Notes de lecture de Anne LEU à partir des ouvrages de F. Lebrun [1], de J. Delumeau [2] et de M. Dorigny [3].

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1 Notes de lecture de Anne LEU à partir des ouvrages de F. Lebrun [1], de J. Delumeau [2] et de M. Dorigny [3]. Introduction Alors que les Espagnols et les Portugais se lancent à l assaut des mers chaudes (Amérique centrale et du sud et Afrique) pour trouver un passage vers l Inde et ses épices, les Français, avec 40 ans de retard, vont chercher ce même accès mais en passant par le nord. Les raisons du retard français sont multiples : c est une puissance maritime secondaire, sa technique nautique repose surtout sur le cabotage, elle n a pas de flotte de guerre car elle livre surtout ses combats sur terre. Toutefois face au partage du monde entre Portugais et Espagnols avec l assentiment du pape en 1494, François 1er va à son tour vouloir entrer dans la course aux colonies. C est le départ de la colonisation française. Mais où et par qui se met-elle en place, comment va être régi ce nouvel espace et enfin nous verrons l exemple d une société crée pour lutter contre la concurrence anglaise et hollandaise. Mais tout d abord, il faut définir cet empire. I Qu est ce que le premier empire colonial français? L Amérique Jacques Cartier est chargé par François 1 er d explorer les terres inconnues d Amérique du nord et de trouver un passage vers l Asie. Avec deux bateaux et 60 marins, il quitte saint Malo en avril Il touche terre-neuve en mai et découvre l embouchure du Saint-Laurent. Un mois après son retour, le roi lui renouvelle sa commission. Cette fois, il longe le Labrador, remonte le Saint Laurent vers la future Québec. Il est alors certain qu il n y a pas de passage vers l ouest et rentre en juillet L absence de route vers l Inde et d or en fait un échec. Toutefois cette terre devient colonie française et les marins français vont continuer sa découverte. Les marins malouins notamment viennent y pêcher la morue, troquer des fourrures avec les Indiens sur les côtes du Labrador. En 1608, Samuel Champlain fonde sur la rive gauche du Saint-Laurent la ville de Québec. Il veut créer une Nouvelle-France dans la vallée du fleuve et sur les rives de la péninsule d Acadie. Mais les résultats sont longtemps médiocres. Les Français arrivent en nombre insuffisant. La Compagnie de la Nouvelle France ou des Cents Associés, fondée en 1628 à l initiative de

2 Richelieu, manque de moyens et ne peut tenir ses engagements de peuplement. Les Jésuites qui entreprennent l évangélisation des Hurons et des Iroquois créent en France un climat favorable à la colonisation du Canada. Mais cela ne suffit pas et vers 1660 la colonie ne compte que 2000 Français (agriculteurs, commerçants, coureurs de bois, missionnaires). En 1663, Colbert envoie un régiment pour lutter contre les Iroquois et ainsi relancer l immigration. Il transforme la colonie en possession de la couronne et lui donne les structures administratives d une province française avec un gouverneur, un intendant et un conseil souverain équivalent du parlement. Alors que le premier intérêt de la colonie est la traite des fourrures, Jean Talon va vouloir la transformer en colonie de peuplement agricole, en développant la mise en valeur des rives du Saint Laurent dans le cadre d un système seigneurial et en cherchant à mettre en place une industrie locale malgré le système de l Exclusif. La colonisation se poursuit avec le jésuite Marquette et le négociant Louis Jolliet qui en explorent le pourtour des Grands Lacs puis en 1673, atteignent le Mississippi. En , Cavelier de la Salle descend le Mississippi jusqu à son embouchure et prend possession des terres au nom de Louis XIV, fondant ainsi la Louisiane. En 1717, La Nouvelle Orléans est fondée et les terres du haut Mississippi servent de grenier à blé malgré un terrible isolement. C est sous la régence que la Louisiane commence son développement économique. John Law, le financier écossais de Philippe d Orléans crée la Compagnie du Mississippi et réussit à y attirer des colons. Ce n est pourtant qu à partir de 1730 que va s y développer une agriculture fondée sur le tabac et le coton. Vers 1700, L Amérique est presque entièrement française mises à part les terres du littoral atlantique qui appartiennent aux Anglais. Mais le problème de la population demeure : Français contre Anglais. Les hommes qui s y installent sont soit des engagés [4], soit des hommes dont la France veut se débarrasser (gueux, prostituées, vagabonds, notables indésirables, contrebandiers). Les Antilles Alors que cette région du monde fut la première découverte par les Espagnols qui vont l exploiter de façon intense au début du XVI ème siècle, ils vont s en désintéresser pour se consacrer au Mexique et au Pérou. Leur puissance maritime commence à s affaiblir à partir de 1630 et les autres puissances européennes vont en profiter. Les Hollandais s installent en 1634 à Curaçao, les Anglais font de même à La Barbade en 1625 et à la Jamaïque en Les Français quant à eux prennent pied à Saint Christophe en 1625, à la Guadeloupe et Martinique en 1635 et dans la partie occidentale de Saint- Domingue à partir de Les îles françaises sont surtout peuplées de colons engagés de l Ouest de la France et d esclaves noirs. Elles vivent

