La Chine à l OMC : promesses, risques et arrière-pensées



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Transcription:

La Chine à l OMC : promesses, risques et arrière-pensées ANDRÉ CHIENG * LLa vigueur des exportations chinoises a étonnamment bien résisté au marasme des Etats-Unis et du Japon, leurs deux principales destinations. Pourquoi donc la Chine a-t-elle fait une priorité nationale de son adhésion à l Organisation mondiale du commerce? Celle-ci ne lui permettra guère d exporter davantage, et la plus grande liberté accordée aux investissements étrangers risque en outre de creuser le fossé entre régions riches et régions pauvres. Mais le gouvernement se donne les moyens de combattre ces déséquilibres. Surtout, il pense trouver dans l OMC une tribune à la hauteur de ses ambitions géopolitiques. Le 11 novembre 21, après une attente de quinze ans, la Chine était acceptée au sein de l Organisation mondiale du commerce (OMC), devenant ainsi son 143 e membre. L événement était largement anticipé depuis trois ans, à partir du moment où la Chine avait fait de son adhésion une priorité nationale. Les rebondissements * Président de l'asiatique Européenne de Commerce, vice-président du Comité France-Chine. n avaient cependant pas manqué, comme le refus opposé par Bill Clinton à la proposition, pourtant très travaillée, que le Premier ministre chinois, Zhu Rongji était venu lui apporter lors de son voyage en avril 1999. Plus tard, au cours de l été, le bombardement de l ambassade de Chine en Yougoslavie ramenait les relations entre les deux puissances à un étiage très bas, jusqu à ce que, dans un véritable coup de théâtre, les deux pays annoncent le 15 novembre être parvenus à un accord. Mais le parcours d obstacles n était pas terminé : la Chine avait sans doute un peu sous-estimé l importance de l Europe, qui, parlant d une seule voix, défendit ses propres intérêts avec vigueur : il fallut attendre le printemps 21 pour que l accord Chine-CE soit signé, ouvrant désormais la voie à l adhésion définitive, qui se fit formellement le 11 décembre 21, soit un mois après que l OMC se fût prononcée à la conférence de Doha. Les conséquences de cet événement, qualifié de «plus importante réforme 2

LA CHINE À L OMC : PROMESSES, RISQUES ET ARRIÈRE-PENSÉES chinoise depuis le lancement de la politique d ouverture et de libéralisation de Deng Xiaoping en 1978» par les autorités chinoises, et de «plus grand bond en avant de l histoire de l OMC» par Pascal Lamy, le commissaire européen au commerce, ont été largement analysées. Mais certaines conséquences importantes de cette adhésion sont restées dans l ombre. L IMPRESSIONNANTE VIGUEUR DES EXPORTATIONS Un sujet d étonnement permanent pour les économistes est la santé du commerce extérieur chinois, et en particulier des exportations. Les derniers chiffres connus ne dérogent pas à la règle : les exportations de 21 ont atteint 266,16 milliards de dollars, en progression de 6,98 %, et les importations 243,61 milliards, en hausse de 8,2 %, laissant un excédent commercial de 22,55 milliards de dollars contre 24,1 en 2. Certes, l excédent a diminué, mais la plupart des économistes prédisaient son effondrement, et certains prévoyaient même un passage dans le rouge. Ils avaient de bonnes raisons pour cela : l analyse des exportations chinoises par zone de destination montre qu environ 5 % d entre elles se font vers le Japon et les Etats-Unis. Or on voit bien que les deux premières économies de la planète sont en récession, l une depuis de nombreuses années et l autre depuis 21. Comme, de plus, la Chine connaît un taux de croissance encore élevé (7,3 % en 21 contre 8 % en 2), l analyse mécanique des flux pouvait faire conclure à un retournement du commerce extérieur. Pourtant, il n en a rien été. Dans une perspective de plus long terme, les performances chinoises paraissent encore plus La Chine est le seul pays asiatique qui ait traversé sans encombres les deux crises qu a connues le continent au cours des quatre dernières années. impressionnantes (graphique 1). A l exception du déficit passager de 1993, la balance commerciale chinoise a été constamment excédentaire depuis 199 avant de connaître une véritable envolée à partir de 1997. On se rappelle que, lors de la crise asiatique de 1997, la Chine avait déjà étonné en maintenant une croissance forte, une balance commerciale positive, sans dévaluation de sa monnaie. Mais elle n était pas la seule. Sans parler de Hongkong, on avait noté les performances remarquables de Taiwan et de Singapour (dont les monnaies avaient néanmoins perdu de