Quand des vies sont en jeu : l urgente nécessité d un accès accru aux traitements contre le VIH et la tuberculose au Myanmar



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Quand des vies sont en jeu : l urgente nécessité d un accès accru aux traitements contre le VIH et la tuberculose au Myanmar Introduction «Nos patients sont très malades. Un trop grand nombre d entre eux meurent parce qu ils commencent leur traitement trop tardivement.» Un médecin de MSF, Myanmar En novembre 2011, le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme a a annulé le prochain tour (série 11) de son mécanisme de financement, dans le cadre duquel les subventions devaient commencer à être distribuées en 2012. Des dizaines de milliers de vies sont désormais menacées au Myanmar. En 2008, Médecins Sans Frontières (MSF) qui fournit actuellement la plus grande partie des traitements contre le VIH au Myanmar a publié un rapport intitulé A Preventable Fate (Un destin évitable) 1, qui faisait état pour la première fois de la crise du VIH/sida qui sévit au Myanmar. Le présent rapport de suivi décrit la situation actuelle des personnes touchées par le VIH et la tuberculose au Myanmar, en portant une attention particulière à la tuberculose à bacilles multirésistants (TB-MR). Au Myanmar, on évalue à 120 000 2 le nombre de personnes vivant avec le VIH/sida qui ont besoin d un traitement antirétroviral (ARV). En 2010, selon les estimations nationales, moins de 30 000 de ces personnes ont pu obtenir ce traitement 3. L ONU estime qu au cours des dernières années, entre 15 000 et 20 000 personnes sont mortes chaque année au Myanmar en raison d un accès insuffisant aux ARV 4. Pendant ce temps, la prévalence de la tuberculose au Myanmar b a atteint près de trois fois la moyenne mondiale 5. Le nombre de personnes vivant avec la tuberculose pourrait s élever à 300 000 6, et selon les évaluations, 20 % de ces personnes seraient séropositives pour le VIH 7. La tuberculose à bacilles multirésistants (TB-MR) se caractérise par le même mode de transmission aérogène que la tuberculose, mais elle est plus longue et complexe à traiter, et le traitement est difficile à tolérer pour les patients. Le Myanmar fait partie des 27 pays qui présentent les taux les plus élevés de TB-MR au monde. L Organisation mondiale de la santé (OMS) estime à 9 300 le nombre de nouveaux cas de TB-MR chaque année 8. En 2010, 192 patients atteints de TB-MR avaient entrepris un traitement 9. Les chiffres pour 2011, qui n ont pas encore été publiés, indiquent que le nombre total de personnes ayant reçu un traitement s élève à un peu plus de 300 c. La tuberculose à bacilles multirésistants se caractérise par le même mode de transmission aérogène que la tuberculose, mais elle est plus longue et complexe à traiter, et le traitement est difficile à tolérer pour les patients. L appui apporté par le Fonds mondial au Myanmar a repris en 2011, après une absence de cinq ans du Fonds dans ce pays. Les subventions versées à l époque (dans le cadre de a Le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme a été créé en 2002. www.theglobalfund.org b Le Myanmar se classe parmi les 22 pays ayant la plus forte prévalence de tuberculose, les 27 pays ayant la plus forte prévalence de TB-MR et les 41 pays ayant la plus forte prévalence de co-infection tuberculose/vih au monde (OMS). c Les chiffres seront publiés par le ministère de la Santé du Myanmar en 2012. 1

la série 9) ont été essentielles pour poser les premiers jalons des interventions du Myanmar visant à procurer des traitements contre le VIH et la tuberculose. Mais il existe toujours un gigantesque fossé entre les besoins des populations et l accès aux traitements. Le financement accordé au Myanmar par le Fonds mondial dans le cadre de la série 9 est censé aider 50 000 personnes à accéder aux ARV d ici à 2015, ce qui constitue une importante augmentation, mais 70 000 personnes resteront tout de même privées de ce traitement salvateur. La série 11 aurait été cruciale pour combler cet écart : les fonds prévus auraient payé pour les traitements ARV de 46 500 nouveaux patients et contribué à porter le nombre total de personnes soignées à près de 100 000 en 2018. Les fonds devaient aussi permettre à 10 000 patients atteints de TB-MR d obtenir un traitement. Malheureusement, les donateurs n ont pas respecté leurs engagements. Face à un important déficit financier, le conseil du Fonds mondial a décidé d annuler la série 11. Or si un financement n est pas rapidement accordé de toute urgence au Myanmar, les conséquences seront dévastatrices. La perte du financement attendu, qui devait être consacré à l extension de l accès aux traitements contre le VIH et la tuberculose et au traitement de la TB-MR, est un coup très dur infligé au Myanmar, qui est le pays le moins avancé d Asie du Sud-Est 10. Ce sont les populations les plus pauvres, celles qui ont le moins accès aux soins de santé, qui auront à payer le prix fort. Nous nous trouvons actuellement à un moment décisif. En réponse aux réformes politiques effectuées récemment au Myanmar, la communauté internationale a décidé d intensifier son engagement dans ce pays. Les donateurs ont une occasion réelle ainsi que la responsabilité de tirer parti de ce contexte et de contribuer à combler le fossé entre les besoins et l accès aux traitements pour les personnes porteuses du VIH et atteintes de tuberculose. Vivre avec le VIH au Myanmar «Je veux que les traitements soient accessibles à tous les patients au Myanmar. Je veux que les gens restent en vie grâce au traitement, comme nous.» Une patiente de 30 ans vivant avec le VIH, dont le mari et le plus jeune enfant sont également séropositifs pour le VIH Le Myanmar présente l un des taux de couverture en ARV les plus bas au monde 11. Environ 85 000 personnes vivant avec le VIH n ont toujours pas accès à ces traitements vitaux d. S ils ne constituent pas un remède, les ARV revêtent littéralement une importance vitale pour les six millions et plus de personnes qui, dans les pays en développement, sont encore en vie après avoir bénéficié d un traitement. Selon une étude réalisée en 2008, une personne âgée de vingt ans ayant entrepris un traitement antirétroviral entre 1996 et 2005 peut s attendre à vivre encore 43 ans en moyenne 12. «Lorsque j ai pris connaissance de mon état, j ai perdu espoir et j étais persuadé qu il n y avait rien à faire. Ma vie était au point mort. Je ne savais pas comment vivre, ni comment d En tenant compte des données préliminaires du ministère de la Santé du Myanmar et d ONUSIDA pour 2011 relativement aux traitements ARV au Myanmar, données qui ne sont pas encore publiées, MSF et d autres estiment que le déficit en matière de traitements ARV correspond actuellement à 85 000 personnes. 2

