAGES DE LA LUMIERE

La Neuvaine de l'assomption

Appareil de type fauteuil monte-escalier

Ateliers «mobiles» en GS Initiés par Sylvie Benest

.4..ESCALIER. Critères d'accessibilité répondant aux besoins des personnes ayant une déficience visuelle. 4.1 Concept de base

Un accueil de qualité :

NON MAIS T AS VU MA TÊTE!

Les escaliers nécessitent quelques particularités pour assurer la sécurité de tous.

Travaux de rénovation partielle de bureaux et de laboratoires

Chapitre 02. La lumière des étoiles. Exercices :

Sport et alpha ANNEXES

Qui mange qui? Objectif : Prendre conscience des nombreuses relations qui existent entre les êtres vivants et notamment les relations alimentaires.

3. Artefacts permettant la mesure indirecte du débit

Comprendre l Univers grâce aux messages de la lumière

LE LIVRE DES KINS L épopée Galactique du libre-arbitre.

Travaux d adaptation du logement pour les personnes âgées

Appareils de transport mécanique 07 (ascenseur, escalier ou trottoir roulants)

F.I.C. n 2010/TDM01. Objet : Rubrique TDM - Tri des Déchets Ménagers. Evolution des exigences de la rubrique

LES ESCALIERS. Du niveau du rez-de-chaussée à celui de l'étage ou à celui du sous-sol.

GL5 GLS5. Lève-personnes mobiles

NOP: Organic System Plan (OSP) / EOS: Description de l Unité Information et documents requis

BENEDICTION DU TRES SAINT SACREMENT

LES CARTES À POINTS : POUR UNE MEILLEURE PERCEPTION

GUIDE CONSO-CITOYEN : LES ESPÈCES PROFONDES

Le bridge c'est quoi? Laval Du Breuil École de bridge Picatou, Québec

Janvier 2011 CHIMIE. Camille de BATTISTI. Acquérir la démarche expérimentale en chimie. ACADEMIE DE MONTPELLIER

Acoustique et thermique

EN HARMONIE. L Ordre professionnel de la physiothérapie du Québec regroupe les physiothérapeutes et les thérapeutes en réadaptation physique

FÉDÉRATION INTERNATIONALE DE PÉTANQUE ET JEU PROVENÇAL REGLEMENT DU CHAMPIONNAT DU MONDE DE TIR INDIVIDUEL

AMAMI Anaïs 3 C LORDEL Maryne. Les dons de cellules & de tissus.

Arbitrer. LE FUTSAL.quelques éléments de compréhension

Transcription:

WEISS, Gaëlle, 2003. «La cosmogonie dogon», in Les mythes dogon de la création de l homme. Une lecture de Marcel Griaule, mémoire de Maîtrise d ethnologie préparé sous la direction de SOMÉ Roger et NAVET Éric, Département d ethnologie, Université de Strasbourg : 39-58. Selon les résultats des enquêtes menées par l équipe de M. Griaule, il y aurait pour cette société, à côté de significations courantes plus ou moins rudimentaires, des explications mythologiques dont la connaissance serait le privilège de quelques initiés. Dans ce système «ésotérique», tous les fidèles n accèdent pas au même degré d initiation, il y a des paliers successifs à franchir tout au long de l existence. L on comprend dès lors pourquoi, faute de pouvoir éviter les vues parcellaires et les réponses superficielles, apparaissent diverses versions dans les manuels ethnologiques. G. Dieterlen note que depuis 1931, les Dogon avaient répondu aux questions et commenté les observations faites aux cours des enquêtes successives dans la perspective de l interprétation des faits qu ils nomment «la parole de face», c est-à-dire celle qu ils donnent en premier lieu à tous ceux qui veulent s instruire. Par conséquent, les publications qui précèdent les enquêtes de 1947, relèvent toutes de cette première interprétation. Ainsi, les Dogon, devant l attente et l intérêt qui animaient les ethnologues, prirent la décision en 1946, quinze ans après les premières enquêtes, d instruire M. Griaule et désignèrent l un de leurs doyens les plus compétents, Ogotemmêli. Le récit du Renard Pâle, relève quant à lui de l interprétation des faits vu sous l angle de «la parole claire», dite aussi «parole bonne», la quatrième qui constitue pour l initié le dernier état de connaissance qui ne s acquiert qu après de longues années d enseignement. 1

