La petite histoire d une grande association



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Transcription:

D r Marc-André Asselin La petite histoire d une grande association 1961-2011 Histoire de l Association des médecins omnipraticiens de Montréal

Révision linguistique : Martine Picard Conception graphique - Infographie - Mise en page : Cynthia Hayes Impression : BL Litho, Laval Marc-André Asselin, 2011 Dépôt légal : 1 er trimestre 2011 Bibliothèque et Archives nationales du Québec ISBN 978-2-9812424-0-2 Tous droits réservés Éditeur Association des médecins omnipraticiens de Montréal 1440, rue Sainte-Catherine Ouest Bureau 1000 Montréal (Québec) H3G 1R8 Téléphone : 514 878-1911 Télécopieur : 514 878-2608 Adresse courriel : info@amom.net Adresse site Web : http://www.amom.net/

À tous les petits Arnaud du Québec, pour qu ils songent un jour à devenir spécialiste en médecine familiale.

On doit dorénavant considérer la médecine générale comme une discipline particulière et en faire fixer les normes comme on l a fait pour les spécialités médicales. D r Georges Desrosiers 6 février 1962 La vie doit être vécue en regardant vers l avenir, mais elle ne peut être comprise qu en se retournant vers le passé. Søren Kierkegaard Journal 1843

REMERCIEMENTS Lorsque j ai entrepris ce retour sur les cinquante dernières années, je ne m imaginais pas la quantité de travail que cela exigerait. Je croyais naïvement qu il suffisait d écrire le texte, de le mettre en page et de l imprimer, d une façon ou d une autre, et que le tour était joué. Quelle ne fut pas ma surprise devant la complexité du processus auquel j étais confronté. Je m y suis mis il y a plus de trois ans et sans le soutien, l aide technique et les encouragements de nombreuses personnes, ce livre ne serait jamais sorti de mon ordinateur. J adresse d abord un remerciement particulier à Danielle Thibaudeau-Villemaire, ma fidèle collaboratrice, qui m a épaulé et encouragé à chacune des étapes de ce livre, tout en y investissant temps et énergie à la mise en forme, aux multiples lectures, à la coordination générale et à la révision des épreuves. Je tiens à remercier les médecins qui ont gracieusement accepté de me rencontrer, de raconter et de se raconter. Je pense à Guy Laporte, Georges Boileau, Georges Desrosiers, André Lapierre, Jean-Guy Harris, Raymond Rivest et Jacques Dinelle. Merci également à M e François Chapados qui a aussi accepté de me raconter, mais qui, de plus, a revu l essentiel de ce livre une fois la première ébauche terminée. Je suis très reconnaissant à Jacqueline Pitre-Pineault et Ghislain Germain, archivistes de la Fédération, sans qui ce livre n aurait pu voir le jour. Leur immense travail de recherche historique, de vérification et de coordination a permis la réalisation de ce retour dans le passé. À maintes reprises, j ai songé à abandonner, chaque fois ils m ont convaincu de poursuivre. Mes remerciements vont aussi à Sophie Côté pour sa contribution à la relecture des textes. IX

J exprime ma gratitude aux membres du Bureau de l AMOM pour leur compréhension et leurs encouragements devant ce projet un peu fou. Je remercie la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec pour son appui et son soutien matériel et financier, ainsi que les Fonds d investissement FMOQ inc. et Dale Parizeau Morris Mackenzie pour leur aide financière dans cette entreprise. Finalement, j éprouve une reconnaissance toute spéciale envers mon épouse Nicole, pour son amour, sa patience et sa compréhension pendant ces centaines d heures d absence dévolues à la rédaction de ce livre. X

