Trouble de la douleur dento-alvéolaire persistante (DDAP)



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Transcription:

Trouble de la douleur dento-alvéolaire persistante (DDAP) Définition Les professionnels du secteur dentaire reconnaissent une entité clinique distincte qui se manifeste comme un symptôme douloureux persistant (chronique) et continu localisé dans la région dento-alvéolaire, et qui ne peut pas être expliquée dans le contexte d autres maladies ou troubles (Nixdorf et al., 2012). Cette entité a précédemment été nommée, avec ambiguïté, odontalgie atypique, douleur dentaire fantôme et douleur dentaire neuropathique, et a été classée comme un sous-groupe des douleurs idiopathiques persistantes ou faciales atypiques. Selon un consensus récent impliquant des experts cliniques et des méthodologistes, cette entité a également été dénommée trouble de la douleur dento-alvéolaire persistante (DDAP), et des critères de diagnostic ont été proposés (voir Figure 1) (Nixdorf et al., 2012). Figure 1 : Critères de diagnostic pour le trouble de la douleur dento-alvéolaire persistante (DDAP)

DDAP A. Douleur 2 persistante 1, et B. Localisée 3 dans la ou les régions dento-alvéolaire(s), et C. Non causée par une autre maladie ou un autre trouble 4 Secondaire En relation temporelle étroite avec un événement déclencheur (p. ex., interventions dentaires, traumatisme facial, infection...) Primaire Pas de relation temporelle étroite avec un événement déclencheur (p. ex., interventions dentaires, traumatisme facial, infection...) Anomalies sensorielles présentes Anomalies sensorielles absentes Critères 1 Persistante désigne une douleur durant au moins 8 heures/jour 15 jours par mois pendant une durée 3 mois 2 Douleur définie par les critères de l Association internationale pour l étude de la douleur (International Association for the Study of Pain, IASP) (inclut la dysesthésie) 3 Localisée désigne une douleur maximale définie à l intérieur d une zone anatomique 4 Étendue de l évaluation non spécifiée (dentaire, examen neurologique +/- imagerie, comme TDM et/ou IRM intra-orales) Épidémiologie Aucune estimation précise de la prévalence de la DDAP n est disponible, les études existantes ayant utilisé des échantillonnages de convenance de populations cliniques. Une revue systématique a déterminé une fréquence de la douleur non dentaire suite à un traitement du

canal radiculaire (endodontique) de 3,4 %, donnant ainsi une estimation de la limite supérieure (Nixdorf et al., 2010). Un examen plus approfondi des données disponibles restreignant sa recherche aux articles rapportant des informations cohérentes avec la DDAP a suggéré une fréquence de 1,6 %, après un traitement dentaire impliquant le retrait du nerf sensitif, comme une extraction ou un traitement du canal radiculaire (Nixdorf & Moana, 2011). Un article de la littérature fournit des données sur les facteurs de risque potentiels pour la DDAP suite au traitement du canal radiculaire, identifiant une prolongation de la durée de la douleur préopératoire, la présence d autres problèmes de douleur chronique, le sexe féminin, et des antécédents de traitements douloureux dans la région oro-faciale comme facteurs de risque statistiquement significatifs pour la DDAP (Polycarpou et al., 2005). Physiopathologie Les mécanismes qui ont été proposés pour l implication dans la DDAP sont de nature psychologique ou neuropathique. Les facteurs psycho-sociaux chez les patients atteints de DDAP ont été étudiés uniquement dans des études de cas contrôlées (Jacobs et al., 2002 ; List et al., 2007 ; Takenoshita et al., 2010). Ces études ont rapporté des valeurs plus élevées de diverses mesures de détresse psychologique chez les patients atteints de DDAP, une observation attendue chez les patients souffrant de douleur chronique. Les facteurs neuropathiques chez les patients atteints de DDAP ont également été étudiés uniquement dans des études de cas contrôlées utilisant des évaluations psycho-physiques (p. ex.., Jacobs et al., 2002 ; List et al., 2009 ; Zagury et al., 2012 ; Baad-Hansen et al., 2013). L utilisation d une batterie de tests psychophysiques a montré des réponses très variables chez les patients atteints de DDAP. Dans l ensemble des données disponibles, le seuil de tolérance à la douleur aux stimuli diminue, et l intensité de la douleur ainsi que la durée des stimuli supraliminaires augmentent. La fonction du tronc cérébral, via le réflexe de clignement, a