composer avec ma situation. Maintenant que je reçois un traitement, j ai recommencé à travailler et je me suis même classé au troisième rang lors du concours Music Idol au Myanmar en 2010.» Un homme de 32 ans vivant avec le VIH Le VIH équivalait jadis à une condamnation à mort, mais grâce aux ARV, le système immunitaire des patients a la possibilité de se rétablir et de combattre la maladie. Les gens peuvent alors retourner au travail, et la peur ainsi que la stigmatisation liées à la maladie diminuent. «Je suis bouddhiste, et selon le bouddhisme, je dois accomplir des actions positives. Si je meurs, je n aurai pas le temps de faire ces choses. Aujourd hui, grâce au traitement, je peux méditer deux fois par jour. Je peux même jouer au football.» Un homme de 56 ans vivant avec le VIH «Il ne pouvait pas marcher comme les enfants normaux. Il avait beau essayer, mais la fièvre était trop forte. À l âge de trois ans, il a commencé un traitement ARV. Aujourd hui, à part quelques maladies passagères, il est un petit garçon normal, en santé et heureux.» La grand-mère adoptive d un enfant de 11 ans séropositif pour le VIH Figure 1. Ce graphique a été tracé à partir des données de l ONUSIDA 13. «Dans notre esprit, l avenir des traitements antirétroviraux est toujours préoccupant. Nous nous inquiétons non seulement pour nous, mais aussi pour les gens qui n ont pas encore reçu de traitement.» Une patiente de 25 ans vivant avec le VIH et dont le mari et le plus jeune enfant sont également séropositifs pour le VIH Des choix impossibles Face à la multitude de personnes vivant avec le VIH qui ont besoin d un traitement, MSF, comme l ensemble des autres intervenants qui luttent contre le VIH/sida au Myanmar, est obligé de faire des choix difficiles et de décider qui peut et qui ne peut pas obtenir de traitement. MSF a dû interrompre à plusieurs reprises le recrutement de nouveaux patients depuis l extension de l accès aux traitements, en 2003, et se voit forcée, dans plusieurs endroits, de procéder à une forme désespérée de triage. Nous n avons tout simplement pas la capacité de gérer la mise en œuvre de traitements contre le VIH à une si grande échelle. Par conséquent, nos médecins sont contraints de prendre, au quotidien, la décision déchirante de ne pas fournir de traitements antirétroviraux à des patients qui, selon les normes de l OMS, devraient en bénéficier, mais qui ne sont pas aussi malades que la personne qui se trouve à côté d eux dans la file d attente. Selon les lignes directrices de l OMS, toute personne dont le nombre de lymphocytes T CD4 est inférieur à 350 devrait bénéficier d un traitement ARV. La numération des lymphocytes T CD4 est un test effectué pour évaluer le degré de suppression du système immunitaire, qui indique dans quelle mesure le virus a progressé dans l organisme. Ce test aide les médecins à déterminer à quel moment entreprendre la prochaine étape du traitement. Plus le nombre de lymphocytes T CD4 est bas, plus l infection à VIH est avancée. En 2009, le seuil prévu par les critères de l OMS dans les pays en développement est passé de 200 à 350 CD4, devant l abondance des données établissant une corrélation 3