PRÉFACE Il y a quelques années, le D r Marc-André Asselin s est lancé le défi d écrire l histoire du premier véritable regroupement de médecins généralistes du Québec, l Association des médecins omnipraticiens de Montréal (AMOM). Fortement engagé depuis près d une trentaine d années dans l Association, dont les quinze dernières à titre de président, fier Montréalais et surtout médecin de famille depuis quarante ans, il était la personne toute désignée pour nous faire vivre ce voyage exigeant et passionnant à travers les cinquante dernières années de notre profession. À l heure où la médecine familiale a plus que jamais besoin d être valorisée et d être âprement défendue, il est bon de se rappeler tout le chemin parcouru grâce à la contribution de médecins précurseurs qui ont su faire preuve de persévérance et de détermination alors que tout était à faire au Québec, autant dans le domaine de la santé que sur le plan syndical. L actualité et notre quotidien nous rappelant constamment que rien n est acquis pour les médecins omnipraticiens, la lutte et l acharnement de ces pionniers à défendre nos droits et nos revendications légitimes ne peuvent que nous inspirer à poursuivre la bataille. Voici donc un livre qui, au-delà des mots et des anecdotes, nous ramène toujours à l essentiel, soit à ce que l on est : des spécialistes en médecine familiale qui offrent tous les jours des soins de grande qualité à leurs concitoyens. Les médecins omnipraticiens ont, de tout temps, dû se battre en parallèle pour obtenir une reconnaissance souhaitée et méritée, d où l importance de S ENGAGER. S ils ne défendent pas eux-mêmes leurs intérêts, personne ne le fera à leur place. Voilà sans doute d ailleurs le message à retenir de l héritage laissé par les fondateurs et les dirigeants passés de l AMOM. Bonne lecture! Le président, Fédération des médecins omnipraticiens du Québec D r Louis Godin XI

AVANT-PROPOS Cette histoire est née de mon désir profond de comprendre mes origines et ma persévérance dans ce métier difficile qui est ma vie depuis près de 40 ans. Je suis médecin de famille à Montréal. Mon activité syndicale, au service de mes confrères depuis près de trois décennies, fut certainement à l origine de ce goût de savoir et de raconter. La certitude que nos liens les plus anciens nos origines expliquent nos actions présentes m a convaincu d insister et de poursuivre. Si l on ignore d où l on vient, il est difficile de savoir où l on va. Ce vieil adage un peu guindé me semble encore plus vrai aujourd hui après avoir revisité cette époque. Les choses changent, mais jamais autant qu on le pense ni qu on le voudrait. Le modèle de la médecine familiale que nous défendons avec ardeur, et qui est unique en Occident, n est pas apparu sous le coup de baguette d un quelconque magicien. C est au courage et à la vision des bâtisseurs dont nous parlerons dans ce livre que nous le devons. J ai la conviction profonde que les omnipraticiens du Québec ignorent, pour la plupart, le chemin que nous avons dû parcourir pour y arriver. Pour citer Søren Kierkegaard, «La vie doit être vécue en regardant vers l avenir, mais elle ne peut être comprise qu en se tournant vers le passé.» Ce métier que nous partageons et que nous pratiquons avec passion est parmi les plus exigeants et les plus difficiles qui existent. Il reste aussi certainement le plus magnifique, oscillant entre l art et la science, même s il fut souvent snobé et méprisé par ceux-là mêmes qui nous formaient. Ses exigences démesurées en font un bel idéal à atteindre. 1 AVANT-PROPOS

