La reconnaissance mutuelle des diplômes d'enseignement supérieur au service de la libre circulation des professions libérales



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UNIVERSITE DU DROIT ET DE LA SANTE LILLE II Faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales DEA droit international et communautaire La reconnaissance mutuelle des diplômes d'enseignement supérieur au service de la libre circulation des professions libérales Roidi Konstantina Mémoire de recherche Sous la direction de Patrick Meunier Année universitaire 2000-2001

SOMMAIRE (Les numéraux renvoient aux pages) INTRODUCTION.3 PARTIE I. Moyens d encouragement de la mobilité professionnelle....10 CHAPITRE I. Les systèmes sectoriels de la reconnaissance mutuelle des diplômes...11 CHAPITRE II. L évolution vers un système générale de reconnaissance des diplômes....41 PARTIE II. Les obstacles à la réalisation de la mobilité professionnelle.59 CHAPITRE I. Un système de reconnaissance aux effets encore limités 59 CHAPITRE II. Les entraves dues à la position nationaliste de certains Etats membres 82 CONCLUSION 110 1

TABLE DES ABREVIATIONS (par ordre alphabétique) Affaire : aff. Alinéa : al. Annexe : ann. Article : art. Association : assoc. Avocat général : av. gén. Bulletin des Communautés européennes : Bull. CE Code de déontologie : C. déont. Commission des Communautés européennes : Comm. CE Conclusion : concl. Conseil d Etat : CE Cour de justice des Communautés européennes : CJCE Directive : dir. Edition : éd. Idem : id. Journal officiel des Communautés européennes : JOCE Observation : obs. Page : p. Recueil : Rec. Tribunal de première instance : TPI 2

1. Le droit individuel à la libre circulation et à la libre installation accordé aux ressortissants des Etats membres constitue un des grands caractéristiques de la construction communautaire. Ce droit fondamental est garanti par une action positive, qui lui donne son contenu concret et encourage son usage. La reconnaissance mutuelle des diplômes et des qualifications constitue l un des volets indispensables de cette action et permet d éliminer les diverses barrières qui dominent encore à cet espace, dans le quel les frontières ne devraient plus faire obstacle à la libre circulation des personnes. L article 47 alinéa 1 prévoit qu «Afin de faciliter l accès aux activités non salariées et leurs exercice, le Conseil, sur proposition de la Commission et en coopération avec le Parlement européen, arrête, en statuant à l unanimité au cours de la première étape et à la majorité qualifiée par la suite, des directives visant à la reconnaissance mutuelle des diplômes, certificats et autres titres» 1. L enseignement supérieur est ici directement concerné, les universités et autres établissements délivrant des diplômes susceptibles de faire l objet de ladite reconnaissance. Une lecture rapide de cette disposition pourrait faire croire que la reconnaissance mutuelle des diplômes n est recherchée par le traité qu en vue de faciliter la circulation des personnes. Cela ressort expressément de la lettre même du texte. On peut cependant estimer à l instar de J.P. de Crayencourt, que la liberté de circulation n est pas un but en soit, mais qu elle est recherchée à son tour en vue de faciliter l intégration européenne, la construction de la Communauté 2. En effet, s il ne s agissait que de faciliter la circulation des personnes, il est clair qu il faudrait tendre à supprimer toute exigence de diplôme : c est la disparition de cette exigence qui entraînerait le maximum de facilité. Il faut donc admettre que cette action s inscrit dans un objectif plus large, celui de bâtir la Communauté, et que c est en fonction de cet objectif là qu il faut faciliter les choses. La reconnaissance mutuelle des diplômes a donc pour but de permettre, dans toute la mesure du possible, que la circulation des «gens» compétents ne soit pas abusivement entravée. 1 La procédure d adoption des directives de reconnaissance mutuelle des diplômes est modifiée par le traité sur l union européenne : le principe est l application de la procédure visée à 1'article 251 qui renforce la position du Parlement européen. Seules «les directives dont 1'execution dans un Etat membre au moins comporte une modification des principes législatifs existants du régime des professions en ce qui concerne la formation et les conditions d accès de personnes physiques «sont adoptées selon une procédure différente : «le Conseil statue à l'unanimité, sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen», procédure qui cette fois-ci avantage le Conseil. 2 J. P. de Crayencour, «.La reconnaissance mutuelle des dip1ômes dans le traité de Rome», Revue du Marché Commun 1970, p. 448. 3

