Innovation en matière d'épargne : résultats d'une expérience pour personnes précarisées en Belgique



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Innovation en matière d'épargne : résultats d'une expérience pour personnes précarisées en Belgique

Les bas revenus ne sont pas incités à épargner en Belgique Les personnes à faibles revenus peuvent-elles épargner? Comment les y inciter? Ne manque-t-il pas un dispositif pour les inciter à mettre de l'argent de côté? Cette analyse détaille les impacts d'une expérience belge de micro-épargne parmi des personnes à revenus modestes, et mesure l'utilité d'un tel dispositif dans le contexte national d'inclusion financière. 1 Introduction et contexte Dans le cadre du projet européen Social innovation and mutual learning in microsavings (SIMS), des projets pilotes visant à promouvoir l'épargne auprès de publics à faibles ressources en Hongrie, France et en Belgique ont été évalués par le Crédoc, un centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie. Le but principal de cette expérience était d'évaluer le changement de comportement en matière d'épargne entre un groupe témoin et un groupe bénéficiaire de l'expérience (se composant, selon les cas, d'un incitant à l'épargne, de modules d'éducation financière ou de ces deux éléments). En Belgique, on observe que l'épargne totale est élevée et en constante augmentation. En revanche, il existe peu 1 de données sur la distribution de cette épargne au sein de la population. Le seul incitant à l'épargne public est une exonération fiscale pour les revenus relatifs à des dépôts à hauteur de 1880. Cependant, cet incitant ne vise clairement pas les ménages à revenus modestes, qui ne sont pas toujours imposables et ont une faible capacité d'épargne. La question posée est donc : est-ce que les personnes précarisées peuvent épargner? C'est le pari relevé par l'expérience. Nous allons décrire le dispositif mis en place, puis nous détaillerons les impacts et nous examinerons son importance dans l'inclusion financière des personnes. 2 Promouvoir l'épargne parmi les personnes à revenus modestes L'expérience menée en Belgique avait pour objectifs de : «favoriser les comportements d épargne ; encourager les personnes à épargner plutôt que d'acheter à crédit, sortir de la logique de gestion budgétaire au jour le jour, lever les éventuels freins et/ou les réticences à l'épargne ; 1 BAYOT B., CAYROL A., DISNEUR L. et al., Rapport sur l'inclusion financière 2013. Bruxelles : Réseau Financement Alternatif, 2013, 81 p. 2/9

Un projet pour encourager l'épargne et créer une dynamique collective créer une dynamique collective et pérenniser les groupes formés en groupes d épargne.» 2 Ce projet pilote ciblait les personnes précarisées. Pour y participer, les personnes devaient répondre à l'un des trois critères suivants : «disposer d'un revenu inférieur à un plafond selon la situation du ménage : 1021 pour une personne isolée, augmentés de son loyer, augmentés de 181 par personne à charge ; 1392 pour les couples, augmentés du loyer, augmentés de 181 par personne à charge ; être demandeur d'emploi longue durée article 60 ou 61 : être en fin de règlement collectif de dettes». 3 L'idée était de toucher un public à revenus modestes, et également, dans les cas des personnes répondant aux deux derniers critères, des gens susceptibles de gérer de nouvelles arrivées financières. 3 Un incitant financier pour obtenir la participation au projet pilote... Le projet pilote combinait une approche cognitive, grâce aux modules de formation en éducation financière, et une approche comportementale, par une pratique véritable de l'épargne. En effet, les bénéficiaires du programme devaient, afin d'obtenir la bonification de leur épargne, assister à trois modules de formation sur les cinq dispensés et épargner au moins sept fois sur les douze mois de durée de l'expérience. Cette bonification était de 50 % sur le montant épargné, plafonnée à 120 par an. Les modules de formation ont été dispensés à des groupes d'une douzaine de personnes sur les thématiques suivantes : Module 1 : Présentation du programme, discussion sur les valeurs/notions d'aisance financière. Qu'est-ce qui est nécessaire et qu'est-ce qui ne l'est pas? Qu'est-ce qui est superflu? La relation à l'argent est très personnelle, mais il est important de savoir gérer un budget. Module 2 : Divers types de crédits à la consommation existent (avec divers taux d'intérêt, durée, dangers). Échange de trucs et d'astuces avant de s'engager dans un prêt, notion de credit revolving, discussions sur les conséquences financières potentielles. Quelle différence avec l'épargne? 2 GUISSE N., GILLES L., Rapport d'évaluation du projet SIMS en Belgique. Paris : Crédoc, 2013, 56 p. 3 Op.cit., p. 1. 3/9

