Le patrimoine bâti de Hô Chi Minh-Ville Fonctions et usages des villas de l époque coloniale

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1 Timothée Piard-Corne UFR de Géographie Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne Année universitaire Le patrimoine bâti de Hô Chi Minh-Ville Fonctions et usages des villas de l époque coloniale Mémoire de recherche Soutenu le 12 juin 2015 Master 2 Géographie des pays émergents et en développement Sous la direction de Thierry Sanjuan et de Marie Gibert Membres du jury : M. Philippe Cadène, Professeur, Université Paris Diderot-Paris 7 Mme Marie Gibert, ATER, Université Évry-Val d Essonne M. Thierry Sanjuan, Professeur, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

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3 Remerciements Je tiens d abord à exprimer mes remerciements sincères à Monsieur Thierry Sanjuan et Madame Marie Gibert, qui ont encadré ce travail de recherche avec patience et rigueur par leur lecture, leur correction et leurs conseils. Je remercie également Madame Ngo Thi Thu Trang pour son invitation à l Université de Sciences sociales et humaines de Hô Chi Minh-Ville une nouvelle fois. Je lui suis reconnaissant du temps qu elle a pu m accorder lors de mon arrivée au Vietnam et de m avoir offert d assurer un tutorat de français pour les élèves de géographie. Ce fut une expérience extrêmement enrichissante. Je tiens à remercier également Madame Fanny Quertamp et toute l équipe du Paddi envers qui je suis redevable pour avoir beaucoup facilité la conduite de mes enquêtes de terrain. Leur accueil, la mise à disposition de nombreux documents et l invitation à participer à plusieurs de leurs travaux en cours ont beaucoup contribué à l appréhension du sujet et la rédaction du présent travail. Merci à Anh Tuan et à Minh qui ont assuré la traduction lors des entretiens. Je remercie également Blandine pour sa relecture attentive. Toute ma gratitude va aux amis que j ai retrouvés à Hô Chi Minh-Ville pour leur accueil renouvelé et toujours si chaleureux. Il me faut également saluer les nouveaux compagnons de route, qui ont partagé l aventure et m ont entraîné dans de nouvelles découvertes : Chi, Mathilde et Minh. Mes remerciements, enfin, vont à mes deux parents, pour m avoir toujours laissé libre de mes choix, qui parfois les étonnent, et pour m avoir accompagné ces deux dernières années de leur affection, aussi loin que je choisisse d aller.

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5 Le patrimoine bâti de Hô Chi Minh-Ville Fonctions et usages des villas de l époque coloniale

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7 «Mais la ville ne dit pas son passé, elle le possède, pareil aux lignes d une main, inscrit au coin des rues, dans les grilles des fenêtres, sur les rampes des escaliers, les paratonnerres, les hampes des drapeaux, sur tout segment marqué à son tour de griffes, dentelures, entailles, virgules.» Italo Calvino, Les villes invisibles, 1972

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9 Sommaire Introduction PREMIÈRE PARTIE Le patrimoine bâti de Hô Chi Minh-Ville : objets et contours Chapitre 1 Naissance d un patrimoine : comment Saigon est devenue «la perle de l Extrême-Orient»? A. Créer la ville : l urbanisme colonial B. Caractériser le patrimoine bâti : éléments de l architecture coloniale Chapitre 2 La conservation du patrimoine bâti à Hô Chi Minh-Ville A. La notion de patrimoine au Vietnam, une définition complexe B. Les enjeux politiques et économiques, un obstacle à la conservation? DEUXIÈME PARTIE Quelle place pour le patrimoine bâti dans la métropole contemporaine? Recompositions paysagères et adaptations fonctionnelles Chapitre 3 Le patrimoine bâti dans le paysage contemporain A. La ville coloniale à l épreuve du paradigme métropolitain B. La rénovation urbaine : une analyse typo-morphologique C. Les mutations fonctionnelles de l espace étudié depuis 1993 Chapitre 4 Les attributions des villas de l époque coloniale : continuité ou réaffectation fonctionnelle? A. Évaluer les recompositions structurelle, fonctionnelle et paysagère du centre historique B. Les mutations fonctionnelles du patrimoine bâti C. La villa coloniale, facteur de différenciation spatiale? TROISIÈME PARTIE Usages et pratiques autour de la villa coloniale à Hô Chi Minh-Ville : à propos de quelques cas particuliers Chapitre 5 La reconversion commerciale des villas coloniales : une patrimonialisation qui ne dit pas son nom? A. La fonction commerciale comme révélateur du patrimoine bâti B. Transformer les usages, transformer les espaces et les pratiques Chapitre 6 Pratiques et représentations du patrimoine en débat A. Vers une nouvelle culture urbaine? B. Composer le passé : des revendications ambivalentes Conclusion

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11 INTRODUCTION «La survie du patrimoine, sa préservation, sa transmission à des générations futures, dépend pour beaucoup de son intégration dans la société actuelle. Le meilleur moyen pour protéger le patrimoine c est de l occuper, de lui attribuer une fonction, de lui accorder un rôle dans la société actuelle, bref, de l habiter.» 1 Les mutations récentes de Hô Chi Minh-Ville font peu de cas de la conservation du patrimoine bâti. Métropole économique au sud du Vietnam, la ville connaît de profondes transformations depuis la mise en œuvre de la politique du «Renouveau» (Đổi Mới) dans les années 1990 et l entrée du Vietnam à l Organisation mondiale du commerce (OMC) en Ce développement exceptionnel, du point de vue du paysage urbain, se traduit par une extension de la ville sur de nouveaux territoires comme le récent quartier de Phú Mỹ Hưng au sud du district 7, la densification et l élévation du bâti dans le centre-ville. La pression foncière importante et l extension croissante du parc immobilier dans le centre historique ont contribué à la destruction de nombreux bâtiments de l époque coloniale, dont les larges parcelles constituent des perspectives d investissement pour les promoteurs (Tran et Lê Quang, 1997). L identité de Hô Chi Minh-Ville repose sur le dynamisme économique, centre marchand et commercial avant l époque coloniale déjà : cette identité s est construite au gré d une planification urbaine innovante, mais aussi d un laisser-aller, qui perdure aujourd hui (Nguyen, 2000 ; Burlat, 2001 ; Phạm, 2013). La libéralisation économique et le «rattrapage» des autres métropoles du Sud-Est asiatique ont joué un rôle dans l accélération des processus de développement et de mutations urbaines. Les grands projets d investissement immobilier des années 1990 et 2000 et ceux à l œuvre actuellement visent à requalifier le centre urbain, à travers ses fonctions et son paysage : les tours s élèvent à Hô Chi Minh-Ville comme ailleurs 1 Maria Gravari-Barbas, 2005, «Introduction générale», in M. Gravari-Barbas (dir.), Habiter le patrimoine : enjeux, approches, vécu, Presses universitaires de Rennes, p.11. 7

12 en Asie. Modernisation, densification et élévation du bâti participent aussi sur le plan symbolique à la création d une image internationale de la ville. Les processus de rénovation urbaine en cours s accompagnent de l installation d entreprises transnationales et d enseignes commerciales internationales, en apparente contradiction avec le maintien de pratiques urbaines originales, à l échelle du quartier, voire de la rue (Gibert, 2014 ; Waibel et Hilbert, 2015). Quel patrimoine pour Hô Chi Minh-Ville? La genèse du projet Une première expérience de terrain à Hô Chi Minh-Ville en 2014 ainsi que des lectures variées, d ordre scientifique, littéraire ou de la presse, m ont amené à m interroger sur la nature du patrimoine bâti à Hô Chi Minh-Ville : malgré des mutations importantes, les formes anciennes de la ville continuent d être habitées et pratiquées par ses habitants, les bâtiments s adaptant à de nouvelles fonctions dans un jeu de palimpseste. L identité de la ville, que l on dit vivre dans un présent frénétique, se joue dans la continuité polymorphe et l appropriation de fait de son héritage colonial. Cette curiosité personnelle se double d un intérêt institutionnel et politique. Le Comité populaire de Hô Chi Minh-Ville accorde aujourd hui un intérêt nouveau au patrimoine bâti. Depuis 2013, l Institut de recherche et de développement de Hô Chi Minh-Ville (HIDS 2 ) et le Centre de recherche architecturale (Arc 3 ) affilié au Département de la planification urbaine et de l architecture (Dupa 4 ), reçoivent pour mission de réaliser un inventaire des villas de Hô Chi Minh-Ville et d en proposer des normes de classement et de conservation. Ces deux organismes font appel au Centre de prospective et d études urbaines (Paddi), bureau de coopération décentralisé de la Région Rhône-Alpes, dans le cadre d une mission d expertise et de conseil. À ce titre, le Paddi accompagne et encadre un groupe de recherche dans la mise en place d une grille d inventaire et de classement des villas anciennes du centre urbain durant le premier trimestre de l année Ce travail de recherche doit beaucoup à la collaboration étroite que j ai eue avec l équipe du Paddi, qui m a donné accès à un corpus documentaire et aux outils nécessaires à la collecte de données sur le terrain. J ai aussi pu participer à plusieurs réunions dans le cadre du travail mené avec les équipes vietnamiennes. 2 Ho Chi Minh City institute for development studies 3 Architectural research center 4 Department of urban planning and architecture 8

13 Essai de définition et positionnement conceptuel En 1903, dans Le culte moderne des monuments, Aloïs Riegl identifiait différentes valeurs de l objet patrimonial : la «valeur de remémoration» renvoie au passé, à la mémoire et à la valeur historique du monument ; la «valeur de contemporanéité» renvoie au présent, à une valeur d usage et aux conditions matérielles d utilisation du patrimoine (usage originel ou nouvelles fonctions). L exposé qui suit se propose d expliquer, dans le cas d une appropriation informelle du patrimoine, comment la réaffectation de bâtiments anciens provoque la réactivation ou la recréation d une mémoire urbaine et d une identité. L historienne de l urbanisme Françoise Choay reprend, dans L Allégorie du patrimoine (1992), la distinction énoncée précédemment en y ajoutant un nouveau terme : la «valeur économique». Elle renvoie aux ressorts contemporains du patrimoine, son appartenance à une nouvelle industrie culturelle, le développement croissant des politiques patrimoniales, la mise en valeur économique du patrimoine par le tourisme. La notion de patrimoine se construit et se renouvelle au regard de l extension récente des politiques qui lui sont associées et de l exportation de ce concept à l échelle mondiale. Le patrimoine se définit au sens strict comme un héritage, une transmission. Il renvoie à un ensemble de biens matériels ou immatériels qui permettent d établir un lien entre les générations. Il est l objet tangible du souvenir, de la remémoration. En tant que construit social, la reconnaissance du patrimoine passe par la définition de normes d identification et de classement ; la reconnaissance institutionnalisée du patrimoine relève du choix. Choisir ce qui fait patrimoine, c est définir une identité, une histoire, une expérience sociale et à travers elle un territoire spécifique (Di Méo, 1994). Valorisation et conservation du patrimoine apparaissent ainsi comme deux éléments interdépendants. Il faut aussi comprendre le patrimoine comme un système et non comme une série d isolats, à la fois dans le classement de ses objets (pratiques, traditions, ensembles urbains et monumentaux), mais aussi dans les différents processus de reconnaissance dont il fait l objet, qu elle soit politique, administrative, technique (Vernières, 2011). Dans le cas présenté ici, la reconnaissance du patrimoine se construit ; elle est aussi une reconnaissance individuelle, intuitive, historique. La protection des villas coloniales constitue un nouvel enjeu de la protection du patrimoine bâti à Hô Chi Minh-Ville. Seuls quelques éléments monumentaux et emblématiques (hôtel de ville, cathédrale, opéra, poste centrale, musées, marchés) ont déjà fait l objet de mesures de classement et de réhabilitation. Situé dans une centralité métropolitaine en recomposition, le bâti résidentiel de l époque coloniale appartient en grand 9

14 nombre au parc privé et forme aujourd hui un ensemble disparate et clairsemé, beaucoup de villas de l époque coloniale ayant été détruites. Le centre historique de Hô Chi Minh-Ville ne bénéficie pas des mêmes égards, institutionnels ou scientifiques, que celui de la ville millénaire de Hanoi, où se mêlent différents héritages urbains, dont la ville coloniale (Clément et Lancret, 2001 ; Mangin, 2006 ; Pédelahore de Loddis, 1992, 2007 ; Malherbe et Herbelin, 2010). La plupart des villas coloniales subissent de nombreuses transformations, dues aux pratiques de leurs occupants ; leur taille et leur conception constituent autant d obstacles à leur entretien et justifient souvent la scission et la modification des bâtiments. La valeur esthétique du patrimoine colonial et l implantation de ces bâtiments en centre-ville servent aussi la promotion économique et commerciale d activités spécifiques, qui utilisent le cadre de leur implantation comme élément promotionnel en le transformant. À l inverse, la fonction économique du bâtiment (café, restaurant, commerce familial) par des propriétaires socialement moins aisés permet paradoxalement son entretien et sa conservation dans un état proche de l originel. La notion de patrimoine transcende les disciplines. Elle est bientôt appropriée par les géographes, suite à sa formalisation institutionnelle peu avant la décennie 1980 (Veschambre, 2007 ; Hertzog, 2011). La multiplication des recherches sur le patrimoine va de pair avec «l inflation patrimoniale» (Heinich, 2009) qui marque les sociétés occidentales depuis cette période. Le concept de patrimoine s est élargi depuis son apparition sous le terme de «monument historique» durant la période révolutionnaire. La construction de l histoire nationale par les différents régimes du XIX e siècle a contribué à l extension sémantique du concept de patrimoine. Le chapitre des Lieux de mémoire (Nora, 1986) consacré à «la notion de patrimoine» par l historien de l art André Chastel, illustre ce glissement conceptuel du monument remarquable à l objet mémoriel et au référent identitaire. À l échelle internationale, les Chartes d Athènes en 1931 et de Venise en 1964 confirment cet intérêt porté à la protection des monuments. L'Organisation des Nations unies pour l éducation, la science et la culture (Unesco) est ensuite en charge du «patrimoine mondial» : la ratification en 1972 de la Convention pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel amorce l inventaire du patrimoine mondial. L extension de la notion au champ mémoriel se poursuit jusqu à nos jours, sous l influence d autres cultures (Bortolotto, 2013) : le Japon participe à l adoption en 2003 de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine immatériel ; en 2005, la Convention pour la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles est adoptée. 10

15 «Les géographes abordent la problématique patrimoniale selon trois grands types d approches : la place du patrimoine en matière d aménagement et de développement, les constructions identitaires à base territoriale, les jeux d acteurs, les conflits, autour de la construction patrimoniale», écrit Vincent Veschambre (2007). La notion de patrimoine intervient donc dans différents champs de la géographie, puisque la première catégorie renvoie à une géographie urbaine, du tourisme, la deuxième à une géographie culturelle ou historique, la troisième à une géographie sociale. Les premiers auteurs qui s emparent de la notion de patrimoine l envisagent d abord dans sa dimension identitaire : comme élément constitutif des territoires (Di Méo) ou comme instrument politique de différenciation des espaces (Gravari-Barbas). D autres auteurs utilisent le patrimoine comme révélateur des rapports de domination (Veschambre), comme vecteur des processus de ségrégation et de gentrification des espaces centraux (Melé), comme ressource : économique et touristique (Lazzarotti). Anne Hertzog, dans un article introductif d un numéro de la revue EchoGéo (2011), montre comment la présence croissante des géographes dans le champ des recherches sur le patrimoine répond à une demande sociale et politique d analyse du phénomène et comment les géographes parviennent progressivement au rang d experts dans les processus de valorisation de plus en plus larges du patrimoine ; la prise en compte du phénomène à l échelle des territoires et des processus sociaux à l œuvre tient alors lieu d atout. Vincent Veschambre met l accent sur la nature poreuse du concept de patrimoine, lequel s inscrit tant dans les courants de la géographie sociale que de la géographie culturelle, illustrant, sous l influence des auteurs anglo-saxons, les évolutions récentes de la géographie. L approche critique développée récemment par la recherche anglo-saxonne porte sur le contexte social de production du patrimoine et remet en cause l hégémonie de sa définition occidentale (Harrison, 2013). Ce courant interroge également le discours porté par les institutions dépositaires de la définition du patrimoine, comme l Unesco (Luxen, 2004). L étude de la reconnaissance du patrimoine dans les pays du sud doit faire l objet d une attention particulière et d études spécifiques : il s agit en effet dans de nombreux cas d un concept récent, associé à l introduction d une modernité occidentale (Claval, 2003) ; la reconnaissance du patrimoine dans le contexte postcolonial s augmente également d une forte dimension politique (Sinou, 2005). De récentes recherches invitent à interroger de manière critique la question patrimoniale 5, notamment en Asie, dans la mesure où ses ressorts 5 À savoir, le programme mené par l International Institute for Asian Studies (IIAS) de l Université de Leiden : «How do you say heritage? Intercultural encounters over heritage values and practices East Asia-Europe» ou the Association of Critical Heritage Studies (ACHS), créée en

16 échappent à la conception occidentale de conservation, par la réhabilitation et la mise en valeur touristique (Esposito, 2014). Ce mémoire de recherche échappe ainsi au cadre classique des recherches associant tourisme et patrimoine en interrogeant le patrimoine à travers ses usages et ses pratiques. Le patrimoine bâti de Hô Chi Minh-Ville n est pas toujours reconnu comme tel : comment assimiler et s approprier l héritage colonial? Par l étude des mutations fonctionnelles des villas coloniales à Hô Chi Minh-Ville, il s agit aussi d aborder l évolution des représentations du cadre urbain et sa pertinence en tant que patrimoine. La définition du patrimoine pose la question de son occupation. Quelles activités lui reconnaissent le statut de patrimoine? L étude des fonctions d un patrimoine bâti multiple interroge aussi la manière dont un cadre influe sur les activités économiques et sociales qui s y déploient. Et, de la même manière, «le lieu patrimonial se transforme en même temps qu il transforme la façon de vivre de celui ou de ceux qui l occupent», note Maria Gravari- Barbas en introduction de l ouvrage Habiter le patrimoine (2005 : 14). La fonction économique commerciale constitue une des réaffectations principales des villas coloniales de Hô Chi Minh-Ville. Les analyses développées dans la thèse d Anne-Cécile Mermet (2012) nous invitent à définir les villas coloniales abritant une fonction commerciale en tant que lieux de consommation d un genre nouveau associant des pratiques commerciales à des représentations du patrimoine, un rapport de promotion et de prestige allant de l un à l autre, mais aussi elles-mêmes biens de consommation, puisque utilisées ou rénovées en tant que capital économique (Mermet, 2013). Émerge alors un paradoxe en ce que la villa devient bien de consommation au sens d un usage, compris en tant qu utilisation et destruction. La question se pose de la permanence du statut de la ville coloniale malgré son usage : la dimension historique, architecturale, patrimoniale résiste-t-elle à la dimension commerciale? Poser la question des recompositions fonctionnelles du centre urbain à travers le cas spécifique de l appropriation économique des villas coloniales permet d ouvrir in fine une réflexion plus large sur la nature de l espace central de la ville dans le cadre de sa construction métropolitaine, réelle et promotionnelle. Les marques les plus visibles de cette transformation sont les changements fonctionnels, architecturaux et paysagers du centre-ville. Problématique de la recherche Divers objectifs ont conduit ce travail de recherche. L approche retenue, l analyse du patrimoine bâti à travers ses fonctions et réaffectations, vise à rendre compte de la singularité de l approche patrimoniale à Hô Chi Minh-Ville, où prévaut l initiative individuelle. Le 12

17 travail mené veut également comprendre comment la question patrimoniale se structure autour de pratiques urbaines nouvelles qui sont associées à la transformation fonctionnelle des bâtiments anciens. Le paradoxe observé de l élan revendiqué vers la modernité de Hô Chi Minh-Ville, qui se construit néanmoins par la réutilisation, l attachement et la continuité de formes et de pratiques qui faisaient Saigon, structure la réflexion menée autour des questions suivantes : - Comment de nouvelles formes d usages permettent-elles d endiguer la dégradation du centre hérité de Hô Chi Minh-Ville? - En quoi les mutations fonctionnelles des villas coloniales procèdent-elles de pratiques urbaines nouvelles et promeuvent-elles une forme de préservation d un modèle urbain ancien? Mise en œuvre et outils méthodologiques La rédaction de ce mémoire fait suite à un stage de terrain effectué au premier trimestre de l année Le recueil des données procède selon une double démarche inductive et qualitative, de larges temps ayant été consacrés à l observation dans les rues retenues pour l étude. Outre l accueil institutionnel dont j ai bénéficié à l Université de sciences sociales et humaines de Hô Chi Minh-Ville, me permettant l obtention d un visa spécifique et de documents officiels de présentation et de validation de mon travail de recherche, j ai pu bénéficier de l aide du Paddi. Le choix d une aire d enquête délimitée, dans laquelle s inscrivent observations et entretiens, résulte de l accès que j ai eu à un inventaire du patrimoine bâti de Hô Chi Minh-Ville effectué par Hervé Desbenoit il y a une vingtaine d années 6. Cet inventaire offre une base de données importante sur la localisation et la nature du bâti résidentiel de l époque coloniale. Il recense 348 adresses, le type d activité et de propriété de chaque bâtiment. L inventaire présente pour chacun une photographie de la façade. Cette base de données a été actualisée en Le nouveau fichier répertorie chaque bâtiment selon sept catégories, dans la perspective d un règlement de conservation. Deux groupes sont distingués : le premier constitue «un ensemble compatible avec un retour à l état d origine» (bâtiment dégradé, légèrement transformé, entretenu ou restauré) ; le second 6 Hervé Desbenoit, 1993, Patrimoine architectural d Hô Chi Minh-Ville : Éléments de repérage. Les bâtiments résidentiels, Saigon, Agence d urbanisme de la communauté urbaine de Lyon, 173 p. 13

18 constitue «un ensemble incompatible avec un retour à l état d origine» (bâtiment détruit et remplacé, en ruines, lourdement transformé). Pour chaque cas, une nouvelle photographie vient en comparaison de celle datée de Le périmètre retenu par Hervé Desbenoit est justifié par l analyse d un corpus de cartes anciennes ; il correspond à l emprise du quartier résidentiel français à l époque coloniale (Desbenoit, 1993 : 8) entre les actuelles rues Đinh Tiên Hoàng au Nord, Lê Duẩn à l Est, Cách Mạng Tháng Tám au Sud et Võ Thị Sáu à l Ouest, à la jonction des districts 1 et 3. Mon travail de terrain se fonde, à partir de cet inventaire, sur une observation complète de l ensemble du périmètre et des bâtiments répertoriés, rue par rue. Au repérage des bâtiments d époque coloniale s associe celui de leur environnement : le type de bâtiments entourant les villas coloniales et leurs caractères architecturaux, les activités spécifiques du quartier et de chaque rue. L apport à l inventaire déjà réalisé est constitué par la construction d un classement typologique selon plusieurs critères : l état du bâtiment et sa visibilité depuis la rue (ou la voie secondaire), le type de fonction qu il abrite. Le choix de ces critères et leur limitation est exposé plus en détail au cours de l exposé. La comparaison avec les données initiales de l inventaire permet d envisager les recompositions de cet espace en termes de fonctions urbaines. Un second temps de mon séjour sur le terrain fut consacré à la réalisation de douze entretiens semi-directifs auprès des propriétaires ou des responsables des commerces présents lors de ma venue. Le travail d observation préalable visait également à repérer et choisir des cas exemplaires, originaux ou des cas limites, situations que la réalisation d entretiens vient éclairer de témoignages précis. Le but de ma démarche était de laisser le plus de place possible à l interaction avec la personne interrogée, tout en m appuyant sur une grille de questions communes à tous les entretiens. Un entretien a été réalisé hors de la zone d enquête, auprès de la responsable d un collectif d artistes installé dans d anciens bâtiments militaires de l époque coloniale ; il constitue un cas spécifique et les propos recueillis abordent largement la question de l évolution des représentations de l héritage urbain. Mon séjour sur le terrain fut également mis à profit pour entamer l apprentissage du vietnamien. Si le niveau acquis cette année ne m a pas permis de mener des entretiens seul, la connaissance élémentaire de la langue, affranchissant la barrière de l exotisme, a favorisé le contact avec les personnes interrogées. Plusieurs entretiens ont néanmoins été réalisés en français ou en anglais avec des personnes bilingues ou étrangères. La question du patrimoine colonial intéresse particulièrement le rôle des étrangers. Le moment des entretiens a permis également 14