1. Cosmogonie dogon selon la version de Masques dogon Dans les premiers travaux de M. Griaule et de son équipe, apparaît une ébauche de cosmogonie qui peut se résumer ainsi : Le dieu Amma commença par la création de la Terre, du Ciel, de «l esprit de l eau» Nommo, de différentes sortes de génies, des Andoumboulou - petits hommes rouges, considérés comme les premiers habitants des falaises -. Puis Amma élabora des plantes et des animaux, enfin des êtres humains. La mort n existant pas encore : les êtres, à un âge avancé, se transformaient en grands serpents. Le premier décès fut provoqué par une rupture d interdit concernant la parole. Le personnage qui devait se révéler comme le perturbateur et l adversaire du dieu Amma, l animal Yourougou - d abord identifié de façon erronée comme un chacal - apparaît sous une forme encore modeste dans cette version du mythe. L on savait encore peu de chose de lui à cette époque en dehors de son rôle dans la divination. 2. Cosmogonie dogon selon la version de Dieu d eau Les missions furent interrompues pendant la guerre et ne recommencèrent qu en 1946. C est à cette date que le tournant important dans la connaissance de la culture dogon est marqué. En effet, Ogotemmêli entreprit de faire accéder l ethnologue à un stade supérieur de la connaissance. Selon cette seconde version du mythe, à l origine de toute création se place Amma, dieu suprême habitant les régions célestes. Il est un potier, il a crée les étoiles en jetant dans l espace des boulettes de terre ; créa le soleil et la lune en modelant deux poteries blanches, l une entourée d une spirale de cuivre rouge, l autre de cuivre blanc. Les Noirs sont nés au soleil, les Blancs sous la lune. D un autre boudin de terre glaise, il forma la Terre, qui est une femme, une fourmilière est son sexe, une termitière son clitoris 1. Au moment où Dieu s approche pour s unir avec la Terre se dressa la termitière. Il parviendra à ses fins après avoir abattu le clitoris, la première excision. Néanmoins cet incident originel devait marquer à jamais la marche des choses et de cette union défectueuse naquit, au lieu des jumeaux prévus, un être unique donc imparfait, le Chacal. La naissance de 1 GRIAULE, M., 1987. Dieu d eau. Entretiens avec Ogotemmêli, Paris, Livre de poche [1ere éd. 1948] : 23-25. 2

cet être introduisit le désordre. Le dieu eut d autres rapports avec sa femme et cette fois rien ne vînt troubler leur union, car l excision avait fait disparaître la cause du premier désordre (GRIAULE, M., 1987 : 25). Il s approcha de son épouse et la pluie semence divine, féconda la Terre qui donna naissance au couple Nommo, jumeaux mâle et femelle, représentant le couple idéal, la gémelliparité originelle. Ces deux produits d essence divine (eau) étaient destinés à vivre au ciel au côté d Amma ; ce dernier n eut pas besoin de leur enseigner la parole, étant nés complets, les génies étaient parfaits. Cependant leur mère, la Terre était nue et sans parole en conséquence du premier incident. Pour mettre fin à ce désordre Nommo la revêtit d une jupe de fibres. Sa parole humide s était lovée entre les torsades du vêtement, chemin pour la parole qu il voulait révéler à la Terre. Ainsi vêtu, la Terre avait un langage (GRIAULE, M., 1987 : 25-28). Le Chacal, être unique désirant une compagne, s empara de la jupe, commettant ainsi le premier inceste. Ce péché originel eut pour conséquence l octroie de la première parole au Chacal, ce qui lui permettrait de révéler aux devins à venir, les desseins de Dieu. Il fut la cause de l apparition du sang menstruel, mettant la Terre dans un état d impureté, incompatible avec le règne d Amma (GRIAULE, M., 1987 : 29). Le dieu se résigna à créer, directement et seul, des êtres humains ; avec de la terre glaise il façonna un couple. Ceux-ci ont chacun les deux principes mâle et femelle, mais on leur apprend la circoncision et l excision qui distingueront les sexes. Le Nommo dessinait au sol une âme double afin de pallier la naissance unique, calamité permanente. Ce couple humain devait donner naissance à huit ancêtres, quatre mâles et quatre femelles, êtres doubles en réalité, qui pouvaient se féconder eux-mêmes (GRIAULE, M., 1987 : 29-30). De ces ancêtres naquirent quatre-vingt descendants qui essaimeront sur la Terre entière et sont à l origine de la division du peuple dogon en huit familles. Ainsi, l humanité s organisait dans ce pis-aller, on plaquait l âme double, dessinée au sol, au nouveau-né en le tenant par les hanches, mains et pieds posés sur terre. Puis, l âme encombrante était rognée ; et l humanité poursuivait cahin-caha son destin obscur (GRIAULE, M., 1987 : 31-32). 3