2. De ce fait, l objectif de «faciliter l accès» par la reconnaissance de qualifications délivrées par d autres Etats membres est certainement atteint, s il s agit d activités pour lesquelles la possession d une qualification professionnelle constitue une condition d accès, par exemple pour les médecins ou les pharmaciens. Mais qu en est-il des qualifications qui ne constituent pas une condition d accès comme par exemple celle d ingénieur civil salarié dans l industrie privée? Dans ce cas, une «reconnaissance» de la qualification ne serait pas nécessaire au sens strict du mot. Toutefois, il serait très utile aux intéressés de pouvoir faire valoir que leur diplôme d ingénieur, délivré par une université d un autre Etat membre, est équivalent en France, aux diplômes délivrés par l Ecole des mines, par exemple. En pratique, il sera aussi indispensable que les intéressés puissent faire état de leurs titres professionnels et de leur titre de formation. Or, rien ne paraît s opposer à ce qu il soit fait recours à l article 47 afin de régler ces questions 3. Toutefois, force est de constater que, jusqu à présent, la Communauté n est intervenue que dans le cadre d activités professionnelles réglementées. La question est donc complexe car elle revêt de multiples aspects. La reconnaissance mutuelle des diplômes est, en effet, liée en particulier à la réforme des études, elle-même tributaire des moyens financiers des Etats. Il est donc nécessaire de délimiter le sujet et surtout de s en tenir aux bases juridiques du traité. C est pourquoi, il est important de déterminer la base juridique applicable en la matière. L article 47 du TCE fixe le but à poursuivre, qui consiste à faciliter l accès aux activités non salariées et leur exercice. Cette facilité doit être bien comprise. Elle concerne les obstacles qu un professionnel peut rencontrer à l accès à des activités professionnelles en raison de sa nationalité et plus précisément de la nationalité de son diplôme, et non pas les difficultés qu il rencontrera et devra surmonter dès lors qu il s agira pour lui de prouver sa compétence. Les rédacteurs du traité de Rome n ont jamais pensé, par cet article, rendre les exigences de formation plus faciles. Ce contre-sens étant écarté, il convient de préciser l objectif à atteindre. Il s agit à la fois de supprimer les obstacles tenant à la nationalité, c est à dire rendre les diplômes équivalents, et d assurer, par la détermination de cette équivalence, le niveau d exigence le plus élevé possible, compte tenu des situations existant dans les Etats membres. 3 Dans ce sens, voir J. Pertek. «La notion d activité réglementée», dans les Actes du colloque «Reconnaissance générale des diplômes et libre circulation des professionnels», Institut européen d administration publique, Maastricht 1992, p. 19. 4

Puisqu il s agit de faciliter l accès ou l exercice, cela suppose qu il y ait une difficulté à surmonter. Le diplôme national doit constituer une exigence légale au moins dans un état membre, soit pour l accès à l activité, soit pour le port d un titre. La comparaison va donc s établir entre les diplômes légaux des Etats membres. En revanche, il n est pas possible de prendre en considération des diplômes non reconnus par l Etat 4. Toutefois, selon?. de Crayencour, il ne faut pas interpréter cet article comme ne pouvant être d application que si, dans un Etat membre au moins, il existe une exigence légale en matière de formation ; «cet article semble, au contraire, une base suffisante pour justifier (...) l établissement de conditions légales de formation dans un secteur d activité où elles n existent actuellement dans aucun Etat membre mais où, par la mise en oeuvre de la liberté de circulation des personnes et la construction de la Communauté, il apparaît utile, voire nécessaire, d établir de telles conditions». 3. A l article 47 du TCE se sont visés expressément les termes «accès et exercice». Certains estiment que par la notion d accès, situé dans le cadre du droit d établissement, il faut entendre l accès aux activités en passant d un Etat membre à l autre. Selon cette interprétation, les décisions de reconnaissance mutuelle des diplômes ne seraient pas applicables à un national ayant fait ses études dans un autre Etat membre et voulant accéder à l activité dans son Etat membre d origine. Cette interprétation est contraire à l esprit du traité, une décision de reconnaissance devant bénéficier à tous les ressortissants des Etats membres. En revanche, on peut se demander si la reconnaissance mutuelle des diplômes est une condition préalable à la réalisation du droit d établissement. On peut penser que si cette reconnaissance mutuelle doit intervenir dès qu une condition de formation est exigée dans un Etat membre pour l accès à une activité, elle n est pas une condition préalable au droit d établissement 5. Sur le plan juridique en effet, ce droit est acquis dès que sont supprimées, dans les législations des Etats membres, les restrictions discriminatoires qu elles comportent à l égard des ressortissants des autres Etats membres. Exiger une condition de formation n est pas une discrimination si l étranger peut, en droit, acquérir ce diplôme. C est bien pourquoi, «faciliter l accès» peut signifier que, juridiquement, cet accès est déjà acquis mais que, 4 voir dans ce sens : J.P. de Crayencour précité, p.453 et J.M. Laslett, «The Mutual Recognition of Diplomas, Certificates and other Evidence of Formal Qualifications in the European Community», in Legal issues of European integration, Law review of the europa institut, university of Amsterdam, 1990/1, p. 2. 5 voir dans ce sens de Crayencour et Laslett, précités. 5

pratiquement, il faut le faciliter par la reconnaissance mutuelle des diplômes. Cependant, pour les professions médicales, paramédicales et pharmaceutiques, cette reconnaissance mutuelle des diplômes semble être une condition préalable à la réalisation du droit d établissement. Le traité de Rome prévoit en effet : «En ce qui concerne les professions medica1es, paramédicales et pharmaceutiques, la libération progressive des restrictions sera subordonnée à la coordination de leurs conditions d exercice dans les différents Etats membres». Faut-il considérer que les conditions de formation sont implicitement contenues dans les conditions d exercice visées à cet article? Selon J.P. de Crayencour, dans le cadre de ces professions, la reconnaissance mutuelle des diplômes est effectivement un préalable au droit d établissement. Il en veut pour preuve les propositions de directive concernant ces domaines d activité et visant la coordination des conditions d exercice, ces propositions comportant toujours et principalement les dispositions nécessaires à la reconnaissance mutuelle des diplômes 6. Il convient enfin de se demander ce que recouvre la notion «d exercice». La majorité des diplômes, bien que ne constituant pas une condition légale à l accès à une activité, sont une condition légale au port d un titre professionnel déterminé 7. Dans ce cas, on peut penser qu il n y a pas lieu de faciliter l accès à l activité puisque, par hypothèse, cet accès demeure libre. Cependant, il est évident que le droit de porter un titre professionnel constitue un élément décisif de l exercice d une telle activité. De ce fait, la notion d exercice semble renvoyer à la question du port des titres professionnels. L objectif de la reconnaissance mutuelle des diplômes est professionnel en ce sens que cette reconnaissance doit avoir directement ou indirectement pour conséquence de faciliter l accès à des «activités». Mais il n est pas nécessaire qu un diplôme déterminé, pour faire l objet d une comparaison en vue de la reconnaissance mutuelle, constitue une condition légale à une activité déterminée 8. Il existe, en effet, de nombreux diplômes polyvalents, donnant accès à plusieurs activités professionnelles différentes 9. Dans ce cadre, doivent également être pris en compte les titres professionnels qui constituent un élément décisif de l exercice d une activité. Cette distinction entre la réglementation de l accès à l activité et la seule réglementation du titre professionnel peut parfois paraître un peu subtile et elle n est pas 6 On peut d'ailleurs remarquer que le traité dit de Maastricht a repris cette formule, a1ors que le reste de l article 47 a subi des modifications. Ceci tendrait à confirmer la spécificité des professions médicales, paramédicales et pharmaceutiques. 7 Pour une présentation des éléments constitutifs du titre?r?fessi?nnel, voir J. Pertek, Actes du colloque précité, p. 25. 8 Voir la position de de Crayencour, p. 454 et de Laslett, p. 3. 9 Le «first degree» au Royaume-Uni en est un exemple. 6

