BANQUIERS ET PHILANTHROPES

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Transcription:

SÉVERINE DE CONINCK BANQUIERS ET PHILANTHROPES La famille Delessert (1735-1868) aux origines des Caisses d'épargne françaises Pn.Wace de Charles Milhaud COLLECTION ÉCONOMIES ET SOCIÉTÉS CONTEMPORAINES..lo...-... _ l,,~ _ic""_ï ~_ECONOW

112 BANOUIERS ET PHILANTHROPES: LA FAMILLE DELESSERT (1735-1868) d'institutions d'encouragement à la prévoyance, et en particulier à la Caisse d'épargne de Paris. Son fils, Benjamin, décédé six mois auparavant, le 25 janvier, quoique directeur de la Caisse d'épargne en fit de même 1. Ceci tend à renforcer le caractère exemplaire du geste de Benjamin qui tenait à tout prix à inculquer aux ouvriers la pratique de l'épargne. Chapitre V 1Des itinéraires singuliers * * * La vocation philanthropique des Delessert a incontestablement une origine familiale comme en témoigne leur mobilisation et leur soutien mutuel dans l'action. Et ceci ne constituait pas une simple imitation des activités familières, les Delessert adhérèrent pleinement aux vertus sociales enseignées par leurs parents. Benjamin fut, d'ailleurs, l'un des tous premiers inspirateurs de la philanthropie contemporaine et s'y distingua très largement. Reste que le milieu familial et l'éducation la plus attentive ne font pas toujours des militants. Si ce n'est dans le cadre de ses fonctions de préfet, Gabriel ne s'est guère impliqué dans les œuvres de bien commun. Ainsi plus encore qu'à des origines familiales et à une éducation que le philanthrope n'a pas choisies, il semblerait d'après C. Duprat que les carrières de grands militants soient liées à des cercles d'amis ou de relations 2. Et effectivement, dans toutes les œuvres auxquelles Benjamin et François participèrent, nous retrouvons toujours le même groupe de philanthropes. À l'inverse de leur frère Gabriel, Benjamin et François ont probablement été obligés de se ménager du temps pour se consacrer aux autres. Aussi ont-ils réussi à concilier leurs activités philanthropiques avec leurs carrières professionnelles. 1. Édouard Delessert - fils de Gabriel -, directeur de la Caisse d'épargne, ne fit pas non plus à sa mort, en 1898. de legs à la Caisse d'épargne. 2. C. Duprat, op. cil., p. 1020. Les chapitres précédents ayant montré que les liens familiaux unissant les Delessert étaient très forts, nous serions en droit de nous demander si cette communion familiale permettait de s'épanouir individuellement? Les Delessert ont-ils eu la possibilité de choisir le parcours professionnel qui leur convenait? Afin d'y répondre, nous envisagerons, successivement, de suivre l'itinéraire de Benjamin Delessert puis ceux de ses deux frères. la réussite sociale de Benjamin Un chefd'entreprise Un financier de la haute Banque Appelé par son père à lui succéder en août 1795, Benjamin ne reprit les affaires paternelles qu'en 1796: «malgré tout le désir qu'il en a, il crut convenable d'attendre l'hiver et la fin de la campagne 1.» Enfin, faisant valoir qu'en sa qualité de citoyen suisse il n'était nullement tenu de continuer à servir aux armées, il obtint l'autorisation de rentrer dans sa famille. Chef de la banque familiale à vingt-deux ans, Benjamin fit son entrée dans les affaires en un temps où celles-ci n'étaient pas faciles. La situation économique et sociale, déjà catastrophique, s'aggrava encore. La trop grande quantité d'assignats en circulation avait conduit les membres du Directoire, au pouvoir depuis octobre 1795, à les supprimer en février 1796, car ils ne valaient même plus en pouvoir d'achat le coût de leur revient. Les mandats territoriaux qui les remplacèrent furent en quelques semaines aussi dépréciés que l'avaient été les assi- 1. Lettre de Benjamin à sa mère datée du 9 thermidor 1795, citée E. Join Lambert, op. cil., p. 37.