entre un début précoce des traitements ARV et l augmentation des chances de survie des patients. Par exemple, une étude récente montre que le fait d entreprendre les traitements ARV à une étape antérieure de l infection à VIH (lorsque le nombre de CD4 est plus élevé) entraîne une diminution de 75 % du taux de décès chez les adultes infectés par le VIH ainsi qu une diminution de 50 % de l incidence de la tuberculose 14. MSF s efforce constamment de fournir, dans l ensemble de ses projets, des traitements ARV en conformité avec les normes internationales. Toutefois, au Myanmar, en raison du nombre élevé de personnes nécessitant un traitement et du peu d autres ressources à leur disposition, MSF est dans l impossibilité d offrir des traitements à l ensemble des personnes dans le besoin. MSF fournit des traitements ARV à plus de 23 000 patients infectés par le VIH au Myanmar (fin 2011), et comme pas moins de 6 000 nouveaux patients sont censés venir s ajouter en 2012, l organisation dépassera les limites de ses capacités. Dans certains endroits, MSF n a pas le choix et doit prendre la décision extrêmement difficile de n inclure que les patients les plus malades, ceux dont le nombre de lymphocytes CD4 est inférieur à 150 ou qui montrent des signes cliniques et des symptômes indiquant un degré de progression du sida qui risque de mettre leur vie en danger. «MSF ne peut pas encore me fournir de traitement ARV. Je suis seulement sous traitement contre la tuberculose. Mais ce n est pas suffisant. Au bout de deux ou trois jours, la diarrhée revient. Lorsque je mange, j évacue immédiatement tout sous forme de diarrhée. Je n ai pas d énergie.» Un homme de 38 ans vivant avec le VIH, qui n a pas accès à un traitement ARV Nos médecins subissent d énormes pressions. Pour eux, c est une chose horrible que d avoir à refuser des patients. «Pour moi, le pire aspect de mon travail est d avoir à dire aux gens qu ils devraient suivre un traitement, mais que nous sommes dans l impossibilité de le leur offrir. C est une chose vraiment pénible à faire.» Un gestionnaire de clinique MSF Compte tenu de nos capacités limitées, la seule autre solution serait de n accepter que les patients les moins malades qui ont une plus grande chance de survie au détriment de ceux qui sont plus gravement atteints. Et refuser les personnes les plus malades apparaît comme le choix le moins éthique d une alternative déjà insensée. En attendant, les personnes dont le nombre de lymphocytes CD4 se situe entre 150 et 350 doivent prendre leur mal en patience alors que leur santé se détériore peu à peu, en espérant qu il y aura une place pour eux dans un hôpital ou une clinique avant qu il ne soit trop tard. «Ils [MSF] ont dit qu ils ne pouvaient fournir de médicaments qu aux personnes dont le taux immunitaire est inférieur à 150. En réalité, il faudrait donner des médicaments aux personnes dont le taux immunitaire est à 350. Quand j ai pris connaissance des critères de MSF, j étais très contrarié et très inquiet pour mon avenir. Je ne m en faisais pas seulement pour moi, mais je voyais beaucoup de personnes malades dans la salle d attente et j étais inquiet pour elles aussi.» Un homme de 27 ans vivant avec le VIH Pendant qu ils attendent, de nombreux patients font l objet de stigmatisation et de discrimination à la maison, dans leur communauté et au travail. 4

«Avant, je vivais chez mon frère, mais sa femme a très peur du VIH. Elle examinait ma peau pour voir s il n y avait pas d ulcères ou d écoulements de pus, ou quelque chose du genre. Et elle me disait de ne pas m approcher de ses enfants. Je me sentais si anxieux que j ai dû partir.» Un homme de 38 ans vivant avec le VIH dont le nombre de lymphocytes CD4 est de 200 et qui est incapable d accéder à un traitement ARV Il est essentiel que les traitements ARV soient plus accessibles au Myanmar. Jusqu à tout récemment, on constatait des signes encourageants indiquant que cela allait se produire dans les prochaines années. Aujourd hui, à certains endroits, MSF et d autres continueront de se voir contraints de sauver des vies à une étape beaucoup plus tardive qu ils ne le devraient. «Jusqu à ce que plus de traitements deviennent disponibles, nous n avons guère d autre choix que de continuer à procéder comme nous le faisons maintenant, c est-à-dire fonctionner tant bien que mal à la limite de nos capacités pour nous occuper du grand nombre de patients désespérément malades qui se rendent à nos cliniques, tout en refusant quotidiennement ceux qui ne sont pas encore assez malades.» Un coordonnateur de projet de MSF, Rangoon «Je souhaiterais que les patients du Myanmar obtiennent plus de traitements. Pour qu ils n aient pas à se sentir aussi malades que moi.» Une patiente vivant avec le VIH, dont le nombre de lymphocytes CD4 est de 20 «Ce qui est aussi très triste pour notre personnel, c est lorsque les patients se présentent en clinique à une étape très tardive de l évolution de la maladie. Nous faisons tout ce que nous pouvons. Mais quand les patients sont aussi malades, nous en perdons un très grand nombre, même en faisant de notre mieux.» Une infirmière de MSF Les traitements ARV s inscrivent dans une démarche de prévention boîte «Avant, mon fils avait continuellement de la fièvre, en particulier durant la saison des pluies. Après le traitement, son état de santé s est réellement amélioré. Parfois, j ai même l impression qu il est plus robuste que les autres enfants.» Une femme séropositive pour le VIH parlant de son fils de quatre ans, également séropositif En raison de l extension de l accès aux traitements ARV, le nombre de décès attribuables au sida a diminué partout dans le monde, et on constate également une baisse globale de la mortalité chez les adultes et chez les enfants de moins de cinq ans, ainsi que de la mortalité infantile 15. On doit également aux traitements ARV une diminution du nombre d enfants nés avec le VIH et d orphelins du sida. Ces traitements ont aussi contribué à ralentir l émergence d infections telles que la tuberculose 16. Les traitements ARV ne font pas que sauver des vies. Il est dorénavant prouvé qu ils constituent un outil essentiel de prévention du VIH. Une étude réalisée en 2011 indique une diminution de 96 % de la transmission du VIH chez les couples dont l un des partenaires est séropositif pour le VIH et sous traitement ARV, et l autre séronégatif 17. 5

