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Transcription:

EYB2008REP745 Repères, Septembre 2008 EmmanuelleSAUCIER * Commentaire sur la décision Banque Nationale du Canada c. Lemay - Cautions, ne renoncez pas à l'exception de subrogation par votre comportement Indexation SÛRETÉS ; HYPOTHÈQUE ; CAUTIONNEMENT ; OBLIGATIONS ; CONTRATS NOMMÉS ; PRÊT D'UNE SOMME D'ARGENT ; CONTRAT ; EXÉCUTION ; FORMATION ; CONSENTEMENT ; VICES ; ERREUR ; ERREUR SUR LA NATURE DU CONTRAT ; FIN INTRODUCTION I- LES FAITS II- LE JUGEMENT DE PREMIÈRE INSTANCE III- LA DÉCISION DE LA COUR D APPEL IV- LE COMMENTAIRE DE L AUTEURE CONCLUSION Résumé TABLE DES MATIÈRES L auteure http://rejb.caij.editionsyvonblais.com/app/dclrejb/dclrejb/document/display/body?num2re =5&collection=EYB- DOCTRINE&docpos=1&docnum=5&srguid=ia744900c0000011c9b10b679866c28f0&st art=1&docguid=ieb4b2c8ae2e940f281e972dfacd936d4 - N1036F-F#N1036F-F commente cette décision de la Cour d appel portant sur la renonciation à l exception de subrogation prévue à l article 2365 C.c.Q. INTRODUCTION Dans une décision du 8 janvier 2008 1, la Cour d appel infirme celle de la Cour supérieure et accueille l action de la Banque Nationale du Canada contre M me Lemay, condamnant cette dernière par le fait même à verser 196 982,72 $ à la Banque. La Cour d appel conclut que M me Lemay a renoncé à l exception de subrogation découlant de l article 2365 C.c.Q., qui édicte ce qui suit : Lorsque la subrogation aux droits du créancier ne peut plus, par le fait de ce dernier, s opérer utilement en faveur de la caution, celle-ci est déchargée dans la mesure du préjudice qu elle en subit. Rappelons dès à présent le cadre factuel de ce dossier. I- LES FAITS En mai 2002, M. Gendron, agriculteur et conjoint de fait de M me Lemay, emprunte 200 000 $ à la Banque Nationale du Canada en prétendant vouloir faire l achat d une arroseuse. En contrepartie de ce prêt, il consent sur ce bien une hypothèque mobilière et déclare, dans l acte qui la constate, que l arroseuse est libre de tout droit réel, hypothèque ou sûreté. De son côté, M me Lemay accepte de cautionner cet emprunt, puisque la Banque estime que le crédit de M. Gendron n est pas assez solide pour que le prêt ne soit garanti que par une hypothèque mobilière.