114 BANOUIERS ET PHILANTHROPES : LA FAMILLE DELESSERT 11735-1868) gnats. On dut, alors, revenir à la monnaie métallique encore p~u nombreuse. Mais cette pénurie de numéraire ne tarda pas a etre couvert par les produits des conquêtes militaires. Enfin l~ dé.c~et du 6 floréal an VI (avril 1796), qui reconnaissait l~ legahte du commerce de l'or et de l'argent et rouvrait les bourses - où se tenaient les assemblées pour la banque, le commerce ~t le ~hange ~upprimées en août 1793 -, permit un r~tour a u~e economle de marché. Benjamin reprit les opérations classiques pour les traites et remises de place en place, et renoua pour autant qu'elles étaient ralenties les relations avec les correspondants de Lyon, de Suisse et d'amsterdam. Il aurait rouvert en 1811 la succursale de Lyon 1. En revanche, on ne relève a~cune. part~cipation de Benjamin aux opérations financières du DIrectOIre, blen que, du fait de ses difficultés de Trésorerie l'état fut contraint, surtout dans les derniers mois de son existe~ce sollicite~ les services des banques privées qui se réorganisè;ent progressi.vement entre 1795 et 1797. De même, il apparaît qu'au lendemam du 18 brumaire, - contrairement à ce qui est mentionné dans certa~nes de. ses bio~aphies, - Benjamin ne faisait pas partie des banquiers qui avancerent douze millions au nouveau gouvernement 2.Ceci e~t attesté par les travaux de L. Bergeron 3. Parmi ces banquiers qui formèrent une société dite des Vingt Négociants réunis dès frimaire an VIII (novembre 1799) - cette société fut dissoute le 29 fructidor en VIII (août 1800) -, on note le nom de quatre maison: protestantes: Perregaux, Mallet, Sévène et Roger frères, exc~pte celle des Delessert. Et lorsque trois mois plus tard, le 18 ve~tose,an :'ID' na!t ~e deuxième société, plus restreinte, celle des. DIX NegOCIants reunls, on ne retrouve que les trois premières malsons,pr~tes~an.tes citées précédemment. Enfin, quand les Dix furent redmts a cmq par un traité du 29 thermidor an X (juillet 1802), Perregaux et Mallet étaient les seuls représentants de la banque protestante sous la nouvelle raison d'association des Banquiers du Trésor public. L'absence de Benjamin Delessert dans ces diverses tractations interpelle car les avances au Trésor étant chèrement rémunérées, elles ne pouvaient que tenter les financiers..dès lors, ceci suggère que n'appréciant pas particulièrement le réglffie consulair~, il n:entendait p~s lui prêter de l'argent. Il en A fut de meme sous 1EmpIre: «sa mmson de banque était connue pour être en opposition constante avec le gouvernement 4.» Par 1. G. Petit-Dutaillis. op. cit.. p. 189. 2. E. Join-Lambert. op. cit.. p. 67. 3. L. Bergeron. op. cit., p. 147 152. 4. B~lletin?u 1~?rumaire an XIV que le ministre de la palice Fauché adressa a Napoleon, cite par J. Bouchary, Les manieurs d argent... op. cit.. p. 107. de T DES ITINERAIRES SINGULIERS ailleurs, Napoléon, qui était méfiant vis-à-vis.de la haute ~?ance, avait recours à elle le moins souvent posslble. En matlere de Finances publiques, il préférait s'appuyer sur des institut~ons qui assuraient l'alimentation régulière des caisses de l'etat, d'où son appui à la constitutism de. la Banq~e de France en 1800. Or ceci impliquait que l'etat alt un droit de regard,et de contrôle sur les décisions de la Banque, dans la mesure ou elle gérait ses fonds et décidait ~e lui. avan~e~ ~e ~'argent. Sur ce point, il se heurta à «cette repub1j~u~ d.ijficlle a g~uverner des chefs de la finance protestante qui e.tment groupe~ autour de Delessert 1.» Benjamin ne partagealt pas, effectlvement, la même vision que l'empereur sur l'organisation ~e la. Banque de France: il souhaitait l'indépendance de cet etabhssement par rapport au pouvoir. La crise de 1805 fou~nit à