Ces premiers ancêtres ne subissaient pas la mort ; après des métamorphoses successives dans la fourmilière, avatar de la matrice terrestre, par la vertu de Nommo, devenu eau et parole, ils se transformaient en génie et montaient au ciel (GRIAULE, M., 1987 : 33). Les huit ancêtres devaient accomplir dans leur ordre cette transmutation, mais quand vint le tour du septième, la mutation fut marquée par un événement considérable : son entrée en terre devait être le prélude à des bouleversements bénéfiques. Le septième (7) rang est de perfection car il contient en même temps la féminité (4) et la masculinité (3), l aboutissement de la série parfaite, symbole de l unité ; ce tout homogène a notamment la maîtrise de la parole. Dans le sein il devint comme les autres, eau et génie, mais lui reçu la connaissance parfaite du second verbe, plus claire que le premier. Il l enseignera ensuite aux hommes par l intermédiaire de la fourmi, avatar de la terre, octroyant son verbe au travers de la technique du tissage (dents utilisées comme un peigne de métier à tisser) afin qu il fut à la portée de l humanité et de montrer la coopération des gestes matériels et des forces spirituelles. Cette connaissance plus parfaite permis aux hommes de prendre le pas sur le Chacal qui ne possédait que la première parole, cette connaissance devait certes lui permettre de révéler les secrets du dieu aux devins, mais dans le futur ordre des choses, le Chacal ne sera qu un traînard de la révélation, incapable de parvenir à la domination qu il aurait souhaitée (GRIAULE, M., 1987 : 33-37). Au ciel, les ancêtres tombèrent en désaccord à cause de la graine du po pilu. En effet, huit graines d espèces différentes furent réparties entre les ancêtres ; mais quand elles se trouvèrent épuisées, les deux premiers ancêtres consommèrent le fonio blanc, qui ne leur avait pas été accordé. Ayant désobéit, ils durent s enfuir du ciel. Se fut l occasion pour le premier ancêtre de construire le «système du monde» ; le Nommo décida en effet d envoyer sur terre l ancêtre forgeron. Ce dernier conduisit le long d un arc-en-ciel, un grenier contenant des exemplaires de tous les êtres vivants, des minéraux, des techniques, des institutions. Ce héros civilisateur apportait ainsi un nouveau «système du monde» qui s exprimerait dans la troisième parole. 4

La forme de ce système est celle du panier dogon (cf., Figure 1) : un fond carré, une ouverture plus large et ronde ; c est un panier d argile renversé dont le fond forme terrasse (GRIAULE, M., 1987 : 37-40). Figure 1 : Le système du monde - l arche ; le grenier dogon (GRIAULE, M., 1987 : 38-39). Cet édifice avait symboliquement la signification suivante : sa base circulaire représentait le soleil, la terrasse le ciel, un cercle au centre de la terrasse figurait la lune. L ensemble des quatre escaliers de dix degrés préfigurait les huit dizaines de familles issues des huit ancêtres, et chaque escalier supportait une catégorie d être en rapport avec une constellation : l escalier septentrional, correspondant aux Pléiades, supportait des hommes et des poissons ; l escalier méridional recevait les animaux domestiques ; l escalier oriental, les oiseaux ; celui de l ouest, les animaux sauvages, les végétaux et les insectes. Chacun des êtres présents est comme un chef de file, derrière lui se tiennent tous ceux de son espèce. L intérieur de l édifice était divisé comme un grenier dogon et comportait huit compartiments placés sur deux étages ; chacun d eux reçu l une des huit graines données par Amma aux ancêtres ; ces huit divisions, réceptacles des graines à répandre chez les humains, étaient aussi à l image des huit principaux organes du génie de l eau-nommo, comparables à ceux des hommes. 5

Au centre une poterie sphérique symbolisait la matrice (cf. Figure 2), une autre plus petite représentait le fœtus, fermée par une plus petite encore sur laquelle figurait une cupule double - les jumeaux -. Figure 2 : Poteries centrales du système du monde (GRIAULE, M., 1987 : 47). L ensemble des organes était maintenu par les parois externes et les cloisons internes qui symbolisaient le squelette humain - quatre montants étaient les quatre membres -. Le grenier était comme une femme, couchée sur le dos (symbolique du soleil), bras et jambes levés, maintenant la terrasse (image du ciel), jambes côté nord, sexe marqué par la porte de la sixième marche. Le grenier et tout ce qu il supportait était l image du système du monde de l ordre nouveau (GRIAULE, M., 1987 : 40-47). L ancêtre vola le feu et installa sur la terrasse la première forge. Les Nommo bombardèrent l arche ; l impact sur la terre, le choc dispersa l ensemble du contenu et donna au forgeron les articulations propres à la nouvelle forme humaine, laquelle allait se répandre sur la terre et serait vouée au travail, les membres souples étant impropres aux tâches de la forge et des champs (GRIAULE, M., 1987 : 48-53). Cette descente de l arche avait pour but une œuvre civilisatrice, de régénération, de renouvellement des hommes, de rénovation de la terre avec la création du premier champ, participant à cette idée selon laquelle là où pénètre la culture, l impureté de la Terre due aux désordres du Renard, recule. La culture, comme le tissage qui est une parole, qui la fixe dans le tissu par le va-et-vient de la navette, de la chaîne, par le mouvement de va-et-vient du 6

