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- Serge St-Amour
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1 Sus aux puces! LE MONDE à 08h48 Mis à jour le à 15h02 Par Sandrine Berthaud Transhumance urbaine à Lyon en 2013, pour manifester contre la puce RFID. ALEXANDER ROTH-GRISARD/MAXPPP «Pas d'ordinateur entre les brebis et les éleveurs!», «Ni pucé ni soumis!» : une cinquantaine d'éleveurs manifestaient, le 27 mai, sous les fenêtres du tribunal administratif de Grenoble pour soutenir deux des leurs, Etienne Mabille et Irène Bordel. C'est au milieu des huées et du tintement des clarines, dans une salle d'audience surchauffée, que l'avocate du couple, Me Mélanie Cozon, a plaidé. Irène et Etienne, la cinquantaine, jeans, vestes polaires et visages mûris au soleil des alpages, élèvent 57 brebis en bio à Mévouillon, dans la Drôme. En avril 2012, leur exploitation fait l'objet d'un contrôle. Chacune de leurs bêtes porte à l'oreille une boucle en plastique numérotée, le carnet d'élevage est à jour. Mais le couple refuse de doubler l'identification par une autre boucle dotée d'une puce électronique. Une «anomalie» pour l'administration. En août, le préfet les informe de la suppression de leurs aides européennes et leur inflige une forte amende. Un coup dur pour la petite exploitation. Ils décident de porter l'affaire en justice. Et, le 10 juin, le tribunal grenoblois a annulé la décision du préfet pour «défaut de motivation». Si l'affaire n'est pas tranchée sur le fond, c'est une première victoire pour les éleveurs. LA CRISE DE LA VACHE FOLLE A CRÉÉ UN TRAUMATISME 1 sur 5 26/08/14 19:14
2 Depuis 2010, la France impose l'identification de tous les ovins et caprins au moyen d'une puce dite «Radio Frequence Identification» (RFID). Pour l'etat, il s'agit d'améliorer la traçabilité de la chaîne de production. La crise de la vache folle et ses charniers à la fin des années 1990 a créé un traumatisme toujours vif, la fièvre aphteuse en Grande-Bretagne en 2001 aussi. La Fédération nationale ovine (FNO), de son côté, défend auprès des éleveurs une meilleure gestion de leurs troupeaux, une rentabilité accrue, un travail facilité par l'informatisation. Lire aussi : RFID, la deuxième vie d'une puce ultra-communicante (/festival/article/2014/05/27/rfid-la-deuxieme-vie-d-une-puce-ultracommunicante_ _ html) Car la puce RFID, si elle ne contient pour l'instant que des informations de base, comme un pass de transport par exemple, peut être enrichie et servir de support à une gestion informatique individualisée : alimentation, médicaments, surveillance hormonale, géolocalisation, etc. Le cyberélevage en germe. Irène et Etienne, à l'instar de beaucoup d'autres éleveurs, jugent que cette obligation coûteuse n'apporte aucune garantie sanitaire supplémentaire et dénoncent une industrialisation de leurs méthodes traditionnelles d'élevage. En France, les «petits» éleveurs jusqu'à 200 ovins représentent 75 % des exploitations. Irène et Etienne ne sont pas les seuls à avoir été déclarés «en anomalie». Selon un rapport du ministère de l'agriculture sur l'évaluation du nouveau dispositif, un quart des exploitations contrôlées en 2011 n'étaient pas équipées de la boucle avec puce RFID. UNE LUTTE PARTAGÉE PAR DES ÉLEVEURS EUROPÉENS En quatre ans, l'opposition s'est structurée. Des collectifs se sont créés et fédérés. Certains, comme Faut pas pucer, ont mis en place un accompagnement lors des contrôles. Tous organisent des transhumances urbaines pour alerter l'opinion publique. Une lutte partagée par d'autres éleveurs européens. Des Allemands ont contesté la légalité du puçage électronique devant la Cour de justice de Luxembourg, en En vain. En avril, des