toujours facile à établir. Toutefois, on peut estimer que la réglementation d une activité a pour objet d interdire l accès de cette activité à quiconque ne répond pas à certaines conditions, plus particulièrement de formation. La réglementation d un titre professionnel. au contraire, laisse l accès à l activité entièrement libre, mais impose à celui qui veut se prévaloir d un titre des conditions légales, et plus particulièrement des conditions de formation. Dans le cadre de l article 47 du TCE, sont alors concernées non seulement les activités dont l accès est subordonné à la possession d un diplôme, mais en outre les activités exercées sous un titre professionnel déterminé. En conclusion, la référence à la notion d activité semble limiter le domaine d application de l article 47 à la reconnaissance professionnelle des diplômes. L arrêt «Erasmus» soutient cette analyse 10. Dans cette affaire, la Cour a été amenée à s interr?ger sur les relations entre l article 151 du TCE (ex. art. 128) et l article 47 du TCE (ex. art. 57) 11, le programme Erasmus comportant une action relative aux mesures visant à promouvoir la mobilité par la reconnaissance académique des diplômes et des périodes d études. Pour les juges, «l article 57 a une pertinence certaine pour délimiter la portée de l article 128». Les mesures tendant à la reconnaissance mutuelle des diplômes, «même si elles concernent le domaine de la formation professionnelle, ne relèvent pas de 1 artic1e 128». Mais l action prévue par le programme Erasmus n appartient pas au «domaine d application exclusif de l article 57 du traité», car les mesures prévues dans ce cadre ont «un caractère préparatoire et incitatif par rapport à la reconnaissance académique envisagée qui, en tant que telle, ne fait pas l objet de l action». Ainsi, il semble que pour la Cour, ce soit «le caractère contraignant ou incitatif des mesures qui dessine la ligne de partage entre le champ d application de l article 57 et celui de l article 128 en matière de reconnaissance». Au- delà de la solution d espèce, il est alors possible, selon J. Pertek, de tirer l enseignement suivant : la «reconnaissance académique peut relever de l article 57 CEE, ainsi que l affirme la Cour, contrairement à l interprétation généralement admise et à la pratique suivie en la matière». Si cette interprétation se confirmait, on assisterait à une petite révolution dans le domaine de la reconnaissance des diplômes et donc de l enseignement supérieur 12. 10 Affaire 242/87, «Commission des Communautés européennes c/ Conseil des Communauté. Européennes», du 30 mai 1989, Rec. 1989, p. 1425. 11 Articles 151 et 47 après le traité d Amsterdam. 12 J. Pertek, note sur l arrêt Erasmus : «Un arrêt d une grande importance sur des questions de principe», Revue trimestrielle de droit européen, 1991, p.136. On signa1era toutefois, que dans le traité de Maastricht, la reconnaissance académique fait partie des actions envisagées, par l article 126 consacré à l éducation. De ce fait, il n y aurait plus de discussions quant à la base juridique pertinente en la matière. 7

4. Même si l article 47-1 du TCE est formel sur ce point, l objectif du traité, en matière de reconnaissance mutuelle des diplômes, est l accès à toutes 1es activités de la vie économique et sociale. Un tel objectif doit être atteint, quel que soit le statut de l intéressé 13. Un médecin par exemple, travaillant à temps plein dans un hôpital, a le même intérêt à bénéficier de cette reconnaissance mutuelle des diplômes que le médecin de libre pratique. Par renvoi de l article 55, les dispositions de l article 47 du TCE sont applicables en matière de prestation de services. Cependant, il se peut que, dans certains cas, pour étendre cette reconnaissance aux salariés, des adaptations de texte soient nécessaires. On peut alors estimer que, pour réaliser l extension des dispositions de reconnaissance mutuelle des non salariés aux salariés, la procédure la plus simple consiste à introduire dans les directives en question le visa de l article 39 du traité relatif à la libre circulation des travailleurs. Toutefois, les activités sa1ariées présentent des spécificités. Ainsi, souvent dans ce cadre, la possession d un diplôme ou d un titre de formation n est pas exigée par la réglementation étatique pour occuper un emploi, mais elle constitue un élément déterminant de l accès à l emploi. Selon J. Pertek, «la reconnaissance pourrait alors s étendre aux diplômes et titres préparant à l exercice d une profession ou d un emploi, sans être indispensable à cet effet». Or, l arrêt «Erasmus» précité, semble permettre l extension de la reconnaissance des diplômes à des fins professionnelles en dehors des seules activités réglementées 14. Toutefois, force est de constater que cette possibilité n a pas été utilisée jusqu à présent. Cependant, malgré cette extension vers les activités salariées, l article 47 ne vise expressément que les professions non salariés, c est à dire les professions libérales, et ce sont ces dernières qui vont nous occuper à notre analyse. Mais la question qui se pose, c est qu est ce que on entend par le terme «profession libérale». On en trouve une définition dans le Vocabulaire Capitant, à l adjectif «libéral : du latin liberalis : noble, généreux». Cette notion, «sert à caractériser, bien qu elles soient de plus en plus réglementées, certaines professions d ordre intellectuel, en raison de l indépendance qu exige leur exercice. Par exemple la profession d avocat est une profession libérale». A priori, la profession libérale s oppose aux professions commerciales, ou artisanales, qui ne sont pas d ordre intellectuel, mais aussi au salariat qui en principe ne dispose pas de 13 Sur la nécessité de la reconnaissance mutuelle des diplômes dans le cadre des activités salariées, voir J. Pertek, «La reconnaissance mutuelle des diplômes de l'enseignement supérieur», Revue trimestrielle de droit européen, oct-dec 1989, p. 626-627. 14 J. Pertek, article précité, Revue trimestrielle de droit européen, 1991. p. 136. 8

