Astrid Betancourt. L affranchie. du regard des autres, qui n est pas une mesure de réussite de notre propre vie.» «L essentiel pour moi : se libérer

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1 ROLEX_layout 24/09/09 16:18 Page 304 Astrid Betancourt L affranchie «L essentiel pour moi : se libérer du regard des autres, qui n est pas une mesure de réussite de notre propre vie.» En CE1 au lycée français de Bogota.

2 ROLEX_layout 24/09/09 16:18 Page 306 À Bogota avec Mama Yolanda, ma mère, très forte pendant la captivité de ma sœur. LA FAMILIA 1 J ai été profondément marquée par deux cultures puisque, toute ma vie, j ai fait des allers-retours entre la France et la Colombie. Jusqu à l âge de un an j ai vécu en Colombie, puis nous sommes partis pour les États-Unis où mon père a travaillé pour Kennedy, dans la Education Task Force. Ensuite nous sommes arrivés à Paris, où je suis restée jusqu à mes quatorze ans, avec un bref passage en Colombie vers mes sept ans, lorsque mon père a été nommé ministre de l Éducation. Nous sommes retournés à Bogota jusqu à mes dix-huit ans, repartis en France jusqu à mes vingt-quatre ans, puis à nouveau en Colombie, avec une parenthèse française entre ma vingt-huitième et ma trente-quatrième année. La Colombie est un pays atypique, ma famille l est aussi. Je suis issue d une aristocratie colombienne très impliquée dans la politique. Là-bas, il est plus facile pour les femmes de «réussir» car elles sont très aidées et accompagnées au quotidien. Il n y a pas comme en France ce jonglage permanent entre la garde des enfants et la carrière professionnelle. Les femmes font partie intégrante de la vie active. Ma mère a été pionnière en la matière et s est investie très jeune en politique. À dix-huit ans, elle représentait déjà les jeunesses du Parti libéral. Puis elle a été élue reine de beauté, ce qui lui a procuré une certaine notoriété lui Ma classe de 7 e à Lübeck, l Institut de l Assomption à Paris. Je suis la deuxième en partant de la gauche au deuxième rang. permettant de fonder une institution pour les enfants abandonnés. Ensuite, elle a occupé des postes de conseillère municipale, députée et sénatrice. Elle a toujours beaucoup travaillé mais a su parallèlement nous transmettre la magie de la vie. C est une femme très enjouée, quoiqu un peu assagie depuis la tragédie de ma sœur, Ingrid. Mais sa gaieté revient petit à petit. La famille joue un rôle très important dans la réussite, même si, dans mon histoire personnelle, je n ai pu avoir pour l instant une vie de couple qui perdure, malheureusement. LA TRAGEDIA 2 Je ne prends plus rien comme une tragédie. Depuis l enlèvement de ma sœur en Colombie et les autres drames qui ont jalonné ma vie privée, je me raccroche à l enseignement de mon père : «Il faut enlever le système nerveux des problèmes.» Ses paroles résonnent encore dans ma tête Il disait aussi : «Il n y a pas de problèmes, seulement des solutions. Seule la mort est irrémédiable.»