1 MSF, A Preventable Fate The failure of ART scale-up in Myanmar, http://www.doctorswithoutborders.org/publications/reports/2008/preventable-fate.pdf. 2 ONUSIDA, OMS, UNICEF, Vers un accès universel : étendre les interventions prioritaires liées au VIH/sida dans le secteur de la santé, http://whqlibdoc.who.int/publications/2011/9789242500394_fre.pdf. 3 Ministère de la Santé du Myanmar, National Strategic Plan for HIV/AIDS in Myanmar, Progress Report 2010. 4 ONUSIDA, Rapport sur l épidémie mondiale de sida 2010, http://www.unaids.org/globalreport/documents/20101123_globalreport_full_fr.pdf. 5 OMS, Myanmar: Health Profile 2009, http://www.who.int/gho/countries/mmr.pdf. 6 OMS, Rapport 2011 sur la lutte contre la tuberculose dans le monde, http://www.who.int/tb/publications/global_report/en/. 7 Ibid. 8 OMS, Multidrug and extensively drug-resistant TB (M/XDR-TB): 2010 Global Report on Surveillance and Response, http://whqlibdoc.who.int/publications/2010/9789241599191_eng.pdf. 9 OMS, Rapport 2011 sur la lutte contre la tuberculose dans le monde, http://www.who.int/tb/publications/global_report/fr/index.html. 10 PNUD, Rapport sur le développement humain 2010 Indicateurs internationaux de développement humain, 2010, http://hdrstats.undp.org/en/indicators/62006.htm. 11 ONUSIDA, Rapport sur l épidémie mondiale de sida 2010, http://www.unaids.org/globalreport/documents/20101123_globalreport_full_fr.pdf. 12 The Antiretroviral Cohort Collaboration, «Life expectancy of individuals on combination therapy in highincome countries: a collaborative analysis of 14 cohort studies», The Lancet, n o 372, 2008, p. 293-299. 13 ONUSIDA, Rapport sur l épidémie mondiale de sida 2010, http://www.unaids.org/globalreport/documents/20101123_globalreport_full_fr.pdf. 14 «Early versus Standard Antiretroviral Therapy for HIV-Infected Adults in Haiti», New England Journal of Medicine, 363:3, 15 juillet 2010, http://www.nejm.org/doi/full/10.1056/nejmoa0910370. 15 OMS, Rapport de situation 2011 sur la riposte mondiale au VIH/sida Principaux faits sur l épidémie mondiale de VIH et les progrès enregistrés vers un accès universel, http://www.who.int/hiv/pub/progress_report2011/en/index.html. 16 Cohen, M.S., et autres, «Prevention of HIV-1 infection with early antiretroviral therapy», New England Journal of Medicine, 365, 2011, p. 493-505, http://www.nejm.org/doi/full/10.1056/nejmoa1105243. 17 Cohen, M.S., et autres, «Prevention of HIV-1 Infection with Early Antiretroviral Therapy», New England Journal of Medicine, DOI: 10.1056/NEJMoa1105243 (2011). 6

Une situation qui s améliore, un optimisme prudent Il ne fait aucun doute que la situation du VIH/sida au Myanmar s'est améliorée par rapport à ce qu'elle était il y a quelques années seulement, alors qu on n y trouvait pratiquement aucun traitement antirétroviral (ARV). Avant l octroi des fonds accordés dans le cadre de la série 9 du Fonds mondial pour la période 2011-2015, les efforts conjugués des ONG internationales et du gouvernement du Myanmar atteignaient moins de 20 % de la population nécessitant des ARV dans ce pays i. Les efforts louables de projets comme le Fonds de lutte contre les trois maladies (3DF) 1 ont aidé à combler quelques-uns des besoins les plus urgents. Néanmoins, le manque d accès aux traitements aurait causé près de 18 000 décès liés au sida en 2009 ii. À l époque de la publication de son rapport A Preventable Fate, en 2008, les chiffres étaient accablants et MSF était incapable de prendre en charge de nouveaux patients. La peur des personnes atteintes du VIH/sida était palpable. Toutefois, grâce à l injection de nouveaux fonds et à la réintroduction de la série 9 du Fonds mondial en 2011, nous avons pu commencer à augmenter le nombre de patients pris en charge. Aujourd'hui, on sent un vent d'optimisme, même chez ceux qui n ont pas accès aux traitements. Un sentiment d espoir. Malgré l adversité. «Même si on est porteur du VIH, on ne doit pas se sentir déprimé. Il faut rester optimiste, vivre de manière constructive. Le jour où mon taux de CD4 baissera sous le seuil de 150, j'obtiendrai mon traitement ARV.» - Un homme de 21 ans, dont le taux de CD4 est de 186, aujourd hui incapable d'accéder au traitement. Depuis 2008, MSF a presque doublé sa capacité de prise en charge; elle est passée de 11 000 à 23 000 patients. Plusieurs autres ONG se sont engagées à intensifier leurs activités dans le cadre de la série 11, mais elles dépendent entièrement des fonds publics mis à leur disposition pour le faire. Un optimisme prudent a pris racine au Myanmar à l égard du VIH et de la tuberculose. La communauté des donateurs ne doit pas laisser cette espérance se transformer en désespoir. Nous sommes en train de rater une véritable occasion de réussir. Au Myanmar, les taux de prévalence du VIH sont relativement faibles comparativement à plusieurs autres pays. C'est l absence de traitement qui en fait l'une des plus graves épidémies dans toute l Asie. 1 Pour aider à combler le manque à gagner après le départ du Fonds mondial du Myanmar en 2005 et contribuer à la lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme, un consortium multidonateurs doté d un fonds de 138 millions de dollars américains a été constitué en octobre 2006 par la Commission européenne et les gouvernements de l Australie, des Pays-Bas, de la Norvège, de la Suède et du Royaume-Uni. Le Danemark a rejoint le 3DF en 2009. En 2012, le 3DF est devenu le fonds 3MDG. Celui-ci se consacre principalement au financement de la santé maternelle et infantile et de quelques projets dédiés au VIH/sida et à la tuberculose.

