«Accompagner les premières séparations du jeune enfant»

Transcription

1 Compte-rendu de la soirée débat du Jeudi 21 Novembre 2013, animée par Clément Ségissement, psychologue : «Accompagner les premières séparations du jeune enfant» Cette soirée, organisée par l Espace Associatif Cantonal, en partenariat avec les Versants d Aime, a été proposée dans le cadre de la première Fête de la Petite Enfance sur le Canton d Aime, événement financé par les Versants d Aime. En introduction : La première séparation que vit l enfant d avec sa mère est l accouchement. D autres séparations viennent ensuite : les temps un peu plus longs où l enfant va attendre sa nourriture, Mais, dans le contexte de cette soirée, on entend comme «premières séparations» les premières fois où l enfant se sépare du nid familial. A noter qu énormément de conflits entre parents et professionnels sont liés à une difficulté d adaptation. Vers 8-9 mois, on parle de «peur de l étranger» : l enfant comprend que les choses peuvent disparaître Il va donc falloir accorder une grande place à la «familiarité» (l enfant, comme nous d ailleurs, n aime pas le changement!). En faisant un rapide tour de salle, nous nous rendons compte que, pour nous, le terme «séparation» renvoie aux mots suivants : manque, abandon, éloignement, difficile, absence, douleur, tristesse, vide, fini, parti, deux éléments, appréhension, liberté, retrouvailles, larmes, cordon. C est à dire, beaucoup de mots négatifs, quelques termes neutres et très peu de mots positifs. Finalement, la seule chose que nous trouvons positive dans la séparation c est la fin de la séparation. Ce petit exercice nous révèle que, dans nos esprits, la séparation est associé au douloureux, et qu on ne sait pas très bien faire A quoi ça sert de se séparer? La séparation est la seule chose qui permet aux enfants de grandir! Etre parent, c est très agréable, très valorisant mais le but, c est qu à un moment donné, l enfant n aie plus besoin de nous (c est très ambivalent, très difficile).

2 On retrouve ce paradoxe tout au long de l enfance : Par exemple, à l école : cela nous fait mal quand l enfant part sans pleurer mais cela nous fait mal aussi quand il pleure. Ou lorsque les enfants quittent la maison pour de bon (moment de tension très fort pour les parents syndrome du «nid vide»). En quelque sorte, il y a un continuum qui part du maternage (1 er besoin) jusqu à l autonomie (autre besoin). Il faut toujours trouver le juste dosage entre ces deux besoins pour notre enfant et, cela, c est intuitif. Le sommeil est aussi une séparation : je quitte le monde des vivants pour un monde où je suis tout seul L enfant a alors une crainte : est-ce que demain va ressembler à aujourd hui? Pour le parent, la séparation c est accepter que d autres gens vont transmettre d autres valeurs à notre enfant ; accepter qu il grandisse, qu il aille vers d autres Comment sortir de la fusion parent-enfant? Il faut se dire que la séparation, pour l enfant, c est l accès à l autonomie, à la liberté, c est la possibilité de rencontrer d autres personnes, un amoureux. Mais tout cela s accompagne d un juste dosage afin de ne pas tomber dans des extrêmes (la fusion / le rejet). La fusion : Quand il y a fusion avec les parents, certains enfants ont l impression de les trahir quand ils aiment aller à l école, quand ça se passe bien chez l assistante maternelle, quand ils deviennent autonomes, Le rejet : Un enfant rejeté va devenir tout de suite un adulte et ne va pas se construire. Comment faire pour que l enfant supporte cette séparation? L enfant va se choisir un «doudou», un objet transitionnel, qui n est, en fait, pas nécessairement un objet. Cela peut être un petit geste (tétouiller quelque chose, mettre le pouce à la bouche, ). Le doudou, c est l intermédiaire entre «j ai besoin de quelqu un d autre» et «je peux être un peu tout seul». Avec cet objet, l enfant s occupe de lui tout seul. Puis, après le doudou, l enfant va pouvoir se rassurer lui-même. Mais, finalement, dans la vie, on n est jamais vraiment indépendant. On trouve des substituts.

3 En crèche, que dire aux parents qui ont du mal à quitter leur enfant? Chaque culture va avoir une manière d accompagner la séparation, le sommeil. C est comme lorsqu on enlève un pansement : dans certaines familles, on prend le temps, petit bout par petit bout dans d autres, on enlève d un coup sec! Actuellement, il y a beaucoup de débats autour du cosleeping. La question à se poser est : quel sens cela a dans ma culture? En France, aujourd hui, il n existe plus vraiment de culture commune mais on peut faire son choix parmi toutes ces possibilités. Il y a une approche de la séparation très différente selon chaque pays. Dans nos sociétés traditionnelles, il y a le schéma classique du père et de la mère (la mère en fusion avec son enfant et le père qui va, à un moment les séparer) mais tout cela est très symbolique. Maintenant, on demande aux hommes d être maternels et inversement. En crèche, plutôt que de parler d attitudes à avoir, on peut parler d émotions. Une attitude, c est corporel, c est du langage non verbal. Alors qu en terme d émotions, on peut se poser les questions suivantes : «Qu est-ce qu on ressent dans la séparation?», «Est-ce qu on a peur que l enfant soit triste?», «Est-ce qu on accepte sa tristesse?». Parfois, l enfant s identifie aux parents. Tout cela est très différents d un enfant à l autre. En tant qu adulte, plus on est serein dans cette séparation, plus cela va être facile. Parfois, en pleurant, l enfant communique (ex : je pleure pour te dire «Allez, reste!») mais une fois le parent parti, c est passé. Parfois, l enfant a juste besoin d être rassuré sur le retour du parent. Il faut surtout faire attention à ne pas imaginer des émotions à la place de l enfant! (A ce propos, Monsieur Ségissement nous propose une petite devinette : «Savez-vous ce que c est qu un pull-over? C est un vêtement que les enfants enfilent quand leurs mères ont froid!»). Si notre visage est serein, l enfant aura moins peur. Si on pense que la séparation est un abandon, on va transmettre notre appréhension à l enfant. Il faut faire attention à ne pas trop s identifier à l enfant pour ne pas tomber dans une trop grande fusion. Il peut être intéressant d essayer de se projeter : un enfant s élève sur 18 ans et plus pas seulement à cet instant T. L enfant doit faire ses propres expériences. Souvent, il va faire des aller-retours avant d oser se détacher du parent.