19 de visiter en partie les villas où j ai été reçu et d analyser succinctement leur aménagement intérieur. Les entretiens d une durée minimum d environ vingt minutes, portaient sur des aspects formels relatifs au bâtiment occupé et la fonction de celui-ci. Après adaptation de la grille de questions, reportée en annexe de ce mémoire, les entretiens intégraient également une large place à l opinion personnelle de la personne interrogée. Cette dernière partie s est révélée la plus enrichissante. Un seul propriétaire a cependant accepté de se prêter au jeu de l interview. Les villas coloniales abandonnées en 1975 ayant fait l objet de dons par l État à des soutiens fidèles, ceux-ci sont rétifs à s exposer aux questions d un étudiant étranger. L accès aux villas occupées par des administrations publiques a été problématique, malgré une lettre de présentation de l université vietnamienne. Les refus se justifiaient par le manque d accréditations officielles auprès des différents ministères concernés. Ces quelques difficultés dans l application d une méthodologie largement éprouvée, rappellent que la recherche au Vietnam constitue un enjeu politique sensible et contrôlé. * L étude qui suit s organise selon trois grandes parties. La première partie contextualise le cadre de cette étude en revenant, dans un premier chapitre, sur la création de la ville coloniale et du modèle de la villa. Le deuxième chapitre rend compte de l état actuel des politiques de conservation patrimoniale et des recherches en cours à Hô Chi Minh-Ville. Une deuxième partie de l exposé est consacrée à l analyse des usages du patrimoine bâti. Le troisième chapitre interroge le renouvellement fonctionnel et architectural de l espace étudié. Dans un quatrième chapitre, il s agit de caractériser les villas coloniales du centre historique à travers différents types. La dernière partie de l étude s intéresse au cas spécifique de la reconversion commerciale, aux pratiques et aux représentations associées au patrimoine bâti dans ce cadre. Le cinquième chapitre s intéresse à la fonction commerciale comme réaffectation spécifique du patrimoine. Le sixième et dernier chapitre questionne la valeur de l argument identitaire face au renouvellement urbain, en analysant les ressorts spécifiques d une mise en valeur originale. 15

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21 Figure 1 La localisation de la zone étudiée dans le centre de Hô Chi Minh-Ville La carte présente l ensemble de la zone choisie pour l inventaire d Hervé Desbenoit en 1993 et son actualisation. Elle correspond à un vaste quartier résidentiel loti à l époque coloniale successivement à l aménagement du centre urbain en bordure de la rivière Saigon. Au Sud-Est de cette zone se concentrent les monuments administratifs et les principales infrastructures publiques de la période française. Le détail des surfaces parcellaires permet d identifier plusieurs ensembles : le parc des villas et les quartiers de compartiments, au tissu plus dense et resserré. Cet hyper-centre connaît aujourd hui d importantes recompositions (concentration des activités économiques, verticalisation), qui s étendent progressivement au Nord dans la zone étudiée. Le découpage du fond de carte proposé ici reprend celui du schéma d aménagement ; l espace circonscrit a été défini comme le centre-ville. 17

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23 PREMIÈRE PARTIE Le patrimoine bâti de Hô Chi Minh-Ville : objets et contours

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25 Chapitre 1 Naissance d un patrimoine : comment Saigon est devenue la «perle de l Extrême-Orient»? L aménagement de la ville de Saigon par le pouvoir colonial français accroît la domination de ce pôle commercial au Sud du Vietnam, qui profite d une situation stratégique de carrefour au débouché du delta du Mékong. La conquête française reprend la hiérarchie du site : autour de l ancienne citadelle vietnamienne, la ville administrative et occidentale ; à l Ouest, l agglomération de Cholon, la «ville chinoise», devient le centre commercial sinovietnamien (Dolinski, 2007 ; Gédéon, 2011). L arrivée des Français en Cochinchine se fait toutefois par la recréation d une ville aux normes occidentales, et non par greffe urbaine d une ville nouvelle à un centre ancien, comme ce fut notamment le cas au Maghreb (Boutabba, Farhi et Mili, 2014). La réalisation des plans d aménagement urbain de la ville française se heurte néanmoins durant toute la période coloniale et ensuite au défaut des pouvoirs publics et reste principalement le fait d initiatives privées. Les conséquences sont variées et concernent le manque d aménagement de la voirie ou des réseaux d assainissement comme le chaos architectural des quartiers historiques (Nguyễn Cẩm, 2013). La concentration des villas françaises dans les districts centraux, autrefois zones résidentielles de la ville coloniale, est aujourd hui résiduelle. A. Créer la ville : l urbanisme colonial 1. L héritage de la planification militaire : le plan Coffyn de 1862 et ses suites Après la prise de Saigon en 1859, la garnison militaire française établie sur le site projette l établissement d une ville de modèle européen. La constitution d un centre accueillant des 21

26 activités économiques d ampleur devient un enjeu dans les relations diplomatiques avec la cour impériale de Huế comme avec la métropole. La ville de Saigon pèse dans la décision d établir une colonie en Cochinchine ; le traité est signé en L amiral Bonard organise dès 1861 le développement de la ville selon des principes d autonomie financière et d encouragement aux initiatives des promoteurs privés. Le projet colonial ne doit pas nuire au budget de l État en métropole. Les premiers aménagements de la ville sont le fait de l autorité militaire, la Cochinchine relevant d un amiral de marine jusqu en En 1862, le colonel du génie Coffyn propose le premier aménagement de la ville sur la base d un plan strictement orthogonal, organisé depuis les casernements militaires ayant pris la place de l ancienne citadelle le long de l arroyo de l Avalanche (canal Nhiêu Lộc - Thị Nghè). Il est prévu pour une ville de habitants. Critiqué pour sa forme ambitieuse, ce plan est finalement largement suivi tout au long de l entreprise coloniale. Les premiers bâtiments permanents sont construits à proximité du centre militaire : caserne et hôpital militaire. Les bâtiments de l université de sciences sociales et de l université de pharmacie occupent aujourd hui la place des terrains de casernements militaires ; l hôpital est toujours en activité sous le nom de Nhi đồng II. Les critères fonciers de l aménagement urbain voulu par les Français renvoient les populations vietnamiennes audelà de la rivière Saigon et de l arroyo Chinois (canal Tàu Hủ-Bến Nghé), à l ouest et au sud, en dehors de la ville européenne. «Chacun des lots était alors assujetti à un impôt foncier annuel, à la capitation et à une patente pour les commerces. Cette entreprise de lotissement a, dans les faits, très largement exclu les populations vietnamiennes, en raison de leur non-solvabilité, même si la ségrégation ethnique ne constituait pas un postulat de départ.» (Gibert, 2014 : 139) Au Sud de l ancienne citadelle des terrains sont alloués à des missions religieuses par décision de l amiral Bonard dès 1862 ; les rives de l arroyo de l Avalanche sont aménagées en jardin botanique et zoologique. À la confluence de l arroyo de l Avalanche et de la rivière Saigon est établi l arsenal militaire (port militaire de Ba Son, toujours en activité). La partie sud de l actuel district 1, le long de la rivière, accueille ensuite les installations administratives et commerciales, tandis que le nord du «plateau», l actuel district 3, devient une zone essentiellement résidentielle, progressivement lotie d Est en Ouest. Le bâtiment des messageries maritimes et les installations portuaires liées au commerce sont stratégiquement implantées à la confluence de l arroyo Chinois et de la rivière Saigon, facilitant ainsi la liaison avec le centre marchand de Cholon. 22

27 La normalisation des espaces et des parcelles du plan d aménagement du colonel Coffyn, vise un contrôle hiérarchisé de l espace et des circulations. Le préalable du découpage parcellaire est également destiné à la vente des terrains aux investisseurs immobiliers privés, dans le but de pourvoir aux finances publiques de la Cochinchine. Le pragmatisme de ce plan se double d un fort fonctionnalisme, tirant parti des nombreuses voies fluviales qu offre le site. Ainsi, les lotissements proposés le long des arroyos sont-ils de plus petite taille que ceux de la ville. Cette division donne naissance à la ville commerciale des compartiments, où la densité du bâti répond à celle des activités, tandis que les espaces résidentiels, que caractérisent de vastes villas entourées de jardins se localisent plus au nord (Nguyễn Cẩm, 2013). Le nombre de Français installés à Saigon est estimé à environ au début du XX e siècle. Ils sont près de en 1939 (Le Brusq, 2011 : 38). La population totale de l agglomération de Saigon et Cholon atteint alors près de habitants ; la faiblesse du peuplement métropolitain s explique par la nature de l entreprise coloniale : exploitation plutôt que peuplement. 23

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29 Figure 2 Le zonage des fonctions de la ville coloniale en 1900 Ce plan de Saigon en 1900 fait apparaître la hiérarchisation spatiale de la ville coloniale. La distinction des différentes fonctions correspond aux temporalités successives de l aménagement colonial. De la citadelle et ses alentours jusqu à la rive de la rivière Saigon, les premiers aménagements sont marqués par l importance des emprises militaires. L extension vers l Ouest et le Nord permet l installation des activités commerciales. Elles s implantent respectivement sur les parties les plus hautes et symboliquement les plus prestigieuses du «plateau» et à la confluence de l arroyo Chinois et de la rivière, en lien avec le commerce fluvial et maritime. Les quartiers périphériques sur cette carte sont moins dotés en infrastructures publics, témoignant de l extension progressive de la trame urbaine, d après les plans du colonel Coffyn.

30 2. L urbanisme de la période coloniale, une réussite contrastée L urgence de la conquête place l équipement technique de la ville aux mains de la marine, qui prend en charge le tracé des voies de communication, l assainissement des terrains marécageux, par le percement de canaux qui seront ensuite progressivement comblés (Gibert, 2014), comptant parmi les principaux aménagements de l installation française. Les auteurs s accordent sur l impéritie des pouvoirs publics à assurer la viabilité du tissu urbain, cependant que des édifices monumentaux, destinés à marquer l emprise française mobilisent l administration coloniale (Burlat, 2001 ; Nguyễn Cẩm, 2013 ; Gibert, 2014). Le service des travaux publics, divisé entre la section des ponts et chaussées et celles des bâtiments publics est créé en Cette seconde section est aux mains d architectes venus de métropole. L urbanisme des colonies françaises est influencé, à partir des années 1920, par les théories de l urbanisme progressiste. L Exposition coloniale universelle de 1931 permet aux architectes de tout l Empire d échanger et les réalisations ultérieures résultent d influences communes (Gibert, 2014). La loi de 1924, qui oblige chaque mairie à établir un plan d aménagement et d extension urbaine a été étendue aux colonies. «Malgré leurs différences, ces architectes [qui se revendiquent de l urbanisme progressiste] partagent une communauté de points de vue. Tous refusent de limiter leur tâche aux seuls bâtiments et revendiquent d intervenir à l échelle de la ville. Cette nouvelle conception de la profession explique la création, en 1911, de la Société française des urbanistes, à laquelle Hébrard prend une part active. Sur le plan théorique, l analyse du phénomène urbain conduit à assimiler la ville à un organisme régi par un certain nombre de fonctions qu il s agit d isoler pour définir des principes universels de composition. La séparation des quartiers voués à l administration, à l habitation, aux loisirs et à l industrie prend valeur de règle, tandis que l organisation rationnelle de la circulation apporte sa cohésion à l ensemble. Par la prétention d une maîtrise globale des facteurs constitutifs de la cité, l urbanisme progressiste se détache de l art urbain traditionnel. À un savoir-faire se substitue un savoir qui se veut scientifique, et dont la mise en œuvre nécessite une coordination étroite avec le pouvoir.» (Le Brusq, 2011 : 46) Il faut souligner le décalage entre le discours théorique et les limites de celui-ci. Le projet urbanistique de Saigon s est adapté au développement urbain effectif de la ville. L adaptation technique des bâtiments construits en Indochine constitue le principal apport des tenants d un urbanisme moderne. Ernest Hébrard est nommé à la direction du service d urbanisme en 1923 par le gouverneur général Maurice Long. Avec ses suiveurs, il théorise et applique l adaptation climatique et l inspiration de l architecture vernaculaire aux principes de construction de ses bâtiments. 26

31 Ernest Hébrard est aussi responsable de projets urbains innovants, mais qui, dans le cas de Saigon, n ont pu être pleinement appliqués, en raison d un pouvoir civil contraignant, peu enclin à assumer des plans d envergure. Le dessin des rues ayant précédé la construction des bâtiments, il déplore l absence de hiérarchie des axes et des circulations (Le Brusq, 2011 ; Gibert, 2014). À sa suite, Louis-Georges Pineau, nommé au Service central d urbanisme et d architecture doit tempérer ses projets par une adaptation pragmatique. Le temps n est plus celui de «la rationalisation prioritaire et programmatique de l activité économique et industrielle» (Pédelahore de Loddis, 1992 : 307). C est aussi à partir des années 1920 et 1930 que se multiplient les réalisations architecturales du parc privé, sous l effet de la diminution des commandes publiques et d une volonté d extension du cadre urbain initial. La ville d aujourd hui a hérité du zonage urbain fonctionnel de l époque coloniale. L influence française est à relativiser face à l expansion urbaine des années Perdurent les problèmes du sous-équipement infrastructurel et une pénurie de logements. L expansion urbaine, à l échelle de la métropole, se traduit par «une urbanisation sauvage» (Quach- Langlet, 1991) et désordonnée. Les formes urbaines se diversifient sous une double influence : le retour de l architecture vernaculaire et l adaptation du modèle du compartiment permettent la densification du bâti sur des parcelles divisées d une part, l influence d autre part du modernisme tropical (Lê Quang et Dovert, 1998). Adapté au contexte local suite aux périodes d occupation nippone puis américaine, il renouvelle le paysage urbain. L actuel Palais de la réunification en est l archétype. La trame urbaine et les îlots dessinés à l époque coloniale existe toujours à la période contemporaine (Gibert, 2014). B. Caractériser le patrimoine bâti : éléments de l architecture coloniale Saigon doit son surnom de «perle» à la magnificence de son bâti monumental. Pouvant être qualifiée d «hymne à la gloire de la mission civilisatrice de la France» (Gibert, 2014 : 156), cette débauche d architectures renvoie à une conquête idéologique et symbolique du territoire colonial. Ces bâtiments constituent aujourd hui des points de repères et des symboles de la ville, autant que des attractions touristiques. Le parc privé constitue l essentiel des réalisations de la période coloniale. La forme spécifique de la villa constitue l objet d étude de cette recherche ; elle connaît de multiples formes et adaptations stylistiques. 27

32 1. Les monuments de l époque coloniale à valeur emblématique Les premiers monuments de la période française en Indochine sont autant de citations d une architecture métropolitaine exportée aux territoires coloniaux, marqueurs identitaires de la puissance tutélaire. Les théâtres de Saigon et de Hanoi imitent respectivement le Petit Palais et l Opéra Garnier à Paris. Les architectes français envoyés dans les colonies sont, pour une grande majorité, titulaires du Prix de Rome et à ce titre les tenants de modèles esthétiques institutionnels. Ce mimétisme architectural perdure jusque dans les années 1920, où sous l influence d Ernest Hébrard, se dessine une architecture dite «indochinoise» (Le Brusq, 1996). La systématisation d une architecture hybride adaptée au territoire indochinois se confond avec l introduction du mouvement moderne à partir des années Ce style nouveau se traduit principalement dans des édifices tels que les musées, la construction des bâtiments administratifs ayant précédé cette période. Le musée Blanchard de La Brosse à Saigon (aujourd hui musée d histoire) constitue un archétype. Cette architecture «localiste» (Pédelahore de Loddis, 1992) s affiche en façade de nombreuses villas et édifices privés, comme variante du néo-régionalisme en vogue à l époque en métropole et qui essaime jusque sur les hauts plateaux du Vietnam à Dalat. La grande diversité de styles des bâtiments privés réalisés s explique également par la réserve foncière disponible, qui au regard des concentrations urbaines de la métropole, offre de grandes libertés. L histoire de la présence française en Indochine, et à Saigon plus particulièrement, peut donc se lire au travers de réalisations architecturales, qui sont autant de jalons de cette période. L Hôtel du gouverneur général : un symbole de suprématie Destiné à la plus haute administration de la colonie, l ambition de ce monument, construit par l architecte Achille-Antoine Hermitte, justifie les contraintes techniques qui ont entravé son édification. Le terrain marécageux constitue un obstacle et nécessite la venue d ouvriers spécialisés de Hong Kong. Le chantier commencé en 1868 ne se termine qu en L ampleur du monument et des jardins qui l entourent en font le manifeste des ambitions françaises sur ce territoire. Ses caractéristiques esthétiques rendent compte de la magnificence promue au rang d argument politique par le Second Empire : c est la France importée en Extrême-Orient. 28

33 «Une allée circulaire mène à l escalier monumental doublé d une rampe pour les voitures. Le corps principal présente deux niveaux d arcades formant la base rythmique de la façade. Sur cette grille, l artiste greffe des thèmes éclectiques, tel le fronton central soutenu par des colonnes, motif classique associé à une toiture à pans brisés, sur le modèle du Louvre. Les pavillons d angle regardent vers le maniérisme par leurs colonnes à bossages et peut-être vers la tradition sud-américaine par les corniches cintrées, référence susceptible de connoter l ensemble d un caractère colonial. Quoi qu il en soit de la volonté de l architecte sur ce point, l hôtel transporte en milieu tropical l éclectisme cher au règne de Napoléon III.» (Le Brusq, 2011) Ce Palais, bombardé en 1962, est remplacé en 1966 par l actuel Palais de la réunification, ancien Palais présidentiel du Sud-Vietnam, autre manifeste de la modernité. Il a depuis été reconverti en musée. À la suite de l Hôtel du gouverneur général, les bâtiments administratifs rivalisent d opulence et d ornementation. Le Palais de justice ou encore l Hôtel de ville, reprenant avec son campanile, les codes des mairies métropolitaines de la Troisième République, comptent parmi ces réalisations fastueuses. 29

34 Source : P. de Ladevèze, 1875 base de données VirtualSaigon id Source : F. Guillemot, IAO, 2012 base de données VirtualSaigon id Illustrations 1 et 2 L Hôtel du gouverneur général et le Palais de la Réunification : deux iconographies politiques Ces deux édifices monumentaux sont les emblèmes de deux régimes politiques. Leur façade a valeur de manifeste. Elle signale avec des effets de majesté la prééminence du pouvoir que ces deux palais abritent. Les effets de symétrie et la perspective des jardins renforcent l effet visuel des deux bâtiments imposants. Dans le cas de l Hôtel du gouverneur, les emrpunts stylistiques multiples (dômes,frontons, horloge, arcades, rampes et escalier monumental) renvoient explicitement aux édifices les plus prestigieux de la métropole. 30

35 Les infrastructures publiques, entre visées fonctionnelles et adaptations Tandis que les premières constructions sont marquées par la transcription littérale de modèles français, les infrastructures de la ville, telles que les hôpitaux où les établissements scolaires, s intègrent progressivement à son paysage, participant à la création de son identité singulière. L hôpital Grall, ancien hôpital militaire construit parmi les premiers bâtiments français de Saigon, se caractérise par ses principes de construction. Avant l adaptation des matériaux et des techniques aux spécificités du contexte colonial, on importe de France les éléments de construction. Les principes d adaptabilité au climat sont pourtant déjà admis dès ces débuts : «Les charpentes métalliques et le granite des soubassements sont importés de France, solution onéreuse qui conduit à unifier les bâtiments en les élevant sur plusieurs niveaux plutôt qu à les séparer en plusieurs pavillons. Les ingénieurs adaptent cependant les constructions aux exigences climatiques en prenant la précaution de les orienter en travers des vents dominants et d ajourer les parois de briques. Les galeries continues sur les pourtours forment l indispensable véranda et permettent d éviter les couloirs centraux de circulation.» (Le Brusq, 1996) L architecture des lycées de Saigon, de construction ultérieure, renvoie à un objectif commun : l ensemble des établissements scolaires répondent à une même norme d identification. Ils suivent un plan fonctionnel, selon lequel, les bâtiments scolaires s agencent en fer-à-cheval autour d une vaste cour sur le modèle des édifices parisiens de la Troisième République. L entrée de ces lycées est marquée par un porche, surmonté d un pavillon. Là s expriment les principes d adaptation de l architecture à l esthétique traditionnelle. Le lycée Petrus Ký (actuel Lycée Lê Hồng Phong), réalisé par Ernest Hébrard, en constitue le plus bel exemple. La construction du lycée franco-chinois étend ce principe jusqu à la mixité complète d éléments de décoration chinois dans une architecture de conception occidentale. Le financement par les communautés locales des édifices, comme l intégration des lettrés vietnamiens à l enseignement français, explique aussi cette mixité des styles. «Son porche d entrée rassemble un faisceau de motifs où se croisent les traditions occidentale et asiatique. Depuis le début du siècle, les Européens recourent volontiers aux toitures débordantes empruntées à l architecture locale. Réalisées en tuiles, elles constituent la meilleure garantie contre les pluies de la mousson et protègent les bâtiments de la chaleur en projetant leur ombre sur les façades. En l occurrence, ce mode de couverture engendre la disproportion lorsqu il s agit de coiffer le lanterneau qui signale l accès principal du collège. Comme dans le système asiatique, ce type de toit est tenu par une charpente en encorbellement ; elle appelle instinctivement dans l esprit des architectes occidentaux l emploi de consoles ornementales. [ ] Enfin, si l emblème central s apparente par la technique aux ornements de céramique si répandus sur les façades des écoles françaises, il est proprement chinois par le contenu.» (Le Brusq, 2011) 31

36 Ces quelques exemples témoignent de l équipement public complet de la ville coloniale, dont les édifices sont toujours affectés aux mêmes fonctions aujourd hui. Si leur adaptabilité aux contraintes d une administration moderne est relative, c est le prestige des années et la valeur esthétique qui justifient leur pérennité. Dans l aire étudiée ici, hôpitaux et lycées constituent les principaux référents coloniaux autres que les bâtiments résidentiels. Source : P.Gary, Maison Asie Pacifique, UNSA, 1929 base de données VirtualSaigon id Source : L. de Selva, 2011 Illustrations 3 et 4 L Hôpital Grall et le lycée franco-chinois : d une architecture importée à des modèles hybrides Ces deux bâtiments remarquables par leur façade rendent compte des évolutions techniques et théoriques des architectes français au Vietnam durant la période coloniale. Passant de modèles et de matériaux importés (l hôpital pavillonnaire) aux bâtiments «indochinois», le développement de la ville coloniale associe progressivement le pragmatisme à l esthétique dans la construction des édifices publics. 32

37 2. La villa coloniale : un modèle architectural Plus encore que les bâtiments publics, l habitat colonial est soumis à des exigences climatiques. Comme dans les autres territoires précédemment conquis, c est le modèle de la villa individuelle qui s impose pour les colons (Guaita, 1999). Cette forme architecturale assoit le statut social de ses occupants, dans un tissu urbain plus lâche que celui de la ville commerciale des compartiments. Sa forme simple, rectangulaire, permet l expression d une variété de styles. Par ajouts successifs et adaptation des techniques de construction elle devient le signifiant de la modernité urbaine en Indochine. La typologie de la villa renvoie au modèle architectural occidental par l emprise des bâtiments, au cœur d une vaste parcelle. L attrait pour la symétrie des façades et le traitement monumental des entrées sont significatifs du style colonial. Les toitures débordantes à quatre pans dont l ombre protège façade et fenêtres du soleil constituent le caractère immédiatement reconnaissable des villas françaises ainsi que le principal emprunt à l architecture traditionnelle sino-vietnamienne. «Hébrard illustre sa démonstration par la coiffure conique du paysan vietnamien faisant office tantôt de parasol et tantôt de parapluie», note Arnauld Le Brusq (2011 : 21). On retrouve en façade des villas coloniales les mêmes types d ornementation de charpente. L élévation des charpentes, accentuant la pente des toits, afin de ménager de vastes espaces de ventilation au-dessus des pièces, comme l élévation du niveau du sol pour se prémunir des inondations constituent d autres caractères spécifiques. L édifice n excède jamais deux étages. Le principe de la véranda expérimenté dans les colonies antillaises ou africaines (Guaita, 1999) est largement repris. Pour certains auteurs, la véranda, comme élément novateur de l architecture coloniale symbolise également «l extraversion du mode de vie» des colons (Boutabba, Farhi et Mili, 2014) en devenant tout autant un lieu de réception qu un espace d exposition, à cheval entre les espaces privés et publics. Le dispositif, constitué comme un sas de régulation thermique, prend la forme d un couloir circulatoire entourant le bâtiment, duquel se distribuent les pièces intérieures. Il permet de larges ouvertures pour faire entrer l air et le vent, en même temps que des ouvertures plus étroites à l intérieur préviennent de la pluie et du soleil (Le Brusq, 2011). La véranda est toutefois caractéristique de bâtiments de grande taille et de prestige, les habitations plus modestes tirent avantageusement parti de ce dispositif par le cloisonnement de pièces de petite taille. 33