3 surtout de leurs relations avec les Hollandais qui introduisent la culture de la canne à sucre. Mais en 1664, Colbert confie le monopole de leur exploitation à la Compagnie des Indes occidentales. Après sa dissolution en 1674, les îles passent sous administration royale et l Exclusif s y installe. Les Indes Les Français sont les derniers Européens à débarquer en Inde, un siècle après les Portugais. Grâce à la Compagnie des Indes orientales fondée par Colbert en 1668, la France renforce son pouvoir et devient la principale concurrente des Anglais. Elle fonde des comptoirs parmi lesquels 5 qu elle gardera jusqu en 1949 : Pondichéry, Karikal, Yanaon, Mahé et Chandernagor (à côté de Calcutta où sont installés les Anglais). Bertrand François Mahé de La Bourdonnais après l Inde s intéresse aux Mascareignes dont il est nommé gouverneur en Il s agit de l île de France (île Maurice) et l île Bourbon (île de la Réunion). Il fait de ces îles une base navale où les navires français peuvent s approvisionner en bois précieux de Birmanie et du Bengale. La France malgré un départ plus tardif se trouve présente en cette fin du XVII ème siècle sur toutes les mers du monde et se trouve en concurrence avec les autres puissances coloniales. Si elle a su profiter de l affaiblissement de l Espagne, elle va très vite se heurter à l Angleterre, les guerres se jouant sur le continent européen rattrapant très vite les colonies. II Le fonctionnement de l empire français L Exclusif Ce système n est pas propre à l empire colonial français. Le terme désigne aux XVII- XVIII ème siècles, un régime commercial imposé par les métropoles à leurs colonies. En France, il est défini en 1664 et il met toutes les colonies au service de la métropole. Il comporte trois règles principales : Les marchandises importées par la colonie doivent provenir de la métropole ou du moins être transportées par des navires nationaux. Les produits exportés par la colonie doivent se faire uniquement à destination de la métropole (d où ils peuvent être réexportés) par des navires nationaux. La colonie a l interdiction de commercer directement avec des colonies étrangères. En contrepartie de quoi la métropole accorde la préférence impériale (franchises ou droits de douane peu élevés) aux produits de ses colonies.

4 Dans des cas assez nombreux, ce système est contourné par la contrebande (commerce interlope). La traite 1) Les périodes Le terme est employé au singulier pour désigner le commerce et le transport des Africains vers les nouvelles colonies européennes des Amériques. La traite transatlantique a été fermement liée à la colonisation de cette région du monde et a amené la déportation de 12 à 15 millions d êtres humains. Toutes les nations européennes y ont participé mais 4 pays en assurent 90% : le Portugal avec captifs transportés, l Angleterre avec , l Espagne avec et la France avec Le Brésil reçoit environ 4 millions d esclaves, les Antilles 6 millions, les futurs Etats-Unis et l Amérique espagnole 1,6 million. Dès 1639, il y a des esclaves dans les Antilles françaises. Quelques années plus tard, la traite française s organise, autorisée par Louis XIII, «qui s était laissé convaincre que c était la seule voie de salut pour les païens africains» [5]. Il y a trois phases dans la traite : Des années 1560 aux années où les chiffres restent «modestes» atteignant 20 à esclaves par an entre 1630 et A partir de , il y a une accélération spectaculaire entrecoupée de chute lors des guerres et cela se poursuit jusqu en au rythme de 70 à esclaves par an. Le «record» est atteint en 1829 avec captifs transportés. Après 1840, la traite est illégale, donc un reflux s amorce du fait des abolitions de l esclavage et de la lutte contre la traite illégale. Après 1865, la traite a cessé. 60% de la traite européenne s est donc produite au XVIII ème siècle, 33% au XIX ème siècle et 7% aux XVI ème et XVII ème siècles. En fait, plus de 90% des déportations d esclaves se sont faites sur 60 ans. Les traites anglaises et françaises ont une chronologie décalée. La première est la plus importante au XVII ème siècle et assure en grande partie le ravitaillement des colonies espagnoles. La traite française prend son essor au cours du XVIII ème siècle alors que son domaine colonial et son activité sucrière s étendent. La révolution française diminue l activité des négriers français et ce d autant plus que des révoltes surviennent dans les îles à sucre.