Module 3 : Projection d'un film sur le surendettement basé sur des témoignages : identification des raisons, des conséquences, du moment où les gens cherchent de l'aide... Discussion sur le sujet. Module 4 : Différents types d'épargne collective en dehors du système traditionnel bancaire. Focus sur les mécanismes de tontines et les communautés autofinancées (CAF). Module 5 : Retours sur l'expérience menée et définition des étapes suivantes pour les participants. L'incitation financière vise à instiller chez les participants une envie d'épargner, qui grâce aux modules de formation, permettrait éventuellement de pérenniser cette habitude une fois que les avantages de cette pratique sont reconnus. 4 Mesure de l'impact du projet pilote Afin de cerner l'effet du dispositif, une enquête a été menée auprès des bénéficiaires et d'un groupe témoin à deux reprises : une première fois au début de l'expérimentation 4 et la seconde un an après. Cette enquête visait à connaître, outre les données sociodémographiques des participants, leurs opinions et comportements en matière de «relation au système bancaire, de gestion budgétaire, d'épargne et de crédit» 5. Par ailleurs, un tableau de bord des opérations recense, d'une part, pour les modules de formation le taux d'absentéisme et, d'autre part, pour l'épargne, les montants et la fréquence des transactions. Enfin, des entretiens qualitatifs auprès de diverses parties prenantes du projet ont également été menés. Concrètement, sur les 180 bénéficiaires recrutés, seuls 52 ont passé les deux vagues de questionnaire, soit moins de 30 % des personnes participant initialement au projet. Du côté du groupe témoin, 215 personnes ont été approchées pour répondre au questionnaire et seulement 52 ont passé les deux vagues de questionnaire, soit un taux de réponse inférieur à 25 %. Autant chez les bénéficiaires que parmi le groupe témoin, c'est une perte de contact plutôt qu'un refus de participer qui semble être la cause de ce faible taux de participation. En effet, la population cible est souvent instable et/ou à la recherche d'un emploi, ce qui explique la déperdition importante. 4 Pour des questions techniques, la première enquête s'est en fait déroulée au 7 e mois du projet pilote. Toutefois, seul le premier module d'éducation financière avait alors été dispensé. 5 Note 1. GUISSE N., GILLES L., op. cit., 56 p. 4/9

Malgré un taux d'attrition 6 significatif pour l'enquête, les trois outils utilisés ont tout de même permis à Crédoc de faire une évaluation en profondeur de l'impact de l'expérience. 5 Quels résultats? 5.1 Effets positifs sur les comportements et opinions des bénéficiaires De nombreux effets positifs Trois types d'impacts positifs principaux sont à noter pour les bénéficiaires. Le premier est l'attitude favorable et l'action positive par rapport à l'épargne. Ainsi, bien que les deux groupes s'accordent à reconnaître les bienfaits de l'épargne, seul le groupe des bénéficiaires pense qu'il est utile de le faire de manière régulière. De plus, concernant le comportement des participants au projet pilote, on note que presque la moitié d'entre eux a épargné régulièrement au cours des douze mois de l'expérience. Les montants épargnés oscillent entre 22 et 30 par mois, pour une moyenne annuelle de 136. Un impact positif à moyen terme est observé : 7 mois après la fin de l'expérience, 21 % des bénéficiaires déclarent épargner tous les mois (par rapport à 15 % lors de la première vague de questionnaire). L'évaluateur a aussi remarqué chez les bénéficiaires une meilleure compréhension du lien entre l'épargne et les projets personnels. Enfin, les bénéficiaires sont plus prévoyants dans leur gestion budgétaire et suivent mieux leurs dépenses. Le second effet positif est une vigilance accrue face à l'offre de crédit. Cet effet n'est pas attribuable seulement au projet pilote, car on observe une meilleure vigilance par rapport au crédit autant chez les bénéficiaires que parmi le groupe témoin. Toutefois, on remarque que les bénéficiaires ont tendance à avoir recours au crédit informel (amis, proches) après l'expérience, contrairement au groupe témoin. Ceci exprime probablement une méfiance accrue des participants envers les produits bancaires. Le troisième effet positif est le développement de la confiance en soi acquise par les bénéficiaires et le sentiment d'inclusion sociale développé lors des sessions de formation. Des bénéficiaires ont ainsi confié avoir eu des «sentiments de fierté» pour avoir réussi à mettre de l'argent de côté de manière régulière. En outre, les participants, souvent isolés à la base, ont pu rencontrer d'autres personnes dans la même situation qu'eux lors des sessions de formation. Enfin, deux groupes continuent d exister au-delà du projet pilote et se sont organisés en communautés autofinancées pour continuer à se voir et à épargner. 6 Il s'agit d'un indicateur qui permet de mesurer le phénomène de «perte» des personnes sur une période donnée. 5/9