l indépendance. Ce n est pas facile de dresser une liste exhaustive de toutes les professions libérales. Traditionnellement, on considère comme telles les avocats, les médecins, les architectes. Mais sans doute faut-il y ajouter les officiers ministériels, ou du moins certains d entre eux, comme les notaires. La profession libérale se caractérise surtout de deux éléments. Tout d abord de son caractère libéral bien sûr et ensuite de son indépendance. Le terme libéral se rapproche du terme libre, c est à dire non réglementé. Mais, comme le remarque le Doyen Cornu dans le Vocabulaire, les professions libérales sont de plus en plus réglementées. C est l accès des professions libérales qui est réglementé. Dans l intérêt du public, la réglementation exige que le professionnel justifie de conditions de diplômes et de moralité et cela n a jamais été contesté. De l autre côté, l indépendance a toujours été une revendication majeure des professions libérales. Tout d abord par le terme indépendance on entend une indépendance à l égard des pouvoirs publics. Mais l indépendance signifie aussi que le membre d une profession libérale doit être son propre maître. C est au nom de l indépendance qu on a longtemps repoussé toute possibilité d un salariat, parce qu il y a une antinomie entre salariat et indépendance. Cependant, les réalités sociales et économiques, montrent que l indépendance peut trouver à s exercer dans le salariat. C est le cas surtout des médecins, des architectes et même des avocats qui réussissent à combiner les deux sortes d exercice d une activité. Pour conclure, l article 47 pose comme objectif la réalisation de la libre circulation des professionnels, mais la question qui se pose, c est comment on arrivera à la réalisation de cet objectif. La réponse est donnée par l article même, qu à son deuxième paragraphe se réfère à la reconnaissance mutuelle des diplômes au sein de Union, comme moyen pour atteindre l objectif posé (Partie I). Cependant, la situation n est pas toujours évidente, et en pratique il y a des nombreux problèmes qui se posent et qui constituent des entraves importantes à la mobilité professionnelle (Partie II.). 9

5. Les termes employés par l article 47 du TCE ne se bornent pas à fixer le but à poursuivre : «faciliter l accès aux activités non salariées et leurs exercice», mais avancent aussi plus loin, en démontrant le moyen qui doit être utilisé afin d atteindre cet objectif : «la reconnaissance mutuelle des diplômes, certificats et autres titres». Le traité de Rome utilise l expression «reconnaissance mutuelle des diplômes» et non «équivalence des diplômes». Selon de Crayencour, cette dernière expression concerne l équivalence matérielle ou académique des programmes d études, mais ce n est pas de cela qu il s agit ici. Non pas que les diplômes reconnus mutuellement ne doivent pas présenter une certaine équivalence, mais le degré d équivalence exigé pour la reconnaissance mutuelle n est pas celui qu impose une équivalence académique 15. Il faut donc distinguer d une part un premier niveau d équivalence nécessaire à la reconnaissance mutuelle des diplômes et qui concerne l ensemble des conditions de formation et d autre part un second niveau d équivalence qui a trait plus spécifiquement aux seuls diplômes et qui concerne de façon plus détaillée, à la fois les programmes d études et les méthodologies d enseignement. Dans ce dernier cas, on a l habitude de parler d équivalence matérielle ou objective ou encore académique. Il est important de bien distinguer ces deux niveaux dans la comparaison des formations. Il est clair que les autorités académiques sont plus spécialement intéressées au deuxième niveau d équivalence ; pour atteindre ce niveau, on se montre plus exigeant dans le processus de comparaison des études, car ce qui est alors en cause, c est principalement le type, le niveau et la qualité d un enseignement déterminé. En matière de reconnaissance mutuelle des diplômes, il ne s agit pas à proprement parler d apprécier la valeur d un enseignement. Ce qui est en cause, c est le droit d exercer l activité professionnelle. Plus que les universités, ce sont les Etats et les pouvoirs publics qui sont ici les premiers intéressés. Ainsi, le niveau d équivalence exigé pour permettre d imposer aux Etats membres la reconnaissance mutuelle n est pas le même que celui qui engage les universités et les Etats sur l équivalence académique de deux types d enseignement. Une autre question concerne le caractère objectif de la reconnaissance par opposition à une reconnaissance des qualifications d autres Etats membres qui ne bénéficierait qu aux seuls ressortissants des autres Etats membres. Pour prendre un exemple, la reconnaissance des 15 J.P. de Crayencour, «La reconnaissance mutuelle des diplômes dans le traité de Rome», Revue du marché Commun 1970, p. 448. 10