5 A partir de 1763, le traité de Paris mettant fin à la guerre de sept ans avec l Angleterre, la colonisation française est réorientée et se replie sur son domaine tropical. Cette option qui est le choix de Choiseul, a fait entrer la France dans l économie de plantation esclavagiste : il voulait ainsi faire de la France le pourvoyeur de l Europe en denrées coloniales (sucre et café surtout) et lui imposait ainsi une traite négrière intensive. En effet l apogée est atteint entre 1783 et ) Les lieux et les conditions de la traite L Europe des ports négriers se concentre dans le triangle Bordeaux/Liverpool/côte néerlandaise. Les trois ports anglais (Liverpool, Londres, Bristol) sont le départ de expéditions dont pour Liverpool c est à dire autant que tous les ports français. Le second groupe est constitué par les ports français de Nantes (42% des expéditions françaises), La Rochelle, Bordeaux, Saint Malo, Le Havre- Rouen. Si l on parle de commerce triangulaire, celui-ci n est pas aussi bien dessiné que dans les livres. En effet, le chargement des esclaves se fait sur une côte de km et les acheteurs doivent souvent parcourir plusieurs ports avant d avoir obtenu les 150 à 300 esclaves recherchés. Les Européens ne capturent pas eux-mêmes leurs esclaves, ils passent par des intermédiaires. C est la royauté du pays africain qui prend en charge la «production» et déploie ensuite toute une chaîne d hommes jusqu au courtier qui négocie avec le capitaine du bateau. Sont d abord réduits en esclavages ceux dont le pays ne veut plus, puis il y a les razzias et enfin les guerres contre les voisins. L achat se fait toujours par «paquet», généralement de 5 esclaves ce qui permet de «caser» des esclaves plus faibles ou des femmes. Le capitaine propose une certaine quantité de marchandises pour un paquet. Attention au mot de «pacotille». En effet, dans le vocabulaire actuel, ce mot pourrait signifier que les hommes étaient achetés pour presque rien. Cela est faux : il s agit en fait de choses dont les Africains ne disposent pas : des barres de fer, des produits textiles ou de luxe, de la porcelaine, du vin, des armes, de la poudre. Remplir le navire peut donc prendre 3 à 6 mois. Le transport ne se fait pas par navires spéciaux mais dans des navires sur lesquels l entre pont a été aménagé. En effet le navire doit être polyvalent puisqu à l aller les cales sont pleines de marchandises destinées à être échangées contre des hommes et qu au retour elles sont pleines de sucre. La traversée dure de 1 à 3 mois. La mortalité est très élevée, plus de 30%, aux origines de la traite. Mais l augmentation du prix des esclaves va contribuer à «améliorer» les conditions du transport. Au XVIII ème siècle, chaque navire emmène un chirurgien (qui participe au choix des esclaves), l alimentation s améliore, les esclaves sont régulièrement «rafraîchis» et sortis sur le pont du navire. La mortalité des esclaves devient donc parfois même inférieure à celle des