38 La villa coloniale est également indissociable de ses dépendances, destinées aux domestiques indigènes, inhérentes à l installation de familles dans la période suivant l établissement de la colonie : «Ainsi se dessine la distribution type de la villa. Au rez-de-chaussée se tient une grande pièce divisée par des piliers ou des paravents pour former un salon et une salle à manger. Le bureau, les chambres et les cabinets de toilette se répartissent entre le niveau bas et le premier étage. Placées en arrière du bâtiment principal, les dépendances, appelées familièrement boyerie comprennent le logement des domestiques, la cuisine et autres équipements de service.» (Le Brusq, 2011 : 22). Aujourd hui, il n est pas rare que ces deux espaces aient été séparés. Le propriétaire occupe alors les anciennes dépendances et loue la villa comme logement ou pour tous types d activités. La partition originelle des espaces entraîne des recompositions fonctionnelles au sein du même bâtiment. Source : T. Piard-Corne, 2015 Illustration 5 La partition des villas coloniales Le découpage des villas coloniales en plusieurs lots aboutit à des modifications de façades importantes, suivant les évolutions fonctionnelles de chaque partie. La partition des villas coloniale introduit des ruptures visuelles importantes qui font obstacle à la lecture du bâtiment originel. Modifications des rapports de hauteurs, prolongement des façades par de nouveaux éléments architectoniques résultent de l inadéquation du bâtiment originel à ses nouvelles fonctions. L élasticité morphologique constitue un caractère contemporain des usages de la villa coloniale ; elle varie dans ses degrés de respect et d intégration au bâtiment initial. Sur la photo de gauche, la villa est partagée entre les bureaux de l autorité de gestion de la construction civile et une habitation privée. Dans sa partie résidentielle, elle a gardé sa façade d origine. Sur la photo de droite, deux habitations montrent deux modifications de façade différentes. L ornementation des villas coloniales emprunte largement au répertoire décoratif néoclassique (frontons, balustrades, colonnes, frises) que souligne des façades bicolores, dans une imitation des monuments publics. À l inverse des codes architecturaux sino-vietnamiens, 34

39 l ornementation des villas coloniales qui emprunte au répertoire local n est pas signifiante. Bande d encadrement et modénatures géométriques et abstraits, ligne de faîtage et tuiles vernissées rappelant les temples accompagnent quelques traits occidentaux, comme le bossage des façades et des portiques dans le style néo-renaissance ou le coq gaulois qui tient parfois lieu d épi de faîtage. L emploi des toitures débordantes coïncide avec l émergence du style régionaliste, qui trouve dans les colonies un terrain d expression fertile. Faut-il l associer à la nostalgie et à l éloignement de la société coloniale? Au carrefour d influences multiples, Saigon se montre également sensible à l innovation de styles multiples : art nouveau, art déco, streamline ou principes modernistes des Congrès internationaux d architecture moderne 7 (CIAM), en se parant de villas aux allures nouvelles dans les années La datation peu évidente de ces édifices auxquels répondent des réalisations du fonctionnalisme soviétique plus tardives, contemporaines ou encore certaines villas plus anciennes aujourd hui rénovées dans un style «neuf» les a écartées de l inventaire du Paddi, constituant l une de ses limites. 7 Mouvement de promotion d une architecture moderne et d un urbanisme fonctionnel, réuni à l initiative d architectes européens, tels que Le Corbusier ou André Lurçat pour la première fois en

40 Source :T. Piard-Corne, 2015 Illustration 6 Le répertoire décoratif des villas de l époque coloniale 1 tourelle ;2 toits emboités ;3 toit en berceau ; 4 ; frise de céramiques ; 5 abouts de charpentes décoratifs ; 6 épi de faîtage ; 7 villa moderne, balcon de style streamline ; 8 portique d entrée, bossages et bas-reliefs décoratifs ; 9 portail monumental ; 10 surplomb de fenêtre ;11 symétrie des ouvertures ; 12 balustrade et persiennes. 36

41 * Les bâtiments publics de l ancienne Saigon se caractérisent par une pérennité fonctionnelle. Le pouvoir national a remplacé la puissance coloniale, mais les affectations restent les mêmes. Aussi, rares sont ceux ayant fait l objet d une «patrimonialisation», au sens d une mise en valeur spécifique et d une réaffectation pour le tourisme. De la même façon, les villas coloniales sont aujourd hui occupées par des services de l État (administrations, services publics, établissements de recherche). Une large part du parc privé a été reçue en don par des militaires de l armée du Nord ou des fidèles du régime en 1975, qui louent ces biens immobiliers. Face à ce constat, une interrogation se fait jour quant à la définition de la notion de patrimoine bâti. La permanence de l héritage architectural s ancre plus sûrement dans une réutilisation pragmatique d un capital de prestige et d infrastructures préexistantes que dans une pleine appropriation mémorielle. 37

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43 Chapitre 2 La conservation du patrimoine bâti à Hô Chi Minh-Ville La conservation du patrimoine urbain au Vietnam, comme dans d autres États issus de la décolonisation, a été longtemps reportée en raison du rappel historique qu il représente, mais aussi de son inadéquation aux critères recherchés de la modernité. Les édifices monumentaux ont été réinvestis par l État : la continuité fonctionnelle et la valeur symbolique en ont assuré l entretien. Cependant, ces bâtiments ne représentent qu une faible proportion, certes la plus visible, de l ensemble du paysage urbain hérité. À cet égard, les plans récents de protection mis en place à Hanoi, autour de la citadelle classée à l Unesco ou du quartier commerçant des trente-six rues avec le partenariat de la ville de Toulouse 8, illustrent l intérêt prioritaire dont bénéficie un patrimoine ancien, identifié comme national. La mise à distance du temps de la colonisation et l intégration de cette période au récit de l identité nationale comme vecteur d une modernité désormais appropriée (Sinou, 2005) expliqueraient l intérêt nouveau accordé aux éléments de la ville coloniale à Hô Chi Minh- Ville. L économie touristique liée à cette nouvelle mise en valeur apparaît également comme un facteur déclencheur des décisions politiques, dans la mesure où la métropole du Sud ne bénéficie pas d une fondation aussi ancienne que son ancienne rivale du Nord (Clément et Lancret, 2001 ; Mangin, 2006). 8 Une coopération entre ces deux villes a lieu à partir de 2000 grâce à des financements européens, du ministère des Affaires étrangères français et de la ville de Toulouse. L ensemble des actions réalisées est détaillé sur le site hanoi-toulouse.org. 39

44 A. La notion de patrimoine au Vietnam, une définition complexe 1. Le sens de l héritage : une question de vocabulaire? Le Vietnam fait figure de cas particulier sur la question patrimoniale. L administration coloniale française en Indochine a joué un rôle fondateur en y exportant le double corpus idéel et législatif relatif au patrimoine dès le début du XX e siècle. L École française d Extrême- Orient (ÉFEO), implantée à Hanoi, s attache durant toute la période coloniale à la connaissance et à la conservation des civilisations cham et khmère (Mangin, 2006). La dernière des listes générales de classement des monuments historiques d Indochine de l ÉFEO, publiées entre 1925 et 1938, constitue une base influente des choix ultérieurs de classement au Vietnam. Les liens, soulignés par Christian Pédelahore de Loddis (1992), entre cette institution académique et la reconnaissance progressive des architectures locales se trouvent renforcés par la construction du musée Louis Finot à Hanoi par Ernest Hébrard, qui abritera les collections de l ÉFEO. La formation d une élite vietnamienne à l École des beaux-arts que fonde le peintre Louis Tardieu y participe également. L Exposition coloniale de 1931 cristallise ce mouvement de connaissance et de reconnaissance de l histoire vietnamienne et indochinoise : «Pour le Laos et le Vietnam, la réalisation de pavillons principaux, de reconstitutions de l habitat rural, compris comme étant le support matériel des spécificités de chaque pays, marque un début de reconnaissance des travaux de géographie humaine, de sociologie, d anthropologie et de typologie architecturale menés par l ÉFEO ainsi que par des scientifiques de premier plan, comme Pierre Gourou ou Paul Mus. La reconstitution devant le pavillon du Tonkin, d une demi-rue commerçante du Vieux Hanoi, composée de compartiments accolés, va dans le même sens et vient légitimer a posteriori, la politique de préservation du centre historique mise en place dès les années 1905 à Hanoi. Un urbaniste moderne comme Louis-Georges Pineau y sera particulièrement sensible et cela le conduira à approfondir et théoriser cette politique ainsi qu à relever très tôt l intérêt urbain de la dualité typologique et morphologique des villes coloniales et historiques.» (Pédelahore de Loddis, 1992) Inspiré de la législation métropolitaine qui prévaut à la même période, la protection patrimoniale durant la période coloniale se préoccupe principalement de valoriser une identité proprement asiatique. La protection du patrimoine s efface ensuite des préoccupations de l État vietnamien, lorsque celui-ci accède à l indépendance et jusqu à une période récente. Le renouveau de l intérêt pour le patrimoine au Vietnam est récent : la réglementation sur les «sites exceptionnels et historiques» est réactualisée à partir des années 1980 et une première 40

45 loi sur le patrimoine culturel votée en 2001 (Nguyên et Krowolski, 2005). Dans le cadre du patrimoine urbain, elle intéresse prioritairement une architecture nationale. Une brève analyse du vocabulaire employé aujourd hui montre que l héritage colonial échappe à la réglementation patrimoniale. Différents termes existent, à la fois pour rendre compte de la notion de patrimoine dans son aspect général (di san : «bien transmis»), mais aussi dans ses formes particulières (di tich : «vestige»). La notion employée par la nomenclature officielle de «vestige historique» (di tich lich su) englobe divers objets tels que les pagodes, les maisons communales, les musées ou les sites historiques (Nguyên et Krowolski, 2005). Si l architecture de la période coloniale constitue un référent historique et esthétique, renvoyant également à des innovations techniques, la valeur des centres urbains coloniaux fait débat. Il y a un paradoxe à reconnaître la valeur historique et identitaire des symboles d une ancienne domination coloniale (Le Brusq, 1999 ; Sinou, 2005). Le choix du vocabulaire officiel semble bien signifier la volonté de reconnaître d abord un patrimoine ancien et consensuel. 2. La législation sur le patrimoine, un cadre faible malgré une abondance de textes Le Comité populaire de Hô Chi Minh-Ville accorde aujourd hui un intérêt nouveau à son patrimoine. Des propositions sont néanmoins formulées dès les années 1990, comme le rapportent les auteurs (Tran et Lê Quang, 1994). La première réglementation sur le patrimoine est promulguée tardivement, en 1996, par le Comité populaire 9. La célébration des trois cents ans de la fondation de la ville provoque la première étude sur l héritage architectural. Elle établit une liste de 108 bâtiments devant faire l objet d une protection au titre de leur valeur historique. L avis du Comité populaire énonce la nécessité d un règlement provisoire de protection des bâtiments classés. L architecte Phạm Phú Cường, vice-doyen de la Faculté d architecture de Hô Chi Minh-Ville, dénonce l inachèvement de cette démarche, puisqu aucune définition de statut n a suivi cette étude (2013). Quelques mois plus tard, un texte de planification urbaine 10 statuant sur la hauteur des ouvrages à construire, renvoie à la responsabilité de l architecte en chef la décision d accorder le permis de démolir les villas construites avant 1975 et de définir les bâtiments qui doivent les remplacer. L autorité sur la question patrimoniale de l architecte en chef, dont la 9 Il s agit de la note N0 46/TB-UB-QLDT du Comité populaire de Hô Chi Minh-Ville. 10 Il s agit du texte No 319/TB-VP du Comité populaire de Hô Chi Minh-Ville. 41

46 subjectivité a été mise en cause (Nguyen, 2000 ; Nguyễn Cẩm, 2013), interroge quant à l intérêt porté par le politique à un tel objet. Des recommandations sont formulées au Comité populaire de Hô Chi Minh-Ville au début des années 2000, mais ne sont pas non plus suivies d effet. Un rapport du DUPA 11 adressé au Comité populaire en 2003 ne trouve pas d écho. Il dresse pourtant un état des lieux alarmants sur la destruction du patrimoine bâti et formule, outre la proposition d établir un périmètre de protection, des bases à un classement typologique des villas et à une future politique patrimoniale. Le texte propose le rachat par le Comité populaire des bâtiments les plus emblématiques et un financement périodique des restaurations auprès des propriétaires privés. Les textes émis par le DUPA témoignent également de la volonté d étendre le champ législatif de la protection du seul monument à des ensembles paysagers. La gestion particulière des villas coloniales, relevant pour un grand nombre du statut de propriété publique, aurait influencé ce vide législatif. Les ventes en 1998 d un important lot d une centaine d entre elles détenues par l État influence cette hypothèse : «On peut imaginer qu une partie de l élite politique a acquis des villas qui aujourd hui font l objet de débats. C est sans doute l une des raisons qui expliquent le cadre réglementaire flottant permettant à la fois aux propriétaires de jouir pleinement de villas en pouvant les transformer en restaurants, commerces sans règles de protection strictes, tout en ayant un minimum de contrôle sur les îlots afin de préserver une certaine tranquillité.» (Quertamp, 2014) Si les textes officiels ont intégré la notion de préservation, celle-ci n est pas mobilisée sinon dans un discours imprécis. Aucune limitation ne vient entraver les «restaurations» entreprises par les propriétaires. La protection officielle, résumée en une simple liste, n empêche pas la destruction des édifices concernés, ni des modifications inaltérables. «De façon générale, on peut constater que les actions de préservation du patrimoine urbain au centre-ville de Hô Chi Minh-Ville ne font que commencer, ou plus exactement, qu elles se sont arrêtées à la toute première étape qui consiste à dresser la liste des objets de préservation, à en faire la description sommaire sur la typologie et l état technique actuel, et à les recommander à la préservation. Les étapes d études suivantes dans le processus de préservation n ont pas été jusqu ici entreprises de façon systématique. De plus, on se contente jusqu ici de préserver les vestiges, et on n a jamais encore perçu leur valeur en tant que patrimoine urbain. [ ] Ce sont ces handicaps qui ont maintenu jusqu ici l action de préservation du patrimoine urbain à l état de réalisations sur le papier. Le danger qui s ensuit, c est qu un développement insoucieux d identité risque de ronger peu à peu la mémoire urbaine du centre-ville.» (Phạm, 2013) 11 Il s agit du rapport No 4130/SQHKT-DB1 adressé par le DUPA au Comité populaire de Hô Chi Minh-Ville. 42

47 En 2008, un règlement portant sur l harmonisation du bâti dans l espace central de Hô Chi Minh-Ville arrête pour la première fois une définition de la villa, d après une législation nationale : «Selon l article 40 de la Loi sur la Construction adoptée en 2005, une villa est un bâtiment de 3 étages au maximum avec une emprise au sol ne dépassant pas 50 % de la surface du terrain, un recul d au moins 2 mètres par rapport à la limite séparative et d au moins 3 mètres par rapport à l emprise de la route d accès au terrain. Dans ce règlement, la villa peut servir de lieu d habitation, de restauration, de bureau ou de toute autre fonction conforme au règlement d urbanisme approuvé.» 12 Il faut attendre 2009 pour que le Dupa se voit confier une mission d inventaire et de classement des villas relevant des «vestiges historico-culturels», sous l autorité directe du ministère de la Construction et sur la base du premier texte de L HIDS est, par ailleurs, désigné par le Comité populaire de Hô Chi Minh-Ville pour coordonner les travaux de recherches entamés avec le Dupa, le Département de la culture, des sports et du tourisme, ainsi que les Comités populaires des districts urbains. B. Les enjeux politiques et économiques, un obstacle à la conservation? 1. Reconnaître le patrimoine, un enjeu politique L élection d un objet urbain au rang de patrimoine constitue un projet éminemment politique. La reconnaissance des villas de l époque coloniale en tant que patrimoine représente également un enjeu, en ce qu il n existe pas de consensus sur les critères de définition de cet objet. Ceci implique irrémédiablement la subjectivité des décideurs dans l attribution ou non des autorisations de démolir. La gestion du patrimoine est également encadrée par un arsenal législatif complexe. Cinq textes différents s appliquent à la gestion du patrimoine urbain : la loi sur le patrimoine culturel, la loi sur la planification urbaine, la loi sur la construction, la loi sur le foncier et la loi sur le logement (Quertamp, 2014). À ces lois nationales, s appliquent les dispositions particulières du Comité populaire de Hô Chi Minh-Ville et les définitions du schéma directeur d aménagement. L arsenal législatif se double d une multiplicité d acteurs institutionnels : ministères, Comité populaire, Comités populaires des districts, organismes de recherche 12 Extrait du Règlement sur l aspect architectural des bâtiments construits sur les parcelles de 300 m 2 à m 2 dans le milieu urbain à Hô Chi Minh-Ville, produit par le Comité populaire en

48 variés. La prise de décision n en est que plus difficile. On peut s interroger sur la pertinence d une telle quantité de textes et d acteurs et sur la volonté réelle de l autorité publique d aboutir à un plan de règlement du patrimoine bâti à Hô Chi Minh-Ville, en particulier sur la question des villas coloniales. Leur gestion ambivalente, entre public et récupération privée, associant personnages publics et influence politique pose question. Le flou normatif qui entoure leur définition pourrait s apparenter à un certain laxisme. La multiplication des destructions, modifications du bâti, ajouts de constructions sur les parcelles en témoignent. L attention de l autorité publique semble dans un premier temps, accaparée par la valorisation du patrimoine monumental, ce que montrent les collaborations menées à partir des années 1990 avec la ville de Lyon et la Région-Rhône-Alpes, desquelles relève l inventaire utilisé pour cette étude. La ville de Lyon a mis son savoir-faire au service de la municipalité de Hô Chi Minh-Ville dans le cadre de la rénovation et de la mise en lumière de certains édifices publics (poste centrale, opéra, hôtel de ville). «Cette valorisation de monuments historiques centraux atteste d un intérêt de la ville sinon pour son patrimoine, pour son image et son rayonnement», note Fanny Quertamp, responsable du Paddi (2014). La concentration des populations dans le centre-ville à laquelle répond la paupérisation des foyers les plus anciens face au phénomène de gentrification de cet espace, de même que la spéculation foncière répondant à la dégradation des édifices de l époque coloniale n argumentent pas en faveur d investissements dans la protection de ce patrimoine bâti. La spéculation immobilière et le rôle trouble de certains propriétaires peuvent également expliquer l absence de financement pour un plan de sauvegarde d envergure. Il faut ajouter que les objectifs du schéma directeur et de la conservation du centre historique ont longtemps été contradictoires. Elle s impose à nouveau dans le dernier schéma directeur, établi sous l égide du cabinet japonais Nikken Sekkei. Le classement par l Unesco de périmètres urbains à Huế et Hội An, à la fin des années 1990, a renouvelé la perception du patrimoine au Vietnam. Il ne s agit pas uniquement de classer des monuments de manière ponctuelle, mais de préserver une identité urbaine en associant gestion du patrimoine et planification urbaine. Les observateurs étrangers, convoqués dans les débats, à l initiative du Paddi notamment, lors d une mission d assistance technique en , insistent sur la dimension paysagère de la conservation. Cette notion justifie également le choix de l inventaire d Hervé Desbenoit en 1993, qui considère 13 Paddi, 2014, «Conservation du patrimoine architectural, urbain et paysager de Hô Chi Minh-Ville», Rapport de mission d assistance technique, Hô Chi Minh-Ville, 20 p. 44

49 l ensemble d un espace à caractère résidentiel. Le concept d unité paysagère apparaît dans le schéma directeur établi en 2008 pour les 932 hectares du centre-ville. Il s inscrit plus largement dans le renouveau de l intérêt que suscite le patrimoine pour les autorités. La préservation d une identité urbaine et d un centre original apparaît désormais comme un attrait supplémentaire pour attirer les investisseurs et développer le secteur touristique. Hô Chi Minh-Ville joue actuellement le rôle de hub aéroportuaire, accueillant les touristes étrangers et un tourisme d excursions. Mais les étrangers ne séjournent pas en ville, préférant les sites proches du delta du Mékong où séjourner plus longuement dans les cités fortement valorisées et spécialisées de Huế, Hội An ou Hanoi. 2. Le patrimoine bâti comme outil de promotion touristique? La patrimonialisation est entendue par une majorité d auteurs comme le processus par lequel se construit un lien entre passé, présent et futur autour d un patrimoine mis en valeur. Ce néologisme se double d une forte dimension économique : l intérêt patrimonial à Hô Chi Minh-Ville s associe aux enjeux du développement. Le patrimoine est perçu comme un des instruments du développement territorial et une ressource possible du marketing urbain. Les auteurs intéressés par la relation entre territoire et patrimoine rappellent l apport de la géographie radicale de David Harvey, qui souligne la marchandisation des territoires dans le cadre de la mondialisation (Bonard et Feli, 2008). La compétition des villes entre elles passe notamment par la mise en scène d une urbanité originale. Cette stratégie s exprime particulièrement dans le développement des infrastructures et des activités touristiques. La capitalisation territoriale constitue un nouvel enjeu d attraction à l heure des échanges dématérialisés. Ainsi, la mise en valeur touristique d un territoire par son patrimoine renverse le principe habituel de l échange : ce sont les consommateurs qui se déplacent et non le produit (Greffe, 2000). Dans un article interrogeant les méthodes de valorisation d un patrimoine urbain, Yves Bonard et Romain Felli critiquent la notion d authenticité (2008). S il est promu comme tel, le patrimoine relève d abord d un construit social et de stratégies de valorisation. L objet «patrimonialisé» passe alors nécessairement au rang de bien de consommation. Le patrimoine, désigné comme tel, acquiert un caractère marchand. Il est instrumentalisé dans une stratégie de publicisation, adressé à une clientèle spécifique (Mermet, 2012). Il n est alors plus question d authenticité. 45

50 Il y a pourtant un paradoxe à considérer le patrimoine comme un élément de développement urbain, souligné par son absence des schémas directeurs jusqu en La requalification fonctionnelle des villas coloniales semble aller à rebours du processus de modernisation du centre historique, dans la mesure où elle implique rénovation et entretien du bâti ancien. La villa est néanmoins envisagée désormais comme une ressource économique par ses propriétaires. La multiplication des nouveaux usages des villas coloniales généralise leur conservation, en avance sur les choix politiques. «Le fait de savoir s il faut protéger ce patrimoine urbain ou mieux encore jusqu à quel point il faut le faire se situe au cœur d une démarche élargie, celle de la planification urbaine qui dépasse très largement celle de la conservation et doit d ailleurs prendre en considération des stratégies directement opposées à celles de conservation.» (Greffe, 2000 : 34) Le choix d une nouvelle planification intégrée prenant le contre-pied des schémas d aménagement précédents, justifie le renouveau de l intérêt porté au patrimoine par le Comité populaire. La préservation et l entretien du bâti colonial posent indubitablement la question de ses usages. À Hô Chi Minh-Ville, il n existe pas encore de mise en valeur touristique globale, initiée par les pouvoirs publics. La normalisation de l hyper-centre, d après le modèle des villes occidentales, en montre toutefois les prémisses. La réfection des monuments publics, la modernisation des grands hôtels ou encore, récemment, la piétonisation de l axe historique de la rue Nguyễn Huệ (ancien boulevard Charner, faisant le lien entre l Hôtel de ville et la rivière Saigon) en sont des exemples. La multitude des actions individuelles autour des villas coloniales accompagne ces transformations, suivant des stratégies encore non explicites. * La gestion du patrimoine au Vietnam hérite d une conception française ancienne. La valorisation d un patrimoine urbain longtemps perçu comme allogène, marginalisée à quelques monuments, connaît un intérêt nouveau auprès des autorités de Hô Chi Minh-Ville. Le renouveau de la question patrimoniale est marqué par l extension de la notion, son intégration aux plans d aménagement et la mobilisation nouvelle de chercheurs. Cette situation relève pourtant du paradoxe, exprimé par le peu de cas fait de la conservation de la ville coloniale : le renouvellement du paysage urbain se fait sur le mode de la densification des parcelles et de l élévation du bâti. L attirance pour une esthétique de la 46

51 modernité voisine néanmoins avec des éléments stylistiques classiques aux façades des nouveaux bâtiments. En outre, l adaptation de nombreuses villas dans l ancien quartier résidentiel français précède implicitement de possibles actions politiques. Les recompositions fonctionnelles du patrimoine bâti relèvent d un marketing encore individualisé et non intégré aux politiques urbaines. Le visage nouveau des villas coloniales serait donc un produit de la modernité. 47

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53 DEUXIÈME PARTIE Quelle place pour le patrimoine bâti dans la métropole contemporaine? Recompositions paysagères et adaptations fonctionnelles