paysan sur les parcelles, fait pénétrer le verbe, l humidité dans la terre travaillée, fait reculer l impureté en étendant la civilisation. Le forgeron, dont le rôle était surtout de constructeur, ne pouvait suffire à la tâche de moniteur de l humanité ; descendirent alors les sept autres ancêtres. Cependant le huitième descendit avant le septième qui, courroucé, se changea en serpent au contact du sol. Les hommes le tuèrent ; mais en réalité il s était volontairement sacrifié pour leur salut (GRIAULE, M., 1987 : 53-54). Le huitième ancêtre, maître de la parole, est le Lébé ; il mourut et fut avalé par le serpent - septième ancêtre - qui le déglutit sous forme de pierres. Le Lébé ainsi réincarné a le neuvième rang ; c est une nouvelle création. Le septième a rendu les pierres en les plaçant dans le même ordre que le corps étendu, la trace rappelait celle que le Nommo fait, à chaque naissance, de l âme d un homme. Ce dessin indiquait, par l emplacement des pierres, l ordonnance de la société humaine - huit pierres pour huit ancêtres marquant les huit articulations principales de l homme, lesquelles sont ce qu il y a de plus important en lui -. Mais en réalité, aucun de ces ancêtres n étaient morts ; ils ne l étaient qu en apparence puisque la mort ne devait apparaître que plus tard. Le septième en ingérant le huitième avait assimilé la nature humaine impure et la deuxième parole périmée ; et dans son vomissement il avait éjecté à la fois les pierres d alliance et une eau qui charriait la souillure (GRIAULE, M., 1987 : 55-64). La troisième parole révélée par la fabrication du tambour - après une première parole fruste, associée à une technique simple qui avait donné le vêtement élémentaire, la fibre non tissée, se coulait selon une ligne serpentante, selon une seule dimension -, la deuxième émanait du tissage, recevant des fils perpendiculaires selon une surface, c est-à-dire selon la deuxième dimension ; la troisième parole, claire et parfaite, se développe dans un réseau cylindrique au travers duquel passait un serpentin de cuivre, c est-à-dire selon un volume, selon la troisième dimension (GRIAULE, M., 1987 : 70-77). Suite à cette révélation et après l organisation moderne du monde, après, enfin, une longue période apparaît la mort. C est à la suite de l acte incestueux du Chacal, qu une femme s empara de la jupe de fibre. Les hommes en prirent ombrage et, un jour, des jeunes-gens enlevèrent la jupe. Ils cachèrent leur exploit au plus vieil homme de la tribu, rompant de ce fait avec une tradition de respect et de soumission aux aînés. Le vieillard étant arrivé au terme 7

de sa vie humaine avait comme les anciens subi sa métamorphose en génie : selon la règle il n était pas monté au ciel et continuait sa vie terrestre sous forme de serpent. Le vieil homme métamorphosé en serpent rencontra les coupables et les apostropha violemment dans la langue des hommes. Il commit par-là une rupture d interdit et en mourut sur le champ ; étant déjà transformé en serpent, il ne devait parler que la langue des génies, la première parole. La mort est donc l effet d une rupture d interdit, elle-même causée par une faute contre la règle : c est la perte de l immortalité dans le péché causant le désordre. Après cette première mort, les hommes durent inventer des rites pour assurer la redistribution des principes spirituels libérés par la putréfaction du corps ; ces forces spirituelles trouvèrent un support en la personne d une femme enceinte qui mit au monde un enfant rouge et tacheté comme le serpent, qui ne devint normal qu à son adolescence lors de sa consécration à l ancêtre disparu. On tailla alors un grand bois en forme de serpent qui servit désormais de support aux principes de l ancêtre, devenus trop lourds pour l enfant. On avait ainsi célébré le premier Sigui et cet enfant fut le premier initié de l Awa (GRIAULE, M., 1987 : 179-191). 3. Cosmogonie dogon selon la version du Renard Pâle À l origine, avant toute chose, était Amma («tenir serré et maintenir à la même place») et il ne reposait sur rien. «L œuf en boule d Amma» était clos mais fait de quatre parties, dites «clavicules», elles-mêmes ovoïdes et comme soudées les unes aux autres. Au sens originel, les quatre clavicules sont également la préfiguration des quatre éléments : l eau, dji, l air, ono, le feu, yau et la terre, minne. Les bissectrices idéales qui les séparent, marqueront les directions collatérales, «angles droits», sibe nay, c est-à-dire l espace. Ainsi, éléments fondamentaux et espace futur étaient-ils présents dans la morphologie de «l œuf primordial» 2. 2 DIETERLEN, G. et GRIAULE, M., 1991. Le Renard Pâle, tome I, Le mythe cosmogonique, fascicule I : La création du monde [1 ère éd. 1965] : 61-62. 8

