Des migrants d un nouveau genre font leur apparition en France (et en Europe) à la fin des années



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Transcription:

Mineurs isolés étrangers en France. Données démographiques et trajectoires migratoires 1 Angélina Etiemble Une population hors norme Des migrants d un nouveau genre font leur apparition en France (et en Europe) à la fin des années 1990. Leurs caractéristiques brouillent les réponses habituelles à l accueil des migrants et interrogent singulièrement la protection de l Enfance. En tant qu ils sont mineurs, isolés et étrangers, ils font référence à des configurations juridiques très différentes : la protection de l Enfance ; les conditions d entrée et de séjour des étrangers en France ; le droit d asile. Selon leurs points de vue professionnel et idéologique (les représentations sur l immigration, sur l enfance en danger), les acteurs intervenant dans le parcours des MIE ont tendance à privilégier une configuration juridique plutôt qu une autre. Des acteurs estiment ainsi que les MIE sont avant tout des enfants et doivent donc être pris en charge par l Aide Sociale à l Enfance (ASE) ; certains, considérant d abord en eux les étrangers, envisagent leur situation en termes de droit au séjour ; d autres, enfin, s attachent davantage à leur sort en tant que demandeurs d asile. L hétérogénéité des pratiques quant à l accueil et la prise en charge des MIE s explique par l absence de consensus à la question : qui sont les MIE? Certes, des premiers éléments de réponse pourraient être apportés par leurs caractéristiques démographiques (âge, sexe, nationalité). Mais ces éléments basiques ne font pas l objet d un recueil particulier. Deux sources, toutes deux incomplètes et ambiguës, alimentent les données quantitatives : celle de l immigration et de l asile (Police de l Air et des Frontières ; Direction des Libertés Publiques et des Affaires Juridiques ; Office Français de Protection des Réfugiés et des Apatrides) d une part, celle de la protection de l enfance (ASE ; Protection Judiciaire de la Jeunesse), d autre part. Les disparités relevées entre les unes et les autres tiennent à l absence d une comptabilité spécifique et, parallèlement, aux modalités d entrée des MIE dans les opérations statistiques : passage par la zone d attente, demande d asile à la frontière ou sur le territoire, mesure d assistance éducative et/ou pénale. Plus généralement, leur 1 Cf. A. Etiemble, Les Mineurs Isolés Etrangers en France. Evaluation quantitative de la population accueillie à l Aide Sociale à l Enfance. Les termes de l accueil et de la prise en charge, Etude réalisée pour la Direction de la Population et des Migrations, 2002, 271 p.

identification fait problème : non pas seulement en termes de papiers et d âge mais, surtout, en tant qu enfants en danger, voire en tant qu enfants comme l indique l usage systématique de l examen osseux dans des contextes locaux. I. DES CARACTERISTIQUES DEMOGRAPHIQUES EN POINTILLES Pour pallier l absence de données chiffrées, nous avons réalisé une enquête par questionnaires auprès des Conseils généraux et des services de l ASE en 2002. Les résultats portent sur la période 1999-2001. Ils rendent compte des sollicitations d accueil. Des questions ont également porté sur les procédures mises en œuvre à leur propos, néanmoins la connaissance objective de leur devenir au sein de l ASE et à la sortie du dispositif s avère très limitée. En terme de flux, du 1 er janvier au 31 décembre de l année, les chiffres recueillis dans notre enquête paraissent tout de même inquiétants. Par exemple, l ASE du département 59 indiquait le nombre de 383 MIE au 1 er janvier 2001 et le nombre de 31 MIE toujours présents au 31 décembre 2001. Certes, toutes les sollicitations d accueil ne sont pas suivies d une admission à l ASE. Néanmoins, ces chiffres reflètent quelle réalité : une méconnaissance interne de la population, une perdition des MIE (fugue, disparition), une orientation spécifique ou une fin de prise en charge? Ces questions, encore sans réponses, illustrent la nécessité d améliorer la connaissance de la population en termes de parcours tant dans les pays d origine que sur le territoire français. Une présence croissante et diffuse des MIE à l ASE De 1999 à 2001, 3 568 MIE ont été présentés aux services de l ASE de 49 départements 2. Près de 55% l ont été en 2001. Ils sont en effet trois fois plus nombreux en 2001 par rapport à 1999. Leur présence se diffuse progressivement à l ensemble du territoire bien que les départements frontaliers et la région Ile-de- France soient les plus touchés par le phénomène. Plus de 50 départements reçoivent des mineurs isolés, dans des proportions cependant très différentes : des centaines à Paris, dans le Nord (59) ou dans la Seine-Saint- Denis (93), quelques dizaines de mineurs dans les autres départements, voire moins de 10 dans une vingtaine 2 Il s agit de données extraites de l enquête auprès des départements (sauf DOM TOM). 23 sur 97 n ont pas répondu au questionnaire, dont Paris et la Seine-Saint-Denis. Nous avons ajouté les chiffres dont nous disposions pour ces deux départements à ceux des 47 départements qui ont effectivement accueilli des mineurs isolés étrangers au cours de la période 1999-2001.