Nap~léon l'occasion de réformer la Banque à laquelle 11 reprochait les transactions suspectes de certains Régents sur les piastres, une absence de lucidité politique et une mauvaise organisation de l'escompte. La loi du 22 avril 1806 appliqua les principes définis par l'empereur: au lieu d'être gérée par quinze Régents élus, la Banque le fut désormai~ par un gouverneur ~t?eux sous-gouverneurs nommés par l'etat. Trois receveurs generaux entrèrent d'autre part au Conseil réduisant à douze le nombre des Régents élus par les actionn~ires de la Banq~e. Un bras de fer feutré s'installa alors entre l'etat et les banquiers; en 1810, l'empereur tenta d'amadouer certains d'entre e~x e~ les faisant barons malgré eux 2. Le titre de baron de BenJamm Delessert s'inscrit dans cette stratégie: il fut nommé baron par lettres patentes du 19 septembre 1810 3. Malgré son opposition à la dynastie, il fu! ~e financi.er de Louis XVIII, notamment à la suite du Tralte de Pans?u 15 novembre 1815 qui obligeait la France à verser aux vamqueurs une indemnité de guerre de 700 milli?ns, pay~bl;~ en cinq ans, à raison de 100 millions chaque.a~nee. A cecl s ajoutait l'entretien de 150 000 hommes aux frals de la France. Le gouvernement demand~aux mais?ns, ~e,banq~e de lui avancer l'argent nécessaire. MalS celles-cl hes:terent a ~e.lancer. dans des opérations se chiffrant par centame de milhons. Fmale- 1. M. Bruguière. «L'entrée des financiers dans la noblesse française»... op. cit., p. 110.. d l 'h' 2. M. Bruguière, «La Banque de France». Pour une renaissance e IStoire financière 18" 19" siècles. Paris, 1991. p. 400..., " 3. ABDF, Dossier de Régent de B. Delessert. Il n a pas ete la~t bar~n d'empire en 1812 comme ceci est mentionné dans la plupart des notl~es ~1Ographiques qui lui sant consacrées, nota~lment celle. de R. Szramklewlcz. dans Régents et censeurs de la Banque de J' rance, op. CIl.. p. 83. 115

116 BANOUIERS ET PHILANTHROPES: LA FAMILLE DELESSERT (1735-1B68) DES ITINERAIRES SINGULIERS 117 ment deux maisons de banque étrangères, les Baring de Londres et Hope d'amsterdam discutèrent avec le ministre des Finances Corvetto et se chargèrent de lui apporter les fonds nécessaires. Après un premier accord conclu le 22 mars 1817, deux autres prêts furent consentis la même année portant sur un total de 26,7 millions de rentes et une avance de 315 millions de francs. La troisième tranche de ces emprunts aurait associé pour un tiers des banques françaises comme celles de Laffitte et des Delessert 1. Or selon le témoignage du banquier Laffitte, Benjamin aurait participé à l'opération dès le deuxième emprunt encaissant un bénéfice de 1 400 000 F (l'équivalent de 273 kg d'or). Lors du troisième emprunt, il perçut une somme de deux millions de francs (l'équivalent de 390 kg d'or) 2. Dans cette affaire, Benjamin semble plutôt avoir spéculé sur le cours de la rente. En effet, le groupe Baring et Hope avait obtenu du gouvernement le privilège de payer les rentes à un prix plus faible que celui du cours de la bourse. Ces rentes achetées en gros au ministre étaient ensuite revendues au détail aux particuliers mais au cours réel de la bourse, d'où un gain substantiel pour les banquiers. Le règne de Charles X fut moins favorable à la haute Banque, le Premier ministre Ultra, Villèle, fidèle appui de la monarchie légitime, répugnait à avoir affaire à des banquiers classés comme libéraux. En revanche, sous la Monarchie de Juillet, la haute Banque joua de nouveau un rôle prépondérant, notamment Benjamin dont la maison de banque était parmi celles mises en avant par le nouveau régime. Les emprunts d'état, qui étaient fort abondants, continuèrent à représenter une activité fort lucrative pour les banquiers, d'autant qu'ils leur étaient soumis