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55 Chapitre 3 Le patrimoine bâti dans le paysage contemporain Plus de soixante ans après la fin de la période coloniale et quarante ans après la réunification du Vietnam, Hô Chi Minh-Ville a désormais la taille d une métropole de rang régional en Asie du Sud-Est. Les mutations du centre historique accompagnent ce changement d échelle. Si elles se concentrent prioritairement au Sud du district 1, reprenant la hiérarchie des territoires dessinée par l administration française, la multiplication des activités étend le zonage des fonctions économiques dans des quartiers péricentraux autrefois résidentiels. Les plans d aménagement des années 1960 et 1970, qui prévoyaient l extension du centre urbain en rive gauche de la rivière Saigon et la création d une ville nouvelle à Thủ Thiêm, n ont pu être réalisés sous l effet des bouleversements politiques (Nguyễn Cẩm, 2013) ; centres décisionnels et économiques se concentrent donc dans l espace restreint du centre urbain existant, entraînant d importantes transformations du tissu ancien. Les villas coloniales, qui occupent de vastes parcelles, constituent une importante réserve foncière aux yeux des promoteurs. A. La ville coloniale à l épreuve du paradigme métropolitain? La politique de «Renouveau» amorcée dans les années 1990 entraîne l élaboration de schémas directeurs par les autorités, destinés à réguler l aménagement urbain. Ils prennent largement en compte la question de l espace central, mais leur définition est incomplète et les réalisations inégale. Les enjeux de renouvellement urbains mettent aussi en lumière un attrait revendiqué de la modernité, quels que soient les acteurs envisagés. 51

56 1. La pertinence limitée des plans d aménagement récents Comme à l époque coloniale, la gestion de l espace urbain se fait sur le mode de la gestion plutôt que de la création. Si les réalisations de pôles urbains secondaires, comme le quartier de Phú Mỹ Hưng ou l aménagement en cours de Thủ Thiêm justifient tardivement le caractère opératif de ces plans, le mode de gestion public et dirigiste du pouvoir socialiste montre peu d effets dans l aménagement du centre-ville. Zone résidentielle de forte densité, le centre-ville n est pas envisagé sous l angle de son paysage urbain ; les documents officiels ne font mention d aucun type architectural ni d aucune mesure de conservation et de protection. Cette situation a facilité la destruction d une partie importante de ce parc immobilier ou sa dégradation. Source : T. Piard-Corne, 2015 Illustration 7 La dégradation du patrimoine bâti sous l effet du renouvellement urbain Les deux villas représentées ci-dessus montrent des cas exemplaires de la nocivité des dynamiques de tertiarisation et de dépeuplement de l espace étudié. Dans les deux cas, le bâtiment originel a été partitionné en plusieurs propriétés. Dans le premier cas, la partie détruite a laissé place à la construction d une tour de bureaux, qui accueille au rez-de-chaussée une agence bancaire ; dans le second cas, un restaurant japonais a fait fi de la structure originelle pour proposer sa propre mise en scène thématique. 52

57 Nguyễn Cẩm Dương Ly se montre critique dans sa thèse à l égard de ces textes, qui ne tiennent pas compte de la mixité du bâti préexistant : «la classification fonctionnelle de ces plans de situation n est ni correcte ni complète» (2013 : 139). La notion de «zone d édifices publics» ne tient pas compte en effet d un grand nombre d entre eux, notamment parce qu ils occupent d anciennes infrastructures coloniales ou des villas dans des secteurs considérés comme résidentiels ; d autres sont oubliés du plan d aménagement. L absence dans les documents d urbanisme de normes architecturales ou d obligation d adaptation au bâti existant laisse une grande liberté aux promoteurs, entraînant un profond renouvellement du paysage urbain en centre-ville. Cette absence de restrictions s accompagne d une incitation politique à la reconversion : «Dans la décision pour l approbation du plan d aménagement général de l arrondissement 3 en 1995, la valeur immobilière du quartier des villas coloniales est soulignée pour inciter les investisseurs à convertir le parc immobilier de ce quartier. Avec cette intention, de nombreuses villas construites à l époque coloniale française et américaine cèdent la place aux immeubles de bureaux de grande hauteur durant les années 1990 et 2000.» (Nguyễn Cẩm, 2013 : 145) Les normes d urbanisme ignorent ainsi les spécificités du paysage urbain (hauteur, densité de construction, respect du parcellaire existant, usage du sol, espaces verts) et aboutissent à une hétérogénéité du bâti dans l ensemble de l espace central. Les plans d aménagement suivants montrent une volonté de renouvellement typologique des espaces envisagés, en autorisant l élévation du bâti, promouvant l élévation d immeubles et de tours. Les affectations résidentielles du sol diminuent. Les révisions successives des plans d aménagement jusque dans les années 2000 font apparaître le désintérêt de l autorité étatique pour la préservation du patrimoine urbain. L élaboration lente et incomplète des schémas directeurs par divers services publics se succédant rend compte d un décalage entre le volontarisme revendiqué de l État et la réalité du renouvellement urbain. La gestion administrative suit et acte les transformations du tissu urbain plutôt qu elle ne propose de création innovante d un nouvel espace. En cela, la politique socialiste montre les mêmes limites que le pouvoir colonial. Sous l effet de la croissance économique des tigres asiatiques dans les années 1990, l accent est mis sur le développement des activités financières et commerciales. 53

58 2. Qui fait la ville? Un jeu d acteurs complexe Laurence Nguyen révèle également le jeu d acteurs complexes qui se joue autour de la définition des plans d urbanisme. Elle met en lumière l usurpation du rôle de l architecte en chef dans les deux métropoles que sont Hanoi et Hô Chi Minh-Ville en transformant les documents du schéma directeur en outils de promotion de projets urbains. L auteur révèle «la stratégie d utilisation des plans en général (schémas directeurs, plans de détails) par l architecte en chef, comme support de communication à des fins de promotion urbaine» (Nguyen, 2000 : 59). Derrière la façade d une gestion autoritaire, plusieurs exemples montrent la gestion pragmatique des plans d aménagement par l adaptation de leurs objectifs aux bénéfices du secteur privé. Les services d urbanisme participent à la promotion des nouveaux espaces en soumettant leur mise en valeur à des acteurs privés. Outre cette ambiguïté du rôle des services publics, il faut également souligner l importance du secteur privé dans l aménagement et le renouvellement de la ville vietnamienne. La transition économique des années 1990, le manque de moyens et l inexpérience de l État a favorisé l alliance paradoxale d une politique d aménagement volontariste à son application par des acteurs privés. La révision du schéma directeur de Hô Chi Minh-Ville pour 2025 a été confiée au cabinet japonais Nikken Sekkei. Les attributions de l Architecte en chef, qui vont jusqu au contrôle des constructions d habitations individuelles, montrent dans leur application des limites floues, dont témoigne la diversité des réalisations observables en ville. Le laisser-faire qui accompagne certains plans de lotissement dans les années 1990 conduit à une reprise en main des pouvoirs publics et un strict encadrement des services de la ville, par des directives gouvernementales et des associations (union des architectes, union des historiens). Ce retour des pouvoirs publics dans le jeu a pu être analysé comme la volonté de l État de se montrer au premier plan des initiatives et de récupérer le principe de promotion à son profit. «Il s agit surtout à la fin des années mille neuf cent quatre-vingt-dix, et d une intense phase de promotion et d urbanisation accélérée, de défaire l image d un développement non contrôlé, de rendre visible l acteur public, de le réhabiliter, d inscrire clairement le projet économique dans un projet de changement social, et peut-être d imposer l image singapourienne d une économie de marché contrôlée par l État.» (Nguyen, 2000 : 61) Si l expansion métropolitaine de la ville vietnamienne se traduit par des rivalités d acteurs institutionnels et un jeu trouble avec les investisseurs privés, tous regardent vers un 54

59 même modèle, celui de la modernité, qu incarnent Singapour, Hong Kong ou Tokyo. Cet idéal revendiqué n est toutefois pas défini. «La modernité (hi n i) est devenue le maître mot des autorités urbaines de Hô Chi Minh- Ville et constitue le leitmotiv du schéma directeur approuvé en 2008, sans que jamais la notion ne soit réellement définie et précisée. La modernité prônée par les autorités se définit en creux, par le rejet d une croissance urbaine spontanée et non maîtrisée, comme ce fut le cas durant les dernières décennies. Il ne s agit pas réellement d innover comme le terme de modernité le laisserait supposer mais plutôt de rattraper certains standards internationaux qui sont supposés incarner la modernité et même la civilisation (v n minh), les deux termes étant toujours associés dans les discours des autorités vietnamiennes. La rapidité des mutations connues par le pays depuis les réformes du Renouveau explique en grande partie ce sentiment partagé d être entré dans une nouvelle phase de modernisation, c est à dire dans un temps exceptionnel de mutations urbaines, appelant en retour des mutations d ordre sociétal.» (Gibert, 2013 : 9) Les enjeux économiques qu exprime ainsi le renouvellement typologique des architectures urbaines, montre que la relation entre préservation et développement ne va pas de soi au regard de la construction des villes modernes. La vente des villas coloniales à la fin de la décennie 1990 a favorisé une bulle immobilière sur la construction de tours de grande hauteur, qui récupéraient ainsi de vastes parcelles au cœur du centre urbain (Tran et Lê Quang, 1997). B. La rénovation urbaine : une analyse typo-morphologique Les bâtiments du centre historique, pour une majorité de la population, souffrent d une image dépréciée. Les villas de l époque coloniale ne répondent pas aux besoins d une famille vietnamienne par leur ampleur et leur entretien pose problème. Les artisans ne disposent pas des techniques de constructions idoines pour maintenir le bâti dans son état originel et la taille des maisons, louées pour la plupart, a provoqué leur scission en plusieurs lots et de nouveaux aménagements, tels que la réduction des pièces, l adaptation des espaces sanitaires. L esthétisme colonial ne répond pas aux aspirations d une nouvelle classe moyenne aux paradigmes de la modernité, nouveauté et confort. Le mode de vie des classes moyennes, sous l effet des dynamiques de métropolisation, tend à s uniformiser sur celui des autres grandes villes asiatiques, qui font figure de modèle (Quertamp, 2014). La situation du patrimoine bâti est double. D une part, le tissu ancien est détruit, au profit d une densification du bâti sur les parcelles dégagées, soit pour des opérations privées, soit sous l effet de projets de promoteurs immobiliers. Tours et petits immeubles voisinent désormais sans hiérarchie. 55

60 1. Le remplacement d un tissu urbain hérité au profit d une architecture «moderne» Le renouvellement urbain est d abord incarné par les modèles que constituent les villes nouvelles dans les arrondissements péricentraux. Dégagement des espaces circulatoires et verticalisation du bâti sur le mode d une internationalisation de la ville en sont les signes distinctifs. Le type architectural contemporain de la tour constitue alors «un produit de consommation au service de la valorisation foncière et de l efficacité des flux de circulation» (Gibert, 2013 : 9). S il s exprime significativement par le renouvellement urbain, le processus de métropolisation se traduit également par l augmentation du niveau de vie et l émergence d une nouvelle classe moyenne. L agrandissement des surfaces d habitation, par l augmentation de la hauteur des habitations individuelles et leur remplacement par des modèles imitatifs des hautes tours et arborant en façade les attributs architecturaux de la modernité constituent une autre forme de renouvellement. Le compartiment traditionnel a laissé la place au compartiment «lame», selon la typologie dégagée par Dao Quang Vinh pour l exemple hanoien. «Nous désignons ici par lames, les compartiments nouvellement reconstruits sur une parcelle d'origine, qui occupent près de 100 % de la surface au sol de la parcelle et qui expriment un rapport de verticalité important (plus que cinq étages) par rapport à une base étroite. Par leur gabarit, ils sont aussi appelés coffin houses. Selon la profondeur du bâti, le compartiment lame peut être interprété comme un compartiment tige, ou pole-like house. [ ] Tous ces noms traduisent une grande diversité d'expression architecturale des compartiments contemporains. En passant de la forme de la maison-tube à celle de la maison-lame, ils s'affirment dans le paysage urbain comme des exhaussements individualisés compacts qui surpassent la hauteur moyenne du paysage bâti préexistant. Comme évoqué précédemment, ils ne sont pas issus d'une transformation d'un bâti existant, mais se présentent comme une reconstruction totale après démolition de la bâtisse précédente.» (Dao, 2010 : 384) Façades de verres, formes géométriques, fermeture de la façade en remplacement des balcons caractérisant les modèles anciens, ouverture totale du rez-de-chaussée comme entrée de commerce ou à destination de garage pour les moyens de transport caractérisent ces nouveaux types architecturaux dans une grande variété de formes. L architecte vietnamien Phạm Phú Cường parle d une «modernisation peu sélective dans sa forme» (2013), qui provoque une dissension violente entre les bâtis anciens et récents. Il se montre particulièrement critique à l égard du design urbain développé depuis le début des années 1990, cause selon lui, d une «ville de pagaille visuelle, de contradictions frappantes entre l ancien et le nouveau, d oppositions violentes dans les styles, les couleurs, les matériaux et les formes» (Phạm, 2013). 56

61 Si les projets immobiliers les plus importants se concentrent dans l hyper-centre plutôt que dans l ancien quartier résidentiel français, prenant la forme de malls et d hôtels de haut standing, la verticalisation qui y a lieu prend la forme préférentielle de tours associant bureaux d entreprises et appartements. La verticalisation du bâti est la plus avancée sur les axes structurants plutôt que dans les rues secondaires : les rues Nguyễn Thị Minh Khai et Nguyễn Đình Chiểu constituent deux exemples pertinents de l aire étudiée. La proximité de l hyper-centre joue aussi un rôle prépondérant dans le renouvellement du bâti et des fonctions urbaines. Si elle est moins sensible dans l ancien quartier résidentiel français, la gentrification qui accompagne le renouvellement du paysage urbain agit sur l espace public. Le cloisonnement des espaces privés d habitation et des commerces dans la forme nouvelle des tours ou des compartiments lames entraîne la normalisation des espaces de vente au détriment des fonctionnalités traditionnellement plurielles de l espace public : déguerpissements et disparition du commerce ambulant en sont les effets (Gibert, 2013). Source : T. Piard-Corne, 2015 Illustration 8 La verticalisation des édifices contemporains dans le centre urbain Le renouvellement du bâti à Hô Chi Minh-Ville se caractérise d abord par une hétérogénéité de formes. Grandes tours et immeubles de 3 à 5 étages se côtoient sans hiérarchie. Les nouveaux édifices, bien que construits dans le cadre d un territoire à forte valeur paysagère ne renvoient aucunement à la typologie originelle du quartier, lui opposant le dogme moderniste incarné par les façades de verre et de béton. Le laxisme de l aménagement urbain favorise une grande variété de formes sans hiérarchie. La multiplication de ces constructions et leur confrontation directe avec l héritage bâti de la période coloniale aboutit à un ensemble urbain hétéroclite, un paysage indéchiffrable par l inadéquation des formes, des proportions, des rythmes et des matériaux. Sous l effet de la tertiarisation, ce sont les axes principaux qui sont les plus touchés par les rénovations. 57

62 2. Le «new french style» 14 ou un syncrétisme stylistique Des villas modernes viennent également se substituer aux formes anciennes du bâti, après destruction. Leur décoration stylistique emprunte souvent au répertoire occidental. Par effet de contamination, la concentration de ces pastiches est notable dans l ancien quartier résidentiel français. Ce type d habitation est caractéristique de classes sociales aisées, qui revendiquent une réussite financière à travers une ornementation des façades. Réinterprétation rococo, exubérance des emprunts parfois qualifiés de mauvais goût (Schütte, 2009) rendent compte sous une forme particulière d un cosmopolitisme revendiqué. L inspiration artistique de l occident est un des éléments didactiques d un mode de vie internationalisé, érigé en nouveau paradigme de la réussite sociale. Si ce «new french style» singularise les villas contemporaines, au point d en fausser parfois la datation estimée, il s affiche aussi par notes plus discrètes sur certains compartiments récents. Balustrades, huisseries, avant-toits décoratifs empruntent à l architecture néoclassique. Ces ornementations peuvent être interprétées comme le moyen d établir une filiation entre passé et présent, la maison coloniale étant associée à une qualité de construction : durabilité et prestige. 14 Caroline Herbelin, 2013, «What is French Style? Questioning genealogies of western looking buildings in Vietnam», ABE Journal, n 3. 58

63 Source : T. Piard-Corne, 2015 Illustration 9 La villa : un modèle architectural et stylistique assimilé et réactualisé Les emprunts du «new french style» s adaptent à deux types d édifices : les villas contemporaines, les immeubles compartiments. Il participe à produire de nouveaux modèles d habitat exogènes à l architecture domestique vernaculaire. L amalgame des références convoquées emprunte tout autant à la massivité des édifices médiévaux, au prestige du style classique qu aux villas coloniales par les toits, les balcons, le traitement des huisseries. Les quatre bâtiments présentés ici sont une antenne de l école internationale australienne, une habitation privée, une clinique dentaire et un immeuble associant fonctions résidentielle et commerce au rez-dechaussée. L argument du patrimoine vaut donc, d une certaine manière aussi dans le cas de commerces qui font le choix d une telle implantation : l apparence prestigieuse est associée à l idée de qualité. Caroline Herbelin note toutefois un paradoxe à la suite des entretiens qu elle réalise au cours de ses recherches. Les propriétaires des villas contemporaines ne font pas référence à l époque coloniale ou aux bâtiments français pour lui décrire leur maison (Herbelin, 2013). Les arguments mis en avant dans l emploi d un répertoire stylistique occidental sont : la modernité, la qualité de l architecture et le cosmopolitisme. Par un travail de comparaison historique, Caroline Herbelin montre que ces villas sont principalement occupées par les nouvelles classes aisées, qui n ont pas assimilé les codes de l architecture, tandis que l élite vietnamienne ancienne a intégré les différentes influences dans les réalisations qu elle fait bâtir, oscillant entre principes vernaculaires et culture occidentale (Quertamp, 2014). Ainsi, l architecture contemporaine se revendique de plusieurs influences, à l instar de la culture vietnamienne, faite d absorption, d adaptation et de recréation d influences diverses. 59

64 C. Les mutations fonctionnelles de l espace étudié depuis 1993 L espace étudié, dont les limites correspondent à sa dimension résidentielle à l époque coloniale, et parce qu il concentre de manière exceptionnelle un bâti ancien sous la forme des villas, connaît de profondes mutations fonctionnelles, que traduit de manière visible la destruction et le remplacement massif du tissu urbain originel. L adaptation ou le maquillage du bâti à des fins d accueillir de nouvelles activités constituent autant de cas particuliers. Le choix a été fait ici de présenter plusieurs exemples qui rendent compte chacun des mutations fonctionnelles dans cet espace d étude depuis Les trois rues décrites cidessous représentent environ 15 % des 348 adresses de l inventaire. La rue Mạc Đĩnh Chi La rue Mạc Đĩnh Chi est un axe secondaire du centre urbain orienté du Nord-Ouest au Sud- Est, qui permet de desservir les rues de l hyper-centre depuis la rue Điện Biên Phủ, axe structurant d orientation Est-Ouest situé au nord de l espace envisagé. La rue Mạc Đĩnh Chi compte 18 bâtiments recensés dans l inventaire d Hervé Desbenoit. Aujourd hui, treize de ces bâtiments ont été détruits, dont neuf ressortant de régimes de propriété publique. Parmi les trois villas abritant des sièges de compagnies publiques, deux ont été remplacées et les nouveaux bâtiments accueillent désormais des bureaux d entreprises privées. Les compagnies étrangères installées dans des bâtiments de l époque coloniale en 1993 étaient au nombre de trois dans la rue Mạc Đĩnh Chi. Elles sont désormais absentes de l espace étudié, l ensemble des bâtiments concernés détruits fait place à des installations commerciales, à savoir une salle de réception et un restaurant. Le dernier bâtiment a été détruit récemment, la parcelle, toujours en chantier au moment de mon enquête doit accueillir prochainement un beer garden. Ces brasseries de plein air constituent de nouveaux lieux de consommation à Hô Chi Minh-Ville, où leur succès va croissant. Elles permettent la valorisation de vastes parcelles à moindre coût en centre-ville, puisqu elles sont constituées essentiellement de grandes terrasses ouvertes. L augmentation du nombre des commerces de restauration ou de boissons accompagne l expansion des pratiques de loisirs à Hô Chi Minh- Ville. Le centre urbain se spécialise ainsi entre tourisme et divertissement. La rue Mạc Đĩnh Chi compte sept villas reportées sous la catégorie «habitation» dans l inventaire de Cinq ont été détruites et la fonction locative a disparu, puisque l ensemble de ces adresses accueille aujourd hui d autres activités. Le seul hôtel répertorié, 60

65 d une hauteur de cinq étages en 1993 a été remplacé aujourd hui par un immeuble de neuf étages à l architecture résolument contemporaine. La rue Nguyễn Thị Minh Khai La rue Nguyễn Thị Minh Khai est un axe essentiel du centre urbain. Orientée selon un axe allant du Nord-Est au Sud-Ouest, elle marque la limite des districts 1 et 3 en longeant l ensemble formé par le Palais de la Réunification et ses jardins. La rue Nguyễn Thị Minh Khai constitue un exemple du renouvellement avancé des axes les plus importants de la trame urbaine en termes de situation. Dans l inventaire, vingt-quatre adresses y sont répertoriées. Aujourd hui, quatorze villas ont été détruites, dont cinq ont été remplacées par des tours de plus de douze étages. Vingt et une adresses relèvent de différents services publics en 1993, trois sont des propriétés privées et une correspond au siège d une représentation diplomatique étrangère (consulat de France). Parmi les bâtiments qui sont en majorité des logements de fonctionnaires de différents services, trois ont été détruits pour laisser place à des infrastructures privées, dont une tour de plus de vingt étages occupant une parcelle double à la suite de la destruction de deux villas. La disparition significative de services d État au profit de constructions récentes accueillant des bureaux d entreprises traduit l effacement de celui-ci dans le domaine idéologique depuis les réformes du Đổi Mới. L Institut marxiste-léniniste a ainsi laissé place à un building. Parmi les trois villas relevant du régime de la propriété privée, deux ont été détruites au profit d une tour de douze étages et d un terrain à bâtir, faisant actuellement office de parking. La troisième situation n a pu être déterminée faute d un point d observation suffisant depuis la rue. D autres villas voient leurs structures modifiées par des ajouts de locaux commerciaux. 61

66 Source : T. Piard-Corne, 2015 Illustration 10 Les reconversions de la rue Nguyễn Thị Minh Khai, vers un effacement du bâti colonial Des locaux commerciaux viennent se greffer à l édifice originel, formant un ensemble hybride, dans le but de gagner un espace d exposition et un accès direct sur la rue. Cette opération se fait au mépris de l édifice ancien, souvent peu entretenu, sinon en voie de dégradation. Il devient quasiment invisible depuis la rue. La rue Tú Xương La rue Tú Xương constitue un cas particulier, dans la mesure où son relevé dans l inventaire de 1993 est incomplet. Les indications portées pour les sept adresses indiquées, permettent toutefois d établir une tendance, au regard d observations complémentaires menées pour la totalité de la rue. Elle se situe au Nord de l espace étudié et constitue un axe secondaire peu emprunté, car parallèle à la rue Điện Biên Phủ et limitée au Nord et au Sud par deux artères permettant de relier l espace central du district 1. La rue Tú Xương se caractérise par sa fonction résidentielle. Si la majorité des villas observées en 1993 ont été détruites et que mon passage en 2015 montre un fort renouvellement des habitations tout au long de la rue, celle-ci montre un fait singulier : les villas anciennes sont remplacées par des villas plus grandes et plus hautes reprenant les mêmes codes architecturaux et stylistiques. Ainsi, persiste une harmonie paysagère entre bâti ancien et récent. La fonction résidentielle est renforcée par la présence dans cette rue d un établissement scolaire étranger et de plusieurs édifices religieux. Proche du centre-ville, elle constitue un espace recherché. Les mutations fonctionnelles notables sont les mêmes que dans 62

67 l ensemble de l espace étudié : installation de bureaux de compagnies étrangères ou d entreprises spécialisées (architecte, designer), qui pourrait se justifier par la valorisation de cette localisation. Source : T. Piard-Corne, 2015 Illustration 11 Le voisinnage du bâti colonial et des ses pastiches dans la rue Tú Xương La fonction résidentielle domine dans la rue Tú Xương. En haut à droite et en bas à gauche, les villas contemporaines empruntent aux styles de leurs voisines. Ainsi perdure une certaine unité paysagère tout au long de cet axe secondaire prisé. Les villas contemporaines se reconnaissent à leurs proportions plus massives. Les murs extérieurs sont aveugles pour des motifs d intimité et de sécurité. Les murets des villas coloniales sont parfois également surélevés ou des grilles y sont ajoutées, comme c est le cas pour la photo en haut à droite. La villa coloniale présentée en bas à gauche a fait l objet d une partition. La vue présente un côté largement «rénové», tandis que de l autre, le bâtiment présente une façade largement conservée. 63

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69 Figure 3 Le tissu urbain de l époque coloniale, victime des recompositions contemporaines La mise à jour de l inventaire d Hervé Desbenoit par le Paddi en 2013 montre qu environ 57 % des villas recensées ont été détruites (45 %) ou ont subi des transformations inaltérables modifiant leur physionomie (12 %). Les principales artères sont les plus affectées par le remplacement du bâti ancien. Les différentes entrées de la légende renvoient à une proposition de hiérarchisation en vue de l élaboration d une politique de classement et de conservation, qui pourrait concerner les trois premières catégories.