diplômes français en Grèce bénéficie-t-elle uniquement aux ressortissants des autres Etats membres ou également aux ressortissants grecs qui, ayant obtenu une qualification en France, voudraient s établir en Grèce? L article 47 du TCE n établit nullement une telle limitation de sa portée. On peut signaler aussi que le Conseil et la Cour de justice ont partagé cette interprétation : la liberté d établissement bénéficie aux nationaux de tous les Etats membres, y compris ceux de l Etat membre d accueil 16, ceci confirmant l analyse qui a été faite à propos de la signification du terme «accès». Plusieurs positions ont été exprimées face à l article 47 du TCE. Les uns ont pensé à l équivalence académique des seuls diplômes et ont été par conséquent amenés à exiger une parfaite comparabilité des programmes et des méthodologies d enseignement. Les autres, conscients de la difficulté d atteindre cette équivalence académique, ont proposé une reconnaissance mutuelle généralisée des diplômes, cherchant ainsi à obtenir des Etats la reconnaissance mutuelle des diplômes tels qu ils existaient. Enfin, une solution intermédiaire visait à établir dans les textes les bases communes des conditions de formation en les fixant au niveau le plus élevé possible. Puisque qu au moment de l adoption du traité il ne pouvait être question de la reconnaissance académique des diplômes dans le cadre de l article 47 du TCE, le débat allait donc se situer entre les partisans de la méthode sectorielle, définissant des équivalences par domaine d activités (Chapitre I.) et les défenseurs de la méthode globale, visant à une reconnaissance généralisée (Chapitre II.). Pourtant il faut signaler que rien dans le traité ne s oppose à réaliser la reconnaissance mutuelle des diplômes par n importe quelle autre méthode technique. CHAPITRE I. Les systèmes sectoriels de la reconnaissance mutuelle des diplômes 6. Dans le cadre des systèmes sectoriels de la reconnaissance mutuelle des diplômes, il faut fixer des critères constituant des exigences minima et auxquels les Etats membres vont accepter de conformer leurs systèmes d enseignement. Il s agit des minima parce qu il faut éviter de porter atteinte à la liberté des Etats et des universités d organiser leur enseignement selon leur volonté propre. Les minima, dont il est question, ont pour objet d apporter aux Etats membres les garanties nécessaires pour la mise en œuvre de la liberté de circulation des 16 Voir par exemple l affaire 115/78, «Knoors», 7 février 1979, Rec. 1979, p. 399. 11

personnes. Selon cette méthode, il s agit de déterminer les conditions de formation reconnues en commun comme indispensables et de les fixer au niveau le plus élevé possible, compte tenu notamment des besoins et du développement des connaissances. Ce qui présente un intérêt important dans cette méthode, c est le champ laissé à la liberté des Etats et des universités à l intérieur d un cadre présentant les garanties nécessaires et suffisantes. Les critères les plus utilisés sont au nombre de cinq : durée globale en année de la formation, nombre d heures total, matières obligatoires, répartition des heures par matière, conditions du stage. C est le cumul de ces critères qui offre à la fois les garanties nécessaires et le maximum de souplesse. Cette méthode, ne s applique valablement que dans les limites de l objectif que prévoit le traité en matière de reconnaissance mutuelle des diplômes. Il est donc capital de bien distinguer cet objectif de toute autre problème ou préoccupation relevant du domaine culturel au sens large, en particulier la réforme des enseignements et des universités. Bien sûr, en fixant des critères, on se prononce fondamentalement pour une certaine direction dans la quelle devront s effectuer ensuite des reformes 17. Mais il faut d abord amener les Etats membres à reconnaître mutuellement des bases minima de formation, ce qui est beaucoup moins complexe que d obtenir leur accord sur des équivalences académiques, et les incitera ensuite à accélérer la mise en commun des reformes de leurs enseignements. Cette méthode présente l avantage d imposer en général dans un premier temps la recherche d une définition communautaire du contenu de la formation, nécessitant éventuellement une modification des dispositions nationales. La reconnaissance résultant de la coordination ainsi assurée, va se traduire par la détermination d une liste de diplômes délivrés dans les Etats membres qui répondent à ces exigences. En revanche, l inconvénient majeur de cette procédure est sa lenteur. On pourrait dire que c est la seule objection digne d être retenue à l encontre de l approche sectorielle de la reconnaissance. En effet, d autres objections ont été formulées mais celles- ci sont toutes contestables 18. 7. On a notamment fait valoir que la fixation de critères minima comme base de la formation future risquait de bloquer la nécessaire adaptation des systèmes et structures d enseignement. Mais cette objection apparaissant à première vue parfaitement fondée n est pas difficile à la contester. Dans le cadre de la reconnaissance professionnelle, il ne s agit pas de définir dans le détail un programme et des méthodes, mais uniquement de fixer un seuil au 17 Voir à ce propos de Crayencour précité, Revue du Marché Commun 1970, p. 450. 12