En améliorant l'accès aux ARV et en appuyant de nouveaux efforts pour prévenir la transmission, il sera possible de stopper la progression du VIH au Myanmar. BOXED OUT TEXT Les données de MSF confirment la faisabilité et la nécessité de proposer des ARV dans le cadre des soins primaires au Myanmar Sabapathy et al., article à paraître en 2012 dans le Journal of Acquired Immune Deficiency Syndrome (JAIDS). Dans une étude récente sur le programme de traitement antirétroviral de MSF, à paraître sous peu dans JAIDS, on a analysé les résultats obtenus chez quelque 6 000 patients qui prennent des ARV depuis environ sept ans. Malgré un degré avancé d'immunosuppression (46 % des patients étaient au stade clinique 4 tel que défini par l'oms), un état nutritionnel très médiocre chez la majorité des patients (54 % avaient subi une perte de poids sévère avec un indice de masse corporelle de <18,5 kg/m 2 ) et un taux élevé de co-infection par tuberculose (62 % des patients avaient reçu un diagnostic de tuberculose), on a constaté que le taux de survie et de poursuite du traitement était élevé si on le comparait avec des milieux aux ressources limitées du même type. Les chercheurs concluent que la prestation à grande échelle d un traitement antirétroviral dans le cadre des soins primaires est chose faisable et ils préconisent un soutien accru à l égard des ARV au Myanmar. *Pour en savoir davantage sur les critères de classification de la maladie adoptés par l'oms, consulter www.who.int/hiv/pub/guidelines/clinicalstaging.pdf Pendant ce temps, une autre crise (souvent indissociable) fait rage : la tuberculose Une personne atteinte de tuberculose active, mais non soignée, peut infecter de 10 à 15 autres personnes chaque année iii. Le VIH s attaque au système immunitaire. Ce faisant, il rend l'organisme vulnérable aux infections. Au Myanmar, comme dans de nombreux autres pays en développement, l'une des premières infections à s installer est la tuberculose. Toute crise du VIH s'accompagne inévitablement d'une crise de tuberculose. Le Myanmar compte parmi les 22 pays qui enregistrent les taux de tuberculose les plus élevés dans le monde; la prévalence de la maladie est plus du double de la moyenne régionale et près du triple de la moyenne mondiale iv. Une enquête menée en 2006 par le Programme national de lutte contre la tuberculose du Myanmar en collaboration avec l'oms montre que la charge de morbidité liée à cette maladie est le double de ce qu on avait anticipé. Or le financement accordé au Myanmar dans le cadre de la série 9 du Fonds mondial reposait sur des chiffres antécédents sur la prévalence de la tuberculose, dont on sait aujourd'hui qu'ils étaient largement sous-estimés. «Nous vivons loin de Rangoon; pour s'y rendre, il faut faire huit kilomètres à pied jusqu à la route et quatre heures de bus. Le transport coûte très cher. Les médecins nous ont dit qu il nous faudrait rester ici encore trois mois. Mais c'est au-delà de nos moyens; nous voulons rentrer à la maison. Mon mari est mort récemment il s'est noyé. Je ne dépense pas d'argent

pour moi-même, seulement pour mon fils.». Une mère, seule personne à s occuper d un patient atteint d une co-infection par VIH et tuberculose, dont le taux de CD4 est de 42, et qui a dû déménager à Rangoon pour obtenir des soins. Ces nouvelles estimations indiquent que le Myanmar pourrait avoir compté jusqu'à 300 000 cas de tuberculose en 2010 v. Près de 20 % sont des personnes vivant avec le VIH vi. Partout dans le monde, la tuberculose est la principale cause de mortalité chez les personnes atteintes du VIH/sida : presque un décès sur quatre vii. L'enquête montre que les méthodes actuelles ne permettent pas de détecter la majorité des cas de tuberculose au Myanmar. La série 11 du Fonds mondial devait permettre au Myanmar d accélérer la détection par le recours à de nouvelles techniques et une intervention proactive auprès de la population 2. Le Myanmar prévoyait ainsi renforcer son programme de lutte contre la tuberculose et atteindre la multitude de patients restés dans l ombre. Aujourd'hui, tous ces efforts risquent d'être réduits à néant. La tuberculose à bacilles multirésistants (TB-MR), l apparition d un grave danger «La plupart des gens ne savent pas ce que ça implique. C'est pourquoi la TB-MR ne leur fait pas peur. Ils ont seulement peur du VIH/sida, mais ce n est pas logique. La tuberculose se transmet facilement par l air, alors que ce n'est pas le cas avec le VIH. Personne ne sait qui est atteint de tuberculose.» Un homme de 38 ans co-infecté par la tuberculose et le VIH. On parle de tuberculose à bacilles multirésistants (TB-MR) lorsque ces derniers deviennent résistants à l'isoniazide et la rifampicine, les deux médicaments les plus courants contre la maladie. Selon l'oms, le Myanmar compte parmi les 27 pays dans le monde où la charge de morbidité associée à la TB-MR est élevée viii. Le phénomène de résistance est attribuable à des causes variées : l'adhésion à la dose quotidienne requise est faible ou le patient ne va pas jusqu'au bout de son traitement; les prestataires de soins ne prescrivent pas le bon médicament, la bonne dose ou la bonne durée de traitement; l'approvisionnement en médicaments est interrompu; les médicaments sont de mauvaise qualité, comme c'est souvent le cas dans le marché privé. La TB-MR suit la même voie de transmission aéroportée que la tuberculose, mais elle est difficile à diagnostiquer; elle dure longtemps et sa prise en charge est complexe. La prise en charge d un patient atteint de TB-MR dure deux ans, alors qu'elle ne dure habituellement que six mois pour la tuberculose régulière. Elle comprend un cocktail de médicaments encore plus important, dont certains entraînent des effets secondaires graves. 2 Conformément au cadre d'action de l'oms en matière de détection accrue et précoce de la tuberculose, le Myanmar compte adopter un train de mesures, notamment : recourir à de nouveaux outils comme GeneXpert (un nouveau test diagnostique prometteur); entreprendre des campagnes de sensibilisation à l'échelle du pays; collaborer avec les prestataires de soins de santé sur le terrain; dépêcher des équipes mobiles dans les régions éloignées à prévalence élevée afin de renforcer la prise en charge des cas présumés.