leur valeur), et on avait expliqué alors que la spécialisation de ces pays dans la haute technologie les avait préservés en grande partie de la crise asiatique. L année 21 apporte un dramatique retournement : le PIB de Singapour aura baissé de l ordre de 3 %, et Taiwan ne doit qu à ses relations avec le continent de ne pas tomber dans le rouge. Le tableau 1 en fournit une des raisons. En 1997, la crise était en Asie et la conjoncture américaine était à son zénith. En 21, la récession se trouve aux Etats-Unis, et les exportations de Taiwan et de Singapour vers ce pays connaissent un véritable effondrement : - 16 % environ. On notera que, dans le même temps, les exportations chinoises vers les Etats-Unis croissent encore de près de 5 %, ce qui constitue bien un exploit compte tenu de la conjoncture! La Chine reste le seul pays asiatique qui ait pu traverser sans encombres les deux crises qu a connues l Asie au cours de ces quatre dernières années : la crise financière de 1997 et la crise de la haute technologie de 21. Il faut bien constater que le commerce extérieur chinois est «inoxydable». Au cours de ces dix dernières années, quelle que soit la conjoncture mondiale ou asiatique, les échanges extérieurs de la Chine croissent à un rythme rapide et constant, quadruplant dans l intervalle et laissant presque chaque année un surplus considérable (graphiques 2 et 3). UN AIMANT POUR LES DÉLOCALISATIONS L explication de cette performance tient en une phrase : la Chine est devenue le pays de délocalisation de dernier ressort. Cette réalité présente plusieurs facettes : La Chine continue d être le plus grand producteur mondial pour les produits faisant l objet d une délocalisation «historique» : textile, habillement, jouet, maroquinerie, etc. On se rend compte qu aucun autre pays au monde n est capable de rivaliser aujourd hui avec elle dans ces secteurs. Dans le domaine des hautes technologies, la Chine est en train d acquérir une position importante : elle devient la terre d élection de la délocalisation pour les entreprises des pays où ces technologies avaient élu domicile, en particulier Taiwan. L un des phénomènes économiques importants de ces dernières années a été l émigration massive de l industrie taiwanaise sur le continent. On peut en avoir une idée en étudiant les échanges entre les deux rives : les exportations de Taiwan vers le continent sont passées de 3,64 milliards de dollars en 1991 à 25,49 milliards en 2, soit un septuplement,alors que dans le même temps le total des importations chinoises était multiplié par 3,5. Le mouvement s est accéléré à partir de 1999. Or une partie importante des importations chinoises en provenance de Taiwan consiste en composants qui sont assemblés en Chine pour être réexportés. 21

5 4 3 L OUVERTURE ET SES DIVIDENDES Chiffres en milliards de dollars US Graphique 1. Solde commercial 4,3 43,6 29,1 24,1 Enfin, en période de crise, les distributeurs et les industriels sont poussés à rechercher les coûts les plus bas. Or le progrès des télécommunications et des transmissions de données ouvre la possibilité technique de délocaliser de plus en plus de fabrications : la crise favorise la Chine. 2 1-1 -2 3 25 2 15 16,4 8,1 7,7 4,4 5,4-12,2 Source : statistiques chinoises Graphique 2. Exportations 182,8 183,8 148,6 151,2 121,1 194,9 249,26 266,16 Celle-ci, en effet, est l un des seuls pays au monde à pouvoir offrir simultanément quatre avantages essentiels aux entreprises qui cherchent à délocaliser : une main-d œuvre bon marché : habituellement, les Nouveaux pays industrialisés (NPI) voient le coût de leur main-d œuvre augmenter en même temps que leur économie se développe. La Chine échappe à cette règle à cause de la masse de sa population rurale, qui constitue un réservoir de population quasiinépuisable ; 1 5 62,1 71,6 85, 91,8 Graphique 3. Importations un encadrement de qualité, de mieux en mieux formé aux méthodes modernes de management, et bénéficiant aussi du savoir-faire des cadres chinois formés à l étranger ou venant de Taiwan ; 25 2 15 1 5 54, 63,9 8,6 14, 115,7 132,2 138,9 142,1 14,2 165,8 225,1 243,6 un environnement favorable à la délocalisation, avec des infrastructures en progrès constant, des services financiers, des télécommunications et des transports modernes (au moins dans la partie orientale du pays) ; 1 «Quantiflying the impact of China s WTO entry,» 14 décembre 21. 5 4 3 2 1 3,5 Graphique 4. Flux d'investissements directs étrangers 45,3 45,5 46,8 41,7 4,4 4,7 37,5 33,7 27,5 11, 4,4 un marché domestique en pleine expansion, permettant aux industriels qui se délocalisent de disposer d un marché pour leurs produits en plus d une base de production à bas coûts. C est pourquoi l analyse «mécanique» des effets de la récession américaine appliquée aux exportations de la Chine aboutit à des erreurs importantes : elle ne tient pas compte des effets de substitution entraînés par les délocalisations. 22