dessous du quel programmes et méthodes ne peuvent pas descendre, pleine liberté étant laissée par ailleurs d aller au- delà. La méthode laisse donc un large champ à la liberté des Etats et des universités dans l organisation de leurs enseignements à partir de cette base. Une autre objection faite à la méthode des critères dits minima, consiste au fait qu elle peut aboutir à un progressif abaissement du niveau des enseignements. Faut- il en effet craindre que les Etats connaissant des exigences plus élevées que les minima abaissent leur enseignement à ce niveau? Pour contester cette objection, on peut très bien penser que les gouvernements attacheront plus d importance à la qualité de leurs études, susceptibles de s imposer dans l ensemble de la Communauté, qu à s aligner sur des critères dont ils savent bien qu ils ne visent pas leurs propres modes d enseignement, mais seulement les garanties indispensables à la libre circulation des diplômes. Mais jusqu à présent, ce n est qu un cadre théorique qui a été présenté. Il convient alors maintenant de décrire ce qu a effectivement entrepris la Communauté en matière de reconnaissance mutuelle des diplômes, dans le cadre du système sectoriel, en examinant tout d abord les professions concernées (Section I.) et en suite la mise en œuvre de la reconnaissance par des directives sectorielles (Section II.). Section I. Les professions concernées par les directives sectorielles 8. Les directives sectorielles qui ont été adoptées jusqu à présent par la Communauté pour réaliser une reconnaissance des diplômes à des fins professionnelles sont peu nombreuses et appartiennent toutes soit au secteur de la santé, soit au secteur technique. Sept professions sont visées : il s agit des activités de médecins, infirmiers, dentistes, vétérinaires, sages femmes, architectes et pharmaciens 19. Deux concernent des formations qui ne sont pas, pour la plupart d entre elles, de niveau universitaire : les infirmiers de soins généraux et les sages- femmes. Restent donc cinq systèmes de reconnaissance qui n embrassent que des études de niveau universitaire. A l analyse qui va suivre on va essayer d analyser la situation des architectes et celle des médecins. Bien que les premières propositions de directives présentées par la Commission concernaient le domaine de l architecture, le premier système de reconnaissance a été adopté en 1975, pour les activités de médecin. L adoption du système de reconnaissance applicable 18 Voir à propos de ces objections, de Crayencour, «La reconnaissance mutuelle des diplômes un retissant échec?», Revue du Marché Commun 1973, p. 261. 13

aux médecins constitue le terrain d expérimentation d une méthode qui a ensuite été entendue aux autres activités du domaine de la santé. Toutes les directives concernant le domaine de la santé, définissent des normes minimales communes de formation pour la profession à la quelle elles se rapportent et contiennent des listes de diplômes nationaux répondant à ces normes communes et bénéficiant de ce fait de la reconnaissance mutuelle automatique. En revanche, dans le cas des architectes, la directive définit certains critères qui doivent être remplis afin que le diplôme puisse faire l objet d une reconnaissance mutuelle. Cependant, parfois les Etats membres délivrent des diplômes d architecture qui en ne répondant pas à ces critères sont exclus du champ d application de la reconnaissance mutuelle prévue par la directive. Dans ce cas, on doit notifier les diplômes en cause et ensuite les ajouter, sauf dans le cas d une contestation, à la liste des diplômes susceptibles d être reconnus automatiquement. On va procéder donc à une analyse des différents domaines concernés par les directives sectorielles en examinant tout d abord le domaine de la santé (Sous- section A.) et en suite celui de l architecture (Sous section B.). Sous section A. Le domaine de la santé 9. C est le traité instituant la Communauté européenne lui même qui dans son article 47 prévoit qu afin de faciliter la mobilité professionnelle, le Conseil arrête des directives visant à la reconnaissance mutuelle des diplômes certificats et autres titres. En plus, le même article à son deuxième paragraphe prévoit l adoption de directives dans le but d arriver à une coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres concernant l accès aux activités non salariées et l exercice de celles- ci. Cette obligation générale des institutions communautaires est particulièrement renforcée en ce qui concerne le domaine de la santé et précisément en ce qui concerne les professions médicales, paramédicales et pharmaceutiques. Ainsi dans son paragraphe 3, l article 47 prévoit qu «en ce qui concerne les professions médicales, paramédicales et pharmaceutiques, la libération progressive des restrictions sera subordonnée à la coordination de leurs conditions d exercice dans les différents Etats membres». 19 Pour une liste des directives et leurs références, voir Juris- Classeur Europe, Fascicule 720, p. 11. 14

Mais au 1 er janvier 1970, étant la date d expiration de la période de transition fixée par le traité, ni les directives de coordination 20, ni les directives de reconnaissance 21 n avaient pu être adoptées par le Conseil pour les professions médicales, paramédicales et pharmaceutiques, pas plus que pour d autres professions. La Cour de justice, en 1974, a été amenée à examiner les conséquences de cette carence dans l affaire «Reyners». Dans cette affaire, la Cour était saisie afin de se prononcer sur les conséquences de la non transposition des directives en cause, à propos des activités d avocat. Elle a décidé donc, que l article 43 du TCE, ancien article 52, relatif à la liberté d établissement, est doté d effet direct à l expiration de la période de transition et que les restrictions fondées sur la nationalité sont interdites depuis le 1 e janvier 1970 22. Cette affaire a produit des conséquences même pour le cas particulier des professions médicales, paramédicales et pharmaceutiques. Selon les institutions communautaires, l adoption des directives de coordination prévues à l article 47 2, ne constitue pas une condition préalable à la réalisation de la liberté de circulation. C est ce que traduit le premier considérant de la directive 75/363/CEE du 16 juin 1975 concernant les activités de médecin : «considérant que, en application du traité, tout traitement discriminatoire fondé sur la nationalité en matière d établissement et de prestation de services est interdit depuis la fin de la période de transition ; que le principe du traitement national ainsi réalisé s applique notamment à la délivrance d une autorisation éventuellement exigée pour l accès aux activités du médecin, ainsi qu à l inscription ou à l affiliation des organisations ou à des organismes professionnels». Ainsi même les dispositions du paragraphe 3 ont perdu leur importance et la coordination des réglementations relatives aux conditions d accès et à l exercice des professions s est limité à ce qui paraissait nécessaire à la mise en place de la reconnaissance mutuelle des diplômes 23. Pourtant, les efforts pour une coordination plus large et étendue ont été continués. La Commission avait proposé au Conseil le texte d une déclaration à adopter simultanément avec les directives relatives aux activités de médecin. Selon ce projet de déclaration, la coordination déjà effectuée n exclut pas qu ultérieurement d autres modalités d harmonisation soient également nécessaires dans cette matière. Il s agit principalement d une harmonisation, sur des bases communes minimales, des règles déontologiques et des 20 Voir article 47 2 du TCE 21 Voir article 47 1 du TCE 22 CJCE 21 juin 1974, «J.Reyners c/ Etat Belge», aff. 2/ 74, Rec. 1974, p. 631. 15