C est en hommage à toutes les femmes et à tous les hommes qui ont osé et qui osent encore aujourd hui jouer ce rôle souvent ingrat de médecin de famille que j ai voulu écrire, bien humblement, cette histoire qui a débuté il y a plus de cinquante ans. La médecine familiale, actuellement au centre de tous les débats sur la santé, est toujours d une actualité criante. J ai voulu saluer, dans ces quelques lignes, tous les médecins de la première heure qui ont su résister farouchement et qui ont réussi à nous transmettre des valeurs fondamentales que nous n oublierons pas. Il fut difficile de revenir sur cette période à la limite de la mémoire et pour laquelle il existe peu de documents. J ai eu le plaisir de rencontrer plusieurs de nos pionniers tout au cours de ce retour dans notre passé, et ce fut peut-être là ma plus grande joie. Je garderai toujours un souvenir ému de cette rencontre entre le D r Guy Laporte et le D r Jacques Dinelle et de leur étreinte après plus de quarante années d éloignement. Je n oublierai pas non plus l étonnement du premier devant l ampleur qu avait prise la Fédération, rejeton qu il avait abandonné après quelques années lorsque, comme plusieurs praticiens d alors, il avait choisi la spécialité. Je me souviendrai longtemps de la vivacité d esprit et de la sagesse du D r Georges Desrosiers à l approche de ses quatre-vingts ans. La finesse de ses analyses et de ses commentaires m a aidé à mieux saisir la réalité de l époque et le chemin parcouru entre le praticien d alors, l omnipraticien d hier et le spécialiste en médecine familiale d aujourd hui. Je me rappellerai surtout leur fierté du travail accompli. Comment ne pas saluer les trois grands ténors du syndicalisme médical, issus de l Association des médecins omnipraticiens de Montréal, que furent d abord le D r Gérard Hamel, puis le D r Clément Richer et enfin le D r Renald Dutil. Ces hommes auront dirigé et défendu farouchement les droits et les valeurs des omnipraticiens du Québec pendant près de quarante ans. 2 LA PETITE HISTOIRE D UNE GRANDE ASSOCIATION 1961-2011

Il faut se rappeler que cette histoire commence bien avant l ère de l informatique. Ce sont donc les protagonistes mêmes qui devaient colliger les données nécessaires aux écrits et dactylographier les procès-verbaux des réunions. Ce fut une période enivrante où tout était possible, mais où rien ne fut facile. Si, près de cinquante années plus tard, les omnipraticiens du Québec peuvent encore s exprimer d une voix forte et percutante et si leur métier est toujours respecté dans notre société, c est aux pionniers dont nous parlerons dans ces quelques pages qu ils le doivent. Avant l adoption officielle du terme «omnipraticien» par l AMOM en 1963, un certain nombre d expressions était en usage pour désigner un médecin pratiquant la médecine générale : praticien, praticien général, médecin de pratique générale, médecin-chirurgien en pratique générale, généraliste, médecin généraliste, médecin de médecine générale, médecin de famille. AVANT-PROPOS 3

CHAPITRE 1 Le monde médical de 1940 à 1960 La fin de la Seconde Guerre mondiale permet le développement d une médecine plus scientifique, plus technique. De libérale qu elle était, la médecine devient organisée. La population découvre alors une nouvelle façon de consulter, de se faire soigner. On sait bien que le vieux médecin de famille, à la fois conseiller, confident et thérapeute, est un personnage qui appartient au passé : il a cédé sa place au spécialiste qu on va voir à l hôpital 1 Les médecins sont alors tous des praticiens. Les rôles sont mal définis et les champs d activité se superposent. Jusqu en 1940, le corps médical croît au même rythme que la population. De 1911 à 1951, le rapport médecins/population se maintient en effet à 1 pour 1050 en moyenne 2. À partir de 1940, et plus particulièrement de 1945, l arrivée de nombreux médecins étrangers et l apparition de nouvelles spécialités transforment rapidement l image de la médecine. Les médecins d ailleurs ont alors l obligation de travailler cinq années dans un établissement hospitalier avant d accéder à la citoyenneté canadienne. C est le permis restrictif des années 1950. La plupart en profitent pour faire ou parfaire une résidence et obtenir ainsi un diplôme de spécialiste, tout en se donnant le droit et la chance de devenir citoyens canadiens. 5 CHAPITRE 1