3 ROLEX_layout 24/09/09 16:18 Page 308 simplement parce qu elle était mal dans sa peau. Il ne faut rien prendre d une manière personnelle, c est ainsi qu on peut lutter efficacement. La captivité de ma sœur a changé ma vie. Le bonheur. Mes enfants, Stanislas et Anastasia. En Colombie, j ai participé à une expérience de Georges Charpak qui a conclu que l évidence ne correspond pas nécessairement à la réalité. J ai compris qu il faut être très prudent lorsqu on porte un jugement sur quelqu un. Je mets aujourd hui en pratique cet apprentissage avec mes enfants, Anastasia et Stanislas. Il m arrive souvent de les aider à mettre à plat des situations de leur quotidien. Il y a deux ans par exemple, ma fille a été confrontée à des agressions verbales. Elle en était malade. Je lui ai expliqué que celle qui l avait attaquée ne réagissait pas forcément contre elle mais Mon existence a été mise entre parenthèses : une autre vie s est superposée à la mienne. La libération d Ingrid a été le fruit pour moi d un long combat mené par amour et sens du devoir. Le kidnapping d Ingrid m est tombé brutalement dessus, avec toutes ses conséquences complexes. J avais alors quarante-deux ans, et quarante-huit quand elle a été libérée. Autant dire des années professionnelles essentielles, que j ai dû mettre de côté, mais également des années très importantes pour mes enfants, encore petits, qui ont souffert de mon absence. J ai payé la facture dans ma vie personnelle car on ne peut s engager à plein temps, corps et âme, et préserver simultanément une harmonie de couple. On ne peut demander à l autre des sacrifices qui nous apparaissent comme une évidence puisqu ils concernent une cause très intime. Tout cela a été très douloureux mais a aussi fait émerger des forces en moi dont je ne soupçonnais pas l existence. Le quotidien était vraiment difficile. Je devais porter la détresse de ma mère qui, même si elle a toujours affiché une image très forte extérieurement, avait des moments de profonde angoisse. Mon père étant parti, je ne pouvais pas flancher. Je devais être le tronc inébranlable auquel on pouvait se raccrocher. Curieusement, cela m a apporté une énergie incroyable et une profusion d idées. Je me suis également forgée des croyances qui étaient indispensables pour réussir. J ai toujours gardé espoir. Pendant toutes ces années, je n ai jamais pensé que ma sœur pourrait ne pas revenir. Je ne voulais pas envisager cette éventualité

4 ROLEX_layout 24/09/09 16:18 Page 310 car cela m aurait enlevé la force de combattre jusqu au bout. Même lorsqu on me disait qu elle était malade, je niais : «C est parce qu on l a prise en photo sous le mauvais angle!» Il y a eu des moments très durs. J ai subi la méchanceté et la médisance. Moi qui n avais jusqu alors jamais recherché la notoriété publique, j ai été livrée en pâture à l agressivité de la presse. J ai appris à garder la tête haute en oubliant l impact du regard des autres. Il faut fonder son assurance sur les valeurs qui nous font nous lever le matin et tenir debout tous les jours. J ai dû aussi me fixer mes propres limites. Lorsqu on vous agresse, vous avez envie de répondre, c est une réaction humaine, pourtant il faut se modérer pour ne pas blesser. L important est de parvenir à mettre de la distance avec les événements qui nous touchent en faisant toujours preuve de compassion. Pour moi, il s agit de garder l émotion humaine toujours intacte. Rester dans la juste note en tout. J ai été élevée dans la foi catholique. Ma mère est très pratiquante. Face à la méchanceté humaine gratuite, j ai identifié deux manières de réagir : soit on se dit «Pourquoi cela me tombe-t-il dessus? Comment vais-je faire pour que cela ne me déstabilise pas?», soit on comprend que c est l occasion de grandir et de se renforcer. PAZ DEL ALMA 3 La réussite «sociale» est très certainement liée au pouvoir, à la notoriété et à la richesse. Certains se fixent ces objectifs de vie et se rendent très malheureux s ils ne les atteignent pas. En ce qui me concerne, je pense qu on peut suivre un chemin différent en accordant la priorité à la mission qu on se donne dans la vie. C est une autre option. Pour mon père, qui fut notamment ambassadeur et directeur adjoint de l Unesco, la réussite était dans la transmission de valeurs, comme le sens du devoir, l honnêteté, la dignité humaine, aux générations futures. Aux yeux de ma mère, il s agit de garder sa capacité à s émerveiller de tout comme un enfant. Conserver ses rêves intacts et ne jamais être blasé. 11 ans, en Italie. Pour moi, la vraie réussite est de pouvoir vivre mes propres choix l âme en paix. Voilà le plus important. Cela suppose une chose essentielle : ne pas prendre le regard des autres comme mesure de réussite de notre vie. Sinon on reste prisonnier. Il faut aussi avoir de la compassion pour l autre. La récompense est de pouvoir se regarder en face dans le miroir tous les jours et de se sentir bien avec soi-même. Cela procure un véritable sentiment d épanouissement et de plénitude. C est pour cela que je conseille à mes enfants de rester authentiques, d être persévérants et de toujours garder leurs rêves en tête. MI MISIÓN DE VIDA 4 Je lisais l autre jour un article qui m a interpellée. Les épreuves ne rendent pas forcément meilleurs, elles peuvent aussi nous endurcir