70 * Les évolutions du paysage urbain dans le centre historique de même que les recompositions fonctionnelles qui les accompagnent tendent vers une uniformisation de cet espace, qui de résidentiel, accueille désormais des activités spécifiques. La proximité de l hyper-centre concentrant les principales fonctions administratives, économiques et commerciales de l espace métropolitain justifie les transformations de l espace étudié, sous l impulsion d entreprises privées. Le renouvellement du bâti au profit de la verticalisation et de la densification des espaces de bureaux modifie le paysage urbain, engendrant dissymétries et ruptures au sein d un territoire autrefois cohérent. Les nouveaux types de bâti résidentiel, s ils empruntent pour un certain nombre au répertoire architectural de l époque coloniale, s affranchissent du modèle de la villa. Ce sont des édifices plus hauts et plus vastes qui les remplacent, sinon des immeubles nouveaux, qu il s agisse de tours collectives ou de compartiments individuels. L action initiée par le Comité populaire en faveur d un classement des bâtiments historiques en vue de leur conservation semble tempérer cette dynamique. Les permis de démolir dans le centre-ville sont suspendus à ce jour. Les politiques patrimoniales au Vietnam, pourtant anciennes, sont néanmoins limitées. Elles n empêchent pas des recompositions fonctionnelles du patrimoine bâti sur le mode de l initiative privée, entre démolition et revalorisation économique. 66

71 Chapitre 4 Les réaffectations fonctionnelles des villas coloniales De nouvelles fonctions caractérisent les villas coloniales. L extension des activités du centre métropolitain explique ces recompositions. Une comparaison de l inventaire réalisé en 1993 avec les observations menées en 2015 sur le même terrain permet d envisager les mutations fonctionnelles des villas coloniales dans le centre historique. L inventaire de 1993 compte 348 entrées au total et fait état de 377 édifices, selon la mise à jour effectuée en Cette écart a plusieurs causes : le remplacement de villas par plusieurs bâtiments ; la partition systématisée de villas en plusieurs adresses ; l ajout d éléments nouveaux à l inventaire. Les villas coloniales, construites en retrait des voies de circulation publiques sont pour certaines situées aujourd hui dans des ruelles attenantes, conséquence de la densification du parcellaire à Hô Chi Minh-Ville. Certaines sont invisibles depuis la rue, seule la toiture permet de les identifier. Ceci est la conséquence d ajouts structurels importants, ou de restaurations de façades peu respectueuses de l état originel du bâtiment, devenu indiscernable. J ai également éprouvé ces difficultés d inventaire, sans base d archives ni documents historique, sans avoir accès au relevé des parcelles ni aux bâtiments. Après corrections 15, 343 entrées ont été retenues pour le traitement statistique des données et pour montrer une évolution à partir des données primaires. Les observations menées sur le terrain en 2015 diffèrent pour une part de celles reportées dans la mise à jour de l inventaire en L observation attentive des bâtiments, notamment la toiture, l accès par les ruelles permettant de multiplier les points de vue, en ne se concentrant pas uniquement sur les façades ont permis d identifier des bâtiments qui étaient indiqués sous la mention «détruit». Entrer dans les commerces et les restaurants 15 Les entrées correspondant à des rangées de compartiments ont été éliminées de l étude. Deux entrées supplémentaires, pour l une inexistante et pour l autre n ayant pu être retrouvée sur le terrain sont également supprimées. 67

72 permet aussi de constater la permanence de certains bâtiments, certes largement transformés, mais rendus invisibles depuis la rue, par l ajout de terrasses ou d aménagements structurels qui en masquent la façade. «Les structures et les volumes restent les mêmes, mais présentent de nouvelles façades, dessinent un nouveau paysage», note Samuel Ruffat (2004 : 112), analysant l évolution de la rue comme palimpseste à Bucarest. À Hô Chi Minh-Ville, cette même logique de stratification concerne le bâti colonial, réutilisé et adapté. Les marques de l ancien disparaissent au profit d une modernité factice. Les quelques cas observés montrent un mépris de l architecture coloniale, non reconnue comme telle. Les aménités de la parcelle comptent davantage que la mise en valeur d un bâtiment ancien. Si le traitement statistique fait donc l objet d une base commune de 343 entrées, l analyse fait l objet d un traitement différencié par le recours à la description particulière. A. Évaluer les recompositions structurelle, fonctionnelle et paysagère du centre historique Un classement typologique a été mis en place, afin d analyser l ensemble de l aire étudiée selon des critères communs. Ils reprennent pour partie les données de l inventaire de 1993 et actualisées en 2013, pondérées au cas par cas par les observations menées sur le terrain en 2015 : certains bâtiments ont été détruits, d autres sont en chantier, d autres ont une nouvelle fonction. Ainsi, il est possible de rendre compte d une évolution de l espace étudié. Le classement retenu obéit à trois critères. Le premier critère choisi a pour but d évaluer le renouvellement urbain, en même temps que l état de dégradation ou de transformation du bâti de l époque coloniale. Le deuxième critère s intéresse aux différentes fonctions allouées aux formes urbaines ; associé au premier critère, il permet de montrer le lien entre renouvellement urbain et fonctionnel déjà exposé précédemment. Le troisième critère tient compte de la visibilité des villas coloniales dans l espace public, de leur exposition, de leur mise en valeur. La relation entre le deuxième et le troisième critère s exprime dans des usages spécifiques de la villa promue alors au rang d objet patrimonial. 1. Les formes du renouvellement urbain Le critère A distingue à la fois deux natures différentes de bâti et deux états propres à chacune. La division A1 correspond aux villas coloniales entretenues, restaurées ou présentant une façade correspondante à leur état d origine. La division A2 rassemble les villas coloniales 68

73 ayant subi des transformations de façade importantes, qui altèrent la façade et l identification du bâtiment originel. Les ajouts de structures annexes ne sont pas pris en compte. Le critère A3 rend compte des édifices récents ayant remplacé d anciennes villas coloniales et qui ont adopté en façade un syncrétisme architectural inspiré du bâtiment précédent. Le critère A4 rassemble toutes les formes de bâti contemporain ; ce sont, en très grande majorité, des immeubles ou des tours A1 A2 A3 A4 détruit ou indéterminé 0 Phùng Khắc Lê Quý Đôn Nguyễn Thị Khoan Minh Khai Ðiện Biên Phủ Total Source : H. Desbenoit, 1993 ; T. Piard-Corne, 2015 Diagramme 1 L état des bâtiments coloniaux et les formes du renouvellement urbain Le tableau ci-dessus reprend le classement typologique du critère A dans quatre rues. Les deux premières, les rues Phùng Khắc Khoan et Lê Quý Đôn sont des axes secondaires moins touchés par la rénovation des formes urbaines. Dans la première, le nombre de villas maintenues en état domine. Dans ces deux rues, apparaissent également des pastiches stylistiques qui font écho aux bâtiments coloniaux originaux qu ils remplacent ou qui les entourent. Ces cas sont inexistants dans les deux autres rues. Il faut souligner que les édifices se rapportant au «new french style» sont pour la plupart de conception contemporaine ; lorsqu une villa est détruite, une forme radicalement nouvelle la remplace. C est le cas dans les rues Nguyễn Thị Minh Khai et Ðiện Biên Phủ, où ce dernier cas compte respectivement pour près de la moitié et près du tiers de l ensemble des bâtiments inventoriées. L ensemble des cas reportés dans ce tableau représente plus du tiers de la zone d étude. 69

74 2. Quelles fonctions caractérisent le centre historique? Le critère B évalue les évolutions fonctionnelles des bâtiments de l époque coloniale. La division B1 recense les fonctions commerciales ; elles sont de différents types : magasins de détail, restaurants et cafés, instituts de soins ou cliniques, école de musique. Le critère B2 correspond aux bâtiments de fonction résidentielle, villas anciennes ou immeubles récents, individuels et collectifs. Le critère B3 rassemble l ensemble des fonctions administratives des édifices publics et privés : administrations et services d État, représentations consulaires, bureaux d entreprises. La fonction commerciale montre une variété de situations. Les édifices contemporains accueillent préférentiellement des commerces internationalisés. La valorisation des villas coloniales, reconverties en espaces de consommation, prend différentes formes. La présence d une enseigne bilingue, de personnel anglophone, la gamme des prix proposés sont autant d indices pour évaluer les types de commerce. Les antennes consulaires, très présentes dans l aire d enquête, constituent un cas particulier. Les villas de l époque coloniale offrent à la fois un espace suffisant à un grand nombre de ces représentations étrangères, en même temps qu une image prestigieuse. Si la majorité des pays s accommodent de ce bâti original et participent à son entretien et sa mise en valeur, d autres misent à l inverse sur une architecture «nationale» signifiante. C est le cas des consulats de Chine ou du Cambodge, par exemple. 70

75 Critères Rues B1 B2 B3 inoccupé en 2015 Total Mạc Đĩnh Chi Phùng Khắc Khoan Hai Bà Trưng Phạm Ngọc Thạch Pasteur Nam Kỳ Khởi Nghĩa Lê Quý Đôn Trần Quốc Thảo Trương Định Lê Duẩn Alexandre de Rhodes Nguyễn Thị Minh Khai Trần Cao Vân Võ Văn Tần Nguyễn Đình Chiểu Ðiện Biên Phủ Tú Xương Total Source : H. Desbenoit, 1993 ; T. Piard-Corne, 2015 Tableau récapitulatif de la répartition typologique des villas inventoriées selon leur fonction en 1993 et en

76 1993 B1 B2 B3 2% 41% 57% 2015 B1 B2 B3 inoccupé en % 42% 38% 16% Source : H. Desbenoit, 1993 ;T. Piard-Corne, 2015 Diagrammes 2 et 3 L évolution des fonctions du patrimoine bâti entre 1993 et 2015 Les deux diagrammes circulaires présentés ci-dessus montrent les différentes répartitions typologiques des villas coloniales en 1993 et en 2015, suivant qu elles répondent à l un des trois critères dégagés : fonction commerciale, fonction résidentielle, fonction administrative. Le tableau qui précède donne les effectifs reportés pour chaque catégorie et permet d appréhender l ampleur des destructions. Le pourcentage de villas coloniales relevant de la fonction commerciale a été presque multiplié par 20 entre les deux inventaires, tandis que la fonction résidentielle a reculé des trois-quarts environ. La proportion des villas coloniales relevant de la fonction administrative est stable. Il faut néanmoins souligner au sein de ce groupe le recul relatif des services publics au profit des sièges d entreprises privées. 72

77 3. Comment envisager les liens entre les formes urbaines et leurs usages? Le critère C ne s applique qu aux villas de l époque coloniale. Il évalue la visibilité du bâtiment depuis la voie publique principale, ou secondaire pour les villas implantées en retrait de l axe de la rue, aujourd hui dans des ruelles. La catégorie C1 désigne les bâtiments immédiatement repérables depuis la rue. La catégorie C2 regroupe les bâtiments masqués par un mur, divers aménagements de façade ou des éléments de décoration. La catégorie C3 rassemble les bâtiments invisibles depuis la rue, par exemple masqués par des ajouts de structure. Source : T. Piard-Corne, 2015 Illustration 12 La visibilité du patrimoine bâti Ces deux photos montrent deux cas extrême. Les villas promues en tant que telles et mises en scène dans le cadre d activités commerciales haut-de-gamme font de leur démarcation dans le paysage urbain un atout essentiel. Elles se doivent donc d être les plus visibles possibles. Dans la plupart des cas, ces villas ont fait l objet d une réhabilitation, du moins en façade. La végétation des jardins a été supprimée ou est savamment contrôlée au profit de la mise en scène, le mur de clôture a parfois été abattu ; il est sinon abaissé ou de vastes entrées sont aménagées qui permettent, depuis la rue d appréhender la villa dans son entier. Des cas opposés vont à l encontre de toute revendication du bâti colonial. La localisation compte davantage que la forme du bâti et c est même parfois une toute autre mise en scène qui est recherchée, sur le modèle du commerce moderne de normes occidentales. Des ajouts masquent la façade et la villa devient indécelable depuis la rue comme à l intérieur de l espace commercial, alors même que le bâtiment a été conservé dans son intégralité. 73

78 B. Les mutations fonctionnelles du patrimoine bâti Sur l ensemble des 343 villas coloniales comptabilisées en 1993, 168 (49 %) ont été détruites et remplacées par de nouvelles constructions et 175 (51 %) existent toujours en En 1993, l usage résidentiel constitue la majeure partie des cas recensés : 194 (56,6 %). Les fonctions de bâtiment de représentation d organismes officiels, de compagnies nationalisées ou de représentations diplomatiques représentent 141 cas (41,1 %). Parmi eux, les compagnies privées étrangères sont minoritaires. Enfin, l usage des villas coloniales à des fins commerciales est alors résiduel, puisqu il ne représente que huit cas (2,3 %). Aujourd hui, l ensemble restant du parc des villas coloniales montre d importantes mutations. Sur les 175 bâtiments subsistants, 74 cas (42,3 %) appartiennent à la catégorie des bâtiments administratifs publics ou d entreprises. Si pour beaucoup des administrations publiques, la fonction n a pas changée depuis 1993, le nombre de villas reconverties au profit d entreprises privées compte pour environ un quart de ce nombre. La fonction résidentielle marque un fort recul, par suite des destructions et du renouvellement des usages ; elle ne représente plus que 27 cas (15,4 %). La fonction commerciale connaît un fort essor et constitue un nouveau modèle de mise en valeur du patrimoine colonial, avec 67 cas (38,3 %). Parmi ces 175 bâtiments, sept sont aujourd hui inoccupés ou en voie de reconversion. 1. Le recul de la fonction résidentielle au profit des activités commerciales Ces observations amènent différents constats. Les édifices coloniaux se sont vraisemblablement révélés mal adaptés à la fonction résidentielle qui leur avait été attribuée. Divisés entre plusieurs ménages, vétustes et dégradés, ils ont été largement remplacés. Les nouvelles formes d habitat, individuel ou collectif, ne constituent pas la majorité du renouvellement observé. Une majorité des nouveaux édifices sont d abord des commerces (doublés ou non une habitation) ou des bureaux d entreprise. Ces bâtiments appartiennent pour beaucoup au parc privé, par suite des ventes massives opérées par l État dans les années 1990 (Quertamp, 2014). L élévation des constructions constitue le point commun de tous ces bâtiments. La mise en vente des biens publics semble donc engager leur disparition. La disparition de la fonction résidentielle semble résulter de trois phénomènes. Le renouvellement du bâti au profit de logements modernes répondant aux exigences du confort moderne et la gentrification de l espace central induite sont les deux premiers. La rénovation du centre historique participe doublement à sa gentrification, parce qu elle entraîne aussi la 74

79 raréfaction des espaces résidentiels au profit de la mono-activité commerciale ou de la construction de locaux d entreprises. En troisième lieu, il apparaît que la transformation des habitations en commerces favorise leur maintien par les plus importantes sources de revenus qu elle entraîne. La mise en valeur commerciale des villas, anecdotique en 1993, correspond à 38,3 % des cas existants en Ce constat rend compte de la transformation sur vingt ans d un quartier essentiellement résidentiel en une aire à dominante commerciale. Dans le même temps, le remplacement du bâti a également favorisé la création de locaux commerciaux nombreux : magasins familiaux, enseignes internationales, centres commerciaux, restaurants et cafés. Ces transformations témoignent d une nouvelle perception du bâti colonial ; de bien foncier, il est devenu bien de consommation et support commercial. Ce phénomène s accompagne d une revalorisation du bâti colonial, mis en valeur et mis en scène. Les villas aménagées en restaurants ou en boutiques se donnent à voir depuis la rue. À l inverse, un certain nombre de commerces utilisant le bâti colonial comme infrastructure ne le revendiquent pas comme élément promotionnel. La visibilité de la villa est alors masquée sous le décor et les aménagements. La mise en valeur des villas reste le fait de commerces haut-de-gamme, visant souvent une clientèle étrangère et touristique, ainsi qu en témoignent les propos recueillis lors des entretiens. Le recul de la fonction résidentielle dans l inventaire s est aussi fait au profit de nouvelles installations d entreprises privées, bien plus nombreuses en 2015 qu en Les villas offrent le double avantage d une situation centrale et d un cadre qualitatif. Elles accueillent en particulier des architectes, des designers ou des cabinets d ingénierie. Les résidences diplomatiques comme les administrations publiques vietnamiennes se maintiennent pour une large part. 2. La fonction administrative, une affectation pérenne? Paradoxalement, le maintien d antennes administratives étatiques favorise la conservation en l état des bâtiments coloniaux. Ceux-ci ne sont pas transformés, sinon pour des raisons fonctionnelles, par la construction sur la parcelle d un second bâtiment en retrait ou par l ajout d une aile latérale au bâtiment original. Ces ajouts fonctionnels sont marqués par la neutralité de leur façade ; ils dépassent rarement la hauteur de la villa qu ils complètent. Si les villas ainsi utilisées au profit de l administration publique conservent une façade cohérente avec l état originel du bâtiment, les aménagements fonctionnels internes remettent en cause la 75

80 viabilité du bâtiment. Ils pallient la dégradation et l inadéquation de l édifice à sa fonction par de lourdes modifications. L entretien réalisé avec le chef du bureau de l Association des architectes de Hô Chi Minh-Ville, dans la villa qui accueille cette association, en témoigne. La villa originelle est aujourd hui indiscernable depuis la rue, sauf avec l aide de l inventaire. Le seul élément visible est le toit à quatre pans, dont les tuiles ont été remplacées par des plaques de tôle. Le responsable interrogé indique que la villa a été allouée à l association en Seul l escalier et la structure d ensemble existent encore aujourd hui. De nombreux ajouts viennent combler l ensemble des espaces libres sur la parcelle. Les différents services gestionnaires du patrimoine bâti (aujourd hui le département des finances) n accordent que peu de financements aux plans de restauration proposés par les architectes. Les travaux se font donc au coup par coup, petit à petit, en fonction du budget obtenu. Ainsi, les salles de réunions en bois, parquetés (ancienne salle à manger de la villa) n ont pu être conservées, par suite des dégradations du temps et de l humidité et ont été remplacées par une dépendance en parpaings. Le chef du bureau associatif rappelle que «la fonctionnalité prime sur l esthétique». C est à ce titre que les rénovations priment sur les restaurations, effaçant progressivement les particularités vantées du patrimoine colonial. Il souligne néanmoins les qualités techniques du bâtiment originel, notamment l aération et la fraîcheur. Le peu de cas des administrations pour les édifices qui les abritent peut également s expliquer par le fait que chacune a reçu cette infrastructure «comme un cadeau», sans possibilité de choix. L adaptation d une ancienne habitation aux exigences d un bureau n est pas sans contraintes. Des différences sont néanmoins notables dans le traitement de certains de ces bâtiments. Les antennes des différentes branches du parti communiste vietnamien ou autres organes à forte valeur politique montrent des réhabilitations les plus abouties. C. La villa coloniale, facteur de différenciation spatiale? 1. Les axes secondaires réservés aux usages de prestige et à un commerce haut-de-gamme La disparition du patrimoine bâti est la plus sensible sur les axes de circulation majeurs du centre urbain. Les rues Điện Biên Phủ, Nguyễn Đinh Chiểu et Nguyễn Thị Minh Khai, les plus empruntées, sont aussi les plus touchées par la destruction du bâti colonial à leurs jonctions nodales avec les axes qui les coupent. 76

81 Les rues secondaires, à l écart des flux de circulation, résistent mieux à la destruction du patrimoine bâti. Les villas qui bordent ces axes présentent en majorité une fonction résidentielle, qu il s agisse de représentations diplomatiques, ou plus rarement aujourd hui d habitations particulières. Ainsi, la fonction commerciale, à qui profite passage et visibilité est ainsi moins présente dans ces espaces. La compétitivité des grands axes pour le commerce a également justifié des transformations importantes des villas coloniales, quand celles-ci n ont pas été détruites. Ce n est pas le cas dans les rues de moindre importance. La rue Tú Xương, déjà citée précédemment, la rue Nguyễn Thị Diệu correspondent à cette description. La rue Phùng Khằc Khoan présente une situation particulière. S y concentrent plusieurs représentations diplomatiques étrangères, ainsi que de nombreuses administrations. C est également une rue à forte proportion résidentielle, les habitations nouvelles reprenant pour certaines d entre elles le modèle architectural de la villa et empruntent à un style occidental idéalisé. Les villas nouvelles de la ruelle au numéro 7 sont, de ce point de vue, exemplaires. Les activités commerciales sont ici résiduelles. On observe cependant une spécialisation de la rue Phùng Khằc Khoan dans un type de commerce récréatif et esthétique haut-de-gamme : outre l institut de soins, localisé dans la villa du numéro 3, on trouve aux numéros suivants (7A et 9) deux spas, ainsi qu au numéro 32 une clinique dentaire. 2. La proximité des bâtiments patrimoniaux : effet de résistance ou contamination? Les villas conservées et mises en valeur par le biais de valorisations commerciales spécifiques se situent préférentiellement à proximité les unes des autres. La densité du bâti urbain dans certains îlots semble favoriser leur conservation. Une spécialisation par activités semble également répondre aux concentrations de villas observées. La structure héritée du maillage urbain par îlots joue un rôle important. Là où les destructions sont plus rares, la mise en valeur des villas est la plus aboutie. Un tel rapport de causalité peut également être renversé. La distinction opérée dans ces espaces particuliers par la conservation et la mise en valeur de plusieurs bâtiments entraîne l usage par tous de la ressource symbolique d un paysage singulier. La mise en valeur de chaque villa et la reconstruction d une identité urbaine est bénéfique si des logiques de concurrences ne sont pas à l œuvre. Il n est pas rare en effet que deux villas proches présentent des concepts de commerces similaires. Effet de résistance de certains propriétaires au renouvellement ou effet de contamination d une transformation efficace et rentable, la mise en valeur des villas s opère rarement sur le mode de l isolat. Les activités commerciales sont aujourd hui majoritaires 77

82 dans des rues où elles ont supplanté la fonction résidentielle des villas. Le maintien de la fonction administrative entraîne une spécialisation des espaces, opposant espaces de consommation ou de loisir aux espaces de bureaux et de services officiels. Le prestige des seconds bénéficie aux premiers, comme c est le cas dans la rue Phùng Khằc Khoan. Le carrefour Điện Biên Phủ - Lê Quý Đôn Ce carrefour montre un exemple de concentration de villas coloniales suivant différents usages. À l Est, de part et d autre de la rue Điện Biên Phủ, le siège de l HIDS et les bâtiments locatifs du lycée Marie-Curie forment un ensemble de services publics prestigieux. Les différentes villas du parc du lycée sont en cours de restauration. En face, de l autre côté de la rue Lê Quý Đôn, deux villas reconverties en restaurants haut-de-gamme leur font face : Le manoir de Khai et le restaurant Goa. Le cadre paysager préservé de ce carrefour influence la nature des deux restaurants qui y sont installés. La mise en scène de ces deux lieux mise sur l attrait de ce cadre et plus particulièrement des deux villas qui les abritent. Au restaurant Goa, où la salle de restaurant occupe l ancien jardin à l extérieur de la villa, cette valorisation est particulièrement sensible : meubles anciens en bois et vaisselles traditionnelles accueillent le client dans une végétation tropicale luxuriante. Les huisseries de la maison (volets, persiennes, ferrures) ont été conservées et participent à ce décor. Le bâtiment conserve sa fonction d habitation pour les propriétaires. La location de l espace qui l entoure assurant une source de revenus permettant, entre autre, son entretien. Des ajouts structurels inhérents ont été ajoutés de part et d autre de la parcelle, masquant partiellement la villa, tout comme l abondance de végétation. Elle n est donc visible que depuis l intérieur du restaurant ou, en la contournant, sur sa façade arrière. Le manoir de Khai, dont la promotion joue sur la sélection des clients et le cadre réservé de l endroit, est abrité par de hauts murs. Le soir, il se révèle au visiteur par la mise en lumière du bâtiment, qui en souligne l architecture. 78