Liste des spécialités reconnues par le Collège des médecins et chirurgiens de la province de Québec 1948 1960 Anesthésie Allergie Chirurgie générale Anatomie pathologique Chirurgie orthopédique Anesthésie Chirurgie plastique Bactériologie Chirurgie thoracique Biochimie médicale Dermatologie et syphiligraphie Cardiologie Hygiène Chirurgie générale Médecine interne Chirurgie orthopédique 1. Allergie Chirurgie plastique et reconstructive 2. Cardiologie Chirurgie thoracique 3. Maladies pulmonaires et T.B. Dermato-syphiligraphie 4. Gastro-entérologie Gastro-entérologie Médecine physique Gynécologie Neuro-chirurgie Hématologie Neurologie et/ou psychiatrie Hygiène publique Obstétrique et/ou gynécologie Maladies pulmonaires et T.B. Ophtalmologie Médecine interne Otolaryngologie Médecine physique et réhabilitation Pathologie et/ou bactériologie Neuro-chirurgie Pédiatrie Neurologie Radiologie : diagnostique et/ou thérapeutique Obstétrique Urologie Ophtalmologie Oto-rhino-laryngologie Pathologie clinique Pédiatrie Psychiatrie Radiologie : diagnostique et/ou thérapeutique Urologie Source : Loi et règlements des spécialités, Collège des médecins et chirurgiens de la province de Québec, 1948, 1960. Comme on peut l imaginer, l augmentation rapide des Histoire de l Association des médecins omnipraticiens de Montréal 1961-2011 effectifs en spécialité au détriment de la pratique générale a des effets importants sur l organisation et la distribution des soins. Durant cette période, le nombre de spécialistes au Québec grimpe rapidement, allant jusqu à tripler, passant de 906 en 1941 à 2443 en 1961, pour un ratio médecins/population de 1 pour 853 3. Une telle hausse favorise aussi la concentration des technologies et des effectifs en ville au détriment des régions intermédiaires et rurales et change aussi le rapport de force dans les établissements. La relation entre spécialistes et praticiens s en trouve alors modifiée, voire perturbée. Grâce à leur concentration hospitalière, les spécialistes s approprient le contrôle des lits, dans une société où le patient doit payer l ensemble de ses soins. Bien qu inégale, la lutte entre les 6 LA PETITE HISTOIRE D UNE GRANDE ASSOCIATION 1961-2011

praticiens et les spécialistes est féroce. Quelque cinquante ans plus tard, cette concentration urbaine et cette mainmise des spécialistes sont toujours bien présentes et constituent encore une source de soucis. La hiérarchisation des soins et le contrôle des technologies représentent toujours aujourd hui des sujets de grande actualité, car le problème de l accès à un plateau technique réservé à la première ligne n est toujours pas réglé. La spécialisation vient soudainement briser la belle homogénéité historique du corps médical. On peut dire que jusqu aux années 1940, le corps médical formait un ensemble relativement homogène; les médecins, en grande majorité, pratiquaient leur métier de la même façon, dans des conditions relativement semblables; ils recevaient tous une formation à peu près équivalente et leurs problèmes, tout comme leurs intérêts professionnels, étaient sensiblement les mêmes. La spécialisation a cependant engendré un processus de différenciation qui a fait éclater cette homogénéité 4. De 1951 à 1971, le ratio spécialistes/non-spécialistes s inverse passant de 22,5 % à 54,4 % 5. La spécialisation a également contribué à la création d une nouvelle hiérarchisation au sein de la profession médicale. De nouveaux rapports d autorité sont apparus au sein du groupe des médecins; alors qu auparavant c étaient l expérience et les habiletés développées au fil des années qui fondaient les rapports d autorité, ce sont maintenant le niveau de formation et le degré de spécialisation qui remplissent cette fonction 6. Les nouveaux spécialistes ont eu vite fait de réclamer, au nom de leur formation prolongée et des performances qu elle leur permet, une autorité accrue sur la pratique médicale, de même qu un statut plus élevé au sein de la profession 7. CHAPITRE 1 7