Les premiers signes : formation des signes abstraits qui préfigurent le monde. Amma commença par tracer en lui-même le plan du monde et de son extension, sous forme de 266 signes ou «paroles», bummo, «trace» - expression verbale de sa pensée -, classés en 22 catégories et connotant tous les êtres et les choses qui devaient être ensuite réalisés dans la matière. Amma a dessiné l univers avant de le créer ; la matière du dessin était l eau avec laquelle il traçait les figures dans l espace. Ces signes, manifestations de la pensée, «parole» créatrice, ont existé avant les choses et ils les ont déterminés. Le développement des choses de l univers est préfiguré par les 266 signes abstraits et leur multiplication, par la progression de la forme du signe qui aboutira à la réalisation de la chose, de l être : après une première série de signes abstraits, bummo, «trace», viendra une deuxième, yala, «marque» ou «image». Le yala de la chose est comme le début de la chose. Puis une troisième, les tonu, «figure», «schéma» ou «pourtour» qui est un tracé schématique d éléments graphiques : c est l idée d impulsion dans la création. Et enfin, le quatrième signe, toy, le «dessin» de la chose représentée, lequel est le plus réaliste possible ; il désigne aussi la chose elle-même (DIETERLEN, G. et GRIAULE, M., 1991 : 63-88). La création du «premier monde», sene et sa destruction. Amma ayant pensé puis dessiné le monde qu il voulait créer, tenta à titre d essai de superposer un peu de toutes les matières qui formaient une «chair» provenant de sa propre personne, une «crasse» à laquelle il ajouta sa salive. En la pétrissant de ses mains, il la façonna en forme de graine. Le résultat de ce premier travail fut la graine de l arbre sene na, premier de tous les végétaux. A partir de cette graine et de l arbre, il forma un premier univers. De cette création, exécutée en secret dans les «clavicules d Amma» on ne sait que peu de chose car elle fut détruite. Amma ne fut pas satisfait de la création de ce monde qui constituait une première tentative manquée. Il l abandonna, la détruisit, ne conservant que la graine elle-même et les quatre éléments qu elle contenait (DIETERLEN, G. et GRIAULE, M., 1991 : 88-94). Les signes du deuxième monde. Amma décida de créer un autre monde ayant pour base l homme et formé selon une technique de mélange et de brassage des quatre éléments. A l intérieur de l œuf du monde, il entreprit donc de dessiner un nouveau plan de création. S étant tourné vers les potentialités créatrices d une autre graine, la céréale du fonio blanc, po ou Digitaria exilis et ayant conçu le processus même de la création selon le modèle d un mouvement spiraloïde, il traça alors l ensemble des signes du monde, en allant du centre à la périphérie de l œuf (DIETERLEN, G. et GRIAULE, M., 1991 : 88-101). 9