83 Source : T. Piard-Corne, 2015 Illustration 13 Le carrefour Điện Biên Phủ - Lê Quý Đôn, une concentration de valorisations prestigieuses La photo en haut à gauche montre la villa occupée par les bureaux de l HIDS. Elle est entourée par un ensemble de structures fonctionnelles plus récentes, qui reprennent les codes stylistiques du bâtiment principal et n excèdent pas sa hauteur. À l angle opposé de la rue Điện Biên Phủ, la villa appartenant à l ensemble infrastructurel du lycée Marie Curie est en cours de réhabilitation ; elle correspond au cliché en haut à droite. La villa qui abrite le restaurant Goa, présentée dans la série de photo ci-dessus, montre un caractère anisotrope : elle possède une fonction résidentielle sur sa façade nord et une fonction commerciale sur sa façade sud. La structure du bâtiment est immédiatement remarquable dans le premier cas ; du côté du restaurant, elle est masquée par divers éléments de décoration et ne se révèle qu au client qui entre sur la terrasse. Les ruelles des rues Hai Bà Trưng et Phạm Ngọc Thạch Dans les rues Hai Bà Trưng et Phạm Ngọc Thạch, plusieurs impasses abritant chacune plusieurs villas, héritage de plans de lotissements de l époque coloniale montrent un visage commun. Dans chacune de ces ruelles, la mise en valeur de plusieurs villas sous la forme de commerces confère à ces espaces un caractère particulier. La ruelle 178 de la rue Hai Bà Trưng abrite quatre villas ; toutes ont été scindées en deux. Un même bâtiment offre donc des moyens de comparaison sur les qualités de sa mise en 79

84 valeur et le rapport fait entre l activité et l édifice. Un premier bâtiment d une part un spa, qui a fait le choix de conserver l architecture coloniale comme gage de prestige, d autre part un restaurant de cuisine vietnamienne, qui masque l entrée de la villa par la reconstitution d une porte et d'un décor asiatiques. Dans le second cas, l activité prime sur le lieu qui l abrite. Une seconde villa montre une opposition différente. Elle abrite le siège d une entreprise et un restaurant. Si du côté de l entreprise, la façade ne montre aucune mise en valeur particulière et que le jardin tient lieu de parking, le bâtiment est entretenu. L entreprise profite vraisemblablement d un cadre qualitatif, auquel participent les commerces voisins. Les nouvelles constructions de la ruelle, imposantes, sont le fait des propriétaires des villas anciennes. Leur style, résolument contemporain ajoute à la distinction socio-spatiale de l espace. Le restaurant qui occupe la seconde partie de la villa citée précédemment a été ouvert par un expatrié néerlandais. Il pousse ici le plus loin la mise en scène architecturale et stylistique du bâtiment. Le restaurant offre à ses clients de dîner dans le noir, mais mise d abord sur l aspect extérieur de l édifice, refait à neuf et selon des critères esthétiques occidentaux. L intérieur du bâtiment poursuit la mise en scène extérieure, via l exposition de meubles anciens, asiatiques et occidentaux et le sol carrelé, qui a été conservé et restauré. Le surcroît de distinction apportée par la localisation des villas en fond de ruelle ajoute à leur originalité et au caractère prisé de ces endroits, à l écart de la circulation et de l agitation de la rue. Les activités qui s y déploient jouent résolument sur le côté particulier et qualitatif du lieu par la mise en valeur des bâtiments. La ruelle 41 de la rue Phạm Ngọc Thạch montre une double association. Deux restaurants haut-de-gamme exploitent un décor extérieur, celui de l architecture coloniale, et intérieur, par la mise en scène d une époque nostalgique : un rappel de l époque coloniale pour l un, dans le mobilier et la conservation des aménagements originels, la période d entre-deux-guerres pour l autre par l exposition de publicités anciennes aux murs. Dans l impasse, ces deux restaurants voisinent avec de vastes villas contemporaines, ayant remplacé pour partie des villas coloniales. La dominante résidentielle de l espace valorise les deux enseignes. 80

85 Source : T. Piard-Corne, 2015 Illustration 14 La rue Hai Bà Trưng, un partage des bâtiments et une valorisation réciproque Les villas de cette ruelle, partagent chacune plusieurs fonctions. La valorisation de chaque espace est cependant bénéfique aux autres et justifie la concentration de la fonction commerciale dans ce territoire restreint. Les villas qui donnent directement sur la rue ont subi en revanche des transformations de façade qui le rendent invisibles au promeneur. * Les usages du patrimoine répondent à trois grandes fonctions : commerciale, résidentielle et administrative. La répartition de ces fonctions a changé depuis le premier inventaire dressé en 1993 et témoigne, par la suite d un important renouvellement du bâti et la mise en vente de nombreuses villas par l État vietnamien, du recul de la fonction résidentielle, au profit de la fonction commerciale. Le lien nouveau entre commerce et patrimoine interroge la valeur d usage comme la nature du patrimoine. L utilisation du patrimoine comme espace de consommation, mais également comme argument publicitaire semble contradictoire avec la notion de préservation. Pourtant, c est sous cette forme que se renouvellent les usages du patrimoine et des pratiques urbaines associées. 81

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87 TROISIÈME PARTIE Usages et pratiques autour de la villa coloniale : à propos de quelques cas particuliers

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89 Chapitre 5 Les attributions des villas de l époque coloniale : continuité ou réaffectation fonctionnelle? La réaffectation à but commercial des villas coloniales introduit une rupture dans la hiérarchie fonctionnelle du centre urbain, une discontinuité dans la logique de rénovation urbaine. Cet usage spécifique du patrimoine colonial souligne une constante de la ville vietnamienne : l adaptation et l hybridation des formes. La reconversion commerciale des villas coloniales donne à voir un patrimoine bâti, en ce que la reconnaissance d un territoire en tant que tel, repose sur des objets. La villa constitue un fort signifiant, une marque chargée de sens, un héritage enfin, qui confère de l identité à un espace urbain homogénéisé. La reconversion du bâti de l époque coloniale ouvre ce patrimoine sur la ville, démocratise un patrimoine privé, jusque-là détenu par les autorités publiques ou quelques propriétaires fortunés. Les commerces installés dans les villas jouent ainsi de l attrait suscité par un tel cadre, créant des espaces de consommation d un genre inédit. Repenser la ville par un usage différencié du bâti ancien fait également émerger des pratiques originales. A. La fonction commerciale comme révélateur du patrimoine bâti 1. Envisager le patrimoine bâti comme ressource territoriale De récents travaux invitent à rapprocher la notion de patrimoine de celle de ressource du territoire (François, Hirczak et Senil, 2006), tandis que d autres vont jusqu'à formuler le terme de «ressource patrimoniale» (Landel et Senil, 2009) ; je reprends ici pour partie ces analyses. Les auteurs donnent ainsi de la ressource territoriale la définition suivante : 85

90 «Une ressource territoriale est une ressource spécifique qui peut être révélée selon un processus intentionnel, engageant une dynamique collective d appropriation par les acteurs du territoire, de nature différente selon qu elle emprunte ou non le circuit de la valorisation.» (François, Hirczak et Senil, 2006) En associant les deux notions, les auteurs envisagent le processus de patrimonialisation comme élément structurant du développement des territoires. Dans le contexte français, les secteurs sauvegardés de la loi Malraux de 1962 et leurs avatars récents, les zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP) et les opérations programmées d amélioration de l habitat (OPAH) intègrent la question du patrimoine dans les logiques d aménagement territorial ; le patrimoine constitue même un facteur de développement par la différenciation des territoires entre eux (Thomas, 2004). C est une idée défendue également dans les textes du Dupa adressés au Comité populaire et la réglementation établie par le cabinet Nikken Sekkei dans le schéma directeur de Hô Chi Minh-Ville. À la mise en valeur des territoires répondent deux types de ressources différentes : les ressources «génériques» et les ressources «spécifiques» (Colletis et Pecqueur, 2004 ; Landel et Senil, 2009). Par sa dimension socioculturelle et son épaisseur historique, le territoire appartient à la seconde catégorie, celle des ressources spécifiques, en ce qu il relève d une forme de capital, facteur de concurrence entre les espaces. Ainsi, il se rapproche fortement du concept de patrimoine, compris selon son sens étymologique comme héritage. La valorisation commerciale du patrimoine colonial est celle qui permet de le faire émerger en tant que ressource actualisée dans une logique de développement, opposant un autre modèle qualitatif et culturel à celui de la rénovation fonctionnelle. La révélation du patrimoine comme ressource reste tributaire d une capacité d innovation, propre à découvrir et révéler les acquis d un territoire (François, Hirczak et Senil, 2006). Les milieux culturels et innovateurs jouent à ce titre un rôle déterminant, incarné à Hô Chi Minh-Ville par l initiative individuelle dans la reconversion des anciennes villas coloniales. Le rôle des acteurs étrangers doit être souligné. Il est ancien, puisque déjà en 1993, les entreprises étrangères en installant leurs bureaux de représentation dans d anciennes villas ont contribué à leur restituer un surcroît de prestige. Cette influence est aussi récente : trois des entretiens ont été réalisés avec des personnes étrangères de nationalité française et japonaise. Ils ont chacun dans leur commerce, poussé le plus loin la mise en valeur de l objet patrimoine, rendu à l état d objet de consommation en tant que produit intégré dans la démarche de vente. Ces trois commerces sont : une boutique de design et de meubles, inspirés 86

91 par les références à l époque coloniale et au style des années 1930 ; un café-restaurant et espace de travail partagé ; un café et un dépôt-vente de vêtements au premier étage d une villa où un décor colonial est en partie reconstitué. Le regard porté par l étranger sur la villa coloniale est en effet chargé d une éducation plus riche au patrimoine. L étranger apparaît donc comme un acteur privilégié du processus de révélation de la ressource patrimoniale, qui «repose sur la capacité des acteurs à jeter un regard distancié sur leur histoire, leur culture et leur propre identité territoriale» (François, Hirczak, Senil, 2006 : 687). La ressource révélée à des fins marchandes implique son entrée dans le jeu du développement territorial. Cette forme de mise en valeur permet d appréhender la dimension collective du patrimoine en tant que construit social. La question a été posée lors des entretiens de savoir quel était le retour des clients de ces lieux sur leur expérience ; les compliments sont nombreux et concernent prioritairement la qualité esthétique du cadre, pour certains, les clients se disent «jaloux» de ne pas habiter un tel endroit. Certaines des personnes interrogées témoignent de ce que leur lieu de travail les invite à redécouvrir la ville sous un autre jour, par une attention accrue aux bâtiments anciens. Le développement systématisé des activités commerciales dans le cadre des villas coloniales, voire d autres bâtiments anciens institue une prise en compte de l héritage urbain dans les recompositions du centre métropolitain. Cet héritage, s il ne requiert pas le nom de patrimoine, faute d une politique associée, ressort de la ressource spécifique : «elle [la ressource] devient un objet de référence qui participe activement à la construction culturelle et identitaire du territoire, un objet aux propriétés proches de celle du patrimoine» (François, Hirczak, Senil, 2006 : 689). 2. L importance des milieux innovateurs comme acteurs du patrimoine L émergence d une réflexion sur les formes de mise en valeur de l héritage urbain s associe au renouvellement des formes traditionnelles du commerce et à l émergence de nouveaux concepts importés. Des acteurs spécifiques en sont responsables, auquel le qualificatif de «milieux innovateurs» s accorde. La croissance démographique conjuguée aux récents effets de la politique du Đổi Mới ont conduit, à Hô Chi Minh-Ville, à l émergence d une population active jeune, salariée, une reconversion des activités au profit du secteur tertiaire. La métropolisation en cours accompagne l émergence d une jeunesse active et innovatrice. C est autour d elle que se modifient les rapports à l espace, la reconversion des activités traditionnelles et les perceptions de la ville. Par suite des observations de ces différents 87

92 espaces commerciaux, il faut souligner la jeunesse des clients, mais aussi celle du personnel comme des responsables en comparaison des formes traditionnelles du commerce familial à Hô Chi Minh-Ville. Les transformations abouties des villas coloniales en commerces attractifs, misant sur la mise en scène d un patrimoine bâti jusque-là délaissé, sont le fait d une classe jeune et éduquée, à laquelle s ajoutent des éléments allogènes que sont les entrepreneurs étrangers. Envisagé comme bien de consommation et élément attractif, le patrimoine bâti à Hô Chi Minh-Ville se caractérise donc comme une construction particulière et endogène. Le processus patrimonial se fait-il pour autant au profit d une population locale? L ancien quartier résidentiel de la ville coloniale échappe certes aux flux touristiques les plus importants, mais les nouveaux types d attractions «patrimoniales» restent toutefois l attrait d une élite sociale et culturelle. La dimension attractive de ces espaces à l œil du chercheur ne doit pas faire oublier leur pendant inverse. Dans une majorité de cas, les villas coloniales ont été détruites. D autre part, une partie des reconversions fonctionnelles au profit d une activité commerciale se font par l effacement total du bâtiment ancien. Bien que conservé, il disparaît alors sous les signes standardisés d une franchise ou un aménagement qui se veut plus moderne. La singularité de la mise en valeur du patrimoine dans certains types de commerces souligne son caractère inédit, lequel se double de l innovation que proposent certains de ces établissements au regard de l offre générale en ville. L expansion progressive de ce type de commerces, par contamination, montre néanmoins leur attractivité et le débouché possible qu ils offrent à un bâti ancien dévalorisé. «Dans un contexte favorable, l assurance de tirer un revenu nouveau ou supplémentaire de la valorisation de ressources territoriales favorisera leur recherche et donc directement leur capacité d identification de ressources spécifiques en tant que ressources territoriales.» (François, Hirczak, Senil, 2006 : 693) On peut supposer que le processus de reconversion du bâti colonial n en est qu à ses débuts, dans la mesure où les commerces décrits ici sont de plus en plus nombreux, que ce soit dans la zone étudiée ou dans l ensemble de l espace centre de la métropole, que les permis de démolir sont aujourd hui suspendus et un projet de classification institutionnelle en cours. 88

93 3. Marquer le patrimoine : l adaptation de l iconographie commerciale La requalification des éléments bâtis de l époque coloniale dans le centre-ville se fait au détriment de la fonction résidentielle, repoussée aux quartiers périphériques. Les villas coloniales constituent de plus des espaces interstitiels d un nouveau paysage urbain densifié et verticalisé, s offrant à des stratégies d occupation particulières. La valorisation économique des villas coloniales en tant que patrimoine relève pour Anne-Cécile Mermet d une «instrumentalisation» (2013) jouant de l articulation entre les signes du commerce et les signes esthétiques de ces objets singuliers du paysage urbain. La valorisation commerciale des villas coloniales passe par une reconnaissance exprimée de leur mise en valeur esthétique pour une partie des cas. Une réflexion qualitative associe prestige patrimonial et commercial. Le respect du bâtiment et sa visibilité se traduisent par la restauration de la façade. Le principe de prestige relie entre elles les fonctions commerciales et administratives. La fonction résidentielle marque généralement la villa par des transformations dues à l usage ; les réhabilitations sont rares par faute de moyen des occupants, et suite aux partitions multiples des bâtiments, sauf exception. L effacement partiel ou total de l édifice ancien au profit d une structure fonctionnelle et d un décor thématique autre caractérise les commerces dont la localisation ne constitue pas un élément déterminant. Les enseignes franchisées s affranchissent de l architecture du lieu au profit d un décor standardisé. Le déni de l architecture coloniale s accompagne dans tous ces cas d une baisse de gamme par rapport aux commerces qui mettent en avant le décor patrimonial. Les commerces capitalisent sur la conservation ou la réutilisation d éléments du décor colonial originel pour alimenter leur image de marque. Ainsi, les piscines sont conservées pour le seul agrément visuel ; la conservation des sols carrelés et des rampes d escalier souvent parce qu ils ont survécus au temps constituent un élément récurrent de l aménagement des villas réhabilitées. «Si l objectif principal n est généralement pas ici le bien commun, mais l instrumentalisation d un décor patrimonial à des fins de marketing, il n en reste pas moins qu il s agit là d un marquage ayant une visibilité particulièrement forte pour des espaces ouverts au public.» (Mermet, 2013) Dans le cadre des villas coloniales de Hô Chi Minh-Ville, il faut néanmoins souligner que la stratégie de prestige met en concurrence la localisation avec la nature du bâtiment, ainsi que l ont fait ressortir plusieurs des entretiens menés. Pour au moins trois cas, c est d abord 89

94 une localisation en centre-ville qui était visée, l attrait pour l édifice ancien ne venant s ajouter au choix que dans la mesure où il correspondait à la stratégie d implantation du commerce. La mise en valeur de l édifice choisi vient compléter une localisation recherchée. La nature des enseignes peut également faire l objet d une analyse. Tandis que la plupart des commerces en ville misent sur une enseigne la plus grande possible, qui va jusqu à masquer des façades entières ou des bâtiments jugés dégradés, comme dans le cas de nombreux compartiments anciens ainsi maquillés, la villa prime sur l enseigne et la façade est laissée vierge de toute marque ostentatoire. Les enseignes sont ainsi reportées, aussi pour plus de visibilité, sur les murs limitant la parcelle sur la rue. C est même parfois une simple plaque. Cette signalétique discrète vaut également pour les administrations ou les antennes étatiques les plus prestigieuses, ainsi que les représentations diplomatiques. Le bâtiment signale en premier lieu la qualité de la fonction qu il abrite. Le traitement intérieur des commerces visités montre également une attention particulière dans l harmonisation du décor avec le cadre de la villa. Le choix du mobilier constitue un exemple signifiant. Les observations menées ont montré deux logiques différentes : le mobilier chiné ou le mobilier design. Dans le premier cas, il s agit de se rapprocher au plus près de la reconstitution historique et de valoriser l identité coloniale. Le second cas se démarque par deux tendances, qui sont soit le choix d un mobilier de style occidental, soit le choix d un mobilier et d une décoration rappelant l esthétique traditionnelle vietnamienne ; cela est particulièrement sensible dans le choix de certains tissus, des couleurs ou de la vaisselle dans les restaurants. Ainsi, l hybridation des identités est la plus souvent choisie ; le parti pris du «tout colonial» reste l exception. L attention particulière portée à l aménagement, qui va jusqu à la recréation d éléments de décors (ornementation des murs, recréation d éléments architecturaux de style colonial tels que les balustrades) constitue la plus-value de chaque enseigne dans le cadre d une concurrence entre villas. L originalité est rare et la récurrence des restaurants hauts de gamme et des instituts de beauté montre la normalisation progressive des reconversions du patrimoine bâti. Les limites de l originalité sont toutefois compensées par la survalorisation de l unicité de chaque commerce dans les discours recueillis lors des entretiens. Même dans le cas d une mise en valeur se bornant au seul entretien de la façade, les gérants de chaque commerce insistent sur la qualité intrinsèque du magasin, associant de fait les qualités architecturales du lieu à l excellence de l enseigne défendue. 90

95 «On postulera ainsi que le marquage voire l accentuation des signes du patrimoine par les commerçants participe d une stratégie de mise en résonance de la symbolique qualitative associée au patrimoine avec celle des objets vendus et de la marque défendue, afin de construire une synergie lieu/produit.» (Mermet, 2013) Cet argumentaire associe également l unicité à la proximité (Mermet, 2013) ; la singularité du lieu patrimonial dit aussi celle du commerce et donc sa supériorité sur les enseignes franchisées, les chaînes anonymes et homogénéisées du commerce globalisé. L argument de la proximité peut être manipulé, car dans le cas d une clinique dermatologique visitée, la responsable a indiqué que l enseigne possédait plusieurs établissements. Le plus important, installé dans une villa coloniale sert de référent pour tous les autres et gage de leur qualité par un glissement métonymique de l un au tout. De même pour certains restaurants visités, dont le gérant déclare que le propriétaire en possède plusieurs, toujours dans des villas coloniales, faisant pour chacun gage de qualité. La transformation des villas coloniales au profit des activités commerciales sert donc au-delà la production de nouveaux espaces de consommation différenciés, dont le patrimoine devient lui-même un élément consommé. 91

96 Source : T. Piard-Corne, 2015 Illustration 15 À l intérieur des commerces : une mise en scène de la villa coloniale Chaque série de photo correspond à un commerce distinct. L ensemble de ces cas montre les mêmes stratégies d aménagement, à savoir une hybridation subtile entre la mise en valeur de l édifice colonial (respect des volumes intérieurs, conservation des sols) et l identité du commerce. Ce sont pour la plupart des restaurants haut-de-gamme, dont la décoration renvoie à des formes occidentales valorisées, qu elle fasse référence au mobilier de l époque coloniale ou à un design contemporain. 92

97 B. Transformer les usages, transformer les espaces et les pratiques La fonction commerciale des villas coloniales montre une forme inédite d appropriation du patrimoine bâti. Elle passe par l expérience de la consommation plutôt que par les étapes institutionnalisées de la patrimonialisation (classement, restauration). Cette appropriation se traduit par une recomposition des usages ; la villa est elle-même «utilisée» comme bien consommable, objet choisi et donc rendu au rang de produit-patrimoine. 1. Envisager le patrimoine bâti comme espace de consommation L usage du patrimoine en tant qu espace commercial l inscrit pleinement dans un processus de consommation. Le patrimoine doit être envisagé en tant qu espace de consommation en même temps que comme objet de consommation, soit objet consommé. La consommation, en tant que processus dialectique (Mermet, 2011), oscille entre satisfaction et réalisation d une part et destruction d autre part. Ainsi, la villa coloniale transformée en espace commercial participe à la satisfaction de l échange et de ses participants. Elle participe aussi à l anéantissement du bien patrimonial, devenu alors bien d échange et part de la transaction, dans la mesure où il s inscrit comme élément déclencheur et participant de l échange marchand. Réduire le patrimoine colonial à sa dimension esthétique dans le but d en faire une promotion publicitaire, c est nier son épaisseur historique et sa singularité. La consommation apparaît dans ce cas comme l exact opposé de la muséification : l expérience commerciale propose de pratiquer le patrimoine et non seulement de l admirer. Dans un article paru en 2011, Anne-Cécile Mermet donne trois interprétations au terme polysémique de consommation : la consommation vise à «répondre à un besoin» ; la consommation est «un principe de distinction» ; la consommation répond à «un principe de plaisir» (Mermet, 2011). À ces trois interprétations peuvent correspondre les caractéristiques du patrimoine colonial : il satisfait au besoin du consommateur par sa dimension esthétique ; il distingue l expérience de consommation en l inscrivant dans un cadre prestigieux ; il satisfait à un plaisir par une pratique inédite fondée sur la rareté. L exploitation du patrimoine bâti comme cadre de nouvelles activités contribue à sa réinscription effective dans le cadre des échanges. Les commerces qui ont pour cadre les villas coloniales à Hô Chi Minh-Ville ajoutent ainsi un surcroît d identité à un centre urbain mondialisé, où l effacement du particulier profite à la normalisation du bâti et des activités. Les villas coloniales ne constituent plus la norme dans le paysage urbain. Par effet de signe, 93

98 elles appellent le consommateur vers une expérience inédite. Le cadre patrimonial diffère des deux modèles que sont le commerce traditionnel ouvert sur la rue et le commerce modernisé, fermé et exposé derrière une vitrine. La villa se donne à voir avant le produit ; le cadre compte d abord et devient donc lui-même un produit consommé, une part de l échange marchand. Le patrimoine utilisé comme cadre et comme argument déclencheur répond également en cela au principe de distinction. La différence crée l attractivité. La dimension ludique des commerces jouant avec le référent patrimonial affirme le moyen d une distinction sociale, ainsi que le soulignaient déjà les travaux de Bourdieu ou Baudrillard. Institués en espaces branchés et tendances, les restaurants, espaces d exposition, conservatoire de musique, concept stores qui s appuient le cadre patrimonial associent le prestige du lieu d exposition à celui de leur clientèle. Les entretiens réalisés rendent compte de cette distinction : sauf exception, tous les commerces visités s inscrivent dans le cadre du moyen et haut-de-gamme ; pour une partie de ces commerces, les étrangers (expatriés et touristes) représentent plus de 60 % de la clientèle, indiquent les personnes interrogées. La consommation du patrimoine peut également s inscrire dans le cadre plus large des recompositions métropolitaines comme partie du processus de gentrification de l espace étudié. La mise en scène des villas et leur consommation participent à la production de nouvelles interactions entre la morphologie de la rue et son environnement social, en mobilisant un public nouveau et particulier. Howard Vazquez forme à propos des artères péricentrales de Shanghai l expression de «gentrification passante» (2010), laquelle associe la redéfinition de l usage de la rue à des fins récréatives avec ses recompositions sociales. Il définit ainsi cette notion comme : «[Le] processus de transformation d une rue ou d un quartier modeste qui, par l intermédiaire du taux de fréquentation des classes supérieures et d une certaine pratique des promeneurs, orientée vers les produits coûteux, voit l environnement social de la rue se modifier.» (Vazquez, 2010) Les villas coloniales reconverties en commerces font l objet d une fréquentation différenciée de celle des malls internationaux standardisés de l hyper-centre. La composition sociale des promeneurs de la rue participe à valorisation de la villa comme nouvel espace de consommation et par là nouvel espace de distinction : «la présence de populations riches fortement ancrées dans la rue est un facteur décisif dans le processus de la gentrification passante» (Vazquez, 2010). 94