Caricature publiée dans Le Médecin du Québec, Vol. 4, n o 5, mai 1969, p. 30. Vers la fin des années 1950, les praticiens assistent sans voix à leur perte d influence à l intérieur de la profession. La scission entre les deux groupes se confirme. La rémunération des praticiens est inférieure à celle des spécialistes, leurs champs de pratique sont mal définis, leur prestige est à la baisse et l accès aux universités et aux hôpitaux universitaires leur est désormais pratiquement refusé. Le mépris à peine voilé de leurs confrères spécialistes est omniprésent et cinglant. Les spécialistes ont pris le contrôle du Collège des médecins. L avenir s annonce sombre pour les praticiens d alors. 8 LA PETITE HISTOIRE D UNE GRANDE ASSOCIATION 1961-2011

Le paternalisme et le pouvoir du Collège sont incontournables. Les modifications de la démographie médicale ne simplifient pas la situation. Jusqu en 1960, les omnipraticiens ne disposaient d aucun moyen d action pour redresser cette situation. Sans doute, il y avait le Collège des médecins, mais d une part il était plus sensible aux aspirations des spécialistes et, d autre part, il ne lui revenait pas, en principe, d engager une action revendicatrice pour ses membres. La loi qui a créé le Collège lui donnait avant tout la mission de réglementer la formation professionnelle, de contrôler l accès à la pratique et d assurer la qualité des soins dispensés 8. Dans un texte publié en 1986 qui s intitulait : «Malbrough s en va en guerre La conscription», le D r Gilles des Rosiers, jeune frère du D r Georges Desrosiers dont nous parlerons plus loin, alors directeur de la Formation professionnelle à la Fédération, s exprime ainsi : ( ) les propos entretenus par nos confrères spécialistes, tant à la faculté de médecine, dans la presse médicale qu au Collège des médecins, mettant en doute notre compétence professionnelle et critiquant sans fondement nos diagnostics cliniques la politique d apartheid médical mise en application à l hôpital Maisonneuve : défense aux omnipraticiens de porter le sarrau, vestiaires et toilettes distincts 9. Il conclut par cette phrase lapidaire : Comme on le sait, c est de la frustration qu est né le syndicalisme. ( ) J avais atteint mon seuil de tolérance et décidai de militer au sein de l Association de Montréal 10. CHAPITRE 1 9

Dans son éditorial du Médecin du Québec de janvier 1986, le D r Clément Richer parle de cette époque : «( ) dans les rares cas où l omnipraticien avait des privilèges d hospitalisation pour assurer les soins de ses propres patients, il était alors considéré au mieux comme un interne, au pire comme un intrus 11». Les praticiens n ont nulle part où se tourner. La marmite est sur le feu, prête à exploser. Au début des années 1950, alors que la grogne s amplifie, certains groupes de praticiens manifestent la volonté de contre-attaquer. Des projets de regroupement voient ainsi le jour. À Sherbrooke, en décembre 1953, le D r Gérard Letendre fonde un premier syndicat professionnel composé des praticiens du district médical de Saint- D r Gérard Letendre François 12, dont le premier président sera le D r Louis Gagnon et le premier secrétaire, le D r Zéphirin Côté. Les membres de cette association se joindront à l Association de l Estrie lors de sa fondation en 1966. c Photo Gaby Six mois plus tard, à Québec, des médecins se regroupent sous le nom de l Association des praticiens généraux de la Ville et du District de Québec, association sans statut juridique connu. En avril 1956, sous l impulsion de ces mêmes médecins, une compagnie appelée Association des Médecins en Pratique générale du Québec est créée à Québec. Il s agit de la première tentative de formation d une fédération d omnipraticiens. Même si les efforts échouent, le mouvement est lancé. Le Collège voit d un mauvais œil la création de ces associations à forte teneur syndicale et politique. 10 LA PETITE HISTOIRE D UNE GRANDE ASSOCIATION 1961-2011