La mise en mouvement des signes du deuxième monde. Amma agit sur les signes qu il venait de créer et cette action eut pour effet d inverser le sens de rotation de la spirale centrale. On appelle cette phase «l ouverture des yeux d Amma» car la brèche que le créateur fit dans son propre sein, pour permettre la sortie de la spirale, préfigurait son œil qui devait, plus tard, éclairer l existence des choses en formation (DIETERLEN, G. et GRIAULE, M., 1991 : 101-104). La création de la première graine. Amma était comme la spirale centrale. En tournant sur lui-même, il pétrit la première graine de po. Prenant l aspect du po pilu, la graine se plaça au centre de l œuf. Pour la façonner, il avait repris la graine du sene, ses quatre éléments et les avait brassé. Au sein de la graine ainsi crée, dans cet infiniment petit, il s apprêta alors à édifier le nouveau monde (DIETERLEN, G. et GRIAULE, M., 1991 : 106-111). L apparition du mouvement vibratoire. En brassant les quatre éléments, Amma provoqua à l intérieur de la graine l apparition de sept vibrations, lesquelles constituaient la première forme de vie dont la graine de po allait être tout à la fois le symbole et le support. Conçu comme la somme de 3, masculin, et 4, féminin, le nombre 7 faisait ressortir la structure fondamentale de l être, commune à Dieu et à ses créatures, à savoir une union gémellaire entre la masculinité et la féminité (DIETERLEN, G. et GRIAULE, M., 1991 : 111-118). La création des autres céréales. Amma créa ensuite les autres céréales et d abord les huit principales d entre elles, comme témoins de la fécondité et de la capacité de reproduction, ou parole, placées dans po. Elles préfigurent les huit ancêtres. Ces graines sont comme les huit paroles, c est pourquoi elles seront ultérieurement symboliquement représentées dans les clavicules de l homme, support de son être physique, où elles deviendront les témoins de son intégrité. La vie placée dans les graines par la parole est comparable à une fermentation (DIETERLEN, G. et GRIAULE, M., 1991 : 118-128). Les premières créatures vivantes. L œuf d Amma qui avait enveloppé toutes les choses à l intérieur est devenu son placenta, lequel était double et ses deux parties comme reliées par Amma lui-même. Yaduro, est la matière du placenta d Amma, c est la terre, substance première avec laquelle il pétrira les premiers êtres. Les autres éléments seront présents lors de cette gestation par les signes primordiaux faits d eau, le placenta de feu, les êtres vivants de terre, recevant l air qu Amma avait brassé pour déterminer l espace et qui leur conféra la vie (DIETERLEN, G. et GRIAULE, M., 1991 : 129-135). 10

À l intérieur de ce double placenta, Amma créa les premiers êtres animés : les silures, dits nommo anagonno, poissons mythiques et célestes, prototypes de l homme. Ana signifie «pluie» et gonno, «sinuer», mais ana désigne aussi «l homme» dont la semence est associée à la pluie fécondante ; anagonno se traduit donc par «pluie sinueuse», mais le terme «ana» fait prévoir que l être créé deviendra «l homme». L un des rôles de ce poisson sera de protéger et de surveiller le monde créé par Amma, lequel sera présent dans les principes spirituels, les âmes de ces silures, pour surveiller la marche de l univers. Amma entreprit de façonner quatre couples de jumeaux mixtes et commença par former deux couples de jumeaux androgynes mais à dominante mâle ; chaque couple occupant l un des deux placentas. Dans cet œuf, Amma y plaça d abord le feu, puis l eau qui s unira au feu. L eau entrera sous forme de sang dans la clavicule qui sera la première à être formée, la puissance du feu augmentera celle de l eau. Ensuite sera donnée la terre qui formera les arrêtes, mais dont le créateur conservera une part. La terre comme l air sera entourée par l eau. L air enfin, pénètrera l être formé et lui conférera la vie et ses principes spirituels. Ainsi, la création du nommo anagonno préfigurera celle de l homme qui lui aussi commence par le feu, car dans la matrice, la semence est le feu (DIETERLEN, G. et GRIAULE, M., 1991 : 135-153). Puis, procédant par dédoublements successifs, il élabore, à partir de la même matière placentaire, les quatre jumelles correspondantes. Les deux jumeaux mâles du placenta du haut, Nommo die (grand Nommo) et Nommo titiyayne (messager du Nommo), resteront au ciel auprès d Amma ; le premier en tant que «régisseur» du ciel-atmosphère sera son grand prêtre ; quant au second, il sera comme l exécuteur des hautes-œuvres du premier et à ce titre, le sacrificateur. L un des jumeaux du placenta du bas est le Nommo semi (Nommo sacrifié). Appelé Ogo sous sa forme de Nommo anagonno, le quatrième jumeau sera le futur Renard pâle. À la différence des trois autres, il ne sera jamais représenté comme poisson car, avant même d avoir atteint son achèvement, il bousculera le projet d Amma (DIETERLEN, G. et GRIAULE, M., 1991 : 153-160). Le travail d Amma. «L œuf d Amma en boule» est devenu «l œuf d Amma écarté», se scinda selon les quatre parties, chacune formant l une des clavicules du Dieu. Pour opérer le déploiement des clavicules, il effectua un mouvement en spirale «laissant des choses, c est-à-dire des rayons» dans sa progression. Il était au centre, debout, tournant sur lui-même, le bras droit à l horizontale, il tournait de la droite vers la gauche, d abord face à l ouest, puis au nord, puis à l est, au sud. Il tourna quatorze fois, et à chaque tour il créait un ciel et une terre collés l un à l autre : il créa donc quatorze cieux et autant de terres. Ainsi, Amma a crée 11

