Note du service d études d ECOLO 03/2015 Une brève histoire du lait et de ses quotas Le 31 mars 2015 marquera la fin de 31 années de quotas laitiers. Une véritable révolution dans le monde agricole européen, car ces quotas, même s ils n ont pu empêcher les différentes crises du lait, ont joué un rôle important dans la stabilisation du marché. Ils ont également contribué à la mise en place des conditions-cadres pour les éleveurs laitiers. Que se passera-t-il alors? Selon toute probabilité, les éleveurs laitiers, dans de nombreux États membres de l Union Européenne (UE), augmenteront nettement leur production, sans se préoccuper des conséquences sur le marché du lait. Une nouvelle chute spectaculaire des prix se profile, entraînant l inévitable prochaine crise du lait. Comment en est-on arrivés là? Nos modèles agricole et alimentaire C est dans les années 60 que se dessine le paysage agricole européen. Les progrès technologiques fulgurants alliés à une volonté européenne d augmenter la productivité conduisent à une intensification et une spécialisation de la production agricole du continent. En même temps, l industrie agro alimentaire et la grande distribution s imposent et imposent leur modèle basés sur la distribution massive des surgelés et des produits alimentaires industriels. Dans le secteur du lait cette situation se traduit par une forte tendance à la concentration. La chute du nombre d entreprises excède largement la diminution du cheptel laitier. En Belgique, le nombre moyen de vaches laitières par entreprise a augmenté de 52 % en 2012 par rapport à l an 2000. Après trois décennies de prix structurellement bas et relativement stables, les marchés alimentaires internationaux sont confrontés depuis 2006, à de fortes turbulences, avec des fluctuations importantes et imprévisibles. Les prix internationaux des denrées alimentaires ont ainsi connu 2 hausses importantes et surtout très rapides. Après la crise alimentaire de 2007/2008, les prix ont fortement chuté au second semestre de l année 2009, et ont ensuite à nouveau augmenté depuis la mi-2010, pour atteindre des niveaux sans précédent en février 2011. Pour certaines denrées comme le riz, le sucre, le blé, les oléagineux ou encore le maïs, la hausse entre la moyenne de 2005 et le niveau record est de plusieurs centaines de pour cents, elle est à l origine de graves émeutes dans plus de 40 pays. Pour le lait, les écarts de prix en Europe ont varié de +78% à -50% entre 2007 et 2009. La prise de mesures comme l instauration de fourchettes de prix, la gestion de l offre, les stocks régulateurs, les subsides et les restrictions aux exportations, avaient pour objectifs de stabiliser les prix. Ces politiques sont cependant progressivement démantelées au profit de la libéralisation des marchés agricoles. note #01 Mars 2015 Quotas laitiers 1
La PAC, ses quotas et son lourd héritage Début des années 60, l UE lance la PAC. Les objectifs sont : accroître la productivité de l agriculture, assurer un niveau de vie équitable aux agriculteurs, stabiliser les marchés, garantir la sécurité des approvisionnements et assurer des prix raisonnables aux consommateurs. Pour le lait cela se traduit principalement par trois éléments. Un prix du marché étroitement lié aux prix «indicatifs «fixés par le Conseil des Ministres. Des actions ponctuelles pour développer la demande de produits laitiers, soit en interne (distribution de lait aux écoles, aides à l utilisation de beurre pâtissier), soit à l exportation via des subventions. Et enfin et surtout, un mécanisme d intervention qui oblige les États-membres à racheter et stocker les produits laitiers industriels (beurre et poudre de lait) lorsque les prix du marché descendent en dessous d un certain seuil. Les résultats sont spectaculaires puisqu en moins de 10 ans, l objectif d autosuffisance est atteint et dépassé. Malheureusement, cette apparente réussite s est bâtie sur une série d excès et d erreurs stratégiques qui se paient aujourd hui très cher. Le productivisme forcené a eu des effets particulièrement pervers : recul progressif du nombre de fermes traditionnelles (polyculture et élevage) au profit d une trop grande spécialisation des exploitations, augmentation de la taille des parcelles cultivées, surproduction et gaspillage alimentaire autour des lacs de lait et des montagnes de beurre des années 70-80, utilisation d intrants (engrais et pesticides) qui ont entraîné des pollutions graves des sols et des eaux par le nitrate et la disparition de milieux riches en biodiversité. Le prix