L évolution se fait très rapidement dans notre province. Les associations de toutes sortes, et particulièrement les syndicats, ont fait la preuve de leur nécessité, de leur puissance et de leur efficacité. C est un fait que le Collège des médecins possède plus de pouvoirs qu aucune autre association ou syndicat. C est évident, que depuis quelques mois en particulier, nombre de médecins appartenant à différentes disciplines se groupent en diverses associations afin de s occuper des intérêts matériels de notre profession qui connaît de nombreuses difficultés. Le Collège des Médecins étant l autorité suprême, il importe que nous évitions tout conflit avec ces différentes associations. C est pourquoi je propose que le Collège encourage d une façon tangible tout mouvement ayant des intérêts communs sous une fédération, celle-ci devenant en quelque sorte un des comités consultatifs du Collège 13. C est ainsi que s exprime le D r Georges Pelletier dans une lettre envoyée au Collège le 31 mai 1963. Malgré une grande réserve et beaucoup de protectionnisme, le mouvement est enclenché et ne s arrêtera plus. Le ton laisse présager le caractère inéluctable des démarches. Les praticiens continuent de faire pression. Ils insistent sur l incompatibilité des deux rôles du Collège, soit de protéger l intérêt du public et celui de ses membres. Les grands débats sur l assurance maladie rendent encore plus incongrues les velléités du Collège qui deviendrait alors le négociateur des conditions de travail des praticiens. C est donc de l insatisfaction de ces derniers, et particulièrement de ceux de la région de Montréal comme nous le verrons, que naît le syndicalisme médical au Québec 14. 11 CHAPITRE 1

La syndicalisation en général, principalement celle des médecins, fait l objet à l époque de plusieurs analyses, comme en fait foi cet article paru dans le magazine Maclean s en 1965 : Les racines de ce mouvement sans précédent dans l histoire médicale de la province remontent à la fin de la dernière guerre. Avant cette époque, le généraliste était le roi de sa profession; au Québec, seul le prêtre occupait un statut social supérieur au sien et partout dans le monde occidental, il jouissait d un prestige similaire. Mais après la guerre, une nouvelle classe de médecins se développe qui bouleverse la hiérarchie traditionnelle. Avec les progrès fantastiques de la médecine, les spécialistes envahissent la profession, et progressivement en prennent le contrôle : postes de commande au Collège des médecins, chaires universitaires, cote d amour des patients qui en viennent à les préférer au généraliste, ce médecin qui n a pas fini son cours ( ) L omnipraticien, lui, garde les tâches ingrates, les longues heures, les appels de nuit, les postes dans les petites villes et les villages, la clientèle des quartiers populaires dans les grandes villes. La chute est telle qu un certain nombre de généralistes, après de longues années de pratique, ont entrepris des études qui les conduisaient à la spécialisation 15. Selon Michel Vaillancourt 16, auteur d une thèse sur le sujet, la création de l assurance hospitalisation en 1961 constitue l un des éléments déclencheurs du syndicalisme médical du fait qu elle a stimulé le besoin de regroupement. Ce mouvement est toutefois né de l image et de l insatisfaction des praticiens de l époque. M. Vaillancourt ajoute que l on peut difficilement considérer l histoire du syndicalisme médical comme un tout en raison de la présence des deux fédérations. On ne peut qu être d accord avec cette affirmation. Les motifs de regroupement sont certainement différents d un groupe à l autre. Chez les spécialistes, le syndicalisme découle de la création de l assurance maladie à laquelle ils s opposent farouchement. Leur présence dans les établissements leur assure un modèle d organisation fort satisfaisant. Ils s y retrouvent facilement, 12 LA PETITE HISTOIRE D UNE GRANDE ASSOCIATION 1961-2011