99 D espace consommé, le patrimoine, décor mis en valeur, en devient produit, pensé en termes de signes, de marketing. Par sa transformation en commerces, le patrimoine colonial devient un espace singulier de consommation, non pas seulement autour du patrimoine mais dans le patrimoine et du patrimoine. Distingué du reste du paysage urbain par sa rareté et la spécificité de ses usages, le patrimoine bâti en tant qu objet de consommation, tel qu il est mis en valeur à Hô Chi Minh-Ville risque la banalisation. En effet, la capitalisation des différentes enseignes sur le ressort nostalgique et prestigieux du bâti colonial, même si elle ressort d initiatives privées, prend des formes proches dans certains cas. Les cliniques et instituts de beauté sont nombreux, les restaurants haut-de-gamme également. Les premiers commerces, précurseurs, sont imités ; l attrait pour l objet patrimoine ne risque-t-il pas de se diluer à l ère de sa reproductibilité? 2. Consommer le patrimoine, un marqueur de la ville récréative? La villa coloniale, repensée par des usages nouveaux et notamment, sa transformation commerciale, lieux d accueil et de sociabilité, participe à la modification de l espace central en un espace récréatif. Commerce distractif et patrimoine sont les deux facettes d une offre culturelle, qui fait aujourd hui défaut. Les villas coloniales transformées ne s adressent pas aux seuls étrangers, à la différence des attractions touristiques que sont les monuments et les musées. Ces nouveaux usages symboliques constituent cependant des exceptions et des isolats dans le cadre vaste de l espace métropolitain. À ce titre, les personnes interrogées lors des entretiens regrettent l accélération des destructions du bâti colonial depuis les années Ils s avouent également plus sensibles pour certains à la question du patrimoine colonial depuis que celui-ci est devenu leur cadre de travail. Ainsi, la transformation symbolique de cet espace du patrimoine, son ouverture à la ville par sa reconversion commerciale, sa visibilité accrue participent vraisemblablement à modifier la perception de ses usagers. En proposant l association de l espace récréatif et de l espace de consommation, l usage commercial des villas coloniales renouvelle la forme classique de la rénovation urbaine. À Hô Chi Minh-Ville, cette rénovation reprend les codes d esthétisation des centres historiques des villes occidentales : la piétonisation de la rue Nguyễn Huệ afin d offrir un espace de promenade entre grands hôtels et malls en est le premier exemple. La réaffectation des villas coloniales offre un cadre différencié aux activités distractives, les inscrivant dans un territoire et une identité urbaine valorisée, à l inverse des malls aux standards internationaux 95

100 construits dans les années 2000 et qui accueillent des franchises internationales. Ces malls se concentrent tous dans l hyper-centre. Ainsi s opère une différenciation spatiale autant que qualitative par le cloisonnement de ces différents espaces. Si «la fréquentation de ces malls est vécue comme une expérience urbaine de la modernité, systématiquement assimilée à un loisir» et que «les centres commerciaux deviennent des lieux de sociabilité et de promenade» (Peyvel et Gibert, 2012), certains des commerces récréatifs des villas coloniales (salon de thé, espace de travail partagé) misent sur une dimension qualitative du cadre pour sélectionner une population aisée. À la déambulation et au shopping s oppose la consommation pleine et entière d un lieu choisi. Ce mode de loisir reste cependant à la marge dans l espace de la ville, par son caractère anecdotique et la concurrence d autres espaces similaires dont seuls diffèrent le cadre et la nouveauté des pratiques de loisirs à Hô Chi Minh-Ville. Les espaces publics semblent encore privilégiés. À pied ou à moto, la promenade est considérée comme un loisir particulier (Peyvel et Gibert, 2012). Du fait de l élévation des prix du foncier, l accès au centre-ville à l occasion de moments récréatifs permet pour une majorité de la population de s approprier son prestige et ses équipements. La réaffectation des villas coloniales au profit des activités commerciales conjugue ces deux aspects. Ces nouveaux espaces correspondent également à la réalisation de nouvelles pratiques (ré)créatives. * Espace tout autant que produit nouveau offert à la consommation, la reconnaissance du patrimoine bâti par ses usages spécifiques entraîne une évolution des représentations qui lui sont associées. Le renouvellement fonctionnel des villas coloniales leur accorde un statut nouveau ; ce ne sont plus seulement des traces d un passé révolu, mais les marques d un héritage. Dans le processus classique de la patrimonialisation tel que dégagé par les chercheurs en sciences sociales (Thomas, Hirczak, Senil, 2006), le changement d attribution de l objet «patrimonialisé» lui confère une valeur plus grande que précédemment. La fonction commerciale est le support d une telle reconnaissance en offrant au public de faire l expérience du patrimoine, là où les fonctions résidentielles et administratives l accaparent et le cloisonnent. L usage à visée commerciale du patrimoine va à rebours des logiques de rénovation urbaine et des logiques de mondialisation. Il permet en cela de mesurer les transformations de la ville, en instituant la notion de patrimoine comme critère de l émergence. La reconversion 96

101 fonctionnelle des édifices de l époque coloniale montre la concurrence qui se joue dans l espace central entre un aménagement culturel et un urbanisme fonctionnel. Alors que le patrimoine bâti était autrefois perçu comme superflu par les aménageurs, il fait l objet d une réappropriation par certains, qui invitent à déplacer le regard porté sur la ville. La troisième partie interroge le glissement contemporain des représentations urbaines, cristallisé en partie autour de l enjeu patrimonial. 97

102

103 Chapitre 6 Pratiques et représentations du patrimoine en débat La dégradation, la restauration ou la mise en scène des villas de l époque coloniale à Hô Chi Minh-Ville échappe à toute projection préalable et à tout discours théorique. Pour ainsi dire, il n y a pas de patrimoine à Hô Chi Minh-Ville, sinon des «vestiges» reportés sur un inventaire officiel. Les réaffectations fonctionnelles récentes du tissu urbain révèlent néanmoins le regard nouveau porté sur ces vestiges urbains que constituent les villas coloniales, longtemps mésestimés, déshérités. La mise en scène du patrimoine colonial s apparente à une nouvelle recherche de sens, par un réinvestissement symbolique de formes urbaines devenues originales. La reconversion commerciale introduit de la différence au sein d un espace fortement standardisé sous l effet des recompositions contemporaines. La mise en scène des villas coloniales par l aspect commercial rompt avec une dimension élitiste du patrimoine, mais pas avec une ségrégation sociale. Elle introduit de nouvelles pratiques culturelles et un cloisonnement des espaces publics et privés, en substituant le cadre patrimonial à la rue comme espace d échange et de sociabilité. La reconversion des villas coloniales contribue de fait à construire des identités urbaines spécifiques, mais peine à s inscrire dans une dimension collective. A. Vers une nouvelle culture urbaine? L appropriation du patrimoine bâti dans la centralité historique un espace autrefois réservé est l occasion de se mettre en scène. Espace différencié, le commerce «patrimonialisé» offre aux individus une expérience valorisante. La fréquentation de lieux patrimoniaux demeure le fait d une élite éduquée, qui dit là son rapport différent à la ville et au temps et revendique un système de valeurs propres. 99

104 La villa coloniale, lieu privé, cloisonné en retrait de la rue, introduit également, outre une rupture sociale, une discontinuité entre espace public et espace privé, a contrario de la mixité traditionnelle de la ville vietnamienne. Vecteur d une sociabilité choisie, le commerce «patrimonialisé», haut-de-gamme ou à la mode permet et favorise un entre-soi valorisant, des pratiques urbaines réservées. L intimité de la villa, marqueur territorial d une identité spécifique concurrence l anonymat de l enseigne internationale standardisée. S il permet une appropriation qualitative de l espace urbain, le patrimoine revalorisé n en reste pas moins l exception. Sa rareté est aussi un facteur d élection. 1. Le patrimoine : un objet à la mode À l inverse de ceux qui réfutent le caractère esthétique de la villa coloniale (entrepôt, artisanat), les commerces s appuyant sur la mise en scène de l esthétique architecturale constituent des espaces recherchés, car ils s affirment comme des espaces différenciés dans le paysage urbain. Ce sont pour la plupart des bars et des restaurants, auxquels correspond une expérience de loisir et de rencontre. Par une double différenciation esthétique et ludique, ces villas constituent des espaces recherchés et rares ; elles ne correspondent qu à un nombre restreint de cas, concentrés dans l espace étudié et celui de l hyper-centre. Ce sont donc paradoxalement des espaces «à la mode». Si la mode renvoie en effet à l éphémère et à son inscription dans le présent, la nature patrimoniale des villas y renvoie également, parce qu elle actualise un passé lointain, dont la nostalgie et l idéalisation constituent les principaux vecteurs promotionnels. La mode est également le moyen d expression d identités spécifiques, un moyen de différenciation culturelle et donc de distinction sociale (Florissi et Leite, 2008). Parce qu il transforme et réinvente la représentation du patrimoine colonial, le phénomène de mode induit par les reconversions commerciales, pourrait valoir comme un élément de diffusion de l idée patrimoniale. La mode, en tant que processus électif, apparaît également comme un moyen de différenciation des espaces, en jouant sur la dimension affective et qualitative qui leur est associée. La réaffectation des villas coloniales, en ce qu elle participe à distinguer des activités spécifiques en les inscrivant dans un cadre culturel favorise cette élection. Mettre en scène et faire apparaître la villa coloniale, c est proposer dans le contexte du centre de Hô Chi Minh-Ville de nouveaux marqueurs territoriaux comme supports identitaires. Mode et patrimoine vont de pair, parce qu ils expriment tous deux un espace symbolique, dont la 100

105 dimension attractive conditionne des pratiques urbaines et dans ce cas des pratiques de consommation valorisées. Le phénomène de mode, dont l expression n est pas explicitement formulée par les discours est néanmoins perceptible dans l aménagement des commerces «patrimonialisés» et dans le profil des consommateurs, en ce qu ils cherchent à reproduire un décor et des manières de faire occidentalisés valorisés. Ainsi, les villas coloniales reconverties rompent avec l environnement avoisinant parce qu elles s inscrivent dans un autre cadre de représentations que celui de la société traditionnelle vietnamienne. Elles diffèrent également de la modernité urbaine standardisée de la tour et des enseignes internationales en faisant varier le modèle sur un mode qualitatif et territorialisé. La villa coloniale reconvertie, envisagée comme espace d exhibition permet de caractériser le lieu par ceux qui le fréquentent. Ce sont essentiellement des jeunes, issus des milieux «branchés», que signalent leur originalité vestimentaire et leurs accessoires ou dans les restaurants les plus sélectifs, des personnes issues des milieux d affaires, des cadres supérieurs. La fréquentation de ces nouveaux espaces traduit également une mise en scène de soi. Lors de deux entretiens, les personnes interrogées ont indiquées également que leur restaurant accueille de manière régulière des groupes de touristes lors de voyages organisés. Le phénomène de mode se transforme épisodiquement en attraction touristique. Le choix des clients répond à une double stratégie d appropriation : valorisation personnelle d abord et valorisation du lieu ensuite. Le phénomène de mode montre l intégration progressive de l espace étudié aux représentations collectives en tant qu espace récréatif. Cette observation doit être nuancé par la concurrence de l hyper-centre, qui constitue un référent emblématique ; c est le référent iconographique par lequel est représentée la ville, il concentre les symboles, monuments coloniaux ou contemporains (la tour Bitexco). L expansion de cet espace de concentration des services, des loisirs (tourisme, hôtellerie), d espaces résidentiels prisés, de bureaux et de commerces (boutiques, restaurants) à l aire étudiée favorise la référence cosmopolite comme argument électif. Référent iconographique hybride et composite, associant à l esthétique coloniale des activités nouvelles, la villa incarne une identité mixte. 2. La reconversion commerciale des villas coloniales, vers une recomposition des espaces? La forme même de la villa coloniale, en tant que modèle importé, rompt avec le modèle traditionnel de la mixité des espaces dans la ville vietnamienne. Scène publique et lieu privé 101

106 se confondent dans une démarcation floue. L usage dominant du commerce en ville, dont la localisation est associée à l habitation entraîne une mixité des espaces ; la vie se joue au dehors plus qu au dedans. Les recompositions commerciales des villas coloniales, si elles participent à créer des dynamiques à l échelle de la rue ou du quartier, s inscrivent néanmoins dans un cadre délimité et distingué de l espace public de la rue. Les intérieurs reconvertis sont devenus des lieux réservés et donc prisés ; pour les restaurants qui offrent une terrasse, elle reste séparée de la rue par le mur qui limite les parcelles. La reconversion des villas coloniales selon un modèle commercial différent de celui pratiqué traditionnellement, ouvert à la rue, comme la systématisation de commerces fermés par des vitrines sur le mode occidental, aboutissent finalement à une autonomisation des espaces de sociabilité en ville. Cloisonnement et ségrégation succèdent ainsi à un modèle diffus de partage (parfois contraint) dans l ensemble de l espace public. La dimension égalitaire de l espace public est mise à mal par cette segmentation, qui distingue les individus selon leurs pratiques et leur statut social. Ce processus de fragmentation territoriale n obéit-il pas aux règles de la construction métropolitaine? Les réaffectations commerciales des villas coloniales reproduisent néanmoins le modèle ségrégatif inhérent aux édifices eux-mêmes. La villa est d abord un espace privé, construit pour l élite sociale de l époque coloniale, à l abri du désordre urbain. La fonction commerciale ouvre toutefois partiellement la villa sur l espace public, mais en sélectionnant ses usagers. Faut-il craindre dans la multiplication de ce phénomène le début d une privatisation de la ville? Paradoxalement, la réaffectation commerciale du patrimoine bâti procède à la fois d une rupture avec la fonction résidentielle originelle en transformant les villas en espace ouverts semi-publics, mais également d une filiation par la réactualisation ainsi faite de l héritage urbain. La normalisation des espaces publics découle des trois dynamiques que sont le renouvellement urbain, la gentrification et le cloisonnement des espaces commerciaux ; elle peut s assimiler, d une certaine manière, à une réactivation des pratiques ségrégatives de la ville française coloniale. À un espace public polymorphe et co-produit, dans les quartiers périphériques populaires, par des habitants usagers, répond en centre ville un espace de sociabilité décidé par la nature même du bâtiment et sa mise en scène. La valorisation par le commerce du bâti ancien participe à réinscrire cet espace autrefois marginalisé et déshérité dans les représentations collectives de la ville, en lui attribuant une nouvelle image. Cette opposition schématique doit être nuancée. Dans un certain nombre de cas, la villa est transformée au profit de cette interface entre espaces public et privé que constitue le lieu de 102

107 sociabilité dans la ville vietnamienne. La distribution des pièces est modifiée ; la façade subit les modifications les plus importantes, allant de l oblitération des fenêtres à l élargissement ou aux percements de nouvelles ouvertures et l ajout d excroissances des toits, prolongés en auvents de terrasse, afin d effacer le découpage strict du dedans et du dehors. La villa est ainsi «déstructurée». Les reconversions commerciales des villas coloniales accompagnent les recompositions fonctionnelles de l espace central, à savoir notamment la densification des espaces de bureaux et la raréfaction d espaces résidentiels prisés. La concordance de ces dynamiques participe à la promotion d un nouveau mode de vie. Si les villas coloniales transformées en cafés ou en restaurants sont des endroits «à la mode», c est aussi parce qu ils correspondent aux représentations d une nouvelle urbanité recherchée. Espaces codifiés en opposition à la nébuleuse de l espace public (le cadre le plus vaste), ils se construisent comme espaces de rencontre, de récréation et de convivialité, une valorisation identitaire allant de l un à l autre entre le lieu et ses usagers. Signe particulier des recompositions métropolitaines, les évolutions de la prise en compte de l héritage colonial révèlent une contradiction. Alors qu un patrimoine vernaculaire ancien est promu et officiellement «patrimonialisé» sur le mode des valorisations occidentales, comme c est le cas du «quartier des trente-six rues» de Hanoi, l héritage colonial français connaît une mise en valeur individuelle, implicite et inédite. Raffaelle Cattedra parle ainsi de «processus d échange référentiel» (2002 : 262) à propos des contradictions de l aménagement urbain des villes marocaines, où la promotion touristique des médinas semble contradictoire avec l appropriation par les locaux des anciens espaces coloniaux. «Il est utile de signaler des glissements de sens, de valeurs d urbanités et de pratiques entre les deux entités majeures de la centralité urbaine. Si, d une part, les tissus anciens ont progressivement acquis, réhabilité et légitimé leur caractère patrimonial, dépassant la phase cruciale de dévalorisation et d abandon qui les avait caractérisés durant la décennie qui suit l indépendance, et si les médinas ont pu même acquérir le statut de centre historique, il est pourtant vrai que les centres-villes d origine coloniale affichent à l heure actuelle une plusvalue d ordre patrimonial ; dans la mesure où à partir même des pratiques de fréquentation, ils surmontent une sorte de stigmatisation idéologique en tant qu anciens espaces de la ségrégation coloniale et du pouvoir colonial.» (Cattedra, 2002 : 262) Cette même tension entre différentes formes d espaces à Hô Chi Minh-Ville, la ville coloniale et le centre ancien se confondent conduit les classes moyennes et supérieures à délaisser les quartiers populaires au profit d activités plus qualitatives. Les loisirs gratuits (déambulation, promenade à moto) ou à faible coût (restauration ambulante) sont délaissés au 103

108 profit d activités sélectives (Peyvel et Gibert, 2012). La fréquentation d espaces rares et différenciés devient ainsi un enjeu social et identitaire. La transformation de l espace étudié au profit des classes supérieures est aussi sensible dans une tertiarisation élitiste (écoles privées ou étrangères en grand nombre, instituts de soins, agences de voyage) et la densité des transports individuels en automobile. Le renouvellement du bâti et des fonctions de la zone d étude participent à sa recomposition en tant qu espace complémentaire et en concurrence de l hyper-centre. L initiative privée à l origine de la valorisation du patrimoine bâti à Hô Chi Minh-Ville constitue une dernière singularité. À défaut d un plan de conservation institutionnalisé, c est sous l impulsion des acteurs privés que la revalorisation des édifices coloniaux a lieu. Cette privatisation des espaces patrimoniaux au profit du bénéfice économique interroge. Soumis à un impératif de rentabilité, un patrimoine privé et «consommé» peut-il perdurer? Les pratiques qui s y déploient sont-elles durables? La fonction commerciale du patrimoine est, à tout le moins, le vecteur d une nouvelle forme d urbanité «élective» en même temps qu une forme particulière de la reconfiguration des pratiques de loisirs. La fréquentation des villas devient le marqueur qualitatif d identités citadines différenciées et inventives. B. Composer le passé : des revendications ambivalentes Les recompositions fonctionnelles des villas de l époque coloniale observées sont-elles viables à long terme? La multiplication d activités commerciales spécifiques à la centralité urbaine montre la dépendance accrue de cet espace à ses périphéries, par le recul notable de la fonction résidentielle. Les nouvelles activités du centre démontrent également des recompositions sociales en cours par une gentrification et un cloisonnement des espaces. La fonction administrative d une partie du patrimoine colonial témoigne sinon de son adaptabilité, du moins de la durabilité de son prestige. Ce cas particulier constitue certes un ensemble préservé dans le temps long, mais semble pâtir d un défaut de reconnaissance. La perception du patrimoine est relative et évolutive. Si elle peut être approchée sous l angle des pratiques, elle renvoie également aux notions symboliques d appropriation de l espace et de construction identitaire. Dans le cadre étudié ici, ces deux aspects sont équivoques et ambivalents. La revalorisation par les activités commerciales du patrimoine ne se résumerait-t-elle qu à une collection de façade(s)? 104

109 1. Appropriation ou manipulation du patrimoine? Les recompositions fonctionnelles des villas coloniales ont lieu sous l influence de milieux innovateurs ou culturels qui s emparent d un espace déshérité pour proposer de nouvelles formes hybrides de consommation, que le prestige du patrimoine bâti vient légitimer. À Hô Chi Minh-Ville, c est un caractère ludique qui est mis en avant dans la requalification commerciale des bâtiments coloniaux : commerces «branchés», espaces d exposition artistiques, restaurants haut-de-gamme. Restauration et requalification vont à l encontre des usages originels d habitation ou du commerce local, caractéristiques d une population pauvre et ancienne. Pour autant, y a-t-il là légitimation d un patrimoine bâti par son appropriation? Dans un dossier thématique de la revue Norois, paru en 2005, Vincent Veschambre souligne les difficultés à définir la notion d appropriation en sciences sociales. S il renvoie explicitement aux définitions de l habiter et du territoire, le terme d appropriation fait rarement l objet d une définition. Dans le cadre de la réflexion menée ici à propos des villas coloniales de Hô Chi Minh-Ville, la réaffectation commerciale des formes héritées du bâti semble constituer la forme la plus marquée d une révélation d un patrimoine bâti et par suite, d une appropriation, au large sens d une «adaptation de quelque chose à un usage défini ou à une destination précise» (Veschambre, 2005b : 115). La description de l aménagement des commerces et de leur mise en valeur à une échelle micro-locale témoigne de l aspect le plus visible de cette appropriation par un marquage spécifique. La notion de l appropriation se double également d une dimension affective, inhérente également au terme de patrimoine, dont elle constitue un des critères d élection. Cette dimension a fait l objet d une question lors des entretiens, reportée à la fin du questionnaire, invitant les personnes interrogées à exprimer leur sentiment personnel à propos des enjeux du patrimoine en général et de la villa où nous nous trouvions en particulier. Les personnes vietnamiennes interrogées mettent en avant d abord leur attachement à la ville en général, en insistant pour certains sur son caractère polymorphe. La nécessité de préserver une part de l héritage urbain, tout en le conciliant à une modernité perçue comme bénéfique apparaît pour tous. Toutefois, pour quelques uns, le sentiment affectif se limite à la seule villa où ils travaillent, affection progressivement construite et non a priori. L appropriation d un patrimoine, sélective dans son ampleur, ses formes et sa population montre à Hô Chi Minh-Ville le caractère limité de sa reconnaissance. La traduction en pratique de l appropriation du patrimoine colonial se limite à un nombre de cas restreints. Les bâtiments résidentiels et administratifs sont inaccessibles aux habitants. La reconversion 105

110 marchande du patrimoine bâti à Hô Chi Minh-Ville s exprime autrement par l ouverture à un large public de villas jusque là réservées à une élite coloniale, puis à une élite sociale et politique. Cette reconversion rend possible un rapprochement du patrimoine et des citadins, une appropriation affective en associant aux lieux des pratiques de consommation et de sociabilité. L ouverture des villas coloniales à un large public dans le cadre de leur reconversion commerciale renvoie à une ouverture symbolique de lieux longtemps marginalisés, interdits et réservés. Le patrimoine jouerait alors un rôle d interface, sur le même mode d analyse que Thierry Sanjuan fait des grands hôtels en Chine, en offrant aux habitants : «la possibilité de pénétrer dans des lieux longtemps interdits qui les mettent, dans leur propre pays, en contact avec l étranger» (Sanjuan, 2003 : 77). De ce point de vue, la situation à Hô Chi Minh-Ville est comparable, car nombre de grands hôtels héritiers de la période coloniale polarisent les sociabilités festives dans l hyper-centre. La reconversion des villas coloniales vient leur faire concurrence sur le terrain de l héritage et de la différence. Un parallèle possible apparaît entre le grand hôtel et les nouvelles formes de la villa coloniale en tant que : «lieux symboliques de l étranger, du luxe et de la mondanité pour des classes moyennes en consitution» et seuls lieux «capable[s] de répondre à des besoins de représentation sociale et mondaine» (Sanjuan, 2003 : 97) dans une ville où les espaces différenciés de sociabilité font défaut. La seule fonction commerciale du patrimoine bâti lui associe donc des pratiques spécifiques, forme sensible d appropriation, néanmoins tributaires de l échange marchand. L usage du patrimoine, au sens polysémique du terme, expérimenté physiquement par le consommateur (Mermet, 2012), «habité» (Gravari-Barbas, 2005) d une certaine façon par une fonction nouvelle, favorise sa reconnaissance. Par la recréation d une sociabilité idéalisée, mais spécifique et ancrée territorialement à travers l usage inédit qui est fait du patrimoine bâti une nouvelle identité urbaine n émerge-t-elle pas? La double influence des processus de métropolisation et de mondialisation de l espace urbain entraîne un nécessaire besoin d expression identitaire, forme de résistance à la dilution des particularités urbaines et sociales. La notion d appropriation s apparente en effet à celle d appartenance, laquelle implique à son tour une référence identitaire (Morel, 1993). Déchargées de leur fonction et de leur sens initiaux, les villas coloniales apparaissent comme un élément propice à une requalification, au double sens de reconversion et de revalorisation. En associant les pratiques à la charge affective du territoire où elles s incarnent, la notion même d identité territoriale se trouve ainsi interrogée. Parce qu elle mise sur la «marque» et le «produit» patrimoine, la 106