de cette politique est exorbitant : au vu des prix garantis, les producteurs augmentent leur production que les États doivent racheter et écouler parfois à perte. La PAC va grever durablement les budgets européens (elle représente à elle seule 40,5% du budget de l UE) Face à ces dérives, une des réformes de la PAC sera la mise en place de quotas laitiers. UN QUOTA LAITIER, C EST QUOI? En 1984, l UE pour soutenir le marché du lait et éviter les stockages considérables de poudre de lait (1million de tonnes, en 1983) et de beurre (850.000 tonnes en 1983) qui engendraient des charges considérables pour le budget communautaire (aides à l exportation, soutien des prix ), a instauré un régime de limitation de la production laitière sous forme de quotas nationaux pour les différents États membres. Chaque État membre se vit attribuer un quota national pour les livraisons de lait et les produits laitiers livrés à des acheteurs (laiteries) et un quota national pour les ventes directes des producteurs aux consommateurs. En cas de dépassement de l un ou l autre de ses quotas nationaux, l état membre est redevable, par litre de lait en dépassement, d une pénalité égale à 115% du prix indicatif du lait. Chaque État membre avait la faculté de répartir ses quotas nationaux entre ses producteurs (formule A) ou entre les acheteurs (laiteries) établis sur son territoire (formule B). La Belgique a choisi la formule A. En cas de dépassement du quota national, la pénalité due par la Belgique est réparti entre les producteurs qui ont contribué au dépassement national en commercialisant plus de lait ou de produits laitiers qu il ne leur était permis par leurs quotas individuels. Le quota laitier est donc un droit d accès au marché accordé par le pouvoir public au producteur, lui garantissant dans des limites précises un droit de commercialisation sans pénalité. Crise alimentaire mondiale de 2007, crise du lait de 2009, blocus russe de 2014 : à chaque fois, l Europe, même si elle tente de créer des pare-feu en modifiant la PAC, ne parvient pas à stabiliser les prix. Même si nombreux sont les agriculteurs favorables au maintien des quotas, les rapports de forces au sein des États membres ne sont pas favorables à cette option. Quelques pays sont hostiles aux régulations par principe (Royaume-Uni, Suède). D autres sont partisans d une levée des quotas ou d une augmentation sensible afin de faire jouer les avantages comparatifs, dont ils estiment pouvoir bénéficier (Pays-Bas, Danemark Pologne). Enfin, certains pays ont été pénalisés par des quotas trop faibles, inférieurs aux consommations nationales (Italie, Espagne). Chaque année, plusieurs pays payent des pénalités pour dépassement de quotas. note #01 Mars 2015 Quotas laitiers 2
La première responsabilité de la Commission européenne est d assurer le respect des traités et notamment d assurer un niveau de vie équitable aux agriculteurs et stabiliser les marchés. Il est clairement permis de douter que ces objectifs soient actuellement atteints. Pour renforcer la position des producteurs sur le marché et obtenir des prix payés aux producteurs rémunérateurs, les conditions suivantes doivent être remplies : Création d une agence d observation européenne regroupant les producteurs laitiers, les transformateurs, les organisations de défense des consommateurs et les politiques. Elle calculera le seuil et le plafond du prix à la production. Une fourchette au sein de laquelle le prix est rémunérateur est donc déterminée. Si le prix du marché sort de la fourchette, ce sont les volumes de lait produit qui sont augmentés ou diminués. Mise en place d une base juridique pour permettre aux producteurs laitiers de se regrouper en organisations de producteurs à l échelle du pays membre et au-delà. Une alternative à l échelle nationale : les circuits courts Actuellement pour produire 1000 litres de lait, il faut dépenser environ : Les producteurs de lait vivent donc dans un contexte socio-économique difficile. De quelque 13.000 producteurs en 1990, leur nombre est passé à un peu plus de 3.500 l an passé, avec tout ce que cela implique en termes d emploi. Si on s intéresse de plus près à l évolution de leurs revenus et investissements, ceux-ci se répartissent et évoluent comme suit : Revenus et investissements des producteurs de lait Les primes perçues représentent 12 à 14 % des revenus du producteur laitier. note #01 Mars 2015 Quotas laitiers 3