Ultérieurement, il s avère que la déclaration de M. Gendron est fausse et que deux autres créanciers ont déjà inscrit leurs propres hypothèques mobilières sur l arroseuse dont ils ont déjà financé l achat. En effet, en octobre 2002, un préavis d exercice d un droit hypothécaire et de prise en paiement est publié par l un de ces créanciers. M me Lemay est alors informée que la Banque ne détient qu une hypothèque de troisième rang. Par la suite, M. Gendron accuse plusieurs retards dans ses paiements à la Banque et M me Lemay effectue quatre versements mensuels. Subséquemment, toujours en raison des retards de M. Gendron dans ses versements mensuels, la Banque poursuit ce dernier en remboursement du prêt, et M me Lemay en exécution du cautionnement sur le prêt. II- LE JUGEMENT DE PREMIÈRE INSTANCE Il faut d abord mentionner que M. Gendron n a pas comparu ni témoigné à l audience de première instance, si bien qu un jugement par défaut a été rendu contre lui. Ainsi, le débat porte davantage sur l action de la Banque contre M me Lemay. Mme Lemay nie devoir les sommes ainsi réclamées par la Banque. Elle invoque que son engagement à titre de caution doit être annulé pour vice de consentement en vertu de l article 1400 C.c.Q. Elle prétend que la considération principale de son consentement à titre de caution résidait dans le fait qu une hypothèque mobilière de premier rang était consentie en contrepartie du prêt hypothécaire signé avec la Banque. La Cour supérieure rejette cet argument à la lumière de la preuve présentée. Elle estime que M me Lemay n a pas prouvé que l obtention d une hypothèque de premier rang était une considération essentielle pour elle ni qu elle n aurait pas contracté si elle avait su que l hypothèque mobilière obtenue par la Banque n était pas une hypothèque de premier rang. Dans un second temps, M me Lemay invoque l exception de subrogation en s appuyant sur l article 2365 C.c.Q. Cette disposition prévoit que, lorsque la subrogation aux droits du créancier ne peut plus, par le fait de ce dernier, s opérer utilement en faveur de la caution, celle-ci est déchargée dans la mesure du préjudice qu elle en subit. La Cour retient cet argument en faveur de M me Lemay. Elle conclut à la négligence de la Banque, qui a remis l argent à M. Gendron sans vérifier l existence de garanties au RDPRM. Elle précise que, par son comportement, la Banque s est elle-même privée, et a privé M me Lemay, d une garantie importante. Plus précisément, la Cour soutient que la Banque a été négligente en remettant l argent à M. Gendron sans vérifier l existence de garanties ou sans faire de vérification au RDPRM : si la Banque avait effectivement fait une vérification au RDPRM avant de remettre le chèque à M. Gendron, elle aurait été à même de constater la situation avant qu il ne soit trop tard. Ainsi, la Cour accepte l argument de M me Lemay, qui prétend être fondée à invoquer l exception de subrogation. Dans ce même ordre d idées, la Cour rejette la prétention de la Banque suivant laquelle M me Lemay, étant donné son comportement, a renoncé à invoquer l exception de subrogation en effectuant quatre paiements mensuels à la place de M. Gendron. En effet, dans cette affaire, M me Lemay a accepté de faire quatre chèques libellés au nom de la Banque pour les mois de janvier, de juillet, de septembre et d octobre 2003 parce que M. Gendron était en retard dans ses paiements. Or, à ce propos, la Cour en vient à la conclusion qu il n est pas possible d assimiler ce comportement à une renonciation à invoquer l exception de subrogation. Elle est plutôt d avis que, compte tenu des circonstances dans lesquelles ces paiements ont été faits, ils constituaient tout au plus une renonciation partielle à invoquer l exception de subrogation pour ces quatre mois uniquement. Enfin, par le biais d une demande reconventionnelle, M me Lemay réclame le remboursement de ses honoraires extrajudiciaires. Elle demande également à être indemnisée pour les dommages moraux qu elle prétend avoir subis. Elle soutient en effet que la Banque a abusé de son droit de poursuite. Cette demande est rejetée. III- LA DÉCISION DE LA COUR D APPEL