l univers, fait de mondes stellaires spirallants, quatorze mondes superposés (DIETERLEN, G. et GRIAULE, M., 1991 : 160-173). La révolte d Ogo. Comme ses «frères» jumeaux, Ogo se trouvait rattaché à son placenta formé en tant qu être complet et pourvu de quatre «âmes de corps», témoins des quatre éléments. Mais il était encore seul, Amma procédait à l élaboration des jumelles des Nommo anagonno. Ogo manifesta son impatience. Alors qu Amma désirait former sa jumelle pour la lui octroyer comme à ses frères, Ogo, dans son angoisse, croyant qu elle ne lui sera pas accordée s agitait sans cesse. Amma lui précisa qu il recevrait sa jumelle au moment de sa naissance, à sa sortie du sein. Mais Ogo ne le crut pas, l exigea immédiatement, se révolta et se mit en quête, sans attendre les réalisations du Dieu. Cette quête consista à tenter de s emparer de l œuvre d Amma. Bouleversant toutes les règles, Ogo se mit en mouvement dans l intention de surprendre les secrets de l univers en formation. Il parcourra cet univers qui était encore le sein d Amma. Il voulait voir la création. Il naquît avant terme, troublant sa propre gestation et l ordre du monde, sorti du côté de l attache de son cordon ombilical en arrachant du placenta un morceau carré. Amma mis hors de sa portée sa jumelle. Toutes les tentatives futures d Ogo tendront à rechercher et reprendre celle-ci. Il bouleversa les projets d Amma puisqu il n attendit pas son dédoublement, c est-à-dire sa gémellité ; aussi sera t-il seul, donc imparfait et faible. Avec le morceau de son placenta volé qui forma une sorte d arche, il descendit dans l espace encore vide (DIETERLEN, G. et GRIAULE, M., 1991 : 175-184). La formation de la Terre. Sous l action d Amma, le morceau de placenta se transforma en Terre. Ogo y pénétra dans l espoir d y retrouver sa jumelle. Mais en pénétrant dans la Terre, matière de son placenta, il s unissait avec sa mère, commettant un acte incestueux d une telle gravité qu il allait contribuer à compromettre l ordre du monde (DIETERLEN, G. et GRIAULE, M., 1991 : 184-187). Amma, pour punir Ogo, le transforma en renard, petit animal nocturne très sauvage. Ce renard mythique, nommé Yourougou, animal perturbateur, est devenu célèbre en français sous le nom de «Renard pâle» (DIETERLEN, G. et GRIAULE, M., 1991 : 265-274) 3. 3 C est dans ce texte qu il sera pour la première fois identifié avec exactitude par les ethnologues comme étant un petit renard, le Vulpes pallida. 12

La nécessité d une purification du monde et le choix du sacrifié. L accumulation des fautes d Ogo troublèrent définitivement l ordre du monde. Amma décida de le purifier et inaugura cette entreprise par le sacrifice du Nommo semi, formé dans la même partie du placenta qu Ogo et qu il tenait indirectement responsable des actes de ce dernier. Le Nommo titiyayne fut désigné comme sacrificateur (DIETERLEN, G. et GRIAULE, M., 1991 : 225-230). La séparation des âmes du sacrifié. Amma sépara en deux ses quatre «âmes de corps», créant ainsi quatre «âmes de sexe» associées à la procréation. Ce geste préfigurait la transformation radicale des premiers êtres vivants créés : ce passage d êtres androgynes à des êtres de sexes différents. Mais, inaugurant la séparation des sexes, il instaurait aussi la nécessité de l union sexuelle pour la reproduction. Donc, en séparant en deux les âmes de la victime, il préfigurait la séparation des sexes, dotant, parallèlement, ses créatures de principes spirituels associés à la procréation. Amma préleva les dents, afin de mettre en réserve le siège de la parole, considérer ici en tant que langage articulé, stade qu elle n atteindra qu ultérieurement lorsque les hommes descendront sur Terre avec l arche (DIETERLEN, G. et GRIAULE, M., 1991 : 230-233). Le partage du sacrifié. Après la circoncision d Ogo, exécutée par le Nommo titiyayne pour empêcher Ogo de remonter au ciel, une purification des lieux célestes devenait nécessaire. La précipitation de sa circoncision fit que son sang avait pénétré et donc souillé, d une part le placenta céleste, d autre part la Terre. Amma présida au sacrifice du corps du Nommo qu il venait d évirer et au partage de son corps en parcelles pour la purification de l espace et de l univers en formation. Il ressuscita ensuite sa victime qui sera le symbole et le support du monde organisé (DIETERLEN, G. et GRIAULE, M., 1991 : 283-320). La création des hommes. Après avoir pétri le Nommo semi au ciel, Amma façonna également, avec la matière du placenta les premiers ancêtres des hommes : quatre jumeaux mâles et leurs jumelles. Appelés unum, «fils», c est-à-dire fils du Nommo, le «père», connus aussi sous les noms de Amma Sérou, Lébé Sérou, Binu Sérou, Dyongou Sérou et leurs jumelles, Ya sa. Comme le Nommo, leur père, les unum furent d abord créés sous forme de poissons silures sans articulations, forme qui sera également celle des hommes historiques au stade fœtal. Mais entre la création des Nommo silures ou Nommo anagonno et celle des 13