dispositions régissant le statut des professions médicales. Une telle harmonisation est, en effet, nécessaire pour faciliter pleinement la libre circulation des professionnels et assurer le bon fonctionnement de la Communauté dans le domaine de la médecine. Ainsi, le problème qui se pose ne concerne pas seulement les médecins, mais plus largement l ensemble des professions médicales, paramédicales et pharmaceutiques. Afin de résoudre ce problème, il conviendrait de compléter les déontologies actuelles, s adressant le plus souvent aux professionnels en tant qu individus, par des normes visant les aspects économico- sociaux et communautaires de la politique de santé dans l intérêt à la fois des Etats, de la profession et surtout des populations 24. Il s agissait d un projet très ambitieux qui n a pas été approuvé par le Conseil lors de l adoption des directives de 1975. Selon une autre déclaration beaucoup plus prudente, «le Conseil n exclut pas que l adoption d autres mesures de coordination au sens de l article 57 soit opportune pour tenir compte de l évolution des conditions d accès et d exercice de la profession. Il invite la Commission à examiner ces problèmes et à lui soumettre, le cas échéant, des propositions appropriées» 25. L actualité montre que la Communauté a renoncé, pour l avenir proche, à l adoption d un statut professionnel européen pour les professions de la santé. Les directives sectorielles qui ont été adoptées se réfèrent d une part à la coordination de certaines conditions de formation et, de l autre part, à la reconnaissance des preuves de moralité, d honorabilité et de santé exigées en vue de l accès aux professions ou à leurs exercice. Paragraphe 1. Un «système» de reconnaissance des diplômes. 10. Il a fallu attendre six ans pour adopter finalement le 16 juin 1975 les deux directives constituant le système de reconnaissance applicable aux activités de médecin 26. Il s agit de deux directives complémentaires et c est pour cette raison qu on utilise le terme «système». Le système établi en 1975, constitue une méthode propre à la reconnaissance des diplômes du domaine de la santé. Le fait qu initialement elle a été mise au point pour les activités de médecin, n a pas constitué un obstacle ensuite pour qu elle soit utilisée aussi pour cinq autres 23 Voir J-P de Crayencour, «Communauté européenne et libre circulation des professions libérales», OPOCE, 1981, p. 13. 24 Voir J-P de Crayencour, «Communauté européenne et libre circulation des professions libérales» (précité), p. 66. 25 Voir Juris- Classeur Europe, Fascicule 740, p. 7. 26 Directives 75/ 362/CEE et 75/ 363/ CEE, J.O.C.E, n L 167 du 30 juin 1975, p. 1 et p. 14. 16

professions de ce domaine. Cependant, cette méthode ne couvre pas toutes les professions de la santé, puisque il y a aussi certaines qui sont couvertes par le système général de reconnaissance des diplômes. a. Une coordination minimale des critères de formation concernant le domaine de la médecine Le traité instituant la Communauté européenne, à son article 47 2, prévoit que l objet des directives arrêtés par le Conseil, doit être «la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres concernant l accès aux activités non salariées et à l exercice de celles- ci». On peut constater donc, que l ambition du traité est limitée dans le cadre où ce dernier ne se réfère, qu au seul accès et à la seule exercice des activités en cause. En revanche, la première directive établie en 1965 semble avoir des ambitions plus larges et ceci apparaît dans son intitulé. Celui- ci mentionne, en effet, pour objet de cet acte communautaire «la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant les activités» de la profession en cause. Pourtant, il faut signaler qu en réalité il ne s agit que d une apparence, puisque la coordination réalisée ne porte que sur les conditions de formation et l obtention des qualifications nécessaires pour se livrer aux activités de la profession ou obtenir le droit de faire usage du titre professionnel dans un autre Etat membre 27. Comme le souligne le premier considérant de la directive, la coordination réalisée se limite «à l exigence du respect de normes minimales» 28. Il ne s agit donc que d une coordination minimale et pour le surplus, les Etats membres sont libres d organiser leur enseignement. Mais la réalisation d une telle coordination même minimale, suppose une modification même minime des règles nationales relatives au niveau, à la durée et au contenu de la formation. L introduction au plan national d exigences supérieures aux critères retenus par la directive est possible, mais ces exigences supérieures ne valent que pour les seuls diplômes délivrés dans l Etat concerné. Cette méthode de reconnaissance a constitué, dans le domaine des professions concernées, un empiètement sur les prérogatives des Etats en matière 27 La directive ne concerne pas les conditions relatives à la moralité, à l honorabilité ou à la santé, qui font l objet d une reconnaissance sans aucune coordination. Voir J. Pertek, «L Europe des Diplômes et des professions», Bruylant Bruxelles, 1994, p. 39. 28 Se trouvent fixées par la directive les conditions d admission à la formation, la liste minimale des connaissances et aptitudes à acquérir et la durée minimale des études. 17