eurodéputés écossais ont déposé un amendement au Parlement de Strasbourg pour que le puçage ne soit obligatoire qu'au moment de conduire les bêtes à l'abattoir. Rejeté, le texte sera représenté à l'automne. Les éleveurs français sont partis en guerre contre l'arrêté ministériel de 2005, premier acte qui rendra plus tard obligatoire le puçage électronique. Ils font valoir que l'union européenne leur laissait le choix : tatouage, boucle en plastique à l'oreille ou à la patte, ou encore système électronique individuel. Ils rappellent qu'avant la puce RFID tous les mouvements des bêtes étaient déjà consignés au niveau départemental et centralisés. «Quand un cas de fièvre aphteuse a été découvert en France en 2001, observe Etienne Mabille, il n'y avait pas la puce, et les services vétérinaires ont retrouvé 2 sur 5 26/08/14 19:14
3 l'élevage d'origine en un jour.» «Nos animaux portent tous un numéro : il est très facile de remonter à la filiation de nos agneaux, renchérit Jean-Louis Meurot, éleveur depuis vingt-sept ans dans la Drôme. Ce n'est pas une puce électronique qui va empêcher une épizootie!» Pour Jocelyne Porcher, sociologue à l'institut national de recherche agronomique de Montpellier, ce n'est pas le manque de traçabilité qui favorise les crises sanitaires mais «la concentration industrielle, l'affaiblissement des défenses immunitaires, dû à des systèmes de reproduction ultra-sélectifs, et l'antibiorésistance». OPACITÉ ET COMPLEXITÉ DU CIRCUIT DE TRANSFORMATION Indispensable, la traçabilité est loin d'être une assurance tout-risque. «On est considérés comme des suspects permanents, s'agace Antoine de Ruffray, éleveur dans les Hautes-Alpes. Mais, dans le scandale à la viande de cheval, les éleveurs n'étaient pas en cause.» Malgré l'obligation, depuis six ans, de puçage des équidés, une fraude à la viande de cheval dans des lasagnes «au bœuf» a révélé, en janvier 2013, l'opacité et la complexité du circuit de transformation ainsi qu'un défaut de contrôle. Findus passait commande de ses lasagnes à la Comigel, à Metz, qui sous-traitait auprès de sa filiale luxembourgeoise Tavola, laquelle déléguait l'achat de la viande à Spanghero. L'entreprise de Castelnaudary avait chargé un trader chypriote de négocier la matière première, mais ce fut un Néerlandais qui fit affaire avec un abattoir roumain, lequel fournissait de la viande de cheval. Autre affaire, en décembre 2013 : des centaines de chevaux, utilisés pour la recherche pharmaceutique et impropres à la consommation, ont été vendus à un abattoir de l'aude. Les documents de traçabilité avaient été falsifiés par un informaticien. «Mais on ne pourra jamais empêcher la fraude! La puce nous a permis de remonter la filière plus vite», se défend la Direction générale de l'alimentation (DGAL). Lire aussi (édition abonnés) : La filière du cheval rattrapée par un nouveau scandale (/economie/article/2013/12/17/la-filiere-du-cheval-rattrapee-par-unnouveau-scandale_ _3234.html) Alors pourquoi ne pas appliquer l'obligation de puçage aux bovins et aux porcins? «Les vaches ont déjà leur carte d'identité, justifie la DGAL. Pour les porcs, nous n'avons pas de problèmes de mouvements et de recomposition de lots comme avec les moutons et les chèvres.» Traçabilité à géométrie variable? Pour les éleveurs, le bénéfice du puçage reste à démontrer. «NOS BÊTES VIVENT DEHORS ET ENTRETIENNENT LA MONTAGNE» Quand on leur parle cyberélevage et rentabilité, ces derniers voient rouge. Etienne soupire : «C'est une vision productiviste. Nos bêtes vivent dehors et entretiennent la montagne. Nous les menons en pâture exactement où il faut : elles débroussaillent et évitent les feux qui représentent un coût considérable 3 sur 5 26/08/14 19:14