LA CHINE À L OMC : PROMESSES, RISQUES ET ARRIÈRE-PENSÉES Ainsi, l assimilation entre la Chine et les NPI, naguère surnommés «tigres» ou «dragons», n est pas la plus judicieuse. Il faut d ailleurs revenir sur une autre différence essentielle : malgré leur croissance impressionnante, les exportations ne pèsent pas du même poids pour la Chine et pour les NPI : leur ratio par rapport au PIHB dépasse 1,4 pour Singapour, atteint,4 pour Taiwan ou la Corée, mais il est d environ,2 pour la Chine sur la période 199-1998. L ADHÉSION AGGRAVERA LES DÉSÉQUILIBRES Il faut avoir ces données à l esprit quand on s interroge sur les conséquences pour la Chine de son adhésion à l OMC. L analyse montre aisément qu en termes d échanges extérieurs, elle n a pas grand-chose à gagner. En effet, elle s est imposé d ouvrir davantage ses frontières aux importations et aux investissements étrangers dans le domaine des services, sans que ses exportations puissent augmenter beaucoup plus vite qu elles ne l ont fait jusqu ici sans participation à l OMC la marge de progression étant encore amoindrie par le ralentissement de l économie mondiale. En toute logique, la Chine n aurait pas dû chercher à entrer à l OMC. Pourtant, elle l a fait, et on a vu avec quel acharnement. Pourquoi? La raison la plus importante est à la fois économique et politique : le gouvernement chinois veut faire pression, grâce à l OMC, sur les acteurs domestiques pour les obliger à entreprendre des réformes qui autrement prendraient beaucoup plus de temps. Si on admet cette raison, on a la réponse à une question fort débattue : la Chine va-t-elle respecter les règles de l OMC? Il est clair qu elle a la volonté de le faire, faute de quoi son adhésion perdrait tout son sens. Le gouvernement chinois veut se servir de l entrée à l OMC pour accélérer les réformes. Celle-ci entraînera donc de très importantes conséquences, que l on peut aborder de deux points de vue. Le premier est économétrique et consiste à calculer l impact de la nouvelle donne sur chaque secteur de l économie. Les nombreuses projections réalisées sur ce sujet arrivent à une conclusion étonnante : l impact sur la croissance chinoise sera beaucoup plus faible qu on ne l avait cru initialement. Une étude de la Deutsche Bank 1, par exemple, prévoit un surcroît d expansion de seulement,11 % par an. Ces travaux laissent cependant de côté une conséquence importante de l entrée à l OMC : c est l aggravation du déséquilibre entre les régions chinoises. Déjà, on constate une augmentation sensible des investissements directs étrangers (graphique 4). Or ces investissements se dirigent presque exclusivement vers la région côtière de la Chine, avec deux pôles majeurs : Shanghai et le Guangdong. Avec leur effet d entraînement classique, ils vont permettre à ces régions de connaître une croissance à deux chiffres, bien plus forte que celle des régions occidentales. Comme, en outre, le niveau de départ de ces dernières Tableau 1. est plus bas, la conséquence naturelle en sera un écart grandissant entre l Est et l Ouest. Il y a là une source de difficultés politiques bien plus redoutables que les problèmes qui affecteront l agriculture ou l industrie automobile, ou même que l accroissement du chômage, dû à la modernisation et non à l OMC. Comment y faire face? La première arme, la plus évidente, consiste en des transferts importants des provinces riches vers les provinces pauvres : c est la fameuse politique de développement de l Ouest. Depuis plusieurs années, la Chine déverse ses investissements publics dans la partie occidentale du pays. Mais cette politique est insuffisante si les provinces assistées ne trouvent pas les ressources intérieures qui leur permettent un véritable développement. Une deuxième arme, moins spectaculaire mais peut-être plus efficace, est le management des compétences. Les administrateurs capables, les dirigeants énergiques sont envoyés vers l Ouest. Un secrétaire du Parti de Shanghai est envoyé diriger la province du Jiangxi, un ancien maire de Qingdao, ancien ministre de la Construction, est nommé à la tête du Hubei. Ces cas se multiplient. Bientôt, une mission réussie dans une province de l Ouest sera une condition nécessaire pour accéder PERFORMANCES À L EXPORTATION Croissance observée sur les douze derniers mois, en % (1) Exportations totales Exportations vers les Etats-Unis Chine 7,16 4,86 Hongkong -2,59-7,26 Singapour -7,86-16,6 Corée du Sud -1,9-13,58 Taiwan -13,68-16,82 Thailande -3,4-6,1 Malaisie -7,52-9,33 Indonésie -,2 2,46 Philippines -12,98-17,19 Inde 9,33-11, 99 (1) Statistiques arrêtées entre juin et septembre 21, selon les pays. Source : BNP Paribas, Asian Economic Brief, novembre 21. 23