«Je détestais le fait d'avoir à prendre tous ces médicaments le matin. Il y en avait tant : dix-sept comprimés et une foule de petites pilules, sans parler de ceux contre les engourdissements et les étourdissements.» Un homme de 37 ans aujourd'hui guéri de la TB- MR. «Quand je suis arrivée à Rangoon, j éprouvais des frissons, de la fièvre et une perte d'appétit. Après le début du traitement, mon état s'est complètement détérioré. J étais clouée au lit toute la journée. J'avais des nausées, des vomissements et des douleurs causées par les injections. Cela a duré huit mois. Mes enfants me manquaient tout le temps. Ce fut une expérience horrible. Une femme de 28 ans atteinte de TB-MR, après 16 mois de traitement. Les gens en parfaite santé peuvent contracter la TB-MR. Les personnes atteintes du VIH/sida sont particulièrement vulnérables à la TB-MR. Cette forme de la maladie est deux fois plus courante chez les tuberculeux vivant avec le VIH que chez les tuberculeux séronégatifs ix. Les personnes atteintes du VIH/sida courent également un risque élevé de mourir de la TB-MR. «Il est très, très difficile de guérir de la TB-MR. Pendant mon séjour à l hôpital, j'ai vu d'autres personnes atteintes de la même maladie. Certains ont connu des problèmes rénaux après avoir terminé la série d'injections. D autres ont souffert de problèmes d ouïe ou d œdème et d'autres encore sont devenus fous. J ai vu tout ça de mes propres yeux.» Un homme de 38 ans coinfecté par la TB-MR et le VIH. Aujourd'hui, au Myanmar, les personnes atteintes de TB-MR n'ont qu'un accès très limité au diagnostic et au traitement. La série 11 était censée étendre la couverture géographique de l intervention contre la maladie; des centres de traitement allaient être implantés dans tous les états et toutes les régions. On prévoyait ainsi atteindre 10 000 patients de plus sur une période de cinq ans. À l'heure actuelle, seules les divisions de Rangoon et de Mandalay disposent officiellement de services de traitement 3 et les listes d attente des centres sont longues. TÉMOIGNAGES DE PATIENTS ATTEINTS DE TB-MR Pour prévenir la propagation incontrôlable de la TB-MR sous l effet multiplicateur du VIH et du manque de services diagnostiques et thérapeutiques, il faudra mobiliser des ressources importantes. Or le financement tant attendu est menacé et avec lui, des milliers et des milliers de vies. Comme dans le cas du VIH/sida, le diagnostic et le traitement de la TB-MR à un stade précoce augmentent substantiellement les chances de survie des patients. L'un des premiers patients de MSF à bénéficier de soins contre la TB-MR est mort peu de temps après avoir terminé sa thérapie. La raison? À cause de l inaccessibilité des soins dont il avait si urgemment besoin, il avait commencé le traitement beaucoup trop tard. Entre- 3 À Rangoon, la prestation des traitements contre la TB-MR est offerte par l'entremise du ministère de la Santé du Myanmar et par quelques cliniques MSF en collaboration avec ce dernier. À Mandalay, seul le ministère de la Santé fournit le service.

temps, il avait subi des lésions aux poumons; son état de santé est resté précaire tout au long de la thérapie. Sa mort tragique fait donc ressortir la nécessité d'intervenir rapidement. De deux choses l'une : soit l'on accorde du financement afin de consolider les progrès accomplis à ce jour et renforcer suffisamment le programme de traitement de la TB-MR pour répondre aux urgents besoins du Myanmar; soit les personnes en attente de soins devront continuer de prendre leur mal en patience. Entre-temps, elles exposeront tout leur entourage au risque d'infection, tandis que leur état de santé se détériorera. Le fossé entre rhétorique et réalité, ou comment les gouvernements manquent à leurs promesses La décision d'annuler la série 11 est sans précédent dans les dix années d existence du Fonds mondial. La raison invoquée? Il n y a pas assez d argent pour financer de nouvelles propositions. Depuis la décevante conférence de reconstitution des ressources tenue en 2010, les contributions au Fonds mondial suivent une courbe décroissante, les donateurs n ayant même pas accepté de suivre le scénario le moins coûteux 4. Le Fonds mondial fait actuellement valoir la nécessité de recueillir deux milliards de dollars d ici 2013 afin de combler une partie du manque à gagner. Déjà, on s était écarté dangereusement des objectifs internationaux en matière de traitement du VIH. En juin 2011, des États membres de l'onu ont admis avoir échoué dans leur tentative d'atteindre d'ici 2010 l objectif de développement du Millénaire (ODM) préconisant «un accès universel aux traitements contre le VIH/sida.» Ils ont fixé un nouvel objectif maintes fois cité à l extérieur du cadre des ODM. Il s agit de faire grimper à 15 millions, d ici 2015, le nombre de personnes traitées pour le VIH, par rapport aux 6,6 millions de personnes en traitement en 2011. L évolution de la situation au Myanmar est une tragique illustration du vaste fossé entre les discours et la réalité. S il n y a pas d argent pour combler les besoins, ces objectifs ne seront jamais atteints. Quelques mois seulement après l annonce du nouvel objectif en matière de lutte contre le VIH, nous avons perdu le financement d une série complète du Fonds mondial. Des pays comme le Myanmar voient les efforts qu ils ont investis pour améliorer l accès aux soins contre le VIH et la tuberculose voués à l échec. Partout dans le monde, des millions de personnes continueront de souffrir et de mourir inutilement. L annulation de la série 11 signifie le gel, jusqu en 2014, de tout nouveau mécanisme de financement destiné à étendre les programmes de traitement contre le VIH/sida, la tuberculose et ses formes résistantes. Or les maladies se moquent des reports d échéances. 4 Pour la période 2011-2013, le manque à gagner se chiffre à 13 milliards de dollars. Les prévisions actuelles en matière de ressources sont largement en deçà des 11,7 millions de dollars escomptés en 2010, ainsi que des demandes de fonds que projetaient de faire les pays bénéficiaires.