Le revenu des agriculteurs wallons varie entre 3 et 7 euros de l heure (FJA, 2008). Certains estiment même que si le temps de travail (ainsi que le travail administratif, la comptabilité, les livraisons, ) était comptabilisé, les agriculteurs iraient pointer au CPAS. La situation des femmes d agriculteurs La fin des quotas laitiers aura un impact sur la situation des épouses, des conjointes aidantes. La cotitularité des droits de quotas avait été acquise par l Union des Agricultrices wallonnes pour rendre visible le travail des femmes dans la production laitière. Si ces droits restent acquis, la fin des quotas laitiers réduit à néant tout un pan de protection pour les femmes. Un pan de leur sécurité (par exemple en cas de décès ou de séparation) qui s était forgé par l entremise des droits de quotas laitiers. La crise est européenne, la sortie de crise sera européenne. Néanmoins, les États et la profession doivent aussi trouver en leur sein, les moyens de sortir de l impasse. Dans ce cadre, une des premières choses à prévoir est l équilibre local entre la production et la transformation. Un des éléments sont des contrats suffisamment longs entre producteurs de lait et transformateurs pour éviter que ceux-ci achètent le lait sur des marchés, au détriment des producteurs. De plus, pour éviter de se trouver avec des produits transformés banaux très soumis à la concurrence du marché mondial, les producteurs ont tout intérêt à offrir des produits de qualité et spécifiques. Après avoir sécurisé une production de base, puis avoir prévu de la transformer totalement en l ayant également spécialisée, il faut aussi avoir une stratégie de fidélisation de la demande. Il faut que la vente directe augmente et que les circuits courts soient développés et favorisés. Différents outils peuvent pour cela être mise en place : le label de qualité élevé et très rigoureux, tant sur la qualité du produit que sa production, l aide à la réorientation pour passer des pesticides à l agriculture de qualité (Bio ou équivalent), l aide à la mise en place des filières courtes pour faire des agriculteurs des vendeurs, le soutien à l investissement pour rendre les installations compatibles à une agriculture de qualité, le soutien juridique dans la négociation des contrats. Dans ce contexte socio-économique difficile, les circuits courts sont une opportunité de diversifications par le développement de filières de produits de qualité différenciée ou issus de l agriculture biologique. La récupération des marges incite les producteurs à vouloir maîtriser l entièreté de la chaîne de production. En circuit long, selon l Observatoire des Prix Français, seul un tiers du prix de vente du lait revient au producteur (2011). Dans la même logique, écouler des produits transformés permet aux producteurs de gagner une marge plus importante, au prix de travail et d investissements conséquents. Cela peut permettre de fournir un revenu complémentaire pour un membre de la famille, typiquement note #01 Mars 2015 Quotas laitiers 4
les conjoints des producteurs. En France, 26% des producteurs travaillant en circuit court pratiquent une activité de diversification complémentaire. En outre, la transformation permet parfois de s éloigner d un marché volatile. Ainsi, les fromages et crèmes ont l avantage de se vendre à un prix moins volatile que le lait. EXEMPLE DU LAIT CRU VENDU EN CIRCUIT COURT L agriculteur peut vendre son lait entre 0,7 et 1 10 le litre quand son produit est issu de l agriculture biologique. Il touche alors ± 50 cents par litre vendu alors qu il n en tire qu un peu plus de 0,3 le litre quand il le revend dans le circuit de distribution conventionnel via un groupe laitier. En plus d une large plus importante, l agriculteur reste maître du prix de vente de son lait. Conclusion Aujourd hui la régulation cède la place au libre marché, le passage d un système à l autre est brutal. Or libéraliser les produits et les services n est bon ni pour l environnement, ni pour l emploi. La vision de l Europe pour sa production laitière doit être une production laitière répartie partout en Europe au lieu d une concentration de la production dans quelques régions européennes qui entraîne la disparition de milliers de petits exploitants et une pression accrue sur l environnement. Son objectif devant être un prix du lait au producteur rémunérateur et promoteur d une agriculture durable. Les Etats membres ne doivent cependant pas attendre l Europe et mettre en place des politiques volontaristes de développement local de production, transformation et consommation des produits laitiers et agricoles de façon plus générale. note #01 Mars 2015 Quotas laitiers 5