à des taux très avantageux. Sa réputation de financier émérite n'a pu être que renforcée par sa nomination au Conseil de Régence de la Banque de France, le 12 octobre 1802 3. Cette fonction était considérée comme un poste clef dans le monde des affaires, car les régents avaient le privilège de posséder les premiers certaines informations précieuses; ils étaient admirablement bien placés pour apprécier la valeur des entreprises dont les titres viennent sur le marché, le mouvement des capitaux, les variations du taux de l'escompte et pour opérer au bon moment des avances sur titres et autres mesures 4. 1. A. Jardin et A.-J. Tudesq, La France des notables, t. 1, 1973, p. 38 et 56. 2. J. Laffitte, Mémoires de Laffitte, Paris, 1932, p. 106, 107, 114. 3. ABDF, Dossier de Régent de Benjamin Delessert. 4. A. Plessis, Régents et gouverneurs de la Banque de France sous le second Empire, 1985, p. 11. La fondation de la Banque de France, en février 1800, s'inscrivait dans une politique de redressement et de réorganisation du système bancaire et financier qui s'était révélée nécessaire dès l'époque du Directoire: la Révolut~on aya~t gravemen~ perturbé le système de crédit ~t le marc~e financier. Or maigre des projets de banque successifs - la CaIsse de~ co~ptes courants en juin 1796, puis en novembre 1797 la CaIsse d escompte du commerce -, on ne parvint pas à bâtir un système cohérent. Pourtant l'état comme la haute Banque parisienne souhaitaient vi~ement l'élaboration d'un nouvel appareil financier. L'un ressentait la nécessité de pouvoir s'appuyer sur un établissement financier puissant apte à financer au Trésor soit des avances régulières. soit en cas de besoin des prêts extraordinaires. L'autre aspirait à se voir faciliter l'escompte et à reprendre des activités proprement bancaires. Après la création de la Caisse d'amortissement le 6 frimaire an VIII (27 novembre 1799) par l'état consulaire pour résoudre ses problèmes de crédit, un groupe de banquiers conduit p~ Lecouteulx et Perregaux, et appuyé par le conseiller d'etat Créte~, jugea le moment venu, dès le 6 janvier 1800, de reprendre l'eternel projet d'une banque qui pratiquerait l'escompte, le dépôt et l'émission de billets à vue ou à ordre mais protégée par le gouvernement 1. Bonaparte se montrant favorable, à ~ette nouv~lle banque qui répondait à ses attentes, on p~oceda ~ ~on or~a~lsation et à la constitution de son capital qul fut fixe a 30 ml1hons de francs en monnaie métallique et divisé en 30 000 actions de 1 000 F. Dès 1801, tout en développant l'escompte, elle fut en mesure de consentir au Trésor les premières avances. La grosse souscription de Benjamin Delessert au capital de la Banque lui valut de faire partie, dès sa création, des deux cents plus forts actionnaires qui réunis une fois p::u- an. en Assemblée générale représentaient l'ensemble des actlonnaires de la Banque de France et élisaient les Régents et Cen~eurs 2. Lesquels, au nombre de dix-huit (quinze Régents et.trol~ ~enseurs indéfiniment rééligibles), siégeaient au ConSeIl general, 1. M. Bruguière, «La Banque de France», op. cit., p. 39.8.... 2. En 1808, date à laquelle la plus grande pa;tie du capl~al.etmt ~ou~c.nte et que la Banque apparaissait comme u.n or.gam~me cons?hde e~ ~efin~tlvement constitué, la banque Delessert et Cie detenmt 155 actions. SI 1~n ajoute les 157 actions personnelles de Benjamin et les 26 a~tions d~ ~rançols D:les, sert, on arrive à un total de 298 actions. Ces donnees ont ete empruntees a L. Bergeron, op. cit., p. 124. Pour avoir le droit de ~iéger ~ l'ass.emblé~générale de la Banque ou pour exercer la fonction de Regent, 11 fall~lt ~ossed.er l~ nationalité française. Ceci nous induit donc à penser que BenJamm avait du l'obtenir ou la demander.