4 Le problème avec les émotions c est que, souvent, on n a pas envie de voir l enfant triste, qu il pleure Mais c est important que l enfant puisse avoir des émotions, qu il ait le droit de pleurer! Dès la petite enfance, on nous transmet qu il faut cacher ses émotions (on n est pas très à l aise avec). Or, il est important d oser accepter les colères, les pleurs et d exprimer les choses considérées comme «négatives» en mettant des mots. Poser la question à l enfant : «Et où elle est ta maman?» permet à l enfant de réfléchir et d évoquer son parent (idem lorsque le parent est décédé. Evoquer la personne décédée est important, après, la méthode appartient à chacun). Plus vite les enfants arrivent à mettre leurs parents en tête, mieux c est! Distinguer la collectivité de la séparation : Parfois, ce n est pas une question d enfant car, au bout de quelques heures, l enfant va avoir une relation avec les professionnelles de la crèche. Mais parfois, c est la collectivité qui ne s adapte pas à l enfant. Il n existe pas de parents qui veulent le mal de leur enfant. Il est important de travailler sur les représentations des parents quant au fait que leur enfant grandisse. Mais, en terme d éducation, souvent, les parents sont très susceptibles. C est comme pour la conduite. D ailleurs, éduquer signifie «conduire à l extérieur». Souvent, en tant que professionnel de la petite enfance, on a peur de la colère, de la tristesse des parents, on a peur qu ils culpabilisent alors, on s autocensure. En tant qu être humain, on a peur du conflit, qui demande beaucoup d énergie. Mais la séparation est un moment de crise qui permet d accueillir quelque chose de nouveau. Quand on appréhende, en tant que parent, on peut en parler avec son conjoint, ses amis, des professionnels afin de se mettre au clair avec ses émotions avant d en parler à l enfant. Le film «La vie est belle» nous montre que l enfant peut vivre des choses dramatiques mais qu en tant qu adulte, on est là pour amortir le choc. Les séparations de la petite enfance sont assez déterminantes! L enfant a des figures d attachement (papa, maman, nounou, ). Parfois, il n y a que la mère qui compte. Pour d autres enfants, ces attachements peuvent être multiples. Certains enfants ont une grande souplesse sur ce terrain ; d autres non!

5 Si le parent est sûr de ne pas disparaître, qu il est sûr qu il sera le/la plus aimé(e) de son enfant, la séparation va souvent bien se passer. Si le parent va bien, l enfant sera moins inquiet. Quand cela va mal se passer, c est souvent lorsque les parents culpabilisent. Le fait de prendre le temps d expliquer aux enfants nous met au clair avec nos émotions, avec la situation. On est dans l empathie. Anticiper les séparations est une des protections que l on peut mettre en place par avance : cela va rassurer l enfant et amortir le choc! Attention aux prophéties s auto-réalisant (ex : la réussite à l école dépend souvent de ce qu on pense de la réussite de l enfant au départ et de la considération que l on a pour lui. Un enfant vu comme un bon élève réussira mieux). Pour une première séparation, si on pense dès le départ que cela va mal se passer, il y a peu de chances qu elle se passe bien (et inversement). Lorsqu il n y a pas de période d adaptation, cela amène l enfant à se séparer brutalement du parent et cela donne aux enfants l image d une société brutale. Néanmoins, l enfant s adaptera car il n a pas la choix! Cette période d adaptation est importante car elle amène de la douceur. On protège souvent les enfants mais on oublie de protéger les adultes Dans notre société, on est dans une culture du sacrifice pour l enfant. Mais quel modèle est-on pour l enfant quand on se sacrifie toujours pour lui? L enfant peut se dire : «il faut que je me sacrifie pour les autres» ou «les autres doivent se sacrifier pour moi!». L enfant a surtout besoin de familiarité, que les choses se répètent C est un sport national que de se culpabiliser quand on est parent! Notre société judéo-chrétienne est basée sur la différence entre le bien et le mal. Parfois, il est important d être plus indulgent avec soi-même, de veiller à ne pas trop se mettre la pression par rapport à ses enfants. L enfant va jouer, grandir, s adapter En conclusion : Quand dans la relation adulte-enfant, cela se passe mal autour de la séparation, c est souvent le professionnel qui prend pour tout le monde Mais, c est bien à lui de recevoir tout cela car ce ne peut pas être l enfant (qui doit être protégé) ni le parent (ce serait trop culpabilisant). Pour accepter cela, le professionnel doit être sûr de ses compétences. En fin de soirée, le terme «séparation» nous a évoqué d autres termes : tranquillité, profitable, s ouvrir au Monde, autonomie, renouveau, grandir, amour, s épanouir, respect.