Premiers apports du programme archéologique du canal Seine-Nord Europe pour l âge du Bronze et le premier âge du Fer dans le nord de la France

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1 LUNULA. Archaeologia protohistorica, XX, 2012, p Premiers apports du programme archéologique du canal Seine-Nord Europe pour l âge du Bronze et le premier âge du Fer dans le nord de la France Marc TALON, Anne-Charlotte BAUDRY, Nathalie BUCHEZ, Denis GAILLARD, Didier LAMOTTE, Philippe LEFÈVRE & Gilles PRILAUX1 1. Introduction N Oisy-leVerger Le programme archéologique du canal Seine-Nord Europe mené par l Inrap depuis septembre 2008, est lié à la construction en Picardie et dans le Nord-Pas-de-Calais, par Voies Navigables de France, d un canal à grand gabarit sur 106 km entre Compiègne et Aubencheul-au-Bac. Cette voie d eau qui permettra de raccorder la région parisienne au nord de la France, la Belgique et les Pays-Bas, devrait être inaugurée en LILLE (62) ARRAS 0.5 km Marquion Sauchy-Lestrée (80) AMIENS NORD PAS-DE-CALAIS (62) PERONNE NOYON LAON BEAUVAIS (60) NORD COMPIEGNE (02) PARIS Cet important aménagement fait l objet, sur plus de 2500 hectares et sur prescriptions des services de l État (SRA de Picardie et du Nord-Pas-de-Calais), d un diagnostic archéologique puis de fouilles, surfaces correspondantes d une part au tracé du canal et d autre part à divers ouvrages annexes, aux plates-formes portuaires multimodales et aux zones de stockage de terre. Allaines PERONNE Biaches Eterpigny Barleux Saint-ChristBriost 2. Le diagnostic archéologique Le diagnostic archéologique a été réalisé, jusqu à présent, sur 1700 hectares et un bilan peut être d ores et déjà établi sur les apports de ces premiers résultats à nos connaissances sur l âge du Bronze et le premier âge du Fer (fig. 1). 0.5 km SOMME (80) Breuil Ercheu Précisons au préalable que si le secteur des vallées de l Aisne et de l Oise, point de départ du nouveau canal, est relativement bien connu du fait, notamment, des recherches menées dans le cadre des programmes sur les sablières de ces deux vallées, il n en est pas de même du reste du tracé qui recoupe les rebords de plateaux le long de la vallée de la Somme puis les plateaux limitant le Cambraisis et l Arrageois. En effet, le transect documente des territoires impactés jusqu ici par peu d aménagements et représente une occasion unique d explorer des paysages peu connus par l archéologie, quelle que soit la période concernée. Il devrait ainsi, pour le Néolithique, être décisif sur les limites, notamment, entre les groupes culturels du Néolithique moyen II (Chasséen septentrional, Michelsberg et groupe de Spiere) et du Néolithique final (Gord et Deûle-Escaut), mais également permettre de comprendre l évolution territoriale de ces espaces pendant l âge du Bronze entre les groupes rattachés au Complexe atlantique et ceux au Complexe nord-alpin. AISNE (02) NOYON Emprise du futur canal Indices d occupation toutes périodes confondues INDICES D OCCUPATIONS DE L ÂGE DU BRONZE Habitat Funéraire OISE (60) Habitat Choisy-au-Bac COMPIEGNE Funéraire 0 C.FONT INDICES D OCCUPATIONS DE LA FIN DE L ÂGE DU BRONZE ET DU PREMIER ÂGE DU FER 10 km Fig. 1. Carte représentant les indices de sites repérés pour les périodes de l âge du Bronze et du premier âge du Fer lors du diagnostic des 1700 hectares déjà réalisé sur le canal Seine-Nord Europe. Sont également reportés les sites fouillés cités dans le texte (carte C. Font, Inrap). 1 Programme canal Seine-Nord Europe, Institut National de Recherches Archéologiques Préventives, Centre archéologique de Croix-Moligneaux, 16 rue du Général Leclerc, Croix-Moligneaux. ; marc.talon@inrap.fr ; anne-charlotte.baudry@inrap.fr ; nathalie.buchez@inrap.fr ; denis.gaillard@inrap.fr ; didier.lamotte@inrap.fr ; philippe.lefèvre@inrap. fr ; gilles.prilaux@inrap.fr La réalisation d un vaste diagnostic sur toutes ces surfaces par les mêmes équipes avec les mêmes méthodes et utilisant le même type de matériel, permet de comparer de façon pertinente les résultats obtenus. Ajoutons cependant que l uti- 11 -