6 hommes d équipage dont la valeur économique est bien inférieure. La mortalité au XVIII ème siècle tombe donc à 12% environ avec des écarts importants selon qu il y a une épidémie, une révolte ou un allongement de la durée de la traversée. Elle peut atteindre 40%. Une fois arrivés, les esclaves sont débarqués et le capitaine les laisse récupérer avant de les vendre afin d en tirer le meilleur prix. La vente se fait là aussi par lot, et les prix sont payés en sucre. Est-ce que cela rapporte? Un navire coûte environ livres tournois soit le prix d un petit hôtel particulier à Paris. Le capital investi est immobilisé pour au moins 2 ans. La rentabilité moyenne est de 4 à 10% mais cela cache d énormes disparités. Si le bateau fait naufrage, c est zéro, mais si tout se passe bien et vite cela peut aller jusqu à 150%. Les fortunes qui ont duré sont celles des familles qui ne faisaient pas que de la traite mais disposaient de champs... La plantation La plantation coloniale est d abord une unité économique, une «concentration verticale». S y trouvent réunies les trois phases de la production : le travail de la terre, la transformation, la vente. Les esclaves ne forment pas un monde homogène. La diversité des origines ethniques doit éviter les solidarités et donc limiter les risques de révoltes. Les esclaves se répartissent en trois catégories, chacune ayant une tâche spécialisée : - Les «esclaves de pioche» ou du jardin, les plus nombreux, les moins formés, les plus méprisés qui accomplissent les travaux les plus durs dans les champs de canne à sucre. - Les «esclaves à talents» qui ont bénéficié d un apprentissage spécialisé leur permettant d exercer des fonctions plus nobles comme menuisiers, maçons, charrons, forgerons, ouvriers du sucre ou du café... - Les esclaves domestiques affectés au service de «la grande case» : cuisinières, lingères, cochers, jardiniers, valets de chambre, nourrices...il s agit le plus souvent de femmes. La «couleur de la peau» intervient aussi dans la hiérarchie, les métis (ou sang-mêlé), enfant d une mère noire et d un père libre, ayant une meilleure place dans la société. Les femmes sont peu nombreuses chez les esclaves : les planteurs ne vont pas mener de politique nataliste, préférant importer des captifs prêts à travailler plutôt que d élever des enfants (plus coûteux). C est l augmentation des prix et l abolition de la traite qui vont modifier ce comportement. Un texte

7 de 1788 concernant la Guyane fixait des règles à respecter concernant les esclaves enceintes. Les révoltes : la première opposition consiste à fuir et est surtout le fait d esclaves anciens, arrivés depuis plusieurs années. C est ce qu on appelle le marronnage. Des insurrections vont se dérouler dès la mise en place du système. Les recherches actuelles tendent à montrer que contrairement à une idée reçue, les Mascareignes n échappent pas à ces révoltes. Là aussi, les rapports sont aléatoires. Si à Saint Domingue, ils sont de 8 à 10% par an, ce qui est plus qu à la Guadeloupe et à la Martinique, d après les chiffres officiels. A cela, il faut ajouter la fraude à l Exclusif (commerce interlope) ou le troc qui augmentent les rapports. Mais certains planteurs peuvent aussi faire faillite. Dans ce cas, les terres sont rachetées et des plantations de 300 à 400 hectares apparaissent. III La Compagnie des Indes Ce sont les Anglais et les Hollandais qui vont les premiers fonder des compagnies des Indes dans le but d évincer les Portugais. Les premiers fondent la East India Company en 1600 et les seconds fondent la Vereenigde Oost Indiche Compagnie (VOC) en Il s agit dans les deux cas de compagnies à charte [6]. Les négociants disposaient entre autres du monopole exclusif des échanges commerciaux avec ces régions. Les compagnies commerçant avec les pays situés à l ouest du Cap de Bonne- Espérance étaient des compagnies des Indes occidentales, celles commerçant avec l est du cap, des compagnies des Indes orientales. La compagnie de Colbert de 1664 à 1719 : est ainsi fondée une «Compagnie des Indes orientales» qui doit pouvoir concurrencer les compagnies étrangères. Il en fonde aussi une «occidentale» qui disparaît dès 1674 [7]. Le manque de capitaux, les échecs commerciaux et les conflits européens ne permettent pas à cette première compagnie de concurrencer la compagnie anglaise ou la VOC. La compagnie perpétuelle des Indes de 1719 à 1769 : elle résulte de la fusion entre la compagnie des Indes orientales de Colbert et des autres compagnies qui s étaient créées ensuite comme la compagnie de Chine, la compagnie d Occident, la compagnie du Sénégal, la compagnie d Afrique, la compagnie de Saint Domingue et de la traite de la côte de Guinée. Elle fut la plus importante compagnie française tant par la taille de son domaine commercial que par ses moyens financiers. Mais en 1763, après le traité de Paris, la France perd son premier empire colonial en notamment ses territoires du Deccan en Inde. Il ne lui reste alors que les 5 comptoirs de Pondichéry, Karikal, Yanaon, Mahé et Chandernagor (qu elle conserve sous la forme des établissements français de l Inde jusqu en 1949). La Compagnie très touchée par la guerre de sept ans a perdu une partie de sa flotte et se retrouve