5.2 Effets pour les autres acteurs Les effets pour le meneur du projet, le Réseau Financement Alternatif (RFA), et les partenaires, c.-à-d. les centres publics d'action sociale (CPAS), sont globalement positifs. Tout d'abord, ce projet a permis au RFA de mieux faire connaître ses actions aux CPAS. Vice-versa, les CPAS ont trouvé le projet intéressant, car il leur a permis de mieux accompagner leurs bénéficiaires, soit par une intervention du RFA, soit en s'inspirant de certains contenus des modules de formation. Ce projet a donc renforcé des liens institutionnels et facilité de réels échanges entre les parties. Un autre aspect positif est le fait que l'action en Belgique s'est inscrite dans un projet européen et que de bonnes pratiques ont pu être échangées, notamment concernant le recrutement de bénéficiaires, le contenu des formations ou les techniques d'animation. Un élément toutefois reste plutôt négatif : le fait qu'il n'y ait eu que peu de communication sur l'expérimentation entre les CPAS, mais également à l'intérieur même des CPAS. Cela s'explique certainement en partie par le fait que les contacts ont été pris sur base volontaire et non de manière formelle avec les CPAS. 5.3 Forces du projet pilote Le projet pilote démontre deux grandes forces : un impact positif en termes de comportement vis-à-vis de l'épargne et un effet d'inclusion sociale. On ne le dira jamais assez : un tel projet a réellement permis à des personnes précarisées, souvent en manque de confiance, de remettre le pied à l'étrier et de mettre de l'argent de côté. Sept mois après l'expérience, 25 % des bénéficiaires épargnent plus souvent qu'avant et près de la moitié d'entre eux a économisé de manière régulière pendant le projet pilote. Ces personnes à revenus modestes ont pu acquérir des habitudes de gestion budgétaire orientées vers des projets concrets dans l'avenir. Deuxième force d'un tel projet mené avec une méthode collective : l'inclusion sociale. La combinaison du côté convivial avec l'intérêt financier est un élément de motivation important. Des personnes souvent isolées ont ainsi pu développer des liens sociaux. De plus, les personnes ayant participé à l'expérience avec succès (c.-àd. en ayant réussi à toucher la bonification) déclarent avoir acquis des sentiments de fierté et de confiance en soi. 5.4 Améliorations possibles 6/9

Deux facteurs sont à améliorer si un tel projet venait à se répéter : une meilleure adhésion des bénéficiaires et une mobilisation plus conséquente des partenaires. En effet, le projet pilote a montré qu'une seule moitié des bénéficiaires a activement participé au programme. Bien qu'il soit difficile d'atteindre de meilleurs taux 7, une telle attrition est certainement à améliorer. Pour ce faire, il faut en comprendre les raisons : elles sont souvent d'ordre familial. Peut-être qu'une meilleure flexibilité dans les horaires ou une garde pour les enfants aiderait à réduire ce taux d'absentéisme? Par ailleurs, il serait utile d'insister sur la dynamique collective afin de motiver les participants à rester dans le dispositif : des contenus ludiques et interactifs en lien avec les projets personnels des bénéficiaires sont essentiels. Le deuxième élément à améliorer est la mobilisation avec les partenaires. Sur les 400 parties potentielles contactées, seuls 11 CPAS et une organisation culturelle ont répondu. En ce qui concerne les CPAS, l'apprentissage à retirer de l'expérience est certainement celui de la nécessité de passer par une formalisation du partenariat de manière à susciter une mobilisation plus importante des organisations et de leurs travailleurs. Comme le mentionne le rapport, ces partenariats pourront servir à : «lever les réticences liées à la confiance des bénéficiaires et des travailleurs sociaux ; accroître la légitimité du programme en bénéficiant de la notoriété des institutions ; bénéficier de ces organisations comme relais pour la communication autour du dispositif et pour l essaimage des bonnes pratiques.» 6 Une pièce manquante dans le puzzle belge des dispositifs d'inclusion financière? Comme précédemment évoqué 8, aucun dispositif facilitant le passage à l'épargne de personnes à revenus modestes n'est en place en Belgique. Or, le relatif succès de ce projet pilote démontre que les personnes précarisées, par la combinaison de modules de formation en éducation financière et d'un incitant financier, peuvent bel et bien épargner, elles aussi. 7 En effet, ce taux de déperdition est similaire à celui expérimenté dans des projets semblables aux États-Unis. 8 JERUSALMY Olivier. «Incitants à l'épargne : aperçu de pratiques novatrices?» [en ligne]. Réseau Financement Alternatif. Bruxelles : Financite.be, 2010. Disponible sur : http://www.financite.be/s-informer/bibliotheque,fr,11,3,2,1,2513.html (consulté le 12.10.2013). 7/9