démontré une réponse différée (Baad-Hansen et al., 2005), et le bloc anesthésique local de l innervation somatique périphérique n a pas significativement réduit la douleur chez la moitié des patients atteints de DDAP (List et al., 2006). Compte tenu de la variation, la DDAP implique probablement des modifications hétérogènes de la fonction nerveuse affectant à la fois les systèmes nerveux périphérique et central. Traitement Aucun essai contrôlé randomisé évaluant les résultats du traitement n a été rapporté ; par conséquent, les soins sont basés sur les avis d experts et sur des observations empiriques. Les données de séries de cas suggèrent que l utilisation de médicaments antiépileptiques et d antidépresseurs tricycliques par voie orale a permis de diminuer l intensité de la douleur (Pigg et al., 2013). Des rapports concernant des médicaments appliqués indirectement au niveau des tissus buccaux se sont révélés prometteurs (Heir et al., 2008), mais ils manquent de données d innocuité précliniques suffisantes. Parallèlement aux approches pharmacothérapeutiques du traitement, on pense que les méthodes de prise en charge pluridisciplinaires des soins incluant les traitements de psychologie de la santé, comme la thérapie cognitivo-comportementale, la thérapie interpersonnelle et la régulation autonomique (p. ex., méditation, relaxation) pourraient être utiles. Il semble qu aborder les troubles de l humeur et de la personnalité concomitants, lorsqu ils sont présents, est utile compte tenu de leur efficacité dans d autres conditions de douleurs chroniques. Cela s étend aux troubles temporo-mandibulaires (TTM), qui sont concomitants avec la DDAP chez la moitié des patients (List et al., 2007). En outre, il est recommandé d éviter les traitements invasifs et irréversibles qui impliquent une lésion tissulaire locale (c.-à-d., traitement du canal radiculaire, extraction dentaire, mise en place d un implant), car une application répétée de ces procédures dentaires pourrait perpétuer la douleur. En outre, les recommandations concernant les soins auto-administrés ne doivent pas être négligées ; il s agit

notamment de conseils optimistes, de la réduction de la stimulation des tissus affectés, et de la modification des pratiques d hygiène buccale. Pronostic Les résultats des traitements empiriques ont des réponses variables, ce qui signifie que certains patients obtiennent un soulagement significatif de la douleur tandis que d autres n en obtiennent aucun. Les données à long terme, quoique limitées, suggèrent que jusqu à un tiers des patients perçoivent une amélioration considérable, et que 10 % ne ressentent plus de douleur sur une période de sept ans (Pigg et al., 2013). Les interventions dentaires répétées dans la zone dento-alvéolaire douloureuse ne soulagent pas la douleur du patient, et de telles interventions chirurgicales sont associées à la persistance continue de cette douleur. Références Baad-Hansen L, List T, Jensen TS, Leijon G, Svensson P. Blink reflexes in patients with atypical odontalgia. J Orofac Pain 2005;19:239-247. Baad-Hansen L, Pigg M, Ivanovic SE, Faris H, List T, Drangsholt M, Svensson P. Intraoral somatosensory abnormalities in patients with atypical odontalgia--a controlled multicenter quantitative sensory testing study. Pain 2013;154:1287-1294. Heir G, Karolchek S, Kalladka M, et al. Use of topical medication in orofacial neuropathic pain: A retrospective study. Oral Surg Oral Med Oral Path Oral Rad and Endod 2008;105:466-469. Jacobs R, Wu CH, Goossens K et al. A case-control study on the psychophysical and psychological characteristics of the phantom tooth phenomenon. Clin Oral Investig 2002;6:58-64.

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Takenoshita M, Sato T, Kato Y, et al. Psychiatric diagnoses in patients with burning mouth syndrome and atypical odontalgia referred from psychiatric to dental facilities. Neuropsychiatr Dis Treat 2010;13:699-705. Zagury JG, Eliav E, Heir GH, et al. Prolonged gingival cold allodynia: A novel finding in patients with atypical odontalgia. Oral Surg Oral Med Oral Pathol Oral Radiol Endod 2011;111:312-319.