8 endettée. Elle réussit à redresser la situation mais Choiseul, soucieux de faire des économies la suspend en Le commerce avec l Asie est alors ouvert au commerce privé. La compagnie de Calonne de 1785 à 1793 : à la demande de Calonne, alors contrôleur général des finances deux hommes (Guillaume Sabatier et Pierre Desprez) vont négocier avec le gouvernement anglais la création d une nouvelle compagnie française des Indes. Le 3 juin 1783 est créée la Compagnie des Indes orientales et de la Chine. Avec un capital de 20 millions de livres, elle détient le privilège du commerce au-delà du cap de bonne - espérance mais pas sur les Mascareignes qui restent accessibles à tous les navires français. La compagnie s installe à Paris et récupère les bâtiments de Lorient et de Marseille de l ancienne compagnie. Elle ouvre des comptoirs dans les établissements français. La compagnie arme une quinzaine de navires et les bénéfices lui permettent de distribuer un dividende de 18% en 1788 et de 16% en Le 3 avril 1790, l Assemblée nationale décrète libre le commerce de l Inde et retire son monopole à la compagnie. Mais les actionnaires décident de continuer leurs activités malgré la possible concurrence. Elle réduit le nombre de ses comptoirs à 7 (Pondichéry, Yanaon, Mahé, Surat, l île de France et l île Bourbon). L action atteint alors un cours de 1500 livres et dégage un bénéfice de 8 millions de livres en Pendant la Terreur, elle est soupçonnée d activités contre-révolutionnaires et la Convention décrète en octobre 1793 de la supprimer. Ses bâtiments, ses marchandises et ses bateaux sont réquisitionnés (pour un montant estimé à 18 millions de livres). Les directeurs sont emprisonnés, guillotinés pour certains. En 1795, le séquestre est levé mais la compagnie ne peut reprendre ses activités commerciales et les actionnaires décident de la liquider. La France va elle aussi fonder des compagnies qui ont connu 3 périodes Le fonctionnement des compagnies La compagnie s est d abord installée au Havre avant que la rade de Port-Louis sur la côte sud de la Bretagne ne lui soit préférée. L endroit est abrité par l île de Groix et dispose d une citadelle construite à la fin du XVIème siècle pour assurer sa défense. Sa proximité avec Nantes lui assure un approvisionnement facile et régulier en matériaux de construction navale. En 1666, le roi lui octroie les landes du Faouédic ce qui représentent 7 hectares qu elle aménage en chantier de construction et d armement, en magasins de marchandises, en salle des ventes, en appartements et bureaux du directeur... Autour, les ouvriers commencent à construire des logements. La ville de Lorient est née. Ce nom viendrait du premier navire construit par la compagnie, le «soleil d Orient», vaisseau de 60 canons et 1000 tonneaux. Les ouvriers auraient fini par appeler le chantier «Le soleil d Orient» puis «L Orient».

9 Par la déclaration du roi Louis XIV d août 1664, la compagnie reçut comme privilèges : le monopole du commerce, le droit de propriété des terres occupées, le droit de justice souveraine, le droit d armer des navires de commerce et de guerre, le droit d établir des garnisons, le droit de battre monnaie, ainsi que «le droit d esclavage et autres droits utiles qui pourroient nous appartenir à cause de la Souveraineté desdits Pays» et ceci pour 50 ans. La côte d Afrique, Madagascar et les îles voisines, l intérieur de la mer rouge, les côtes arabes, les côtes de Malabar, de Coromandel, le Bengale en Inde, la Chine et le Japon ont été désignes en 1665 comme terres à exploiter. Au fil du temps, elle abandonna certaines terres comme Madagascar au profit des Mascareignes. Le capital de la compagnie était divisé en actions. Les fonds réunis permettaient de couvrir les frais qu impliquaient les longs et dangereux voyages vers l Asie mais aussi l entretien des comptoirs et les salaires des employés. Des droits de douane étaient payés pour l importation des marchandises destinées à la revente alors que celles importées pour les besoins de la compagnie en étaient dispensées. Il fallait 8 à 10 mois pour rejoindre l Asie ce qui obligeait à des escales pour