2 Marc TALON, Anne-Charlotte BAUDRY, Nathalie BUCHEZ, Denis GAILLARD, Didier LAMOTTE, Philippe LEFÈVRE & Gilles PRILAUX lisation, notamment pour le Néolithique et la Protohistoire ancienne, de pelles mécaniques équipées de godets de curage de 3 mètres de large, a favorisé le repérage et l identification des vestiges de ces périodes qui laissent peu de traces au sol car ils s étendent souvent sur de faibles surfaces. Depuis une vingtaine d années, l évolution des méthodes de diagnostic peut être mesurée sur les tracés linéaires où l on peut constater, d une part, une augmentation globale du nombre de sites détectés au km et, d autre part, l incidence des contextes régionaux et culturels. Cependant et c est malheureusement encore le cas sur le canal SNE l élément déclencheur d une fouille reste la densité des vestiges mis au jour lors des diagnostics, ce qui défavorise les sites du Bronze ancien et moyen par rapport aux sites plus récents du Bronze final et du premier âge du Fer. Ajoutons à cela que la découverte de bâtiments qui peut faciliter l enclenchement d une fouille est défavorisée sur une grande partie des régions du nord de la France et de la Protohistoire ancienne par le recours à une architecture sur radier de fondation qui laisse peu de traces au sol en comparaison avec les bâtiments sur poteaux plantés. L érosion constatée sur les zones de plateaux traversées par le canal SNE, due en grande partie à une agriculture intensive du fait de la fertilité des sols, a fait disparaître une bonne partie des sites archéologiques ne laissant que des niveaux d occupation piégés dans des fosses isolées ou des chablis. Pour la plupart, les monuments funéraires, même les plus importants enclos par des fossés circulaires de 40 à 50 mètres de diamètre, n ont pas livré de sépultures ni de restes du tumulus qui devait les protéger. Ce constat concerne surtout les périodes néolithiques et protohistoriques anciennes (âge du Bronze, premier âge du Fer et début du second), les habitats et sépultures des périodes plus récentes étant mieux conservés et plus facilement détectables, du fait notamment des systèmes d enclos participant à l aménagement de l espace à partir de La Tène moyenne et de la richesse des tombes en offrandes pour les périodes gauloises et gallo-romaines. Sur les 1700 hectares actuellement diagnostiqués, plus de 320 indices de sites ont été identifiés se partageant entre les périodes selon le décompte suivant : Néolithique 6% 1er âge du Fer 7% âge du Bronze 11% Mésolithique 3% Paléolithique 8% Haut Moyen-Age 5% 2ème âge du Fer 32% Gallo-romain 28% Fig. 2. Diagnostic sur les Langgräben de Oisy-le-Verger (Pas-de- Calais, diagnostic et cliché D. Gaillard). 3. Les fouilles Les premières fouilles réalisées sur les périodes de l âge du Bronze et du premier âge du Fer ont concerné les sites suivants. En 2010, dans le Nord-Pas-de-Calais, sous la direction de Philippe Lefèvre, les Langgräben de Oisy-le-Verger, monuments cultuels attribués à la transition Bronze final-premier âge du Fer, se présentaient sous la forme de deux enclos allongés, implantés l un après l autre et mesurant respectivement 36 m et, au moins, 25 m de longueur. Ils n ont malheureusement pas livré de mobilier archéologique, seuls quelques tessons attribuables à la transition Bronze-Fer et provenant de structures environnantes ainsi que la typologie de ces enclos conduisent à une telle attribution chronologique (fig. 2). En Picardie, sur l habitat ouvert de St Christ-Briost (Somme) étudié sur 8000 m 2 par Anne-Charlotte Baudry, a été mise au jour une unité d habitat/ferme isolée avec un bâtiment d habitation attribué à la fin du premier âge du Fer. Datant pour partie du début du Bronze final et pour une autre, du premier âge du Fer, le site de Breuil (Somme), fouillé sur m 2 par Anne-Charlotte Baudry, a livré quatre bâtiments sur poteaux dont certains sont interprétés comme des greniers et une dizaine de silos. À Ercheu (Somme), Amandine Gapenne a fouillé sur le site diachronique du Chemin de Ham une série de fosses d habitat attribuées au premier âge du Fer. En 2011, dans le Nord-Pas-de-Calais, une première campagne a été organisée sur la plate-forme de Marquion/Sauchy-Lestrée (Pas-de-Calais), aménagement portuaire de 150 hectares diagnostiqué par Denis Gaillard, et dont la vingtaine de sec