118 BANOUIERS ET PHILANTHROPES: LA FAMILLE OELESSERT 11735-1868) OES ITINERAIRES SINGULIERS 119 véritable organe décisionnel de la Banque, au côté de trois fonctionnaires nommés par l'état formant le Gouvernement de la Banque, au sens strict 1. Le 12 octobre 1802, Benjamin, âgé seulement de vingt-neuf ans, fut élu par l'assemblée générale des actionnaires pour le douzième siège de Régent, en remplacement de M. Basterreche décédé 2. Il fut le plus jeune Régent de l'histoire de la Banque et occupa ce poste durant quarante cinq ans. Son entrée au Conseil résultait moins de son expérience sérieuse des affaires que d'un appui bienveillant des membres du Conseil de régence déjà en place. En effet, même s'il était stipulé dans les statuts que les membres du Conseil devaient être élus par les actionnaires, on constate que ces derniers ratifiaient dans une large mesure une cooptation décidée de fait par les administrateurs de la Banque. Benjamin a sûrement dû bénéficier de l'assentiment des banquiers de la haute Banque protestante qui conservaient la prépondérance au sein du Conseil général. De plus, il devait épouser les mêmes conceptions que ses collègues sur les intérêts de la Banque. Consensus d'autant plus nécessaire que la constitution et la consolidation de cet organisme n'en étaient qu'à ses débuts. Enfin, son accession à la fonction de Régent procédait de sa volonté personnelle de faire partie de ce petit cercle. Tout en étant auréolée de prestige, celle-ci permettait, nous l'avons déjà signalé, d'obtenir un surcroît de puissance exceptionnelle dans le monde des affaires. Les fonctions qui étaient attachées à ce titre exigeaient une venue fréquente rue de la Vrillière. Aux séances ordinaires du conseil, chaque jeudi, s'ajoutaient les convocations extraordinaires, les participations régulières aux comités, les rapports qu'il fallait rédiger. Benjamin Delessert s'acquitta de ses tâches avec assiduité et quasi bénévolement, puisque les jetons de présence, valant chacun six francs, qu'il percevait à raison de deux par séance du Conseil ou d'un comité, était pour lui et ses collègues une rémunération essentiellement symbolique. Benjamin, qui avait intégré le Conseil général quasiment dès sa création, participa tant à son organisation qu'aux décisions inhérentes à son fonctionnement et à sa bonne marche. En 1. Cette composition du Conseil date de la loi du 22 avril 1806 et resta inchangée jusqu'en 1936. Antérieurement le Conseil de Régence comprenait 15 Régents et 3 Censeurs qui élisaient un Comité Central de trois membres qui était chargé de l'cnsemble de la direction de la Banque. (statuts primitifs de la Banque du 24 pluviôsc an VIII). 2. ABDF, Dossier de Régent de Benjamin Delessert. Pour rédiger cette partie nous nous sommes inspirés de A. Plessis, Régents et Censeurs de la Banque de France sous le second Empire, op. cit.. p. 10-20. 1803, il fit partie des quatre régents chargés de négocier l'absorption de la Caisse d'escompte du commerce fondée en 1798. La même année, le 28 mars, il fut au cœur des mesures qui aboutirent, après l'adoption du système métrique, à la définition du franc germinal, et quelques jours après, à l'octroi du privilège d'émission à la Banque de France, à Paris, pour quinze ans. En août, toujours avec trois délégués, il chercha les moyens d'aider le commerce. En février 1806, il se concerta avec le gouvernement sur les réformes à réaliser après la triste affaire des négociants réunis. En 1807, il fut dans la commission chargée de rédiger les nouveaux statuts de la Banque et, en 1814, dans celle qui fut formée pour aider le gouvernement à prévoir les mesures urgentes nécessitées par la crise de l'empire. En octobre 1830, Benjamin appuya et obtint d'autres financiers l'octroi d'un crédit de trente millions au commerce et à l'industrie sous forme de prêts ou de secours par l'intermédiaire du petit Comptoir d'escompte. En avril 1833, il déposa un rapport favorable à l'élargissement des avances sur titres, et cette activité accrue commença en 1834. Il s'opposa, en 1836, à la création de nouveaux comptoirs de la Banque en province mais ils furent créés 1. Dix ans plus tard, bien que son grand âge ne lui permette sans doute pas de suivre activement toutes les décisions, il s'opposa de nouveau à la constitution d'un comptoir à Alger. Entrepreneur moderne, Benjamin Delessert s'intéressa aussi à l'industrie et décida comme une poignée de manufacturiers de profiter des circonstances post-révolutionnaires pour réaliser en France ce qui avait déjà été réussi en Angleterre, confirmant ainsi son esprit d'initiative. Un industriel avisé Fasciné par les progrès de la révolution industrielle en Angleterre, où il avait effectué plusieurs voyages d'études, Benjamin fonda, en 1800, la Société d'encouragement pour l'industrie nationale sur le modèle de la Société londonienne d'encouragement des Arts, des manufactures et du commerce 2. Cette société d'émulation, dont la vocation initiale était de diffuser l'instruction technique, se proposait également de grouper et de provoquer découvertes et expériences en subventionnant et en récompensant les inventeurs. Car ses 1. G. Ramon, Histoire de la Banque de France d'après les sources originales. Paris. 1929. passim. 2. E. Join-Lambert, op. cit., p. 100.