Dans sa décision, la Cour d appel accueille le pourvoi de la Banque et, de ce fait, infirme le jugement de première instance à l égard de M me Lemay. C est véritablement l aspect touchant l exception de subrogation prévue à l article 2365 C.c.Q. qui fait l objet d une analyse plus approfondie. En effet, en ce qui concerne la validité du cautionnement signé par M me Lemay, la Cour confirme la thèse de l absence de vice de consentement. Essentiellement, la Cour retient une interprétation différente de l application de l article 2365 C.c.Q. Dans un premier temps, elle souligne qu en l espèce, la preuve démontre clairement que, dans les faits, M me Lemay a renoncé à invoquer l exception de subrogation. Dans son raisonnement, elle met l accent sur le fait que la caution peut renoncer à invoquer l exception de subrogation après que sont acquises toutes les conditions d application de cette disposition : 25. En effet, quoique l article 2355 interdise à la caution de renoncer à l avance au bénéfice de subrogation et donc à l exception de subrogation que consacre l article 2365 C.c.Q. (puisque la renonciation anticipée au bénéfice de subrogation rendrait ce dernier article inutile), il reste que la caution peut, après que lui soient acquises toutes les conditions d application de cette disposition, renoncer à invoquer celle-ci. 26. Dans son ouvrage sur le droit des sûretés, le professeur Ciotola évoque la possibilité que la caution puisse renoncer, a posteriori, au bénéfice de l article 2365 C.c.Q. La Cour cite un auteur français, soit le professeur Mouly, qui jette les assises d un tel raisonnement qui peut trouver appréciation au Québec : 27. Le professeur Mouly, dans son ouvrage sur l extinction des cautionnements, tient les propos suivants, qui paraissent intégralement transposables à l espèce, le droit français s accordant sur ce point avec le droit québécois : o 463. Renonciation après l impossibilité de subrogation. La renonciation intervenant après que l impossibilité de subrogation ait été réalisée est évidemment valable. La caution qui consent considère que l attitude du créancier n est pas empreinte de la mauvaise foi qui l autoriserait à s estimer libérée. Cette renonciation est le plus souvent implicite. Elle ne se traduit pas par la rédaction d un texte mais par une attitude révélant sans ambiguïté la volonté de la caution de s estimer encore engagée. Ainsi la caution qui commence à rembourser le créancier en connaissance de l impossibilité de subrogation a renoncé implicitement à invoquer l article 2037 C.civ. [Un renvoi a été omis.] La Cour considère que c est ce qui s est passé en l espèce. La caution a accepté en pleine connaissance de cause d exécuter son engagement en dépit de la perte fautive par le créancier de droits ou de sûretés dans lesquels elle aurait pu être subrogée. Plus précisément, la Cour met l accent sur le fait que M me Lemay a effectué à la place de M. Gendron quatre versements mensuels en remboursement du prêt, et ce, tout en sachant que l hypothèque de la Banque n était que de troisième rang : 37. En l espèce, M me Lemay ne pouvait raisonnablement espérer être subrogée dans quelque hypothèque utile que ce soit et en payant la dette à la place du débiteur, comme elle l a fait en janvier et, surtout, en juillet, en septembre et en octobre 2003, elle a, par sa conduite, indiqué sans équivoque sa «volonté de s estimer encore engagée», pour emprunter aux propos de Mouly (supra, paragr. [27]). [...] 41. D ailleurs, si le bât blesse quelque part, c est dans le fait que la juge de première instance, soit dit respectueusement, paraît avoir considéré distinctement les faits reprochés à M me Lemay, pour conclure que chacun d eux ne pouvait être tenu pour manifester implicitement une renonciation à l article 2365 C.c.Q. Il faut plutôt considérer ces faits dans leur ensemble. Car c est bien la conjugaison de tous les faits signalés plus haut et des circonstances des quatre paiements qui permet de conclure à une renonciation tacite au bénéfice de l article 2365 C.c.Q. La caution qui, à l instar de M me Lemay,