10 faire le plein d eau et de nourriture mais aussi pour laisser l équipage se reposer (malades du scorbut notamment). Alors que les Anglais relâchaient à Sainte-Hélène, les Hollandais au Cap, les Français choisirent d abord Madagascar, puis, après l échec de sa mise en valeur, lui préférèrent les Mascareignes. Sous la direction de Mahé de la Bourdonnais, ils déployèrent leurs installations sur l île de France (aujourd hui île Maurice) et sur l île Bourbon (aujourd hui Réunion). La compagnie importa ainsi à Lorient des matières premières (épices, thé, café, drogues médicinales, bois...) mais aussi des produits issus de technologies non maîtrisées en Europe comme le coton tissé et imprimé, la porcelaine ou la soie chinoise. C est la revente de ces produits aux riches familles qui permettait de dégager des dividendes importants au profit des nombreux actionnaires. Conclusion : Créé en concurrence avec les empires espagnols, portugais, anglais et hollandais, le premier empire colonial français meurt des conséquences des guerres européennes. Quand en 1757 éclate la guerre de sept Ans qui oppose la France et l Autriche à l Angleterre et la Prusse, c est tout l empire français qui est concerné. La mer est tenue par les Anglais, les Français connaissent des défaites près de Lagos en 1759 et aux Cardinaux (entre Le Croisic et Belle- Ile) en La paix est conclue par le traité de Paris le 10 février 1763 entre la France, l Angleterre et l Espagne. La France perd tous ses territoires en Amérique du Nord mais conserve les Antilles. C en est fini du premier empire colonial français. Désormais, la France se lance dans une exploitation intensive de ses îles à sucre dont la conséquence directe est l intensification de la traite négrière. Une page est tournée. Pour conclure, citons J. P. Rioux [8] : «Durant la seconde moitié du XVIIème siècle, les grandes nations maritimes européennes passent d une économie de la puissance, fondée sur l accumulation des stocks de métaux précieux, à une économie de la croissance, stimulée par les profits d une nouvelle mondialisation des échanges, sans cesse accrue et diversifiée». Lebrun François, L Europe et le monde XVI ème - XVIII ème, Paris, A. Colin, 1987, 350 pages Delumeau Jean, Une histoire du monde aux temps modernes, Paris, Bibliothèque historique Larousse, 2005, 479 pages Dorigny Marcel et Gainot Bernard, Atlas des esclavages. Traites, sociétés coloniales, abolitions de l Antiquité à nos jours, Paris, Autrement, 2006, 80 pages Les engagés sont des hommes pour qui le voyage est payé en échange d un service de 7 ans à l issue duquel ils peuvent s installer sur place. C. Liauzu, Dictionnaire de la colonisation française, Paris, Larousse, 2007

11 Compagnie à charte ou compagnie concessionnaire : l Etat concède à des compagnies privées la gestion des populations et l exploitation des terres acquises, selon un cahier des charges qui lui laisse la propriété éminente et un droit de contrôle. La Compagnie des Indes occidentales remplace la Compagnie des cent associés, et commerce avec l outre- mer. Le capital est de 6 millions de livres et le siège est au Havre. C est l une des plus grandes compagnies européennes fondées à l époque mais aussi celle qui a le moins de réussite financière. Elle s occupe surtout du commerce avec la Nouvelle-France et Saint Domingue. Elle a reçu pour 40 ans la propriété des possessions françaises et le monopole du commerce avec l Amérique. Elle est censée peupler le Canada en utilisant les profits du sucre de la Guadeloupe. Elle développe les plantations de tabac et récupère le monopole de la Traite des Noirs du Sénégal. Mais elle se heurte aux intérêts des colons des Antilles. Les planteurs lui reprochent de ne pas importer autant d esclaves qu ils espéraient. La guerre de Hollande éclate en 1672 ce qui désorganise le fonctionnement de la compagnie. Elle est dissoute en 1674 avec un passif de 5 millions de livres. Le roi reprend donc l administration directe des colonies et fonde la Compagnie du Sénégal à qui il demande une politique esclavagiste plus agressive, supprime le monopole de la traite. J. P. Rioux, Dictionnaire de la France coloniale, Paris, Flammarion, 2007