La capacité d'épargner accroît la confiance en soi des personnes précarisées Si on se réfère aux politiques légales menées par la Belgique dans le domaine de l'inclusion financière, on note que des dispositifs existent concernant le compte bancaire et le crédit. Pour rappel, l'inclusion financière fait référence à un «processus par lequel une personne peut accéder à et/ou utiliser des services et produits financiers proposés par des prestataires classiques, adaptés à ses besoins et lui permettant de mener une vie sociale normale dans la société à laquelle elle appartient». 9 Ainsi, pour les comptes bancaires, un service bancaire de base est en place depuis 2003 et garantit un accès à un compte bancaire à tout citoyen ayant sa résidence principale en Belgique. De plus, des comptes «d'aide sociale», conçus par Belfius, sont utilisés par les CPAS pour payer le revenu d'intégration sociale. Du côté crédit, il existe un cadre légal fourni en ce qui concerne les lois sur le crédit à la consommation. Le fichier «positif», créé par une loi en 2001, liste les crédits des particuliers et permet, dans une certaine mesure, de prévenir le surendettement, car il doit être consulté par les opérateurs avant tout octroi de crédit. Un service de médiation de dettes pour les personnes endettées vise, quant à lui, à établir le budget de la personne surendettée pour réorganiser ses dettes et trouver des compromis avec les créanciers. Enfin, une procédure de règlement collectif de dette permet, si la médiation échoue, d'assurer un remboursement (total ou partiel) des dettes dans des conditions correctes pour la personne surendettée. En revanche, pour ce qui est de l'épargne, il n'existe pas de dispositif visant les personnes précarisées. Les instruments en place actuellement, telle l'exonération de précompte mobilier sur la première tranche de 1880 sur un compte d'épargne réglementé ou la protection des dépôts jusqu'à 100 000, ne constituent pas des incitants à l'épargne pour les personnes à faibles revenus. Or, un projet pilote comme celui-ci a un fort impact positif : il montre que ces personnes, avec des outils adaptés, sont en mesure d'épargner et qu'elles en retirent, le cas échéant, des sentiments de meilleure confiance en soi. Qu'en serait-il à plus grande échelle? Une analyse serait à mener en ce sens afin de mesurer les coûts-bénéfices potentiels d'une action similaire transposée au niveau national. 7 Conclusions En conclusion, le projet pilote de micro-épargne a eu un impact positif sur le public précarisé cible. Près de la moitié des participants ont réussi à épargner de manière régulière et ils ont acquis un sentiment de fierté et une meilleure confiance en eux. Ils 9 BAYOT B., CAYROL A., DISNEUR L. et al., Rapport sur l'inclusion financière 2013. Bruxelles : Réseau Financement Alternatif, 2013, 81p. 8/9

sont également plus à même de préparer un budget pour leurs projets futurs et sont plus prudents face à l'offre de crédit. Le lecteur intéressé est invité à visionner les témoignages de cette réussite repris dans le film du projet. 10 Le cadre légal belge est plutôt bien équipé pour assurer l'inclusion financière des personnes précarisées en ce qui concerne le compte bancaire et le crédit. Toutefois, les mesures mises en place pour promouvoir l'épargne ne ciblent pas adéquatement ce public fragilisé. Peut-on imaginer de mettre en place un dispositif plus vaste pour inciter ce public à épargner? Cela viendrait bien compléter les instruments déjà disponibles pour une meilleure inclusion financière. En attendant, le Réseau Financement Alternatif promeut l'épargne collective pour les personnes intéressées à mettre en place des communautés autofinancées. Des séances d'information sont régulièrement programmées 11. Retrouvez toutes nos analyses sur www.financite.be Annika Cayrol Octobre 2013 10 SAN JUAN David. It's micro but it's huge [http://www.fininc.eu/on-going-eu-projects/social-innovation-onmicro-savings-2011-2013/final-conference-workshops,en,151.html]. Bruxelles : Réseau Financement Alternatif, 2013. 11 Réseau Financement Alternatif. «Rendez-vous RFA» [ en ligne ]. Disponible sur : <http://www.financite.be/groupes-locaux/programme-de-micro-epargne,fr,386.html >. (consulté le 12.10.2013). 9/9