24 aux plus hauts postes de l Etat. L exemple vient de haut : Hu Jingtao, le successeur prévu de Jiang Zemin, commença son ascension après avoir réussi son passage au Tibet. A contrario, la démission spectaculaire et inattendue de Xu Kuangdi, populaire et irréprochable, en décembre dernier, montre que la réussite comme maire de Shanghai n est plus l assurance d une haute promotion, comme ce fut le cas pour deux de ses illustres prédécesseurs : Jiang Zemin et Zhu Rongji. UNE NOUVELLE TRIBUNE POLITIQUE Un autre aspect de la question, souvent négligé, touche à la politique internationale. Pour le dire autrement, on parle beaucoup des conséquences pour la Chine de son entrée à l OMC, mais assez peu des conséquences pour l OMC de l entrée de la Chine. La nuit du 11 novembre, la télévision chinoise s est longuement attardée sur des propos de l ambassadeur de Colombie : ce diplomate se réjouissait du fait qu avec la Chine, l OMC comptait enfin un pays en voie de développement puissant, qui allait pouvoir faire entendre sa voix et défendre les intérêts des pauvres de la planète. Cette remarque met l accent sur un point d une extrême importance dans le contexte mondial actuel : la Chine représente, à un horizon certes lointain, l une des rares nations à pouvoir se poser en rivale des Etats-Unis. A court terme, si elle n est pas en mesure de leur faire de l ombre sur le plan militaire ni sur le plan économique, elle peut se confronter à eux sur celui des idées. Au début des années 9, Mahatir, le Premier ministre de Malaisie, développait sa théorie des «valeurs asiatiques». La crise de 1997 en a eu raison. On aurait pu s attendre à ce que la Chine, forte de sa résistance à la crise, reprenne ce flambeau. Il n en a rien été. Loin de contester les grandes valeurs «universelles», elle les fait siennes, mais elle veut en donner une définition qui prenne en compte ses propres conceptions de même que le Parti communiste chinois se réclame toujours du marxisme, mais en lui donnant un contenu «modernisé», bien loin des écrits de Marx. Dans les deux cas, la thèse chinoise consiste à dire que les grandes valeurs universelles doivent tenir compte des spécificités géographiques, historiques, économiques et culturelles des pays et régions où on les applique. A un esprit occidental, le débat peut sembler vain et fumeux. Mais pour la Chine, il revêt une importance essentielle. L OMC, bien que limitée aux échanges internationaux, peut devenir un lieu d expression très efficace, notamment en direction des pays en développement. Ainsi, les événements récents sont interprétés de façon différente en Chine et en Occident. George Bush rencontre une large adhésion internationale dans sa lutte contre le terrorisme, mais nombre de points inquiètent Pékin : au nom de cette lutte, les Etats-Unis disposent maintenant d une présence militaire en Afghanistan, sur le flanc ouest de la Chine, ils lancent leur programme de bouclier anti-missiles dont on peut se demander quelle utilité il peut avoir contre le terrorisme, et ils réitèrent leur soutien à Taiwan au nom de la défense de la démocratie. Enfin, quand, au nom de la même lutte contre le terrorisme, les Chinois demandent aux Américains de leur remettre leurs ressortissants capturés en Afghanistan, ils se heurtent à un refus. La Chine a donc besoin de faire entendre sa voix sur la scène internationale, ne serait-ce que pour discuter des «grands principes». Or l ONU, dont les décisions peuvent être systématiquement bloquées par le droit de veto dont disposent les «cinq grands», n est pas une véritable tribune. En revanche, l OMC, bien que limitée au domaine des échanges internationaux, peut devenir un lieu d expression très efficace, en particulier auprès des pays en voie de développement en quelque sorte une des grandes agoras du monde. On se rappelle que, pour renouer le dialogue avec les Américains en 1972, on prit l occasion d une rencontre de ping-pong. Aujourd hui, pour marquer sa place dans le monde, la Chine utilise deux instruments : l OMC pour les idées et les Jeux Olympiques pour le prestige. L Histoire retiendra que c est en 21 que la Chine remporta ces deux succès.l