111 reconversion par la valeur commerciale des villas coloniales semble s inscrire pleinement dans le cadre de la libéralisation économique en vigueur au Vietnam ; cette réaffectation répond à plusieurs ressorts d ordre économique : reconversion pratique, offre culturelle et attrait touristique. La consommation du patrimoine est-elle pour autant un facteur d identification? 2. Le patrimoine, un référent identitaire? Ni explicitement revalorisé, ni formellement déprécié, l héritage bâti de Hô Chi Minh-Ville perdure, qu il date de l époque coloniale ou des années qui ont précédé le «Renouveau» politique et l ouverture du pays, qu il s agisse d édifices monumentaux, d un patrimoine bâti moins spectaculaire, de formes d habitations individuelles ou collectives. Là, entre rénovation urbaine, recyclage du bâti et adaptations fonctionnelles se dévoile l identité intrinsèque de la ville. La mise en valeur récente d une partie des villas de l époque coloniale, sous diverses formes, qui s inscrivent chacune dans des logiques de valorisation commerciale, cristallise néanmoins la construction de nouvelles identités urbaines. La mise à distance, depuis 1986, de la doctrine socialiste la plus stricte, que caractérisait notamment une violence à l égard de la notion d identité, ouvre aux nouvelles générations un horizon d attente, à la recherche d un référent identitaire différent. Il peut s incarner dans une idéalisation de la période coloniale, désormais mise à distance (Sinou, 2005) et qui a précédé trente ans de conflits armés. L abandon de l idéologie politique comme élément structurant de cohésion sociale et la conséquente acculturation de l ouverture économique réactivent chez certains groupes la notion d identité. La villa coloniale constituerait en cela le vecteur possible d un renouveau identitaire dont les ressorts premiers sont l esthétique et la nostalgie, marqueurs visibles d une prospérité sociale révolue. La villa coloniale, dissonance dans un espace urbain largement renouvelé exprime également par sa permanence la résistance à un modèle mondialisé et uniformisé ; elle trace un lien visible entre le territoire et une identité possible, selon la «parenté conceptuelle» dégagée par Guy Di Méo (1994). Élément singulier, car déshérité et se prêtant à de multiples réaffectations, le patrimoine colonial l emporte aujourd hui sur un patrimoine vernaculaire assimilé et pratiqué. Si la mondialisation provoque un état de crise identitaire, il n en reste pas moins qu elle généralise aussi les exemples d appropriation d un patrimoine «à soi». 107

112 «Il n est pas sûr que le phénomène de confrontation de cultures change de nature lorsque, à la différence des situations classiques d acculturation, milieu d accueil et milieu d origine ne sont plus étrangers l un à l autre, mais s inscrivent dans une même culture globale, un même ensemble national. Le passage d une culture locale, nourrie de traditions à une culture industrielle privilégiant le changement ne pose-t-il pas aussi à ceux qui l effectuent un problème d acculturation, même s il ne s agit plus d un rapport d altérité ethnique?» (Morel, 1993 : 66) Aussi innovante soient-elles, la construction de nouvelles pratiques urbaines autour d un patrimoine colonial revalorisé et réapproprié par l échange marchand tend elle aussi à la construction d un espace métropolitain normalisé, en introduisant comme ailleurs une nouvelle segmentation sociale de l espace et en reproduisant les disparités centre-périphérie. La reconnaissance du patrimoine colonial s inscrit-elle comme une étape canonisée du développement? La nécessaire affirmation d une singularité territoriale s inscrit dans la concurrence accrue des villes entre elles et le développement du champ patrimonial s observe ainsi successivement aux reconversions métropolitaines déjà dans d autres villes asiatiques, à Singapour en particulier (Hamonic, 2005). Le patrimoine bâti à Hô Chi Minh-Ville constitue un support identitaire limité, dans la mesure où il correspond à une faible appropriation, partagée par une classe sociale aisée, jeune et investie pour partie dans des revendications culturelles. Ce groupe minoritaire est loin de légitimer à lui seul une appropriation et une identité collectives. Il provoque néanmoins par son discours un glissement des représentations et tend à affirmer un nouveau point de vue sur le patrimoine ; «la question de l appropriation de l espace est révélatrice des relations de pouvoir entre groupes sociaux», ainsi que le rappelle Vincent Veschambre (2005a). La villa coloniale n est-elle pas disqualifiée d emblée, par son histoire, à incarner un nouveau référent commun? Incarnation de la domination coloniale, représentation de l État coercitif, prise de guerre, siège prestigieux des représentations diplomatiques, espace récréatif d une élite sociale et culturelle, la villa coloniale incarne avant tout un dispositif de cloisonnement et de ségrégation spatiale. Les édifices dégradés nombreux, niés par des reconversions qui ne tiennent pas compte des spécificités architecturales, les démolitions, le vide législatif sur les questions de patrimoine ne disent-ils pas l impossibilité à s approprier ce patrimoine? Se pose enfin la question de la durabilité d une reconnaissance patrimoniale en pratique, émergeant des habitants eux-mêmes sur le mode de la consommation, face à une légitimation théorique portée par une expertise institutionnelle. Si la notion de patrimoine exprime intrinsèquement l idée d une résistance au temps, son alliance aux pratiques consommatoires interroge. 108

113 3. Le patrimoine bâti dans les discours sur la ville, vers de nouvelles identités citadines La fonction commerciale doit être envisagée comme une forme non exclusive de pratique patrimoniale. Ainsi, elle laisse la place à l expression d un discours allant de l objet patrimoine à ceux dont il structure les pratiques. La mise en scène performative du patrimoine bâti à valeur commerciale favorise l expression d un discours sur la ville et donne forme aux représentations collectives. La destruction annoncée du centre commercial Thương Xá Tax, situé à l angle convoité des rues Nguyễn Huệ et Lê Lợi au cœur de l hyper-centre constitue un exemple pertinent. Le bâtiment actuel, construit dans les années 1960, est l héritier des grands magasins de l époque coloniale ; il a néanmoins conservé une partie des aménagements et des décors d un édifice plus ancien. Sa valeur patrimoniale relève donc des pratiques plus que du bâti. Il intéresse autant les touristes que les habitants et fut, avant sa fermeture en 2014, un haut lieu du fun shopping en centre-ville. La presse a contribué à mobiliser une partie de l opinion publique. Des pétitions ont demandé et obtenu 16 la conservation de certains des éléments décoratifs du magasin et leur intégration au projet de construction d une tour de 40 étages. Les revendications des habitants ont émergées à l initiative d architectes et d étudiants. Cette spécificité du public engagé révèle l inégale capacité à entrer dans le débat public et à se saisir de questions relatives à la dimension collective de la civilité (vivre en ville et vivre ensemble) et invite également à relativiser l intérêt porté au patrimoine par les habitants ; il reste le fait de spécialistes ou de riverains concernés. Si le patrimoine, considéré comme un objet à faible teneur politique, favorise le développement d un débat public au Vietnam, la participation à ce débat, limitée et discrétionnaire reste la prérogative d initiés, comme ce peut être le cas en France (Gibout, 2009). La surreprésentation du regard étranger 17 sur la question patrimoniale rend compte de la nouveauté de l objet dans les représentations urbaines au Vietnam et de la valeur relative du débat public dans un contexte de confiscation de la parole politique par un État-Parti unique. Comprises comme expression d une transaction sociale, les positions de la société civile invitent à construire une définition 16 Dinh Phu, 24 octobre 2014, «Vietnam city considers partial conservation of heritage building», Thanh Nien News. Dinh Phu, 17 décembre 2014, «HCMC to preserve parts of Tax Center», Thanh Nien News. 17 Le Consul honoraire de Finlande et le Consul de France se sont joints à la pétition. L historien anglais Tim Doling, installé à Hô Chi Minh-Ville sensibilise une audience vietnamienne anglophone et étrangère à l histoire de la ville via des tours organisés et un site internet. La revue anglophone en ligne Saigoneer tient également une rubrique de veille et de sensiblisation intitulée «old Saigon». L activité nouvelle des réseaux sociaux fédère également un public d expatriés et de nombreux étudiants vietnamiens attentifs aux destructions du bâti colonial et aux évolutions urbaines. 109

114 commune du patrimoine avec les experts et les cadres de l administration publique (Gibout, 2009) ; cet échange dialogique est-il cependant possible dans le cadre vietnamien? Source : T. Piard-Corne, 2015 Illustration 16 L espace 3A, une réactualisation inédite du patrimoine bâti La reconversion de cet ancien espace militaire par les doubles dynamiques commerciale et artistique constitue un cas unique à Hô Chi Minh-Ville. De nouvelles constructions, qui s intègrent à une partie des façades de bâtiments détruits relève d une interaction innovante entre renouvellement des formes et conservation. L appropriation du lieu, si elle se signale au regard par l utilisation des façades comme support artistique, ne tient pas essentiellement dans l attachement à des bâtiments qui n ont rien d exceptionnel sur le plan architectural. Elle s incarne dans les pratiques qui se déploient dans cet espace. L implication des milieux innovateurs autour de la question patrimoniale doit également être soulignée. Elle leur permet de gagner en visibilité et en reconnaissance grâce à 110

115 la singularité remarquable de l objet promu et à défaut d une appropriation pleine à visée identitaire. Un entretien a été mené hors de la zone d enquête auprès de la responsable d un collectif d artistes indépendants, dont les ateliers occupent d anciens entrepôts portuaires reconvertis 18. Ce nouvel espace en bordure de la rivière Saigon a été rebaptisé 3A pour Alternative Art Area (il occupe l adresse 3A de la rue Tôn Đức Thắng) et rassemble aussi bien des ateliers d artistes et plusieurs galeries d art que des commerces de mode et d objets de décoration, un café ou un cabinet d architectes étrangers. La location des locaux commerciaux assure la pérennité de l installation. L organisation régulière d événements culturels favorise à inscrire le site parmi les lieux attractifs du centre urbain. Ils mobilisent essentiellement des jeunes investis dans les secteurs de l art et de la culture (graffeurs, photographes, danseurs, DJ). Si l argument est d abord de développer un espace unique et novateur, les recherches menées sur l histoire du site et leur publicisation mobilisent les habitués du lieu et les sensibilisent à la question patrimoniale. Selon le même schéma, comptant parmi les lieux de sortie les plus attractifs de l hyper-centre, le concept-store L Usine a réinvesti une partie d un ancien immeuble art déco de la rue Đồng Khởi. À sa suite, l ensemble de l édifice a été réinvesti par des cafés et des restaurants, misant sur un décor soigné, et des galeries d art. Lors de l entretien, la responsable du collectif 3A argumente en faveur d une production urbaine respectueuse de son héritage sous la forme du palimpseste. Elle dénonce la systématisation des démolitions par les promoteurs immobiliers, dont le coût est supérieur, selon elle, à la réutilisation des éléments bâtis existants. Parmi les entrepôts de la zone 3A, certains ont du être détruits pour l aménagement d une future ligne de métro. Quand cela était possible, la façade du bâtiment ancien a été conservée et l édifice reconstruit sur la base d une nouvelle structure en acier. Mon interlocutrice vante les qualités de l alliance des modèles anciens et contemporains dans la production urbaine. Elle fait référence au modèle du musée du Louvre et à la restructuration des espaces d accueil autour de la pyramide ; elle compare également l implantation de commerces dans la zone 3A au Carrousel du Louvre. La conservation du patrimoine bâti porte pour elle deux avantages que sont la valeur économique d abord et la valeur créative ensuite. La singularité du lieu se prête en effet à des pratiques innovantes. Au cours de l entretien, la responsable insiste également sur le rôle éducatif des milieux artistiques d avant-garde et notamment en ce qui concerne la valorisation de l esthétique coloniale en tant que bien hérité et qui doit être transmis. Elle déplore largement 18 Alexandre Capron, Do Thi Tuyet Mai, Tim Doling, 2014, 8 octobre 2014, «À Hô Chi Minh, le patrimoine colonial balayé», Les Observateurs, France

116 la politique actuelle et les difficultés de conservation des villas coloniales, qui relèvent en majorité de la propriété privée. Elle souligne l importance de valoriser l initiative privée pour favoriser la conservation du patrimoine bâti ; ces initiatives peuvent être par ailleurs suscitées par une proximité et une fréquentation de lieux différenciés tels que l espace 3A. Ainsi, certains discours portés par une partie des habitants renvoient explicitement à la dimension qualitative du patrimoine bâti et plaident en faveur de sa conservation. Les milieux culturels sont les tenants de ces représentations. Leurs initiatives rencontrent un succès nouveau auprès d une jeunesse dont l ouverture du pays aux échanges et à la modernité a élargi le regard. Ces discours sont également portés par des observateurs étrangers, chez qui la notion de patrimoine est intégrée à leur système de représentations. Ils plaident en faveur d un développement de la ville qui laisserait une place à son histoire et à la conservation de son identité. L exemple du collectif 3A montre également comment des représentations différenciées de la ville appellent à reconsidérer la notion même de patrimoine. La capacité à recréer des espaces à partir de lieux déshérités renvoie, sinon à un élargissement de la notion de patrimoine, à repenser l image de la ville. Le discours de la responsable de l espace 3A invite ainsi à repenser les moyens de valorisation du patrimoine et promeut leur intégration réfléchie dans le cadre du renouvellement urbain. La réaffectation du bâti, même si elle n est pas explicitement liée à une forme d appropriation identitaire d un patrimoine que l on voudrait commun participe à sa reconnaissance et à sa pérennité en y associant de nouvelles fonctions. Avec quelques années de décalage, apparaissent ainsi autour de la dimension «patrimonialisable» de la ville des dynamiques inventives que Françoise Ged avait déjà identifiées dans le cas shanghaien de la réhabilitation et de la réaffectation en plusieurs temps des quartiers historiques ouvriers, des lilong et des shikumen. La réinvention d espaces industriels désaffectés a entériné ce mode de renouvellement urbain au début des années 2000 (Ged, 2014). «Nous voilà déjà dans une nouvelle phase où le recyclage, la réutilisation d un édifice, même sans qualité architecturale, prime, pourvu que l opération soit financièrement réalisable. Il ne s agit plus de se donner une allure chinoise, de s inventer une histoire à coups de fausses murailles et de toitures vernissées aux faîtages retroussés, de créer des faux et des pastiches, comme les villes dotées de quartiers asiatiques en fabriquent sur tous les continents.» (Ged, 2014 : 132) Considérant Shanghai, par son statut spécifique d ancienne ville de concessions européennes, comme étant à la tête d innovations patrimoniales infusant toute la Chine, Françoise Ged 112

117 invite à reconsidérer la notion sous l angle des usages. Ce ne sont pas tant les discours et les représentations attachés aux objets du patrimoine que les usages qui y sont associés qui leur confèrent une historicité. Les représentations d une ville polysémique, telles qu analysées ici autour de l exemple de l espace 3A concourent néanmoins à la réactivation et à la réinvention d identités plurielles, en ce qu elles s inscrivent dans un temps long via la reconnaissance de certains héritages. Dans la ville ordinaire, parfois oubliée, se construit ainsi une forme d exceptionnalité, pour reprendre les termes de Françoise Ged (2014). * Autour du patrimoine bâti de Hô Chi Minh-Ville se développent plusieurs dynamiques spécifiques. Il est valorisé en tant qu objet d une consommation particulière et culturelle. Cette spécificité de la mise en valeur des villas et d autres sites hérités de la période coloniale participe à la redéfinition des pratiques urbaines pour certaines classes sociales. À travers les pratiques, ce sont aussi les identités qui évoluent. Les revendications du patrimoine ne mobilisent encore qu une part spécifique de la population de Hô Chi Minh-Ville. La dimension identitaire du patrimoine bâti reste ambivalente, associée aux activités qu il déploie. Le patrimoine colonial souffre d une appropriation restreinte. Un discours politique et institutionnel fait défaut aujourd hui pour inscrire le patrimoine dans une dimension collective. Les valeurs sentimentale et mémorielle sont marginales dans les témoignages recueillis, faisant apparaître la tension actuelle entre l absence d un règlement de protection et la mise en valeur à des fins de bénéfices commerciaux des villas coloniales. Le patrimoine, envisagé comme moyen d expression de recompositions identitaires en même temps qu un objet spécifique de modes de vie issus de la globalisation et de la circulation des modèles urbains contribue-t-il à une réinvention des identités citadines? Les dynamiques observées ici ne correspondent-elles pas, sous certaines formes, à des stratégies de différenciation territoriale déjà éprouvées en d autres lieux? 113

118

119 CONCLUSION Ce travail de recherche a eu pour dessein d apporter une analyse renouvelée de la notion patrimoniale, dans le cadre d une reconnaissance progressive des villas coloniales de Hô Chi Minh-Ville précédant paradoxalement toute reconnaissance institutionnelle. La question des mutations fonctionnelles et des usages spécifiques qui en découle a servi pour l analyse de pratiques urbaines spécifiques en considérant le patrimoine comme le lieu possible d expression de nouvelles représentations de la ville. À l heure de la mondialisation, la question du patrimoine dépasse la seule dimension esthétique. La reconnaissance croissante de patrimoines dans toutes les régions du monde s inscrit dans des dynamiques de marketing urbain et tend au-delà à exprimer chaque fois une identité territoriale (Thomas, 2004). Le patrimoine, «métonyme du territoire» (Lancel et Senil, 2009) apparaît dès lors comme une ressource en même temps que comme un marqueur territorial. L enjeu de la réaffectation fonctionnelle d un patrimoine domestique déshérité rend compte de sa fragilité. La villa coloniale semble jouir d une affection limitée, alors même qu elle sert paradoxalement de référent aux nouvelles habitations de classes émergentes, dont le comportement social se fonde sur l apparence et la consommation incarnant une modernité idéalisée. Le patrimoine bâti de Hô Chi Minh-Ville souffre d un défaut mémoriel. L histoire récente et mouvementée de la construction de l État vietnamien est instrumentalisée au profit du seul mythe révolutionnaire et de la période précoloniale. Le flou du cadrage législatif concernant le patrimoine bâti à Hô Chi Minh-Ville a pour conséquence l instabilité de sa préservation et de ses fonctions. Les usages qui s y attachent ne peuvent donc s inscrire que difficilement dans un temps durable. De là, une faible appropriation, que l on peine à envisager comme collective. 115

120 Le déficit de l État laisse néanmoins aux habitants la liberté et la responsabilité de la mise en valeur des villas de l époque coloniale. Pour ceux qui s en emparent, revalorisation et réappropriation expriment leur faculté d invention dans un cadre urbain qui tend à l uniformisation. Le désintérêt général à l égard du patrimoine, sa désaffection et sa raréfaction, n est-ce pas cela qui suscite l intérêt d un tel objet? Bien que marginales, les reconversions commerciales du patrimoine bâti s instituent comme une tendance nouvelle. Leur multiplication a toutefois pour conséquence l uniformisation des mises en valeur : le modèle du restaurant haut-de-gamme et attraction touristique domine. Retour sur le cheminement problématique Les questions soulevées à l initiative d un travail de terrain et les analyses développées tout au long de ce mémoire se proposent d éclairer la construction du discours et des pratiques patrimoniales différemment d une approche académique qui envisage souvent la question du point de vue de processus institutionnalisés. Les résultats de l étude menée s attachent donc plus à tenter d expliquer la dimension pratiquée d un patrimoine bâti, qui peine à se définir véritablement comme tel et qui cependant le révèle comme objet singulier. Le cas de Hô Chi Minh-Ville, dans cet entre-deux incertain où la reconnaissance prochaine du patrimoine colonial est encore une hypothèse, invite à se tenir sur la brèche et à envisager ce travail comme partie d une construction dialogique ; ce sont pour l heure les multiples discours déployés par les habitants pour chacun des cas où la villa coloniale fait l objet d une réinvention qui définissent ici véritablement la notion de patrimoine. Une attention accrue portée sur la diversité des acteurs mobilisés eut été pertinente. La pratique systématisée de l entretien dans un temps long s avèrerait favorable à une perspective d ordre microsociologique. Sur la base de témoignages riches, elle permettrait de dégager des parcours et des identités. D accès limité, car relevant de la propriété privée dans la plupart des cas, l approche de cet objet n est pas non plus facilité par sa fonction administrative ni par la proximité de certains propriétaires avec le régime politique. La villa coloniale tend, par ailleurs, à devenir l exception. C est peut-être l urgence à témoigner d une disparition qui a conduit mon choix. Toutefois, les processus à l œuvre autour des villas de l époque coloniale présentent une variété touchant aux différentes formes de la construction métropolitaine en cours à Hô Chi Minh-Ville. La destruction de l héritage urbain rend compte de la rénovation du centre ville et de sa substitution au profit de nouvelles formes appelées par la modernité et la 116

121 mondialisation. La désaffection et la dégradation des formes résidentielles anciennes rend compte de leur inadéquation aux mutations socio-spatiales du quartier ; elles sont en concurrence avec des villas contemporaines, de nouveaux immeubles et des tours qui rendent comptent d un imaginaire urbain renouvelé. La réaffectation fonctionnelle des villas coloniales au profit des administrations publiques, des représentations diplomatiques ou des sièges d entreprises privées témoigne, comme aussi la teritiarisation de cet espace, de la concentration des fonctions métropolitaines en centre ville, du double prestige de cet espace et de ses fonctions que traduisent visuellement une forme architecturale spécifique. Enfin, la réaffectation commerciale de certaines villas coloniales rend compte de la réinvention de pratiques urbaines par le biais d influences et d identités multiples. La villa, dans une poignée de cas, agit comme catalyseur. En perspective de futures recherches Dans l hypothèse de recherches futures, il sera bien évidemment judicieux de se dégager de la stricte observation des seules villas coloniales, afin d appréhender d autres objets d études et par là-même une variété de phénomènes. Le concept de patrimoine constitue une approche possible du champ large des pratiques urbaines. Le patrimoine peut être en cela compris comme un moyen d analyse des transferts de modèles de la métropolisation au prisme de l adaptabilité des pratiques locales. La revalorisation commerciale et récréative de certaines villas coloniales, plus longuement analysée ici semble fonctionner comme une dynamique originale de recomposition du centre urbain ; elle ne répond à aucun schéma prescriptif, mais participe d une logique progressive d appropriation limitée, circonscrite aux particularités de chaque cas. Une forme de patrimonialisation individualisée et polymorphe répond au vide institutionnel et introduit par la réactualisation de formes anciennes un nouveau discours sur la ville. La prise en compte récente de la question patrimoniale par les autorités institutionnelles politique et universitaire tend à l élaboration d une politique de conservation intégrée au développement contemporain. La tentation du modèle économicotouristique se profile. S accordera-t-elle aux initiatives privées actuelles? Un constant décalage entre la rigidité du plan et ses applications effectives, souvent en retard sur les réalisations marquent, depuis l époque coloniale, la fabrication d une ville hybride, entre compétences citoyennes, bricolage urbain et vision des aménageurs. Le détournement de la 117

122 qualité patrimoniale intrinsèque des villas coloniales au profit de logiques commerciales multiples a conduit à envisager la question par un essai d analyse des pratiques. L absence de modèle patrimonial interroge sur la manière dont se conçoit la ville dans sa dimension historique ; la référence identitaire est ambivalente et découle indéniablement d une histoire nationale complexe. Les différents modèles idéologiques qui ont présidés à la destinée de la ville depuis sa création en ont cependant fait un laboratoire urbain, hétéroclite certes, mais là est toute sa richesse. Comment favoriser un plan de conservation du patrimoine colonial (mais aussi plus récent, les chercheurs vietnamiens envisagent dans leur comptage toutes les villas datées d avant 1975) en retard sur des innovations citoyennes qui tiennent désormais lieu de modèle? C est là tout le défi de la réglementation à construire. La réflexion menée autour de la villa coloniale, objet incarné d un patrimoine disponible patrimoine en puissance, sinon en devenir n interdit pas d élargir un tel propos à l ensemble de «la ville ordinaire», où ce sont là les pratiques habitantes qui sont en jeu plus que le cadre bâti. Si l authentique le laisse parfois au pittoresque, il faudrait redéfinir la notion de patrimoine d après son caractère immatériel, non comme processus achevé mais dynamique vivante, inventive et transactionnelle d appropriation continue de la ville. 118

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125 Annexes Annexe 1 La localisation des rues citées dans le mémoire N Source : Paddi Réalisation : T.Piard-Corne, 2015 Lé g en d e Mạc Đĩnh Chi Phùng Khắc Khoan Hai Bà Trưng Phạm Ngọc Thạch Lê Quý Đôn Nguyễn Thị Minh Khai Điện Biên Phủ Tú Xương 121

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