d entre eux. Leur présence intrigue néanmoins et pose des difficultés assez similaires dans l ensemble des départements : elles portent sur l identité (l âge, le nom, l absence de documents d état civil ) et les procédures administratives. Les nationalités des MIE à l ASE Les nationalités se multiplient en même temps que progresse le nombre de mineurs isolés : une trentaine de nationalités en 1999 et 75 en 2001. La plupart des nationalités (76%) sont représentées par moins d une dizaine d individus, voire un ou deux. Seules quelques nationalités ont une présence plus massive. Les cinq premiers pays d origine des MIE en 2001 sont : la Roumanie (16,76%) ; la Chine (12,83%) ; le Maroc (11,05%) ; l Albanie (7,19%) ; le Congo (6,52%). Selon les départements, cette répartition varie. Ainsi, en 2001, les Chinois sont surtout localisés à Paris. A l inverse, les Marocains et les Albanais sont beaucoup moins présents à Paris que dans les Alpes- Maritimes ou dans le Nord, tandis que les jeunes Roumains sont signalés dans divers départements. Tous les continents sont représentés. L Afrique l est dans des proportions plus importantes mais si nous lui ôtons, arbitrairement, le Maghreb (16%), elle n occupe plus que le deuxième rang (26%) après l Europe (35%). Les mineurs isolés originaires du Maghreb sont en fait essentiellement Marocains (70%) tandis que les mineurs isolés en provenance d Europe sont surtout Roumains (près de 48%), puis Albanais (environ 20%) et des ressortissants de l Ex-Yougoslavie et du Kosovo (8%). Les Congolais (25%) et les Angolais (25%) forment à eux seuls près de la moitié de l effectif africain. Les mineurs en provenance d Asie sont majoritairement Chinois (61%), puis Afghans (14,5%) et Indiens (11%). L Amérique et l Océanie sont très faiblement représentées (moins de 1%). Les nationalités des MIE accueillis à l ASE ne coïncident pas tout à fait avec celles des MIE ayant sollicité le statut de réfugié à l OFPRA. Les premières nationalités, par ordre d importance, à demander l asile ne sont pas celles à être les premières accueillies à l ASE. En 2001, des MIE ressortissants de 30 nationalités ont déposé un dossier à l OFPRA. Ils viennent d abord d Asie (36,5%) notamment des Srilankais (17,5%) et des Indiens (9%) ; puis d Afrique (33%) en premier lieu des Congolais (12%) et des Sierra-Léonais (4,5%) ; après d Europe 28,5% d abord des ressortissants de Turquie (10,5%) et de Moldavie (4%) ; enfin d Amérique (2%).