sait que la sûreté dont la dette est assortie n est pas celle qu on lui a fait valoir, qui sait que le débiteur ment ou a menti, qui sait aussi que le bien hypothéqué a été pris en paiement par un créancier hypothécaire de rang supérieur, ne peut pas ne pas réaliser que la subrogation est impossible : si elle paie, malgré tout, en lieu et place du débiteur, et ce, sans réserve aucune, elle se trouve à renoncer à l exception de subrogation. M me Lemay espérait peut-être, comme elle l affirme, que le débiteur Gendron soit en mesure de rembourser pleinement sa créancière, mais cet espoir ne saurait affecter l existence de la renonciation (même si elle pouvait en fournir le motif subjectif). En ce qui a trait au débat relatif à la renonciation partielle, la Cour vient clairement écarter l application de cette idée en l espèce : 44 À mon avis, il faut comprendre l idée de renonciation partielle qu exprime la fin de la troisième phrase de ce passage à la lumière de la première partie de la même phrase : lorsqu il y a pluralité de débiteurs, pluralité de biens ou pluralité de sûretés, la caution peut renoncer à invoquer l exception de subrogation à l égard de certains des débiteurs, de certains des biens ou de certaines des sûretés. Mais lorsqu il n y a qu un seul débiteur, un seul bien et une seule sûreté sur ce bien, comme en l espèce, je ne vois pas comment une caution, en exécutant sans réserve une partie de l obligation du débiteur, pourrait être considérée comme renonçant à l exception de subrogation à l égard de cette seule partie de l obligation mais non quant au reste. Au surplus, la Cour rappelle que, même si une telle renonciation partielle était envisageable, l on ne pourrait pas conclure que les gestes de M me Lemay, plus particulièrement ses quatre paiements, peuvent signifier autre chose qu une renonciation totale à l exception de subrogation. Pour ces motifs, la Cour infirme le jugement de première instance à l égard de M me Lemay et la condamne à verser à la Banque la somme de 196 982,76 $. IV- LE COMMENTAIRE DE L AUTEURE Dans son jugement, la Cour d appel énonce un principe important quant aux droits et aux obligations d une caution dans un contexte factuel qui, somme toute, est loin d un cas de figure typique. Elle reconnaît et réitère que la caution ne peut renoncer à l avance au bénéfice de subrogation, mais souligne qu elle peut y renoncer par son comportement a posteriori. Il est donc très important, lorsque le débiteur principal fait défaut de respecter ses obligations face au créancier, que la caution analyse à ce moment précis le type de moyen de défense qu elle pourrait faire valoir lorsque le créancier lui réclame les sommes. En cas de doute, il est primordial que tout paiement fait par la caution le soit «sans admission», et sous réserve de tous ses droits, y compris ceux prévus à l article 2365 C.c.Q. Un autre point intéressant dans ce jugement réside dans le défaut de la Banque de vérifier s il existait des hypothèques mobilières déjà publiées à l égard du bien et dans son comportement négligent soulevé tant par le juge de première instance que par la Cour d appel. Soulignons qu en aucun temps l une et l autre Cour ne soulèvent le fait que M me Lemay aurait dû se renseigner, ce qui implique un devoir d information de la part de la Banque face à la caution qui est presque à sens unique. Nous trouvons que cette interprétation du devoir d information est probablement trop large. M me Lemay était, somme toute, la conjointe de fait du débiteur principal et associée avec lui dans une ferme. Elle aurait dû connaître la situation ou, à tout le moins, se renseigner pour s assurer que les déclarations faites par ce dernier étaient vraies. Il apparaît un peu surprenant que plusieurs emprunts aient été obtenus pour des sommes importantes et pour une même arroseuse sans que M me Lemay soit au courant. La décision commentée ne devrait pas être citée comme un exemple du degré de vérification auquel la caution est soumise avant de s engager à ce titre, puisqu il est acquis dans de nombreux autres jugements que cette obligation de se renseigner a une intensité plus forte que celle suggérée dans cette décision. CONCLUSION

En supposant que l article 2365 C.c.Q. régisse la situation en l espèce, il ne fait aucun doute que la caution qui accepte d exécuter l obligation du débiteur en détenant l information relativement à l état de la créance hypothécaire ne peut pas ne pas réaliser que la subrogation est impossible. Par le fait même, la caution renonce clairement à l exception de subrogation. * M e Emmanuelle Saucier est une associée du cabinet McMillan Binch Mendelsohn S.E.N.C.R.L., s.r.l et sous-directrice du groupe de litige commercial. Elle pratique notamment en litige commercial, incluant les recours en matière immobilière. Elle tient à remercier Laurent Grondines, stagiaire au sein du même cabinet, qui a collaboré à la recherche relative au présent article. 1. EYB 2008-128004 (C.A.). Date de dépôt : 5 septembre 2008