Le VIH et la tuberculose continueront de se propager librement dans un grand nombre de régions. C est AUJOURD HUI même qu il faut agir. Le calcul est simple. Si l on intensifie sans délai la lutte contre VIH et la tuberculose, on épargnera des vies et de l argent. Si le nombre de cas d infection baisse, le nombre de vies gaspillées et de malades à soigner diminuera également. Alors que le 3DF réoriente son action au Myanmar vers d autres besoins urgents comme la santé maternelle, le Fonds mondial reste le seul bailleur de fonds capable de financer durablement le traitement du VIH et de la tuberculose dans ce pays. Il faut que le Fonds mondial et ses donateurs joignent le geste à la parole et réunissent les ressources nécessaires pour créer un nouveau guichet de financement dès 2012. Il faut réapprovisionner le Fonds mondial ou bien établir de toute urgence de nouvelles sources de financement. i ONUSIDA. Rapport sur l épidémie mondiale de sida 2008, http://www.unaids.org/fr/dataanalysis/epidemiology/2008reportontheglobalaidsepidemic/. Consulté le 11 février 2012 ii ONUSIDA, Rapport sur l épidémie mondiale de sida 2010, http://www.unaids.org/globalreport/default_fr.htm. Consulté le 11 février 2012 iii OMS, Tuberculosis Fact sheet N 104, novembre 2010, http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs104/fr/index.html. Consulté le 11 février 2012 iv OMS, Myanmar: Health Profile 2009, http://www.who.int/gho/countries/mmr.pdf v OMS, Rapport 2011 sur la lutte contre la tuberculose dans le monde, http://www.who.int/tb/publications/global_report/fr/index.html vi OMS, Rapport 2011 sur la lutte contre la tuberculose dans le monde, http://www.who.int/tb/publications/global_report/fr/index.html. Idem vii OMS, TB/HIV Facts 2011, http://www.who.int/tb/challenges/hiv/factsheet_hivtb_2011.pdf viii OMS, Rapport 2011 sur la lutte contre la tuberculose dans le monde, http://www.who.int/tb/publications/global_report/fr/index.html ix OMS, Anti-Tuberculosis Drug Resistance in the World 2008, whqlibdoc.who.int/hq/2008/who_htm_tb_2008.394_eng.pdf

La communauté des donateurs au Myanmar «Honnêtement, le Myanmar est très pauvre, et nous ne pouvons pas tout acheter. Nous avons encore besoin de soutien mais nous n en avons pas assez. Alors j espère que nous en recevrons davantage pour que tous les gens qui ont besoin d ARV puissent bénéficier d un traitement complet.» Un homme séropositif de 21 ans, dont le taux de CD4 est de 180 et qui ne peut accéder au traitement. Classé au 149 e rang sur 187 pays selon l indice du développement humain de l ONU i, le Myanmar est le pays le moins développé en Asie du Sud-Est. Il est également l un des pays qui reçoivent le moins d Aide publique au développement dans le monde, recevant une fraction de ce que reçoivent certains de ses voisins de l Asie du Sud-Est. Au Myanmar, le système de santé de l État est sous-financé. Bien que des efforts importants soient faits pour hausser le budget de santé, ce pays mettra des années à mettre sur pied un système de soins exhaustifs. Le ministère de la Santé est le principal organe responsable de la prestation des soins, mais en réalité, les ménages absorbent 70 à 80 % des frais de soins ii, et ce, dans un pays où 32,7 pour cent des gens vivent sous le seuil de la pauvreté. iii Montants nets d'aide publique au développement reçus par habitant 2008-2009 (USD) (Indicateur de développement de la Banque mondiale) Myanmar Cambodi a Vietnam USD 100 Millions 0 Laos 2008 2009 Figure 2 (* Les montants supérieurs d APD octroyées au Myanmar en 2008 peuvent être liés au cyclone Nargis) Les difficultés liées à certains problèmes bureaucratiques et autres ne doivent pas dissuader les donateurs d acheminer de l aide dans les pays nécessiteux, où des vies peuvent être sauvées. La réforme politique au Myanmar favorise des mesures de réciprocité, avec l assouplissement des restrictions de la part de nombreux donateurs. Ces nouvelles relations ouvrent la voie à la possibilité prioriser le traitement des personnes atteintes du VIH et de tuberculose auprès des donateurs. Les bienfaits des ARV dans des pays où les ressources sont rares ont été démontrés. La mise en place d un financement durable constitue la seule façon d assurer aux personnes qui en ont le plus besoin un accès à des médicaments et à des traitements salvateurs. Conclusion : Le Myanmar à une étape cruciale