Les mineurs originaires du Maghreb sont quasi absents de la population des MIDA (Mineurs Isolés Demandeurs d Asile), il en va de même pour les Roumains. Les jeunes Sri-lankais et Indiens, eux, sont beaucoup plus présents alors qu ils le sont peu à l ASE 3. En 2001, au regard de l ensemble des MIE accueillis à l ASE, les réponses à notre questionnaire montrent que seulement 2,6% ont fait une demande d asile. De manière générale, les procédures mises en œuvre (tutelle, demande d asile et nationalité) sont réduites par rapport au nombre de mineurs accueillis, notamment la demande de tutelle qui devrait suivre le constat d absence de référent légal. L âge du mineur (proche de la majorité) peut être un obstacle à la procédure. En 2001, environ 11% des MIE accueillis ont fait l objet d une demande de tutelle et 5% ont demandé la nationalité française 4. Age et sexe des MIE à l ASE En 2001, la classe d âge des 15-16 ans est la plus importante (près de 40%). Ensuite viennent les 17-18 ans (34%), les 13-14 ans, 16% et les moins de 12 ans, 8%. Les ¾ des MIE sont donc âgés de 15 ans et plus. C est pour le groupe des 17-18 ans que se pose avec le plus d acuité la question de l examen osseux. Etant donné la marge d erreur de plus ou moins 18 mois, ils peuvent basculer dans la majorité ou dans la minorité. Pour diverses raisons, c est aussi pour ce groupe que la prise en charge est la plus aléatoire, voire la plus réduite : hébergement en hôtels sociaux, absence de scolarisation et/ou de formation, absence de demande de tutelle La population est à dominante masculine : en moyenne 8 MIE sur 10 sont des garçons. Toutefois, des nationalités (roumaine, angolaise et zaïroise, notamment) sont plus féminisées tandis que d autres (marocaine, albanaise, par exemple) n ont quasiment pas de représentantes féminines. En 2001, les garçons sont un peu plus souvent âgés de 17-18 ans que les filles (36% contre 25%). Les MIE sont donc surtout des garçons, âgés de 16 à 18 ans, originaires de tous les continents. Certains sont francophones, d autres ne parlent que la langue du pays d origine, voir un dialecte régional. Ils ont été plus ou moins scolarisés ou bien sont analphabètes. Ils arrivent dans des états de santé parfois très inquiétants. Leur culture, l histoire de leur 3 Nous savons que les mineurs Tamouls originaires du Sri-lanka sont effectivement le plus souvent accueillis dans un cadre familial et que, pour eux, se met rapidement en place une tutelle familiale. D ailleurs, ils vont aussi accéder plus rapidement au statut de réfugié car leurs tuteurs sont eux-mêmes des réfugiés et, à ce titre, l OFPRA leur accorde le statut selon le principe de l unité de famille. 4 Ces pourcentages sont eux-mêmes à relativiser car ils portent sur les effectifs pour lesquels nous avons obtenu une réponse, soit 121 mineurs pour la tutelle et 54 pour la nationalité française.

pays sont méconnues par les différents professionnels qui vont être également amenés à travailler sur les circonstances du départ du pays d origine et les conditions d existence en France. II. LES TRAJECTOIRES MIGRATOIRES DES MINEURS ISOLES ETRANGERS Les modalités d arrivée en France sont multiples, par voie terrestre, aérienne ou portuaire. Leur voyage a duré quelques jours ou quelques mois. Ils sont contrôlés à la frontière et placés dans une zone d attente ou ils entrent sur le territoire sans avoir été contrôlés. Ils sont accompagnés à leur arrivée ou bien sont déjà seuls. Certains sont des mineurs rejoignant des compatriotes, d autres ne connaissent personne en France. Bien que les contextes politique, familial et économique se mêlent de manière très étroite, nous pouvons esquisser les configurations qui président au départ du pays d origine et donnent lieu à des profils de MIE. Cinq se dessinent plus nettement. Les exilés Les mineurs exilés viennent de toutes les régions ravagées par la guerre et les conflits ethniques. Ils quittent leur pays par crainte des répressions à cause des activités politiques de leurs proches ou du fait de leur appartenance ethnique. Leurs parents ont été tués ou bien ont disparu. Les exilés sont parfois passés par des camps de réfugiés. D aucuns ont été recueillis par des proches ou par des communautés religieuses et des organisations humanitaires qui décident de les mettre à l abri et leur font prendre un bateau ou un avion. Des mineurs tentent aussi d échapper à l enrôlement forcé au sein de l armée régulière ou dans les troupes rebelles. Les mandatés D autres mineurs sont incités à partir par leurs proches afin d échapper à la misère. Dans un premier cas, le mineur a comme mandat de se rendre en Europe pour y travailler et envoyer de l argent à sa famille restée au pays. Dans un second cas, l entourage du mineur peut décider de le faire aller en Europe afin qu il poursuive ses études, ait un métier. Le mandat du mineur est alors la réussite sociale et économique, par le biais des études. Le mineur porteur d un tel mandat est scolarisé dans le pays d origine, mais la crise