premiers hommes silures sans articulation ou anagonno bile, il y eut des différences importantes. Tout d abord, les anagonno bile ne furent pas façonnés comme des êtres androgynes, mais séparément comme mâles et femelles. En outre, Amma ordonna sa création dans l ordre inverse. Enfin, il commença le poisson femelle par le clitoris et le poisson mâle par la clavicule. Poissons silures sans articulation, anagonno bile, lorsqu ils furent créés au ciel, poissons silures avec articulations, anagonno sala, lorsque l arche qui les contiendra se posera sur Terre. Ils ne prendront forme humaine que lorsqu ils se déplaceront pour la première fois sur la «terre du Renard» (DIETERLEN, G. et GRIAULE, M., 1991 : 360-375). L arche du Nommo. La nouvelle arche façonnée par Amma était molle et humide comme le placenta du Nommo dont elle était faite ; elle était donc pure. En descendant, elle se plaquera sur la «terre du Renard» et s étendra progressivement sur elle au fur et à mesure du développement de l agriculture, laquelle constituera une purification du sol souillé par le vol et l inceste. Cette arche transportait au centre le Nommo mâle ressuscité, maître du verbe, du ciel et de l eau, et quatre autres paires mixtes, «ses enfants». Elle contenait également tous les animaux, végétaux qui devaient se multiplier et occuper la planète (DIETERLEN, G. et GRIAULE, M., 1991 : 417-432). L arche sur la Terre. Elle se posa de nuit, l atterrissage provoqua un choc violent qui donna au sol sa forme tourmentée. Après le Nommo, tous les êtres qui se trouvèrent à l intérieur descendirent. Les hommes assistèrent alors au premier lever de soleil. Après cette descente de l arche, la pluie tomba, source de vie et de fécondité. Elle ruissela sur la Terre et forma la première marre dans laquelle se rendit le Nommo qui prit le nom de «Nommo de la mare». Ce dernier révéla la «parole» à l ancêtre Binu Sérou qui, par l intermédiaire du griot, la transmit aux hommes (DIETERLEN, G. et GRIAULE, M., 1991 :432-446). Les ancêtres des gens de caste et de Yasigui. Avec la matière placentaire du sacrifié, celle du Renard et avec le sang du sacrifice, Amma modela ensuite les ancêtres du forgeron, du griot et du cordonnier, ainsi que Yasigui, la jumelle du Renard. Le forgeron et le griot furent respectivement issus, le premier du reste du cordon du Nommo (considéré à ce titre comme un jumeau du Nommo), le second, du placenta pris sur le lieu où le Nommo avait été égorgé et du sang qui s était écoulé de la gorge de ce dernier. Ainsi faits de «sangs mélangés», leurs descendants ne pourront se marier avec les descendants des unum, faits d un 14

sang pur de tout mélange. Ils descendirent avec une deuxième arche, après celle du Nommo. Considérés comme jumeaux du Renard, les descendants du cordonnier seront appréhendés comme des êtres impurs. (DIETERLEN, G. et GRIAULE, M., 1991 : 375-379). Les premières années de l humanité sur Terre. Née des unions des ancêtres de l arche, l humanité se développa et la vie s organisa sur la Terre. Les périodes de cette organisation s étendirent sur les cinq générations des quatre lignages issus de Nommo, le «père», ba, et des huit ancêtres mythiques, ses «fils», unum, pendant soixante-six années. Les éléments constitutifs et complémentaires de cette organisation étaient la nuit, la sécheresse, la stérilité, l impureté et la mort, domaine du Renard, d une part ; le jour, l humidité, la fertilité, l ordre, la pureté et la vie, domaine du Nommo, d autre part. 15