4 pour la collectivité.» Jean-Louis Meurot, lui, récuse une conception «scientiste» de l'élevage : «On n'a pas besoin qu'un logiciel nous dise comment vont nos brebis et ce qu'elles doivent manger! On vit avec elles. Etre éleveur est un travail d'observation, de contact, de connaissance, et aussi d'empirisme.» Même le rapport du ministère de l'agriculture précise que ce système «complexe et coûteux» satisfait moins d'un quart des petits éleveurs et conclut à «l'absence de retour sur investissement». De plus, la FNO, lors de son enquête 2013, a relevé de fortes disparités du prix des boucles RFID. «Les écarts vont du simple au double», note Maurice Huet, vice-président de la fédération. Ce sont les établissements départementaux de l'élevage, gestionnaires pour l'etat de l'identification animale et garants de la traçabilité, qui centralisent les commandes de pour les éleveurs et émettent les appels d'offres. Ceux-ci sont renouvelés tous les trois ans. «Ce système a abouti à un monopole. Il faut le changer, ça fera baisser les coûts», admet M. Huet. En attendant, c'est le français Chevillot-Allflex qui domine un marché en pleine expansion. Fin 2013, le cheptel ovin français s'élevait à plus de 7 millions de têtes. Le bilan des commandes de l'institut de l'élevage révèle qu'allflex a fourni, en 2011, 94 % des boucles conventionnelles et 91 % des boucles RFID pour les ovins français. Allflex, implantée à Albi (Tarn) et à Vitré (Ille-et-Vilaine), est depuis 1995 le leader mondial de l'identification conventionnelle. A cette époque, il détenait déjà plus de la moitié du marché. En dix ans, son chiffre d'affaires a doublé, atteignant 70 millions d'euros en 2010, dont 79 % à l'exportation. L'entreprise n'a pas répondu aux sollicitations du Monde. «C'EST UN COMBAT POUR LA LIBERTÉ» Encore n'est-il question que des boucles. «Demain, on nous obligera à acheter le lecteur de puce et le logiciel qui va avec, anticipe Sébastien Pelurson, 40 ans, qui élève en bio 230 brebis et 25 chèvres à Mornans (Drôme). Si on cède maintenant, on ne pourra plus reculer.» «On n'a pas choisi d'être bergers pour finir derrière un ordinateur!», tranche Mathias Guibert, jeune éleveur d'une vingtaine d'années dans le Luberon. «Il faut vivre avec son temps», leur rétorque Maurice Huet, qui reconnaît que, jusqu'en 2013, la FNO a financé en partie ses congrès annuels avec l'argent d'allflex. Depuis 2014, pour «établir un rapport de force», la fédération agricole s'est tournée vers un concurrent. Mais les éleveurs posent aussi une question éthique : «On assiste à une mise en place du contrôle du vivant par l'informatique. Il faut résister, c'est un combat pour la liberté», n'hésite pas à affirmer Jean-Louis Meurot. «Voulons-nous d'une société qui scanne même les animaux?», a questionné M Cozon lors de l'audience du 27 mai. «L'élevage traditionnel, qu'il faut bien distinguer de la production industrielle de matière animale, implique un lien affectif qui nous relie à un monde charnel, fini, e 4 sur 5 26/08/14 19:14
5 à l'idée de la mort et à la responsabilité. Les animaux nous retiennent dans la vie réelle, soutient la sociologue Jocelyne Porcher. Or nous sommes à un moment de rupture. Ce lien prend du temps et ralentit une machine industrielle toujours plus exigeante. C'est dans sa logique de le réduire à rien. Au bout du processus industriel, il y a l'exclusion des animaux.» En août 2013, le chercheur Mark Post, de l'université de Maastricht, réalisait le premier steak haché 100 % in vitro. Etienne et Irène n'ont pas fini de se battre. Sandrine Berthaud Journaliste au Monde 5 sur 5 26/08/14 19:14
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