et ce milieu de rencontre naturel leur est suffisant. Au contraire, le syndicalisme des omnipraticiens est issu de leur insatisfaction, de leur perte de reconnaissance et de leur isolement. Même solution, deux dynamiques. Gilles Brown, Éditions Musicobec Le Petit Journal, semaine du 22 janvier 1961, p. 45 Gilles Brown, Éditions Musicobec Le Petit Journal, semaine du 12 mars 1961, p. 44 Gilles Brown, Éditions Musicobec La Patrie, 22 avril 1962, p. 3 Certains préfèrent un autre modèle, comme le suggère le D r Lucien Rinfret dans L Information Médicale et Paramédicale du 21 février 1961 sous le titre provocateur : «Individualisme versus syndicalisme». Non, ne demandons pas le Grand Sacrifice à ceux qui ont encore du cœur! Pensons plutôt à un moyen plus facile, à un procédé qui, en somme, est la route normale à suivre. 13 CHAPITRE 1

Ce moyen, il me semble, c est que notre Collège prenne en main la question. Ici, j invite respectueusement nos Gouverneurs à vouloir bien étudier la proposition concrète que voici : 1. Laisser intacte la Charte actuelle du Collège 2. Faire une demande immédiate à la Législature Provinciale pour obtenir l autorisation de fonder l Association Professionnelle des Médecins de la Province de Québec. (L A.P.M.P.Q.) 3. Annexer cet organisme indépendant au Collège 17. C est la pensée magique de la simplicité. Une seule association professionnelle, pas un syndicat, et sous la gouverne et la dépendance du Collège! On souhaite continuer à tourner en rond. Le Collège, et peut-être aussi certains confrères spécialistes, n y voit probablement là aucun problème. Il est clair que les praticiens, qui sentent l urgence d agir, ne voient pas comment une telle structure peut venir à bout de régler les problèmes existants. Les moyens proposés varient, mais le but reste le même : se doter d une voix forte et rassembleuse. Tous les ingrédients sont alors réunis. Les praticiens de la région s accordent rapidement sur la voie à suivre. Le 3 février 1961 18, à 22 h 15 au Holiday Inn de Saint-Laurent, à la suite d une convocation que leur adressait le D r Guy Laporte, une dizaine de praticiens de Montréal se réunissent pour discuter de la création d une association autonome visant la défense de leurs intérêts. Un mois plus tard, soit le 4 mars 19, la boule de neige commence sa descente. Lors de cette première rencontre officielle, trente et un praticiens signent la requête en constitution d un syndicat professionnel au Pavillon Châteaubriand. Deux ans plus tard, sous leur impulsion et leur dynamisme, le Québec compte suffisamment de syndicats régionaux pour voir naître la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec. 14 LA PETITE HISTOIRE D UNE GRANDE ASSOCIATION 1961-2011

Lettre adressée à tous les médecins de médecine générale de la région de Montréal en janvier 1961. 15 CHAPITRE 1

16 LA PETITE HISTOIRE D UNE GRANDE ASSOCIATION 1961-2011

CHAPITRE 2 Le syndicalisme médical et le Collège des médecins La première tentative de syndicalisation des médecins du Québec remonte aussi loin qu au début du siècle dernier. En 1911, un projet de syndicalisation de la profession médicale est présenté au Comité de règlements et de législation du Collège des médecins du Québec. Ce projet visant «la protection des membres de la profession» est cependant rapidement rejeté 1. Le Collège de l époque, soucieux de la mission qui lui est confiée, s oppose alors farouchement à toute loi qui favoriserait la création de syndicats professionnels. Cette position du Collège prendra plusieurs décennies avant de s atomiser. Par exemple, l idée de confier au Comité des hôpitaux la fonction de voir à ce que les médecins-chirurgiens en pratique générale fassent partie du personnel médical des hôpitaux était repoussée par le Collège, sous prétexte qu elle était contraire à l article 14 de la loi médicale. On ne songeait pas non plus à changer cette partie de la Loi 2. Le Collège maintient la ligne dure pendant plus d un demisiècle. Une proposition visant la création de syndicats professionnels régionaux pour décentraliser les décisions est faite sans succès. La défense des intérêts du public et l établissement des tarifs médicaux, apanage du Collège, sont deux éléments incompatibles qui irritent profondément les praticiens. La confusion des rôles, pourtant évidente, est cependant défendue avec acharnement par le Collège. CHAPITRE 2 17