5 ROLEX_layout 24/09/09 16:18 Page 312 Mon père m a transmis sa conviction que nous sommes sur cette terre pour nous améliorer. Chaque chose qui nous arrive nous permet de monter d un cran. Il est vrai que mon combat pour ma sœur m a aguerrie. J y ai concentré toute mon énergie. Je n ai presque jamais pleuré pendant cette période. D abord, parce que les moments de solitude étaient rares ; ensuite, parce qu il était hors de question de m effondrer devant mes enfants pour ne pas les déstabiliser encore plus. Je savais que j étais leur socle. De surcroît, l homme avec qui je partageais ma vie n étant pas un grand consolateur, il valait mieux que je ne me plaigne pas, sinon j aurais été frustrée! Pourtant je me souviens d un jour où j ai ressenti une émotion très profonde en regardant un film. J ai pensé : je redécouvre mon humanité. Aujourd hui, mes enfants se sont construits positivement et je me sens plus libre. Je peux enfin relâcher mes émotions. Je pleure beaucoup de bonheur. J ai eu un moment très heureux cette année : Anastasia et Stanislas m ont organisé une fête surprise pour mon anniversaire avec trente personnes très proches qui m ont beaucoup soutenue et aidée pendant toutes ces années difficiles. Côté professionnel, j essaie de me reconstruire et de mettre en pratique tous les atouts que je pense avoir. Je me suis spécialisée dans le business development et j accompagne des chefs d entreprise français qui veulent ouvrir des marchés en Amérique latine. Je suis à un stade de ma vie où je me sens encore en quête de ma mission. Je ne l ai pas trouvée mais cela ne saurait tarder car, après toutes ces épreuves, je suis prête. Certains repèrent leur mission de vie très rapidement. Il y en a d autres pour qui c est un peu plus long. SA RÉUSSITE Être sur le chemin de sa «mission» de vie après six ans de combat pour libérer sa sœur, Ingrid Betancourt, le 2 juillet 2008, suite à deux mille trois cent vingt et un jours de captivité. SES MOTS-CLÉS Rêver, croire, persévérer. SON PORTE-BONHEUR J en ai plusieurs. Par exemple, ce quartz avec des fils aux couleurs des éléments : bleu pour l eau, vert pour la terre, blanc pour l air, rouge pour le feu. Ou bien ce chapelet de Lourdes, qui m a été offert lors d un dîner par mon voisin de droite, très pieux. Je ne l ai plus jamais revu, mais il reste une sorte d ange. Mon véritable porte-bonheur, ce sont les mots de mon père pour mes vingt-quatre ans : «Avant chaque moment important de ta vie, demande toujours à l Esprit saint d éclairer ta pensée et ta parole» AVEC OU SANS ROLEX Je porte une Rolex, même si je n ai pas encore cinquante ans! C est un cadeau du père de mon fils. Curieusement, à l époque, nous venions souvent dans ce restaurant où nous nous trouvons aujourd hui. 1. «La famille». 2. «La tragédie». 3. «La paix de l âme». 4. «Ma mission de vie»

6 ROLEX_layout 24/09/09 16:18 Page 314 Le quiz de la réussite 314