politico-économique l empêche de continuer. Sa famille, d un milieu aisé au départ, dépense ses dernières économies pour lui payer le voyage. Les exploités Des mineurs sont aux mains de trafiquants de toutes sortes, parfois avec la complicité de parents, avant même d arriver en France. L exploitation peut être polymorphe : prostitution, travail clandestin, mendicité et activités de délinquance. Les fugueurs Des mineurs quittent leur domicile familial, voire l orphelinat dans lequel ils vivaient, à cause de conflit avec leur famille (ou l institution) ou parce qu ils sont victimes de maltraitance. La fugue les porte au-delà des frontières de leur pays. Les errants Des mineurs étaient déjà en situation d errance dans leur pays d origine, depuis parfois des mois ou des années avant leur départ pour l Europe. Ils vivaient de la mendicité, de petits emplois de fortune, voire de prostitution. Ils décident de tenter leur chance dans un pays riche. Il s agit plutôt d enfants dans la rue que d enfants de la rue : ces derniers vivent complètement à la rue depuis l âge de 5-6 ans et, sans projet ni énergie, ils s expatrient rarement. Les errants traînent dans la rue à la sortie de l orphelinat ou parce que leurs parents n ont pas d argent pour les scolariser et/ou les nourrir. Ils poursuivent leur itinéraire d errance en partant à l étranger. Quelques-uns deviennent de vrais errants, passant rapidement d une ville à l autre, d un pays à l autre. Ils prennent souvent des toxiques et commettent des actes de délinquance 5. La frontière entre l un et l autre de ces profils est en fait très perméable, que ce soit au départ du pays d origine ou en France. Les exilés sont également porteurs d un mandat familial, même s il n est pas explicité : la sauvegarde de leur vie et de la lignée. Ils sont les représentants, voire les survivants d une famille détruite ou en péril. Les mandatés, eux, deviennent des exploités quand ils doivent travailler pour 5 Constats de l association Jeunes Errants à Marseille.

les passeurs afin de rembourser la dette du voyage. Ils peuvent être en rupture avec leur famille, qu ils soient exploités ou fugueurs. Ils sont tous susceptibles de connaître l errance, de vivre dans la rue avant d être repérés par une association, un service social ou la police. Quelle que soit la raison de leur venue en France, ils peuvent être victimes de la maltraitance des adultes, tant dans leur pays d origine qu au cours de leur périple ou une fois arrivés en France. Au regard du traitement social de la situation des MIE, la présence des exilés paraît le plus souvent légitime et la demande d asile, la réponse la plus évidente à leur situation. A leur égard, l application du cadre de l enfance en danger ne semble pas poser de problèmes. La présence des autres mineurs paraît, elle, beaucoup moins légitime. Les MIE sont alors soupçonnés d être manipulés (le jouet des filières et des réseaux ) et manipulateurs (ils seraient dans le mensonge concernant leur identité, leur âge, les raisons de leur présence en France), à la fois victimes et délinquants (de manière exemplaire, le cas des jeunes roumains passant de l un à l autre selon qu ils sont identifiés comme prostitués ou comme voleurs ). Les réactions à leur propos sont beaucoup plus ambivalentes et l application de la grille enfance en danger à leur situation plus incertaine que pour les exilés, d autant plus s ils ne sont pas eux-mêmes demandeurs de protection (arrestation à la suite d un délit ; fugue des foyers) ou, tout au moins, demandeurs d institution.