En 1928, le D r A.-J. Boisvert présente un projet de groupements médicaux autonomes à l intérieur même de la structure du Collège 3. Il évitait ainsi l affrontement. Tout en faisant diligence pour étudier le modèle d organisation proposé, le conseil du Collège rejette malgré tout la menace par voie majoritaire. À partir de 1946, le Collège autorise ses membres à créer des associations professionnelles, dans le but surtout de permettre les échanges sociaux et professionnels. Les spécialistes peu nombreux et dispersés sont les premiers à se prévaloir de cette possibilité 4. C est ensuite le calme plat jusqu au début des années 1950. Le Collège continue à jouer le double rôle de protecteur de la santé des citoyens et de représentant et défenseur de la profession médicale. Dans un contexte de pratique libérale et dans une société où le secteur de la santé était peu organisé, il était facile de concilier les rôles de protecteur du public et de défenseur des intérêts professionnels des médecins 5. Le Collège assume cette tâche par la force des choses, malgré la contradiction manifeste. Comme le disait Évelyn Gagnon en février 1965 dans le magazine Maclean s 6, le Collège agit comme un examinateur qui veut préserver les intérêts du candidat à l examen. Le Collège joue ce rôle avec un grand paternalisme, mélange de contrôle et de conseils comme en fait foi cette anecdote de 1964. Le D r Gérald LaSalle, alors registraire du Collège, envoie à tous les praticiens un feuillet à afficher dans leurs cabinets, dont le titre est : «La vocation de prêtre, la vocation de médecin 7». On peut imaginer l effet d une telle analogie dans une période où l Église catholique est omniprésente et au centre de tous les débats dans la Province et où le Collège fixe aussi les honoraires des praticiens. 18 LA PETITE HISTOIRE D UNE GRANDE ASSOCIATION 1961-2011

Quand on connaît la rémunération dévolue aux membres du clergé de l époque, on ne peut s étonner de la réaction des omnipraticiens. Le pamphlet contenait aussi des passages méprisants sur la médecine familiale comme en témoigne la réponse du D r Georges Boileau au nom de l Association. Nous n avons malheureusement pas retrouvé le texte original du Collège, mais nous avons mis la main sur la réponse du D r Boileau en date du 18 février 1964. Sévère, elle nous permet de comprendre, dans deux passages, les perceptions du Collège de l époque. Le premier passage laisse présager la lente disparition de la médecine familiale en soulignant que plus elle revêt un caractère scientifique, plus son champ d action rétrécit. Le deuxième passage suppose que les omnipraticiens travaillent dans des conditions d isolement et avec des outils imparfaits et que seuls les spécialistes peuvent donner le ton à la profession. La conclusion du D r Boileau était claire. Elle exigeait que le Collège cesse une telle publication. Nous avons retrouvé la réponse laconique du D r LaSalle envoyée trois jours plus tard, dans laquelle il annonce que le feuillet ne sera pas réimprimé. Aucune excuse, aucun regret! Cette anecdote démontre jusqu à quel point, au début des années 1960, le paternalisme et le mépris du Collège sont importants. Sa vision de la médecine familiale n évolue pas. Les praticiens subissent les effets de la spécialisation. Le Collège n est cependant pas le seul alors à s opposer à la naissance des syndicats professionnels. Il a un allié puissant, le gouvernement ultraconservateur de Maurice Duplessis. Ce n est finalement qu avec l arrivée du gouvernement de Jean Lesage le 22 juin 1960 et l adoption de la Loi des hôpitaux en 1962, que la chose devient enfin possible. 19 CHAPITRE 2