d éducation. Ainsi, en la matière les Etats membres ne conservent qu un marge de manœuvre limité. b. La directive de «reconnaissance» concernant les activités de médecin. 11. A côté de cette directive dite «de coordination», une deuxième a été adopté. Il s agit d une directive «de reconnaissance» qui, donne une liste de tous les diplômes délivrés dans les Etats membres qui, sont susceptibles d une reconnaissance mutuelle à l expiration du délai de transposition. Il ne s agit que d une conséquence de la première directive. Selon cette directive 29, chaque Etat membre doit reconnaître les diplômes, certificats et autres titres délivrés aux ressortissants des Etats membres par les autres Etats membres et qui sont mentionnes bien sûr dans la liste. Il doit donner à ces diplômes le même effet sur son territoire qu aux diplômes qu il délivre en ce qui concerne l accès aux activités concernées et leur exercice. Ainsi, une personne peut invoquer le bénéfice de la reconnaissance d un diplôme obtenu dans un Etat membre à l égard de tous les autres Etats membres, y compris celui d origine 30. La directive de reconnaissance prévoit une reconnaissance mutuelle des preuves de moralité, d honorabilité, d absence de certaines condamnations ou de bonne santé qui bien qu ils n ont pas fait l objet d aucune coordination même minimale, les Etats membres sont obligés accepter les attestations délivres par un autre Etat membre. En plus elle définit les droits des détenteurs de l un des diplômes figurant dans la liste en ce qui concerne le délai d examen de la demande de reconnaissance. c. L ouverture vers les autres professions du domaine de la santé. 12. Apres le deux premières directives adoptées dans le cadre du secteur de la médecine, cinq autres systèmes sectoriels se sont formés relatifs à la reconnaissance des diplômes pour les professions médicales, paramédicales et pharmaceutiques 31. 29 Voir l article 2 de la directive 75/362. 30 Voir par exemple, C.J.C.E 22 septembre 1983, «Auer», aff. 271/ 82, Rec. 1982, p. 2727(précité). 31 Médecins : directives 75/ 362/CEE et 75/363/CEE du 16 juin 1975, J.O.C.E, n L 167, p. 1 et14 (codifiées par la directive 93/16/CEE du 5 avril 1993), modifiées en dernier lieu par la directive 97/50 JO L du 24/10/97 et 18

L élargissement de la Communauté européenne et l adhésion des différents Etats, a eu pour conséquence plusieurs modifications des directives en vigueur au moment de ces adhésions. L adoption de ces directives a obligé les Etats membres à modifier leurs règles nationales en vue de reconnaître les diplômes délivrés dans les autres Etats membres. En plus, l entrée en vigueur de l Accord sur l Espace économique européen crée l obligation, pour les Etats membres d adapter leurs mesures de transposition en ce qui concerne les bénéficiaires de la reconnaissance et la liste des diplômes reconnus. Après la mise en vigueur de cet accord, le champ d application des systèmes de reconnaissance est étendu aux Etats parties à l accord. Ainsi, ces Etats ont été obligés de prendre des mesures nécessaires afin de modifier leurs règles nationales 32. Il faut souligner que le système de reconnaissance applicable aux activités du domaine de la pharmacie concerne seulement le droit d établissement, et non la prestation de services. La directive 85/433 souligne «qu il est difficile d apprécier dans quelle mesure pourraient actuellement être utiles des règles qui viseraient à faciliter la libre prestation de services des pharmaciens ; que dans ces conditions il n est pas opportun d adopter pour l instant de telles règles». Cependant, malgré certaines différenciations, les six systèmes sectoriels présentent entre eux plusieurs caractéristiques communes et c est ceci qu on va examiner par la suite. Paragraphe 2. Les caractéristiques communes des systèmes sectoriels. Comme on a eu déjà l occasion d examiner, la méthode utilisée pour l adoption des directives relatives à la reconnaissance mutuelle des diplômes de médecine, a été utilisée aussi pour l élaboration des cinq autres systèmes de reconnaissance du domaine de la santé, concernant les infirmiers responsables des soins généraux, les praticiens de l art dentaire, les vétérinaires, les sages- femmes et les pharmaciens. Il s agit donc de six systèmes différents et indépendants mais qui présentent pour autant des caractéristiques communes tant en ce qui concerne le caractère de la reconnaissance que la nature des activités concernées. 99/ 6, JO L du 2/6/99. Infirmiers responsables des soins généraux : directives 77/452/CEE et 77/453/CEE du 25 juin 1977, J.O.C.E., n L 1786 du 15 juillet 1977, p. 1 et 8. Dentistes : directives 78/ 686/CEE et 78/ 687/CEE du 25 juillet 1978, J.O.C.E, n L 233 du 2 août 1978, p. 1 et 19. Vétérinaires : directives 78/1026/CEE et 78/1027/CEE du 18 décembre 1978, J.O.C.E., n L 362 du 23 décembre 1978, p. 1 et 10. Sages- femmes : directives 80/151/CEE et 80/155/CEE du 21 janvier 1980, J.O.C.E., n L 33 du 11 février 1980, p. 1 et 8. Pharmaciens : directives 85/432/CEE et 85/433/CEE du 23 septembre 1985, J.O.C.E., n L 235 du 24 septembre 1985, p. 34 et 87. 32 L Autriche bénéficie d un délai spécial à partir du 1 er janvier 1994 pour la mise en oeuvre des directives relatives à la profession des dentistes qui jusqu à maintenant était exercée par les médecins dans ce pays. 19