«J apprécie beaucoup la possibilité de participer à cette entrevue parce qu il ne s agit pas uniquement de moi. Il s agit aussi d autres patients qui ont besoin de soutien. J espère que cela les aidera à accéder à d autres traitements dans l avenir.» Une patiente atteinte de TB-MR, en fin de traitement. L annulation de la série 11 signifie qu en l absence d autres sources de financement importantes, les lacunes quant aux soins dispensés au Myanmar s accentueront une fois de plus et les soins et traitements disponibles ne répondront qu à une infime part des besoins ou se détérioreront davantage. Il faut de toute urgence trouver d autres sources de financement ou renflouer le Fonds mondial. La plupart des éléments pouvant mener à l élimination de l écart entre les besoins et les traitements dispensés, tant pour le VIH que pour la tuberculose, sont présents au Myanmar. On retrouve dans ce pays une conscience du problème, une volonté de le régler et un engagement à accroître le nombre de personnes traitées. Les stratégies en matière de VIH/sida que le gouvernement a présentées dans son Plan stratégique national (offrir un traitement aux ARV à 70 000 adultes et enfants d ici 2015) et ses efforts pour prioriser le traitement décrits dans sa proposition au Fonds mondial en lien avec la série 11 (atteindre 46 500 patients, en plus de ceux prévus dans la série 9) démontrent cette volonté. Entretemps, les mesures énergiques qu il compte mettre en place pour intensifier le dépistage de la TB-MR et prodiguer des traitements indiquent aussi une volonté de s attaquer à cette maladie. Avec un secteur de santé publique qui aura besoin d un plus grand nombre de ressources internes et davantage de temps pour s attaquer aux principaux problèmes de santé dans ce pays, les personnes qui ont besoin d un traitement contre le VIH et/ou la TB-MR dépendent d un financement à long terme provenant de la communauté de donateurs internationaux. Évidemment, l accès au traitement ne relève pas uniquement que de l apport d un financement. Il faut aussi atteindre les personnes vivant avec le VIH et la tuberculose dans les régions urbaines et rurales, dans les communautés ainsi que dans les cliniques et les hôpitaux. Cette démarche constitue un élément essentiel de l équation. Les sites où sont dispensés les traitements aux ARV sont encore en nombres limités. Cette situation force souvent les gens à parcourir de très grandes distances pour bénéficier d un test de dépistage et d un traitement, une situation qui peut parfois séparer les familles pendant des mois. L offre de traitements aux ARV sur une plus vaste étendue géographique aurait facilité et augmenté l accès pour nombre de personnes atteintes de VIH et de tuberculose et constituait une part importante de la proposition présentée au Fonds mondial relativement à la série 11. Le ministère de la Santé du Myanmar a l intention d améliorer l accès aux ARV et de soutenir les établissements de santé en vue d augmenter le nombre de patients traités parmi la population atteinte de VIH et de TB-MR et ainsi réaliser des progrès substantiels, exhaustifs et durables quant au traitement de ces maladies.

MSF demeure engagé dans la lutte contre le VIH, la tuberculose et la TB-MR au Myanmar dans un avenir prévisible mais enjoint aux interlocuteurs concernés de déployer d importants efforts pour augmenter le nombre de personnes traitées et briser ainsi le cycle de la maladie. Pour des dizaines de milliers de personnesau Myanmar, les décisions que prendront les donateurs seront pour elles une question de vie ou de mort. Recommandations : Les donateurs internationaux doivent s assurer que les stratégies prévues pour accroître la prestation de traitements contre le VIH, la tuberculose et la TB-MR soient mises en œuvre. Pour ce faire, ils peuvent : Augmenter le financement, tant bilatéral que multilatéral, aux programmes de lutte contre le VIH et la tuberculose au Myanmar. Acheminer des fonds supplémentaires au Fonds mondial d ici 2012 et inviter activement d autres donateurs à faire de même. Aider le gouvernement du Myanmar à prendre les mesures nécessaires qui assureront l augmentation prévue du nombre de personnes traitées pour le VIH et la tuberculose. Le Fonds mondial doit veiller à ce que le Myanmar reçoive des allocations de fonds adéquates. Les ONG internationales doivent faire leur part et soutenir davantage les efforts pour augmenter l accès au traitement contre le VIH et la tuberculose au Myanmar. MSF apprécie les efforts que le gouvernement du Myanmar déploie dernièrement pour augmenter le budget de la santé et espère que cette tendance se poursuivra. Le ministère de la Santé a besoin de ressources pour offrir les soins nécessaires à la population, y compris des traitements contre le VIH et la tuberculose. MSF demande au gouvernement du Myanmar de continuer à soutenir le processus de décentralisation des traitements aux ARV et des traitements contre la TB-MR salvateurs en étendant la couverture géographique de l intervention contre la maladie et en simplifiant les modalités opérationnelles, comme les procédures d importation. i PNUD 2011 Indicateurs de développement humain http://hdrstats.undp.org/fr/pays/profils/mmr.html ii Ministère de la santé, Myanmar, Organization mondiale de la Santé et Health Intervention and Technology Assessment Program (HITAP), A feasibility study of the Community Health Initiative for Maternal and Child Health in Myanmar, July 2010 iii CIA world factbook https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/geos/bm.html