3 Premiers apports du programme archéologique du canal Seine-Nord Europe pour l âge du Bronze et le premier âge du Fer dans le nord de la France Fig. 3. Vue aérienne de la campagne de fouilles 2011 sur la plateforme multimodale de Marquion (Pas-de-Calais, coordination G. Prilaux, cliché Ph. Fruitier/Altimage). Fig. 5. Diagnostic en cours sur un enclos circulaire de Barleux (Somme, diagnostic K. Raynaud, cliché G. Prilaux). fouille sous la direction d Evelyne Gillet. Malgré leur taille imposante, le monument et son fossé n ont livré aucun vestige. À Biaches (Somme), Anne-Charlotte Baudry a ouvert une fenêtre dans un site dense (plus d une centaine de structures dont plusieurs greniers sur poteaux et batterie de silos) qui reste à caractériser mais dont la datation est de la transition Bronze/Fer. Fig. 4. Vue aérienne d un des enclos en cours de fouille sur la plateforme multimodale de Marquion (Pas-de-Calais, fouille Ph. Lefèvre, cliché D. Gliksman). teurs de fouilles qui concernent les périodes du Néolithique final jusqu au Bas-Empire, est coordonné par Gilles Prilaux (fig. 3). Six enclos circulaires attribués au Bronze moyen, répartis sur deux axes parallèles distants de 700 m, sont en cours de fouille par Philippe Lefèvre qui assurera également en 2012 l exploration de plus de 4 hectares d habitats protohistoriques constitués de bâtiments sur poteaux plantés espacés régulièrement sur près de 800 mètres (fig. 4). En Picardie, une seconde plate-forme plus modeste de 80 hectares à Eterpigny-Barleux (Somme) près de Péronne a également fait l objet d une double campagne conduite par Didier Lamotte, sur deux années. Elle a donné lieu à la fouille de plusieurs petits habitats de l âge du Bronze et du premier âge du Fer dont le matériel n a pas encore été étudié ainsi qu à des enclos circulaires (fig. 5). Un enclos monumental de plus de 50 m de diamètre a été fouillé sur le bassin-réservoir de la Louette à Allaines (Somme), à proximité d une villa gallo-romaine en cours de En 2012, est prévue la deuxième campagne sur la plate-forme de Marquion/Sauchy-Lestrée (Pas-de-Calais), la fouille d une série d habitats du Bronze moyen et final sur le dépôt de terre de Moislains (Somme) et la fouille de l extrémité nord du site stratifié de la Confluence à Choisy-au-Bac (Oise), site de référence pour la transition Bronze-premier âge du Fer du Bassin parisien dont une partie avait fait l objet de fouilles de sauvetage programmées à la fin des années 70 sous la direction de Jean-Claude Blanchet. 4. De premiers apports Si les indices de sites mis au jour lors de la phase du diagnostic sont en nombre important, ils sont souvent mal conservés et leurs vestiges, qui se limitent régulièrement à quelques rares structures, n ont souvent pas été retenus comme suffisamment probants pour enclencher une phase de fouille. En effet, le budget de l opération canal Seine-Nord Europe ne permettant pas de financer toutes les fouilles, des choix sont faits, choix qui favorisent les sites avec des vestiges plus démonstratifs. Cependant, un certain nombre de fouilles sur les périodes de l âge du Bronze et du premier âge du Fer a déjà été réalisé ou est prévu. Les premiers résultats confirment l indigence des vestiges due au problème de leur conservation, tant pour le funéraire (aucune sépulture n a été, en effet, découverte malgré une douzaine d enclos explorés) que pour l habitat, au moins pour l âge du Bronze. Pour cette seconde catégorie de vestiges dont l emprise au sol est faible du fait de la nature des fermes de cette période, s ajoute la difficulté d identifier les bâtiments d habitation

4 Marc TALON, Anne-Charlotte BAUDRY, Nathalie BUCHEZ, Denis GAILLARD, Didier LAMOTTE, Philippe LEFÈVRE & Gilles PRILAUX cm 3 Fig. 6. Échantillon céramique découvert sur différents sites lors du diagnostic : 1. Urne à décor plastique Bronze ancien-moyen issue d une fosse d habitat à Marquion (diagnostic D. Gaillard, dessin et étude A. Henton), 2. Vase de type Deverel-Rimbury découvert dans une fosse d habitat à Etricourt-Manancourt (diagnostic Ph. Lefèvre, dessin B. Béthune et étude N. Buchez), 3. Coupe avec un décor plastique du premier âge du Fer témoignant des infl uences de l Ardenne belge dans la Somme, découverte à Allaines (diagnostic J.-D. Desforges, dessin B. Béthune et étude N. Buchez)

5 Premiers apports du programme archéologique du canal Seine-Nord Europe pour l âge du Bronze et le premier âge du Fer dans le nord de la France Cependant, ces résultats permettent de préciser le cadre chronologique en cours d élaboration sur ces territoires et de mettre en évidence des fluctuations entre les aires culturelles dans cette zone frontière qui est le témoin de basculements sensibles à certaines périodes. Par exemple, tant sur le nord du tracé dans le Pas-de-Calais à Marquion que dans la Somme, à Etricourt-Manancourt, de la céramique de type Deverel-Rimbury a été mise au jour, démontrant l extension vers l est, au Bronze moyen, de l entité culturelle Manche-Mer du Nord (fig. 6). Pour le premier âge du Fer, ce sont des influences issues de l Ardenne belge qui ont pu être mises en évidence sur différents sites, tant dans le Pas-de-Calais à Marquion que dans la Somme à Allaines, alors qu à la même période l ouest de ces régions reste sous influence Manche-Mer du Nord (fig. 6). Mais le traitement d une grande partie des fouilles de cette année étant en cours, d autres éléments devraient compléter ces premières informations auxquelles viendront s ajouter les résultats des fouilles prévues en 2012 puis en 2013, année de la fin des travaux de terrain